Alors gros nounours. Dégage ta télé sur Le bon coin. Mets à profit ta raison et ta générosité. Adhère à un
groupe. Et si la ferveur associative t’insupporte, tend à la sagesse du moine. Mais ne continue pas à
glander dans les vernissages pour y évaluer ton degré d’importance. Parce que c’est la guerre ça aussi.
Toutes ces précieuses passionnées qui au fond n’ont qu’une préoccupation : parvenir à gravir le tas de
merde. Ne plus faire partie des mouches qui gravitent autour ou en bas, écrasées.
Ça peut devenir très violent dans ma tête auquel cas je dois impérativement me recoucher. Mais au
second réveil, trouver soudain tout délicieux. Avoir l’envie apaisée de rejoindre tout ce cirque.
Regarder cela comme une vaste plaisanterie. Faire l’inventaire de mes O6 et de mes lignes directes.
Convenir d’un déjeuner avec un con et choisir à dessein la brasserie où il y en aura d’autres. Me forcer
à manger de la joue de porc. Etre d’accord sur les derniers cris de Macaigne. D’accord sur la vitalité
redonnée aux quartiers. D’accord sur le Mali. D’accord qu’il aurait fallu communiquer autrement.
D’accord pour une invitation au stade. « Que le monde aille à sa perte, c’est la seule politique ». D’accord
avec Duras. Pourvu que je ne sois pas obligé de retourner vivre chez mes parents.
Lui- Et puisque je puis faire mon bonheur par des vices qui me sont naturels, que j’ai
acquis sans travail, que je conserve sans effort, qui cadre avec les mœurs de ma
nation (…) ; il serait bien singulier que j’allasse me tourmenter comme une âme
damnée (…) pour me donner un caractère étranger au mien ; des qualités très
estimables, j’y consens (…) mais qui me coûteraient beaucoup à acquérir, à pratiquer,
ne mèneraient à rien, peut-être à pis que rien, par la satire continuelle des riches auprès
desquels les gueux comme moi ont à chercher leur vie. On loue la vertu ; mais on la
hait ; mais on la fuit ; mais elle gèle de froid ; et dans ce monde, il faut avoir les pieds
chauds.
Si Nabila, un soir de prime sur NRJ12, disait cela. Elle finirait au Panthéon (et non pas au Panthène,
qui est sa marque de shampoing). Même si, des préceptes de Talleyrand - savoir, faire, savoir faire, faire
savoir - la jeune femme semble n’avoir retenu que le dernier. Woyzeck dit à son capitaine : « Nous les
gens simples, on n’a pas de vertu, on a que la nature (…) Ca doit être quelque chose de magnifique d’être vertueux.
Mais je ne suis qu’un pauvre gars ». Rassurez-vous, nous sommes tous, un jour ou l’autre, d’une certaine
manière, ce pauvre gars. Le neveu de quelqu’un. Mais les arguments du dandy de Diderot ne se
résument pas au brave ressenti d’un branleur botoxé. Il ne dit pas simplement qu’il faudrait être stupide
de grave bosser quand on peut gagner un max de fric sans effort. Il ne dit pas uniquement que face à
tous ceux qui profitent des faveurs de l’histoire, on aurait tord de se gêner. Il fait surtout preuve d’un
gai pessimisme et d’une réelle lucidité, à l’égard du monde (de l’art) et de la place qu’on peut s’y faire.
J’ai longtemps pensé que c’était grâce à la politique des années 80 et à l’évolution de la société que
j’avais pu faire du théâtre mon métier. Aujourd’hui je pense que c’est seulement grâce à un homme. Pas
deux, un. Aujourd’hui aussi, je crois que mon vrai tourment n’est plus celui de me faire à tout prix une
place. Même si je reconnais que si j’avais quinze ans, je tenterais le casting de La nouvelle star, avec les
encouragements de ma marraine, femme de flic persuadée que je vais faire mon trou. Ce qui ressurgit
régulièrement, violemment et sans appel, c’est un sentiment de l’enfance, presque un état, celui que
j’illustrerais par les mots de la chanson de Bashung : « A quoi ça sert la frite si t'as pas les moules ? »
L’atroce collision entre le désir et l’ignorance. C’est une verrue. Ça te colle aux baskets toute une vie.
Parfois, il faut bien s’en arranger.