Lettre écrite par Lucien Brendel
Lucien Brendel
Lettre écrite en 1999 par Lucien Brendel (1922-2010), malgré-nous, à ses enfants et petits-
enfants.
Retranscrite intégralement sans aucune correction par Olivier Schlienger
15 Octobre 1999
Chers enfants et petits enfants,
J'aimerais résumer à votre intention, les années 1939 à 1945 qui pour moi furent les plus dures
de ma vie, aussi bien physiquement que moralement.
le 24 octobre 1922, j'avais, en septembre 1939, au moment de la déclaration de la guerre
de la France à l'Allemagne, presque 17 ans. Le plus bel âge pour une vie de jeunesse à son
début, les yeux et les réflexions commencent à s'ouvrir sur des perspectives d'avenir, de
carrière future à envisager.
Nous habitions, à cette époque, à environ 3 km du centre de la ville de Haguenau (chef lieu
d'arrondissement au nord de Strasbourg) au lieu-dit « Stieffelhardt ». Mes parents exploitaient
un restaurant qui était en même temps une cantine militaire. Situé en pleine forêt, au départ
d'un stand de tir militaire immense et rattaché au camp militaire d’Oberhoffen-sur-Moder
(encore existant et en pleine activité à l'heure actuelle).
Mon père, ancien gendarme ayant pris sa retraite prématurément, avait su faire de ce
restaurant un lieu d'attraction pour les Haguenoviens qui, surtout les dimanches, venaient
profiter de l'air pur de cette forêt de pins et de sapins au goût très odorant. Je voudrais vous
rappeler que la forêt de Haguenau est immense et une des plus grandes de France. En plus,
mon père, grand amateur de chasse, avait loué celle dont notre logis faisait partie et nous ne
manquions jamais de gibier : faisans, lapins, sangliers, chevreuils, ni de champignons très
prolifiques eux aussi, dans cette forêt. Bien sûr, notre clientèle au courant de ces spécialités,
savait en tirer profit, et ma mère, fine cuisinière, avait une bonne réputation. Les dimanches,
toutes les tables étaient occupées et moi, comme mon frère, nous étions des serveurs habiles,
en plus des serveuses occasionnelles pour ces jours.
J'ai passé dans ce cadre et cet environnement des années heureuses. Aucun coin de cette forêt
ne m'était inconnu, aucun arbre trop haut pour mes escalades. Le seul inconvénient, vu les
distances, était de prendre la bicyclette pour aller à l'école St Nicolas de Haguenau et, ensuite,
l'école commerciale place du Château d'eau. Ayant opté, par la suite, pour la profession de
mécanicien auto, j'ai fait mon apprentissage au garage Zimmermann G. rue du Général
Rampant à Bischwiller, encore plus distant que Haguenau (6 Km). Cela alla du 27 juillet 1937
au 27 juillet 1940.
Vu les circonstances spéciales qui vous seront relatées par après, je ne pus faire mon examen
de compagnon que le 23 janvier 1941.
Mes souvenirs de cette période sont très nombreux. Ce furent 3 années dures car il fallait être,
hiver comme été, à 8 heures au travail -1 heure de temps pour déjeuner. Le patron était juste
mais ferme et notre insouciance de jeunesse lui causa maints soucis (nous étions 2 apprentis).
La réparation automobile était à ses débuts et j'ai eu l'occasion de faire connaissance avec les
véhicules d'avant 1937. B 14, Citroën, Renault et autres marques que l'on faisait démarrer à la
manivelle et à la main (gare au retour des manivelles !) car elles avaient encore des magnétos.
On rôdait les soupapes tous les 10.000 Km, on changeait les joints de culasse et d'autres
réparations mécaniques inconnues de nos jours.
Dès mes 17 ans et vu les circonstances, j'avais posé ma candidature pour devenir mécanicien
d'aviation à l'école militaire de Rochefort. On m'accusa réception de ma lettre mais jamais et à
mon grand regret, je ne reçus un appel d'incorporation. Trop jeune ? Allez savoir. Mais dans
la France des années 1936-1941 tout fut incohérent et incompréhensible dans toutes les
décisions, qu'elles furent politiques ou militaires. Je pense à l'entrée des troupes allemandes le
7 mars 1936 en Rhénanie sans aucune réaction positive de la part du gouvernement français
alors que l'Armistice 1918 interdisait catégoriquement la présence de ces militaires dans cette
portion de territoire allemand. Il fallut l'entrée en Tchécoslovaquie des troupes allemandes, en
septembre 39, pour que la France déclarât la guerre malgré l'accord de Munich etc. et j'en
passe.
Le 3 septembre 1940, Strasbourg ainsi que le nord de l'Alsace, dont Haguenau, reçurent
l'ordre d'évacuation, en quelques heures, de ses habitants. La plupart de ceux-ci furent
transférés par des trains à bestiaux dans des provinces du centre de la France, Sud-ouest,
Dordogne, Gers, Haute-Vienne avec un maximum de bagages autorisé de 30 Kg. Mon père
avait réintégrer le corps de la gendarmerie et rester, mais tint à ce que ses garçons partent
avec le maximum de meubles etc.
C'est ainsi que par un transporteur privé nous prîmes le chemin pour Thaon-les-Vosges pour
aller chez Marthe Rützler , cousine directe de notre tante Berthe, épouse du frère de notre
mère, j'ai nommé Paul Schlienger. Nous traversâmes les Vosges avec un camion plein de
meubles et autres objets et une remorque pleine de bois de chauffage ! gion complètement
inconnue pour nous, ce fut une traversée inoubliable. Arrivés chez Marthe, nous fûmes très
bien accueillis. Son mari était absent étant incorporé. Edmond, mon frère, nous quitta le
surlendemain pour aller chez les parents de Marthe qui avaient une ferme à Villoncourt, à l'est
de Thaon. Cette ferme des Erhard, isolée certes, mais très grande, avait toutes ses terres
agricoles autour de la bâtisse, des hectares en quantité avec des troupeaux de vaches, des
taureaux, etc. Monsieur Erhard, invalide de la guerre de 1914-1918 avec une jambe de bois
était un homme brusque et moi, j'ai préféré rester chez Marthe pour laquelle je m'étais pris
d'affection amicale. Je pris un emploi comme mécanicien dans une filature de Thaon jusqu'au
mois de mai 1940 où les évènements se précipitèrent.
Les troupes allemandes envahirent les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et malgré leur
héroïsme et la montée des troupes françaises, la résistance s'effondra en quelques jours. Puis,
ce fut la percée des lignes françaises dans le nord de la France, la prise par revers de la ligne
Maginot et la descente vers le sud des départements de l’Est, par les Vosges.
Tous les hommes âgés de 16 ans et plus, sur l'avis de mobilisation générale du gouvernement
français, furent appelés à gagner le sud et intégrer les troupes françaises. Mais où étaient-elles,
ces troupes ? Ce fut une pagaille générale sur les routes et moi aussi, emmené pour quelques
jours dans cette marée humaine, à bicyclette, je repris le chemin du retour voyant l'inutilité de
cette débandade. Je me rappelle avoir dépanné quelques voitures dans la possibilité de mes
moyens et mes connaissances et ce fut tout.
Les Allemands pénétrèrent dans Thaon-les-Vosges quelques jours après mon retour. La ville
paraissait totalement morte. Beaucoup d'habitants qui avaient fui, n'étaient pas encore de
retour et ceux qui étaient restés tenaient leurs volets clos. Marthe partant très bien l'allemand
ne les craignant point, était allée dans la rue principale avec moi. C'est ainsi que nous avons
vu le premier soldat allemand dans son side-car passer devant nous sans s'occuper de nous.
Suivi par d'autres motocyclistes ignorant totalement le danger.
Ce n'est d'une demi-heure plus tard que nous avons vu les premiers véhicules blindés gers
traverser la ville en direction d'Epinal. Derrière les volets, des gens nous interpellaient en nous
disant : « Attention, ils vont vous tuer ». Il n'en fut rien et encore aujourd'hui, je reste ébahi
devant notre imprudence et notre sang-froid.
Le surlendemain, Marthe éprouvant le besoin de savoir ce qui se passait à Villoncourt, voulut
rendre visite à ses parents, à ses frères et soeurs à la ferme de la campagne. Nous partîmes à
bicyclette. Seulement voilà, il s'agissait de traverser la Moselle et le seul pont existant, les
Français l'avaient fait sauter. Le nie allemand était déjà à pied d'œuvre et avait créé une
passerelle en bois. Mais, seuls leurs soldats étaient autorisés à passer...
Marthe eut beau essayer de parlementer, rien à faire. « C'est vous qui avez fait sauter le pont,
débrouillez-vous ». La rage au coeur, nous dûmes faire appel à un batelier qui nous déposa sur
l'autre rive grâce à sa barque. On ne vit pas un chat de l'administration communale.
Direction Girmont, Bayecourt et nous retrouvâmes la famille Erhard à Villoncourt. Effusions
bien sûr, retrouvailles sans dommages. Un état-major français qui s'était installé dans les lieux
avait fui, laissant tous ses véhicules intacts. Il devait y en avoir une quarantaine voitures de
tourisme en tous genres, camionnettes, etc. ... - totalement abandonnées ! Lorette (soeur de
Marthe) et moi ne pouvant penser que ce trésor tomberait intact dans les mains de
l'envahisseur, décidâmes de saboter ce que nous pouvions. Mais les premiers soldats
allemands pouvant venir à chaque instant, nous nous contentâmes de prélever uniquement les
rotors se trouvant sous les têtes de delco. Au moins ces véhicules ne pourraient être utilisés
sans cette pièce. Ils furent par après tous dépannés par des engins motorisés. Mais nous étions
heureux et fiers d'avoir fait cela, ne comprenant pas que des Français puissent abandonner
leur matériel sans au moins le saboter.
L'administration allemande ne se mit en place que quelques jours plus tard, occupant
principalement la mairie et le poste de police municipale. Une ordonnance parue, enjoignant
tous les propriétaires d'armes à feu de les remettre immédiatement à la mairie, faute de quoi
on les passerait par les armes. Comme dans les affaires transportées d'Alsace se trouvaient
trois fusils de chasse de mon père, je dus, sur l'insistance de Marthe craignant pour sa vie, les
remettre, à contrecoeur bien sûr, au service de la municipalité. Mon père ne m'en fit jamais le
reproche par la suite mais il ne comprit pas pourquoi je ne les avais pas cachés. Et il avait
raison mais pouvais-je refuser cela à Marthe ?
Quelques semaines après, le 22 juin 1940 exactement, l'Armistice fut signé à Rethondes
mettant fin provisoirement aux combats et épargnant à la moitié sud de la France d'être
occupée.
Auparavant, il y eut la déclaration du 18 juin 1940 du Général de Gaulle, que la France avait
perdu une bataille mais pas la guerre, mais nous n'eûmes pas connaissance de cette
déclaration et vous pensez bien qu'aucun journal n'en fit mention.
Nous retournâmes par conséquent, fin juin 1940, en Alsace où nous retrouvâmes notre
maman. Mon re ne revint qu'en août 1940 ayant, dans la retraite de l'armée française, se
replier jusquToulouse. Ma mère avait été toute seule pendant cette période de fin mai 1940
à notre date de retour. Personne ne l'a importunée, comment et de quoi a-t-elle pu vivre ?
Aujourd'hui, connaissant les finances de mes parents de l'époque, j'ai trouvé la réponse.
L'Alsace fut annexée au Reich allemand et ceci sans réaction aucune du gouvernement
français. L'administration allemande se mit en place très rapidement. Ce furent surtout des
fonctionnaires du parti nationaliste socialiste qui en furent les dirigeants avec, à leur tête, le
Gauleiter Wagner. Les villes et villages furent quadrillés par la création de chefs de blocs
« Blockleiter » (10 à 20 familles à superviser). Ceux-ci supervisés par des « Zellenleiter »
(chef de cellules) 10 chefs de blocs sous leurs ordres. Au-dessus fut nommé le
« Ortsgruppenleiter » (chef de village ou de quartiers). On supprima tout ce qui était français,
noms de villes, de villages, de rues, noms, prénoms. Je fus appelé Luzian pour Lucien.
Une anecdote vraie : une personne de Haguenau nommé Roger Hund dut changer son prénom
en Rüdiger pour Roger ce qui lui donna le nom de Rüdiger Hund, ce qui veut dire, en dialecte
alsacien, « chien minable ».
Tous les écrits, livres, en français, disparurent ou furent brûlés, le port du béret basque
interdit, les francs furent échangés en marks - 1 mark pour 1 franc, à l'époque, ce fut une forte
dévaluation car le franc était fort par rapport au mark.
Bien sûr, interdiction absolue de parler ou chanter en français.
Je restais quelque temps à la maison puis je pris, en mai 1941, un poste de mécanicien au
Garage Haas de Haguenau. J'y suis resté jusqu'en juin 1942.
Le 8 mai 1941, le Gauleiter Wagner prit une ordonnance par laquelle les jeunes Alsaciens des
classes 1921 à 1925 devaient faire le service militaire obligatoire en passant d'abord par le
R.A.D. (Reichsarbeitsdienst travail obligatoire du Reich) ou le S.T.D. (Service du Travail
du Reich). Devait suivre l'incorporation dans la Wehrmacht.
Pour essayer d'échapper au R.A.D., je signe un contrat de mécanicien au Garage Auto-
Fütterer à Rastatt. Le week-end, je suis chauffeur P.L. à la Laiterie Centrale de cette ville,
après avoir passé mon permis de conduire toutes catégories. Cet examen m’a laissé des
souvenirs très précis.
J'ai apprendre par coeur le texte principal et le réciter devant l'examinateur au moment de
l'examen. J'en connais encore aujourd'hui, par coeur, les phrases, très claires, précises et
motivantes. A l'épreuve pratique, on me demanda de rouler avec une moto d'abord, puis en
autobus. Je dus, par exemple, sortir en marche arrière d'une petite route montante, débouchant
par un « stop » sur une route nationale. L'examinateur, à la fin du parcours, me remit mon
permis sans un mot et, plein de fierté, je l'empochai avec un chaleureux « merci » en français !
Ce permis allemand fut remplacé, en 1945, par un permis français que je possède encore
aujourd'hui.
La guerre ayant pris une ampleur considérable, vu l'envahissement de la Russie par les
troupes allemandes, après les invasions précédentes de la Pologne, de la Roumanie, des
Balkans, etc.. Voire même l'Afrique du Nord, Tunisie, etc. ...les dérobades au service militaire
furent de plus en plus difficiles.
Je n'avais plus d'autre solution pour retarder cette éventualité que de m'engager à la N.S.K.K.
(Nazional Sozialisticher Kraftfahrer Korps). Nous en avions chanle sens N.S.K.K. nur
Saufer, keine Kampfer – c'est à dire, seulement buveurs, pas combattants !
Cette unité annexe à la Wehrmacht s'occupait uniquement de convoyer des véhicules en tous
genres vers les ateliers de réparation ou de ceux-ci vers le front est, ouest, sud ou nord. Je
partis donc, après avoir quitté Rastatt, en octobre 1942 vers Wriezen an der Oder pour faire un
stage de quelques semaines en vue de conduire ou de réparer tous les véhicules imaginables,
essence ou diesel, grands ou petits.
J'avais d'autres Alsaciens avec moi tel que Gemmrich de Preuschdorf, bon joueur d'accordéon
ou Christ de Woerth devenu garagiste après la guerre. Nous avions même un nommé Hittler
(mais avec deux T !) de Goersdorf avec nous. Ce fut l'occasion de maintes quintes de fous
rires.
Après cette riode, je fus transféré à Achy, en France, près de Marseille-en-Beauvaisis,
centre de commandement de cette unité pour le nord de la France et la Belgique. Notre
mission consistait à monter au front de Russie des véhicules à partir de Wilwoorde près de
Bruxelles. Nos déplacements furent nombreux et fréquents. Nous allions également en
Pologne, en Roumanie, etc. J'eus même l'occasion, jamais seul, bien sûr, d'aller chez Renault
ou Citroën à Paris et banlieue.
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