Réflexion
R.F.C. 427 Décembre 2009
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Quatrièmement, le résultat global n’apparaît pas comme un
concept supérieur au résultat net. Il n’y a conceptuellement en
“accrual accounting” qu’un seul résultat, égal au flux d’exploita-
tion ajusté des “accruals”. S’il existe dans les faits deux agrégats,
qui ne diffèrent que du fait d’exceptions inévitables et justifiées
au principe de probabilité des flux futurs, tels les écarts de
conversion ou autres imputations directes en capitaux propres,
c’est une question de désagrégation et de présentation ad hoc.
Enfin, dernier élément de la liste des postulats sujets à caution
et qui n’est pas qu’un détail de forme, la supériorité supposée
de la méthode directe pour présenter les flux d’exploitation du
tableau de flux de trésorerie est contredite par l’approche du
modèle comptable par les flux et les “accruals”. Le résultat étant
déterminé par différence entre un flux d’exploitation et des
amortissements et autres charges calculées, la méthode indirec-
te, qui met en évidence le remboursement du capital et son ren-
dement, est la plus pure conceptuellement. Il n’est donc même
pas besoin d’évoquer les gigantesques problèmes soulevés par
la mise en œuvre pratique de la méthode directe, bien qu’ils
mobilisent en ce moment légitimement les praticiens.
Partant de toutes ces constatations, il n’y a qu’un pas à franchir
pour considérer que l’abandon du concept de juste valeur en
comptabilité et le maintien séparé de ses composants (donc
sans amalgamer “mark to market” et “mark to model” dans un
concept unique arbitraire) servirait la cause de la clarté du
débat. Le modèle comptable, assis comme avant sur coût amor-
ti, valeur de marché et valeur d’utilité utilisés de façon ad hoc
suivant la fonction des actifs et passifs dans l’entreprise, ne serait
privé d’aucun outil à sa disposition.
5. LES RISQUES CONCRETS IMPLIQUÉS
PAR LES CHANGEMENTS CONCEPTUELS
EN COURS
Toute cette discussion n’est pas qu’académique. Dans la liste
des nombreux risques concrets que fait encourir la confusion
actuelle, on peut retenir deux exemples représentatifs des
inquiétudes vécues par les préparateurs. Le premier concerne le
contrôle interne. Dans une grande entreprise, les acteurs qui ont
à gérer les actifs industriels, ceux qui font de l’optimisation du
coût des matières premières ou du coût du capital et ceux qui
font de la simulation stratégique ou budgétaire à base de
modèles ont des méthodologies cloisonnées pour des raisons
élémentaires de contrôle interne. Ils utilisent des méthodes qui
leur sont propres sans avoir le droit de s’écarter vers les
méthodes des autres quand elles les arrangent. Coût amorti
pour les outils productifs, valeur de marché pour les activités de
trading, valeur actuelle et autres modélisations pour les évalua-
teurs de projets. Autoriser les opérationnels à faire de la juste
valeur quand la production n’est pas au rendez-vous ou autori-
ser les traders à faire du “mark to model” au lieu du “mark to
market” quand le marché ne donne pas les résultats escomptés
est la porte ouverte au désastre. La récente crise financière a par-
faitement mis en évidence ce risque, qui pourrait menacer
maintenant la mesure de performance dans le monde industriel.
La deuxième illustration concerne le risque d’évolution rampan-
te du modèle comptable vers un modèle mixte, prélude à
d’autres évolutions plus radicales. L’exemple de l’IAS 36 me
semble, à ce titre, représentatif. Cette norme prévoit, contraire-
ment à la norme américaine, que les tests de dépréciations des
actifs valorisés au coût amorti sont effectués avec des valeurs de
cash-flows actualisés. Or, comme nous l’avons vu précédem-
ment, un actif valorisé avec un flux actualisé au coût du capital
de 8 % produira, toutes choses égales par ailleurs, un résultat de
8 % du coût amorti à la date de dépréciation. Supposons, dans
l’exemple du départ, qu’à la clôture des comptes de la premiè-
re année les cash-flows attendus ne soient pas, du fait de la
conjoncture, de 115, mais que la société pense récupérer seule-
ment sa mise de 100. L’actualisation de 100 au coût du capital
de 8 % donne une VAN de 93 et donc une perte par déprécia-
tion de 7. Le résultat de la seconde année ne sera pas nul, mais
un profit équivalent de 7, alors que l’actif n’a rien rapporté. On
imagine les effets de la méthode avec l’application à la lettre de
l’IAS 36 avec un taux d’actualisation égal au taux du risque spé-
cifique à l’actif, soit dans l’exemple 15 %. La dépréciation et le
résultat créé artificiellement en seconde année serait de 13 (100
moins 100 actualisé à 15 % de 100 soit 87). Heureusement il
semble que ce ne soit pas la pratique générale.
Quoi qu’il en soit, en IFRS, tous les actifs ayant été dépréciés ont
une valeur de flux futurs substituée à un coût amorti et donc un
rendement rajeuni proche du taux d’actualisation. D’où l’intérêt
bien perçu par certains des “big baths” (grandes lessives comp-
tables). Est-il souhaitable d’afficher une rentabilité théorique
minimale et, si oui, pourquoi alors ne pas appliquer la méthode
de la valeur actuelle au début de vie de l’actif (donc retenir la
valeur d’utilité avec VAN à 8 % et non le coût amorti) et pour-
quoi accorder un traitement de faveur aux actifs à problèmes ?
Et dans ce cas, si l’objectif est de garantir dès le départ un résul-
tat égal au coût du capital, pourquoi ne va-t-on pas au bout de
la logique en déduisant du résultat l’intégralité de ce coût, y
compris celui des fonds propres qui en fait partie ? Mais cela
reviendrait alors à appliquer la théorie de la création de valeur,
dans laquelle le résultat n’est pas le résultat global mais l’EVA®,
l’”economic value added”, dans laquelle l’effet d’actualisation
des actifs est compensé par une charge financière d’un montant
équivalent. Il ne semble pas que ce soit à l’ordre du jour ni
même que la question, soumise avec insistance par les investis-
seurs dans le milieu des années 90, ait été discutée.
Ainsi, la confusion de deux méthodes, coût amorti et valeur
actuelle, pour un même actif conduit à une incohérence et
fausse la comparabilité des résultats. Conceptuellement, un actif
valorisé au coût amorti doit être déprécié par réexamen du plan
de remboursement du capital, qui est le concept sous-jacent, et
donner lieu à amortissement exceptionnel égal au capital qui ne
sera pas remboursé, donc sans actualisation. Dans l’exemple
analysé au paragraphe précédent, le montant de la dépréciation
devrait être nul parce que la société récupère sa mise de 100. S’il
fallait faire avancer le débat sur la convergence des normes et
trancher entre la méthode IFRS et la méthode US GAAP, le choix
cohérent serait d’aller dans le sens d’un test de dépréciation
reposant, pour les actifs en coût amorti, sur des flux futurs non
actualisés.
6. CONCLUSION : L’ACCEPTATION
INDISPENSABLE PAR LES PRÉPARATEURS
Qu’en est-il, finalement, de la querelle entre une approche à
base de règles qui serait opposée à une approche à base de prin-
cipes (le “rule based” des normes US contre le “principle based”
des normes IFRS) ? Que la longue histoire de la comptabilité
nord-américaine ait conduit à un développement exagéré de
règles destinées à combattre la fraude dans un univers forte-