Technique ■ 1 Sanitaire titre journal- N°0 - vendredi 16 mai 2015 APICULTURE / Les travaux de surveillance et d’analyse menés par la DDCSPP, la Draaf et l’Adara sur la mortalité des abeilles ont mis à jour la présence de molécules issues de susbtances interdites. Etat des lieux. L’abeille, bio-révélateur d’usages illicites de produits phytosanitaires L e « réseau de surveillance des mortalités massives aiguës et des maladies classées dangers sanitaires de première catégorie des abeilles » (1) créé par la ministère de l’Agriculture est chargé de surveiller les principales maladies et parasites des ruchers (petit coléoptère de la ruche, l’acarien parasite de l’abeille, la loque américaine et la nosémose des abeilles) mais aussi de mettre en évidence les effets néfastes de certains produits phytosanitaires, les mauvais usages de substances chimiques ou les effets non intentionnels de certaines pratiques agricoles. Ce dispositif permet de mettre en place des mesures de lutte visant à éviter la propagation des maladies de l’abeille réputées contagieuses (dangers sanitaires de première catégorie) mais également d’informer, de former et de sanctionner les responsables d’infractions à la réglementation, en particulier celles concernant l’usage des produits phytosanitaires. Il permet en outre d’identifier et de corriger les pratiques agricoles, les usages des produits phytopharmaceutiques à risque et de recueillir des données de nature à favoriser la réévaluation de la toxicité des molécules fréquemment associées à des « troubles » des abeilles (mortalités, dépopulations). Enfin, il contribue à l’évaluation de la toxicité des associations de molécules fréquemment impliquées dans des troubles. L’organisation en RhôneAlpes Le réseau Rhône-Alpes est constitué des huit représentants départementaux des services vétérinaires en charge de l’apiculture dans chaque DDCSPP (Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des popula- tions) et du Service régional de l’alimentation (Sral) de la Draaf Rhône-Alpes. Pour chaque cas de trouble (mortalité, dépopulation) déclaré, les agents des DDCSPP dressent un diagnostic sanitaire complété selon les cas par une enquête phytosanitaire menée par le Sral. L’Association pour le développement de l’apiculture en Rhône-Alpes (Adara) réalise un travail complémentaire à ce réseau en suivant les cas de trouble du comportement des colonies déclarés par les apiculteurs membres de l’association. Les techniciens de l’Adara se déplacent au besoin, mobilisent les services des DDCSPP et SRAL, prélèvent le cas échéant des matrices apicoles (abeilles, pollen, …) pour les faire analyser (analyse pathologique et/ou toxicologique). Ce travail est réalisé avec le soutien de la région Rhône-Alpes dans le cadre du Crof apicole et de l’Union Européenne (Feaga). Ainsi, pendant la campagne 2014, les agents des DDCSPP de la région RhôneAlpes et l’Adara ont recueilli 62 déclarations de troubles dont 40 % avec suspicion d’intoxication. Les 60 % restants avaient pour origine des problèmes sanitaires (loque européenne, américaine, maladie noire, mycose, nosema, varroase), ou de conduite de rucher. Les analyses toxicologiques réalisées, lors des suspicions d’intoxication, sur des échantillons de matrices apicoles (abeilles, cire, pollen, nectar), ont révélé la présence de résidus de substances chimiques dans 76 % des cas. Elles ont permis de détecter 25 molécules différentes qui se retrouvent, dans 87 % des cas sous forme d’associations allant de deux à cinq substances différentes. Les insecticides/acaricides ont été détectés le plus fréquemment (58 % des identifications), suivis par les fongicides (31 %), puis les herbicides (9 %) et enfin des raccourcisseurs de croissance (2 %). Certaines de ces substances peuvent être utilisées à la fois en tant que biocide, produit phytosanitaire ou produit vétérinaire (voir tableau ci-joint). Substances interdites Parmi ces 25 molécules, sept ne bénéficiaient d’aucune autorisation d’utilisation sur végétaux dont cinq qui avaient été autorisées dans le passé mais qui sont aujourd’hui interdites et parfois depuis longtemps (1996 pour la plus ancienne), une qui n’avait jamais été autorisée sur végétaux mais qui peut être utilisée actuellement en tant que biocide ou produit à usage vétérinaire, une qui n’avait jamais été autorisée sur végétaux mais qui avait été autorisée dans le passé en tant que produit à usage vétérinaire et qui est maintenant totalement interdite pour quelque usage que ce soit. Les informations recueillies grâce au réseau de surveillance ont donc mis en évidence la présence de substances interdites dans l’environnement des ruchers impactés et par conséquence de pratiques agricoles illicites. La Draaf a pu identifier les secteurs concernés par ces mauvaises pratiques qui feront l’objet d’une surveillance et de contrôles renforcés tout au long de la campagne 2015. La vocation de ce réseau est aussi de collecter des données sur les « mortalité d’abeilles et dépopulation de ruchers » afin d’identifier les substances les plus couramment associées à ces troubles. Celles-ci alimenteront l’observatoire des mortalités et des alertes chez l’abeille (Omaa) qui va se mettre en place cette année et qui fait partie du dispositif de phytopharmacovigilance prévu par la loi d’Avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire votée en octobre 2014. Ce travail devrait permettre à terme de mettre en évidence des substances, associations de molécules et usages à risque pour les pollinisateurs en vue de faire évoluer les pratiques mais aussi de réévaluer la toxicité de certains produits et de réfléchir à leur système d’homologation, pour que agriculture et apiculture soient pleinement compatibles. ■ (1) : il succède au « réseau de surveillance des troubles des abeilles ». Plus d’informations sur ce réseau sur le site : http://draaf.rhone-alpes.agriculture.gouv.fr ÉCONOMIE / Des pertes pouvant atteindre 50 % du chiffre d’affaires ✓ L’Adara a réalisé une étude économique pour évaluer les pertes moyennes suite à des épisodes de mortalité et intoxication sur une exploitation type de 250 ruches. Pour une intoxication avec mortalité en sortie d’hiver sur 50 colonies, le coût total pour le rucher (matériel, frais de nourrissement, de vétérinaire, etc.) est évalué à 7 475 euros soit 20 % d’un chiffre d’affaires standard. Lors d’une intoxication au printemps avec pertes d’ouvrières, les dommages oscillent, selon le déficit de récolte de miel, entre 9 467 euros et 15 685 euros soit 27 à 45 % du chiffre d’affaires. Enfin, dans le cadre d’une intoxication d’été, les pertes sont évaluées entre 10 507 euros et 17 415 euros soit une perte de 30 à 50 % du chiffre d’affaires. ■ TÉMOIGNAGE / Membre du Gaec à trois de la miellerie des Gorges, Gilles Deshors, apiculteur à Roche-la-Molière (Loire), a connu des pertes spectaculaires sur ses ruchers cette année. Des tas d’abeilles mortes au pied des ruches «O n a retrouvé un tas d’abeilles mortes devant les ruches et les autres butineuses avaient disparu. » La miellerie des Gorges a connu cette année trois épisodes majeurs d’intoxication qui se sont déroulés sur des territoires différents (Isère, Loire, Haute-Loire), puisque le Gaec déplace ses ruches dans tout le quart Sud-Est de la France, et à des périodes différentes. « J’ai l’impression que ce phénomène a suivi un cycle de floraison », analyse l’apiculteur pour tenter de trouver une explication. Contrairement à deux ans plus tôt où un incident avait conduit à une perte totale, ces ruchers ne sont pas totalement détruits. Seules les butineuses ont été touchées. « Soit elles sont mortes avant de revenir, soit elles ont été maintenues en dehors par les autres abeilles à cause de leur odeur suspecte. C’est pourquoi on les a retrouvées mortes devant la ruche. » Au total, les dégâts concernent trois ruchers de 96 unités. « On peut estimer les pertes à environ cinq tonnes de miel. Du miel vendu entre 6 et 10 euros le kilo… Mais comme les ruches ne sont pas mortes complètement, l’assurance ne prend pas en charge…», regrette-t-il. La cause n’est pas à chercher dans les parasites, des analyses ont prouvé qu’ils en étaient indemnes. Des études complémen- Le Gaec compte environ 800 ruches en production. Cette année, trois ruchers de 96 unités ont connu des grosses pertes taires sont en cours. Elles devraient permettre d’identifier la ou les molécules responsables de cette intoxication. « Avec les agriculteurs, nous sommes complémentaires » Malgré la situation, l’apiculteur ne pointe pas de doigt accusateur sur les agriculteurs « Je ne remets pas du tout en cause leur travail. Notre collaboration est très bonne. L’un d’eux m’a planté des phacélies ; plante très mellifère ; un autre débroussaille un terrain pour installer mes ruches. En contrepartie, je prête les ruches pour polliniser. Nous sommes très complémentaires et ils étaient désolés de ce qui m’est arrivé », insiste-t-il. « Non, le vrai problème, c’est la procédure d’homologation des produits phytosanitaires qui repose sur le DL50 (1) ». Et de s’inquiéter plus largement de la mortalité dans les ruches, en hausse depuis une demi-douzaine d’années. « Avant, on parlait de 3 à 4 % de mortalité hivernale. Aujourd’hui, c’est 30 à 40 %. On aimerait savoir pourquoi… » ■ (1) : La DL50 est la dose létale médiane. Cet indicateur mesure la dose de substance causant la mort de 50 % d’une population animale dans le cadre d’une expérimentation.