[4] ont proposé d’évaluer la connaissance qu’avaient
les sujets des événements publics en leur demandant
de répondre à des questions de détails suggérant que
le seul rappel de l’événement ne suffisait pas pour
conclure à l’intégrité de ce type de souvenir.
La naissance des théories multisystémiques de la
mémoire, en particulier la distinction proposée par Tul-
ving en 1972 [5] entre la mémoire épisodique et la
mémoire sémantique, a également contribué au déve-
loppement d’une conception cognitive de la mémoire
du passé. La mémoire des événements publics a été
longtemps considérée uniquement comme un savoir
décontextualisé, donc comme une mémoire sémanti-
que. Certains auteurs ont néanmoins souligné que les
événements publics avaient un contexte spatiotempo-
rel précis et qu’ils pouvaient générer des souvenirs
flashs dans certaines conditions, telles que la surprise,
l’émotion qu’ils suscitaient, les conséquences person-
nelles qu’ils entraînaient [6] ou l’état émotionnel initial
[7, 8]. Pour ces événements, il est possible de préciser
la situation personnelle dans laquelle le sujet se trou-
vait lorsqu’il a appris l’événement. Brown et Kulik [6]
ont ainsi défini 6 dimensions canoniques : le où, le
quand, le quoi, le avec qui, le comment, et le niveau
d’implication personnelle. Ces travaux reprenaient les
données anciennes de Colgrove enregistrées après
l’assassinat d’Abraham Lincoln en 1899. Les souvenirs
flashs sont des souvenirs détaillés, imagés et conser-
vent durablement les informations contextuelles
entourant l’acquisition de l’événement. Pour ces
auteurs, le rappel de l’événement et d’une seule de ces
dimensions canoniques suffit à qualifier le souvenir de
souvenir flash. L’événement qui en a le plus suscité,
aux États-Unis, a été l’assassinat du président John
Foster Kennedy. Les deux variables critiques pour la
formation d’un souvenir flash étaient le niveau de
surprise et les conséquences. Plus l’implication affec-
tive personnelle était élevée, plus le souvenir était net
et détaillé. Depuis ce travail, plusieurs études se sont
intéressées aux souvenirs flashs. Il existe toujours un
débat dans la littérature sur ce qui détermine l’exis-
tence des souvenirs flashs. Différentes études ont
remis en cause le rôle du niveau de conséquence. Ainsi
Pillemer [7], à propos de la tentative d’assassinat de
Ronald Reagan, a montré que la génération du souve-
nir flash était plutôt liée à l’intensité de la réaction
émotionnelle initiale lors de l’annonce de l’événement.
De même, pour Conway [8], le niveau de surprise, le
niveau de conséquence et la répétition ne seraient pas
essentiels pour la construction du souvenir flash à la
différence du niveau émotionnel induit. L’importance
de l’événement dans les médias et dans les discussions
avec d’autres personnes pourrait expliquer aussi le
maintien de certains souvenirs flashs [9]. L’impact
social de l’événement jouerait alors un rôle primordial
[10] corrélé à l’émotion suscitée par ce dernier.
De la même façon, la mémoire autobiographique,
après avoir été considérée comme largement épisodi-
que a été décomposée en aspects épisodiques (épiso-
des de vie) et sémantiques (noms d’amis, adresses)
[11, 12]. Les aspects sémantiques ont été enrichis par
les traits de caractère de l’individu et les événements
épisodiques répétés tant de fois que l’on n’en a plus de
détails phénoménologiques précis (les promenades
tous les jeudis au parc) [13-16]. La mémoire autobio-
graphique épisodique apparaît désormais liée à la
conscience auto-noétique que l’on peut avoir de ces
événements et au fait qu’il s’agisse d’événements spé-
cifiques, détaillés, situés dans le temps et l’espace. La
mémoire autobiographique est évaluée dans des para-
digmes très différents. L’épreuve des mots indices [17]
consiste à demander de générer des souvenirs person-
nels à partir de 12 mots. Le questionnaire de Kopelman
(1989) [12] permet d’évaluer la mémoire autobiogra-
phique en distinguant une composante épisodique et
une composante sémantique pour trois périodes de
vie. Des épreuves de fluences biographiques ont été
parallèlement développées [18]. Enfin, le TEMPau [19]
permet d’évaluer de façon très rigoureuse la mémoire
autobiographique épisodique en contrôlant la nature
strictement épisodique du souvenir et ce pour 5 pério-
des de temps.
La littérature neurologique a en outre souligné
l’intérêt d’explorer la mémoire du passé rapportant des
cas de patients présentant des amnésies rétrogrades
isolées [20], des gradients d’amnésie différents selon la
pathologie [21-23] ou des dissociations au sein de la
mémoire du passé. Ainsi ont été rapportées des amné-
sies limitées aux événements publics, la mémoire per-
sonnelle étant respectée [24-26] ou la dissociation
inverse [27, 28]. Des observations singulières ont éga-
lement souligné la possible préservation de secteurs
sémantiques, en mémoire personnelle et en mémoire
didactique, alors que la mémoire biographique épisodi-
que et la mémoire événementielle étaient atteintes
[29], ceci confirmant, s’il y avait lieu, l’intérêt d’explorer
la mémoire du passé dans toutes ses composantes, en
dehors des habituelles dichotomies : mémoire épisodi-
que et mémoire sémantique [30].
Nous avons développé la batterie EVE en langue
française, dans les années 1990 [31-33] pour explorer la
mémoire des événements publics. Cette batterie a
C. Thomas-Antérion, et al.
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 2, juin 2006146
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.