
2La note d’information économique de l’Audiar n°7 juin 2015 AUDIAR
Le 6 mai dernier, lors d’un atelier
prospectif sur la création de valeur
organisé par l’AUDIAR, 15 entreprises1
résolument engagées dans la
transformation digitale nouvelle
génération2, nous faisaient part de leur
vision du marché des usages de demain
et du type de produits et services qu’elles
imaginent développer dans la prochaine
décennie.
Face aux nouveaux acteurs
de la révolution digitale, les
entreprises doivent se réinventer
Elles nous ont présenté la façon dont elles
se préparaient à créer de la valeur dans un
monde où ce qui va changer c’est «la relation
de l’homme à la notion de faire» comme le
souligne B. Charlès, PDG de Dassault Sys-
tèmes et copilote du plan usine du futur.
Car au-delà du plan de modernisation de l’ap-
pareil productif qui vise à lutter contre l’ob-
solescence des machines (dont la moyenne
d’âge est supérieure à 10 ans selon Pierre
Veltz3 pour 6 ans en Allemagne) et la faiblesse
de la robotisation (respectivement 17 000
pour 37 000), l’usine 4.0, matrice de la nou-
velle stratégie industrielle française4 ne devrait
plus ressembler à son «ancêtre fordiste». Elle
pourrait même être à l’origine d’une relocalisa-
tion sur le territoire national de la création de
valeur en substituant au travail délocalisé bon
marché, un processus de production intensif
en capital.
En capital numérique tout particulièrement.
Dans les services, par exemple, une société
comme Airbnb, valorisée 13 milliards de dol-
lars, autant que le groupe Accor, a mobilisé
beaucoup plus de développeurs et de pro-
grammateurs informatiques pour développer
sa plateforme, mais 300 fois moins d’emplois
fonctionnels que son concurrent.
Prises de vitesse depuis moins d’un an par
1 Les entreprises sont Amossys, Artefacto, B-Com,
CHU - Centre Hospitalier Universitaire de Rennes, Delta
Dore, Energiency, Eriger, Etiam, Groupe SIPA Ouest-
France, HCS pharma, Médria, Schneider Electric,
Silicon B, Siradel, Syrlinks.
2 C’est la deuxième vague d’innovations numériques
(objets connectés, big data, intelligence articielle).
3 L’industrie, notre avenir, P. Veltz, Th Weil, La
Fabrique de l’Industrie, Eyrolles, janvier 2015.
4 Aider 2000 PMI à se numériser. C’est le contenu
de la relance de l’investissement capitalistique imagi-
née par le gouvernement Valls.
ces plateformes digitales aux effets radicaux
sur la production et la distribution de produits
et de services, les entreprises acceptent pro-
gressivement de se réinventer en profondeur.
Elles voient surgir sur leur cœur de métier
des acteurs nouveaux qualiés cette fois de
disruptifs en référence à la notion de rupture
qu’ils véhiculent.
Pour O. Passet5, ces nouveaux acteurs qui
émergent de la mise en réseau généralisée
de la société (on évoque les chiffre de 30
milliards d’objets connectés à l’horizon 2020,
de 100 milliards en 2030) vont développer de
nouveaux produits intelligents, de nouveaux
assemblages entre produits et services, de
nouveaux façonnages de la matière (robotique
intelligente, imprimante 3D) qui invalideront
nos schémas conventionnels sur la saturation
des besoins, sur la vitesse d’obsolescence
des produits, sur la taille critique des entre-
prises, sur les processus d’innovation comme
sur le fonctionnement du marché des biens et
services et du marché du travail.
Ce bouleversement des modes de création de
la valeur dans les secteurs traditionnels im-
pose aux entreprises de bouger et rapidement.
Car demain, selon nos interlocuteurs, l’entre-
prise devra offrir des solutions plutôt que des
produits.
Dans tous les domaines qui nous entourent, on
parlera de solutions de mobilité, de solutions
de logements, d’éducation, de bien-être, etc...
au plus près des usagers dans une économie
de la fonctionnalité et de plus en plus collabo-
rative6. Tout l’enjeu pour l’entreprise consistera
à s’installer au plus près des clients pour leur
offrir une expérience unique qui va les déliser.
C’est «l’Internet for me», l’ère de la personna-
lisation à grande échelle qui permet à un client
d’être mis en relation avec des collaborateurs
dispersés sur toute la planète et capables de
lui fournir le bon produit au bon moment et au
bon endroit. C’est ce que fait Silicon-B pour
le groupe Beaumanoir en imaginant le e-com-
5 Olivier Passet, économiste au Xer, a participé à
l’élaboration du rapport de France Stratégie sur « La
France dans 10 ans » en publiant une note sur les
«Evolutions de notre système productif».
6 L’économie de la fonctionnalité privilégie la mise à
disposition d’un produit ou d’un service, à sa propriété.
L’économie collaborative se développe avec les
plateformes d’intermédiation (place de marché ou de
services) où des millions d’individus se rassemblent
pour distribuer des capacités de production ou de
consommation.
merce de demain. C’est déjà ce que proposent
les plateformes d’intermédiation BlaBlaCar et
Uberpop dans l’offre de mobilité.
Des entreprises plus agiles pour
se glisser dans les chaînes de
valeur mondialisées
Pour y arriver, les entreprises des secteurs tra-
ditionnels devront développer leur agilité. Elles
auront à prendre davantage de risques. Ainsi,
dans le secteur de l’assurance par exemple,
certaines compagnies n’ont pas attendu d’être
«disruptées» pour investir dans des partena-
riats avec des start-up n’ayant encore rien
prouvé, comme la MAIF avec Koolicar (partage
de voitures entre particuliers). D’autres, telle la
SNCF, inquiète de la concurrence du covoitu-
rage ou des autocars longues distances, crée
de nouvelles solutions de mobilité, comme
celle du «train à la demande TGVpop» qui part,
en fonction du vote des internautes, à partir
d’un certain seuil de remplissage…
Pour saisir les nouveaux comportements des
clients induits par l’hyperconnexion générali-
sée, les entreprises feront appel aux «hackers
bienveillants» pour repenser l’innovation en
leur sein. En rachetant des start-up, comme
Delta Dore et Lifedomus, ou en collaborant
avec elles, sur le modèle de Triballat et d’En-
ergiency.
Demain, les entreprises devront être des as-
sembleurs de compétences, de savoir-faire,
de briques technologiques, sans prétendre
couvrir l’ensemble d’un secteur d’activités.
Evoluant au sein d’écosystèmes locaux plus
ou moins favorables, elles devront réussir à
se glisser dans les chaînes de valeur mon-
dialisées, à la faveur du développement d’une
excellence technologique, d’une compétence
singulière ou d’un savoir-faire de niche.
Ce sont ces nouvelles chaînes de création de
valeur, inniment plus exibles que les sec-
teurs d’activités d’aujourd’hui, qui vont nous
faire entrer dans la «personnalisation à grande
échelle»7 où des milliers, voire des millions
d’agents autonomes (des enablers) rassem-
blés sur une même plateforme numérique,
surpasseront en performance l’entreprise tra-
ditionnelle.
7 N. Colin, fondateur de « The family » développe ce
thème de «l’Internet pour moi» dans son ouvrage…
Attractivité et rayonnement
RÉFLEXION PROSPECTIVE SUR LES MODÈLES ÉCONOMIQUES DE DEMAIN
1