Mon père, ancien gendarme ayant pris sa retraite prématurément, avait su faire de ce
restaurant un lieu d'attraction pour les Haguenoviens qui, surtout les dimanches, venaient
profiter de l'air pur de cette forêt de pins et de sapins au goût très odorant. Je voudrais vous
rappeler que la forêt de Haguenau est immense et une des plus grandes de France. En plus,
mon père, grand amateur de chasse, avait loué celle dont notre logis faisait partie et nous ne
manquions jamais de gibier : faisans, lapins, sangliers, chevreuils, ni de champignons très
prolifiques eux aussi, dans cette forêt. Bien sûr, notre clientèle au courant de ces spécialités,
savait en tirer profit, et ma mère, fine cuisinière, avait une bonne réputation. Les dimanches,
toutes les tables étaient occupées et moi, comme mon frère, nous étions des serveurs habiles,
en plus des serveuses occasionnelles pour ces jours.
J'ai passé dans ce cadre et cet environnement des années heureuses. Aucun coin de cette forêt
ne m'était inconnu, aucun arbre trop haut pour mes escalades. Le seul inconvénient, vu les
distances, était de prendre la bicyclette pour aller à l'école St Nicolas de Haguenau et, ensuite,
l'école commerciale place du Château d'eau. Ayant opté, par la suite, pour la profession de
mécanicien auto, j'ai fait mon apprentissage au garage Zimmermann G. rue du Général
Rampant à Bischwiller, encore plus distant que Haguenau (6 Km). Cela alla du 27 juillet 1937
au 27 juillet 1940.
Vu les circonstances spéciales qui vous seront relatées par après, je ne pus faire mon examen
de compagnon que le 23 janvier 1941.
Mes souvenirs de cette période sont très nombreux. Ce furent 3 années dures car il fallait être,
hiver comme été, à 8 heures au travail -1 heure de temps pour déjeuner. Le patron était juste
mais ferme et notre insouciance de jeunesse lui causa maints soucis (nous étions 2 apprentis).
La réparation automobile était à ses débuts et j'ai eu l'occasion de faire connaissance avec les
véhicules d'avant 1937. B 14, Citroën, Renault et autres marques que l'on faisait démarrer à la
manivelle et à la main (gare au retour des manivelles !) car elles avaient encore des magnétos.
On rôdait les soupapes tous les 10.000 Km, on changeait les joints de culasse et d'autres
réparations mécaniques inconnues de nos jours.
Dès mes 17 ans et vu les circonstances, j'avais posé ma candidature pour devenir mécanicien
d'aviation à l'école militaire de Rochefort. On m'accusa réception de ma lettre mais jamais et à
mon grand regret, je ne reçus un appel d'incorporation. Trop jeune ? Allez savoir. Mais dans
la France des années 1936-1941 tout fut incohérent et incompréhensible dans toutes les
décisions, qu'elles furent politiques ou militaires. Je pense à l'entrée des troupes allemandes le
7 mars 1936 en Rhénanie sans aucune réaction positive de la part du gouvernement français
alors que l'Armistice 1918 interdisait catégoriquement la présence de ces militaires dans cette
portion de territoire allemand. Il fallut l'entrée en Tchécoslovaquie des troupes allemandes, en
septembre 39, pour que la France déclarât la guerre malgré l'accord de Munich etc. et j'en
passe.
Le 3 septembre 1940, Strasbourg ainsi que le nord de l'Alsace, dont Haguenau, reçurent
l'ordre d'évacuation, en quelques heures, de ses habitants. La plupart de ceux-ci furent
transférés par des trains à bestiaux dans des provinces du centre de la France, Sud-ouest,
Dordogne, Gers, Haute-Vienne avec un maximum de bagages autorisé de 30 Kg. Mon père
avait dû réintégrer le corps de la gendarmerie et rester, mais tint à ce que ses garçons partent
avec le maximum de meubles etc.