Un jour, le comédien allemand Jérôme Veyhl,
avec qui je travaillais sur Huis Clos, me
conseilla vivement de lire hamlet est mort,
gravité zéro d’Ewald Palmetshofer, auteur
autrichien alors inconnu en France, dans
l’idée que je pourrais retrouver dans cette
pièce un univers et des personnages proches
de mes préoccupations artistiques.
Effectivement, à la lecture de cette pièce, il
m’a paru évident que cette écriture donnait
la possibilité d’un fort investissement phy-
sique du jeu des comédiens, une énergie de
plateau, une place à l’émotion, mais aussi au
décalage, me permettant de créer un univers
scénique mêlant musique et vidéo au service
du texte et du jeu.
Ma crainte que cette pièce ne soit qu’une
réécriture “branchée” d’Hamlet ne s’adres-
sant qu’à un public de ns connaisseurs de
Shakespeare et d’Heiner Müller se dissipa ra-
pidement. Bien entendu, il y a des analogies
entre le héros shakespearien et ces anti-héros
autrichiens, l’intrigue débutant par un enter-
rement et se terminant par un carnage mais la
pièce de Palmetshofer est une oeuvre totale-
ment autonome, ne nécessitant pas de savoir
pré-requis, qui puise ses questionnements
existentiels chez Shakespeare et Müller pour
les réenvisager dans notre monde contempo-
rain. Par ailleurs, ce drame familial, où les
non-dits accumulés et la perte de repères dans
un monde régi par la machine-économie vont
mener à une catastrophe, trouve également
ses inspirations aussi bien chez Ibsen que
chez Thomas Bernhard ou Elfriede Jelinek.
Ce texte m’a particulièrement interpellé quant
à sa structure et sa construction dramaturgi-
que mélangeant différents niveaux de tempo-
ralités et de narrations, construction théâtrale
qui n’était pas sans me rappeler le travail que
j’avais effectué sur Débris de Dennis Kelly,
ma première mise en scène.
Cette pièce met en jeu des personnages qui
sont à la fois acteurs et témoins de l’action,
ils jouent et commentent en même temps dif-
férents ashbacks enchâssés. Les discours se
croisent, se tissent, et forment une toile verti-
gineuse de non-dits et de pensées inavouées.
On assiste à un va-et-vient entre des scènes
dialoguées, où la parole est hâtive et contrain-
te par la situation de communication, et des
monologues, où la parole devient poétique et
où la pensée a le temps de s’installer.
Les six personnages se débattent avec des
questionnements existentiels qui font écho
aux miens, et c’est cela qui a créé chez moi
l’envie et la nécessité de monter cette piè-
ce: comment dire l’absurdité et la vanité de
l’existence ainsi que la prise de conscience
de notre condition humaine et sociale. Thé-
matiques fortes et essentielles au travers
d’une écriture étonnante, jamais linéaire ne
manquant pas d’un certain humour noir, sans
jamais tomber pour autant dans le cynisme ni
dans l’ironie.
Alors qu’Hamlet symbolisait les interroga-
tions de l’homme du début du XVIIème siè-
cle, les personnages de Palmetshofer reè-
tent les questionnements des jeunes adultes
d’aujourd’hui.
Ce dont il est question dans hamlet est mort,
gravité zéro, c’est du vide. Vide intime et
vide social lorsque, dans un monde qui n’est
plus dirigé que par la machine-économie, on
se retrouve exclu, privé de toute place, comp-
tant pour rien.
Mani et Dani ont d’ailleurs élaboré toute une
théorie sur la mort de Dieu : Le ciel est devenu
vide, il n’y a plus de Dieu, c’est une machine
qui le remplace et qui décide arbitrairement à
qui elle distribue un numéro. Seuls s’en sor-
tent, sur terre, les êtres qui ont ce numéro,
qui sont l’ «axe des numéros». Seul cet axe
permet d’aller plus loin dans ses ambitions et
d’avoir un avenir.
Et il est clair qu’il n’y a pas de numéro pour
tout le monde !
PAGE 4/18 HAMLET EST MORT, DEGRÉ ZÉRO VLADIMIR STEYAERT NOTE D’INTENTION