Intégration commerciale et monétaire au Sud de la Méditerranée : Une utopie ? (version préliminaire )• Par Nassim Oulmane✳ Laetitia Ripoll-Bresson✠ RESUME Cet article envisage la complémentarité d'une intégration commerciale et monétaire dans le cadre du partenariat Euro-Méditerranéen. Les relations NordSud pourraient être facilitées par l'émergence d'un espace régional sudméditerranéen cohérent. La faiblesse des échanges entre les pays de la rive sud de la Méditerranée, ainsi que le faible niveau des échanges intra-branche dans ce commerce illustre le caractère peu intégré de la zone. Une intégration monétaire devrait dès lors faciliter les échanges. Dans le cadre de la théorie des zones monétaires optimales, l'examen du degré de symétrie des cycles des affaires et des chocs affectant l'économie souligne la difficulté actuelle de ces pays à pouvoir mener des politiques convergentes. Mots Clés : Partenariat Euro-Méditerranéen, Intégration Sud-Sud, Commerce Intra-branche et symétrie des chocs. Classification JEL : F15, F33, F41 • Les avis et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et en aucun cas les institutions auxquelles ils appartiennent. ✳ Direction de la Prévision – MINEFI 139, rue de Bercy - Télédoc 583 75572 Paris Cedex 12 et Lameta UFR Sciences Economiques-Espace Richter- Avenue de la Mer- BP 9606- 34054 Montpellier cedex Tel: +33.1.53.18.86.08 / [email protected] ✠ Lameta UFR Sciences Economiques-Espace Richter- Avenue de la Mer- BP 9606- 34054 Montpellier cedex Tel: +33.4.67.15.83.22 / [email protected] Introduction Le partenariat euro-méditerranéen1 (ou processus de Barcelone) lancé en 1995 entend enclencher une dynamique vertueuse, grâce à l’introduction progressive et accompagnée de la concurrence dans les économies du bassin méditerranéen. Il s’articule autour de 3 piliers : le renforcement du dialogue politique ; l’instauration d’une zone de libre-échange à l’horizon 2010 et l’approfondissement du dialogue social, culturel et humain. Cependant, la juxtaposition d’accords Nord-Sud ne peut suffire à l’avènement d’un espace économique régional. Un approfondissement de l’intégration horizontale des pays de la rive sud demeure crucial. Se pose alors la question de la pertinence d’une intégration monétaire venant en complément de l’intégration commerciale ainsi que celle de l’existence des conditions préalables à la réalisation d’une zone monétaire unifiée. Cet article tente de répondre à cette dernière question en examinant non seulement le volet commercial de l'intégration mais également l'aspect monétaire. Dans une première partie, nous insistons sur la nécessité, parallèlement au partenariat euro-méditerranéen, d’un approfondissement de l’intégration commerciale Sud-Sud. Face à la faiblesse des échanges entre les pays sud-méditerranéens, la deuxième partie est consacrée à l'éventualité d'une intégration monétaire qui favoriserait le développement de la zone. 1. Un partenariat qui doit tendre à dépasser le volet commercial Malgré la conclusion récente de deux nouveaux accords (UE-Algérie et UE-Liban) et l'aboutissement prochain des négociations de l’accord d’association UE-Syrie, à ce stade, les premières avancées résultant de la Du côté méditerranéen, les pays concernés sont : l’Algérie, Chypre, l’Egypte, Israël, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, les Territoires Palestiniens, la Tunisie et la Turquie. 1 2 mise en œuvre du partenariat sont encore très limitées : seuls la Tunisie (depuis 1996) et le Maroc (depuis 2000) ont entamé leur libéralisation commerciale sur les biens industriels. La libéralisation des échanges en matière agricole progresse très lentement. Les questions relatives aux services doivent encore être précisées. Le niveau d’intégration de ces pays peut s’évaluer en regardant la part de leur commerce qui s’effectue avec les autres pays de la zone, ou encore en s’intéressant à leur commerce intra-branche (l’échange croisé de produits similaires) qui représente un bon indicateur du degré d’interpénétration des économies. Le premier indicateur – part des échanges avec d’autres pays de la zone dans les échanges totaux d’un pays – montre que les échanges intra-zone des pays de la rive sud de la Méditerranée ne représentent qu’une faible part de leurs échanges totaux. En moyenne, moins de 5 % des échanges de ces pays se font entre eux, alors que plus de la moitié de leurs échanges se font avec l’UE, premier partenaire commercial de la zone (cf. tableau 1). Tableau 1. Commerce intra-zone et avec l'UE en pourcentage des échanges totaux des pays du Partenariat Euromed en 2000 Million USD Pourcentage Monde Pays de la rive Sud UE Algérie 29666 7 64 Egypte 24353 4 41 Israël 64543 1 38 Maroc 19654 3 63 Mo non-OPEP* 25977 10 36 Tunisie 14724 3 79 Turquie 79544 5 53 UE (15) 4357818 3 60 * Sont regroupés dans Moyen-Orient non-Opep la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen qui représente moins d'un quart du commerce du groupe. Calculs des auteurs, Source Chelem du CEPII 3 Le deuxième indicateur s’intéresse au commerce intra-branche (CIB). La mesure standard du CIB est l’indice de Grubel-Lloyd (GL) qui s’écrit pour une année M − X de référence = GL t = 1 − + M X ( ) t t et 2 Min ( X , M ) X + M t un secteur donné2: ; où Xi et Mi représentent les exportations et les importations du secteur. La valeur de cet indice varie entre 0 et 1, inclus. La valeur 0 indique que tout le commerce est du type inter-industries. A l’opposé, la valeur 1 indique que tout le commerce est intra-branche Tableau 2. Commerce Intra-branche des pays Partenariat Euromed en 2000 Indice de Grubel-Lloyd Algérie Egypte Isräel Maroc MO non-Opep* Tunisie Turquie UE(15) Monde Pays de la Rive Sud UE 0,04 0,11 0,03 0,29 0,44 0,22 0,63 0,33 0,56 0,32 0,37 0,31 0,36 0,28 0,15 0,38 0,26 0,35 0,4 0,17 0,36 0,88 0,38 0,99 * Sont regroupés dans Moyen-Orient non-Opep la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen qui représente moins d'un quart du commerce du groupe. Calculs des auteurs, Source CHELEM du CEPII L’analyse montre que, globalement, hormis Israël, les pays de la zone méditerranéenne connaissent un niveau de CIB très faible (cf. tableau 2). Ce résultat est d’autant plus significatif que l’indicateur est calculé à un niveau relativement agrégé (72 secteurs industriels)3. Ces pays sont également très mal intégrés dans le commerce mondial puisque, dans leurs échanges avec le reste du monde, les pays de la zone 2 L’indice GL se calcule au niveau sectoriel, puis il est agrégé en tenant compte de la part des secteurs dans le commerce total. 3 Un calcul réalisé à un niveau sectoriel relativement agrégé comporte un biais en faveur d’un CIB élevé. Un calcul sectoriel plus désagrégé donnerait un CIB encore plus faible. 4 méditerranéenne, avec un CIB moyen de 0,35, sont très loin derrière l’UE qui a un CIB de 0,88. Avec un CIB de 0,44, l’Egypte est le pays qui connaît le niveau de CIB le plus élevé en ce qui concerne les échanges intra-zone, suivi du Maroc (0,37). Avec la Tunisie et la Jordanie, ces deux pays sont signataires de la déclaration d’Agadir (mai 2001) qui instaure une zone de libre-échange entre les quatre pays. A l’opposé, c’est l’Algérie qui a le niveau de CIB le plus faible et ceci aussi bien avec ses partenaires de la rive sud, qu’avec l’UE ou le reste du monde ; la part prédominante des hydrocarbures dans les exportations algériennes (95%) explique cette spécificité. La faible intégration de ces pays est préjudiciable, notamment en terme d’attractivité des investissements directs étrangers( IDE ), pour lesquels la taille du marché représente un déterminant majeur. En l’absence de politique adéquate d’accompagnement, le seul démantèlement tarifaire n'est pas suffisant pour assurer une plus grande intégration, entraînant un développement rapide du commerce et l’augmentation significative des investissements domestiques ou en Méditerranée4. étrangers) Les doivent entreprises pouvoir (à capitaux bénéficier d’un environnement économique où le commerce est facilité par une adaptation ainsi qu’une harmonisation des dispositions réglementaires. 1.1 Une intégration horizontale nécessaire L’élargissement des marchés intérieurs des pays méditerranéens par l’intégration économique Sud-Sud constitue une condition primordiale du développement de la région, compte tenu notamment de ses effets 4 Des simulation réalisées par le CEPII (Bchir, Decreux, Guérin et Jean mimeo 2002), à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable, indiquent, dans le cas du partenariat, 5 potentiels sur la diversification des échanges, sur l’émergence d’économies d’échelle et d’avantages comparatifs intra-branches et sur l’attrait des IDE. L’approfondissement de l’intégration Sud-Sud et la mise en cohérence globale de cette dynamique apparaissent aujourd’hui indispensables : multilatéralisation des accords bilatéraux, harmonisation réglementaire, cumul des règles d’origine, développement des infrastructures de transport et de communication, etc. Ainsi, le partenariat euro-méditerranéen ne saurait se résumer à une simple juxtaposition d'accords d'association Nord-Sud, tendance qui pourrait s'avérer largement contre-productive. L'émergence d'une zone de prospérité partagée dépend en grande partie de la capacité des partenaires à créer un véritable espace économique régional. L'ouverture Nord-Sud programmée doit ainsi être complétée par une intégration Sud-Sud concomitante. Il en va de la rationalisation nécessaire de l'espace productif régional, de la cohérence de son cadre institutionnel, de sa perception par la communauté internationale, et donc de son attractivité, notamment auprès des investisseurs. La création d'un véritable marché intérieur permettra aux opérateurs économiques de poursuivre enfin une véritable stratégie régionale en Méditerranée. L'intégration régionale signifie concrètement la facilitation des échanges entre les 27 partenaires: par un abaissement des tarifs douaniers certes, mais aussi par la mise en place d'infrastructures transversales, par une convergence vers un cadre réglementaire commun - à cet égard, le cumul régional des règles d'origine5 jouerait pleinement son rôle d'outil au service de l'intégration régionale - , par des efforts éducatifs communs que les effets seraient potentiellement décevant en cas d’application du seul volet commercial. 5 Les règles de cumul d’origine constituent un assouplissement au principe de la transformation « suffisante » : elles permettent l’utilisation accrue dans un pays partenaire de matières importées d’autres pays partenaires en faisant échapper à l’obligation de transformation suffisante les matières importées de ce (ou de ces) pays 6 (reconnaissance des diplômes, échanges universitaires..), par une véritable gestion en commun de l'espace méditerranéen. 1.2 Vers une régionalisation monétaire Dans l’absolu, cet approfondissement serait favorisé par la création d'une zone monétaire englobant l’ensemble des pays de la rive sud de la Méditerranée. C’est le cas, notamment, des pays arabes membres du conseil de coopération du Golfe qui ont récemment accéléré le processus d’union monétaire6. De manière générale, les gains a retirer d’une telle évolution sont conséquents. En effet, une régionalisation monétaire via un ancrage à l’euro ou à un panier de monnaies impliquant une coordination des politiques de change réduirait la volatilité des changes dans la région. Alors que les premières analyses empiriques concluent7 que la volatilité des changes a une influence non significative sur le volume de commerce, des travaux plus récents (utilisant des données en panel) indiquent a contrario qu'elle a un impact négatif significatif aussi bien sur le volume de commerce que sur les IDE entrant dans un pays8. Ces travaux soulignent aussi que la stabilisation des changes accroît d’autant plus le commerce et l’intégration financière que les économies sont proches géographiquement mettant en exergue la nécessaire concordance entre zone commerciale et zone monétaire9. Même si l’option d’une intégration monétaire n’est pas aujourd’hui à l’ordre du jour, il est dès à présent intéressant d'analyser son éventuelle partenaire(s). La règle de cumul régionale est appliquée afin d’encourager l’intégration régionale de la production dans une zone considérée. 6 Lors du dernier sommet du conseil de coopération du Golfe (CCG), les six Etats membres ont convenu d’un accord d’intégration économique mettant en place une union douanière en 2003 et créant une monnaie unique en 2010. Dans la perspective d’une monnaie unique, les six monnaies devraient s’indexer sur le dollar. 7 Voir Mc Kenzie (1999). 8 Voir Rose (2000) et Bénassy-Quéré, Fontagné et Lahrèche-Révil (2001). 9 Guérin et Lahrèche-Révil (2001) La Lettre du CEPII. 7 réalisation et son articulation avec les autres volets de l’approfondissement. Dans cette perspective, nous envisageons une intégration croissante des pays Sud-méditerranéens, au sens de Mundell. La Tunisie, et le Maroc ancrent d'ores et déjà leur monnaie à un panier de monnaies basé sur les fluctuations de l'EURO ; nous vérifions alors si 11 pays de la zone méditerranéenne (Algérie, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, et la Turquie) ont intérêt à se rapprocher de la zone EURO, ou à conserver leur système monétaire actuel. L'analyse empirique proposée dans le cadre de cet article, s'intéresse dès lors aux corrélations entre les cycles des affaires des pays sud-méditerranéens et de l'Europe, mais également au degré de corrélations des chocs d'offre et de demande (représentatifs de la volonté des pays à mener des politiques communes) à la Bayoumi et Eichengreen (1994). 2. Intégration monétaire Sud-Sud Un régime de change fixe a l'avantage de réduire les coûts de transaction et le risque de change qui pénalisent le commerce et l'investissement, mais aussi de garantir une discipline, notamment budgétaire, du à un ancrage nominal crédible. Dans ce contexte, la théorie des zones monétaires optimales, proposée à l'origine par Mundell (1961), McKinnon (1963) et Kenen (1969) présente les conditions dans lesquelles un ensemble de pays devrait constituer une union monétaire, c'est à dire fixer de façon définitive leur taux de change entre eux. La symétrie des chocs affectant l'économie est ainsi présentée comme le critère majeur. Plusieurs méthodes sont disponibles pour en évaluer le degré. Une analyse statique fondée sur l'examen des corrélations croisées des cycles des affaires (Beine et Coulombe (2002)) enrichie d'une étude dynamique basée sur des modèles vectoriels autorégressifs (Bayoumi et Eichengreen 8 (1994)) sont les deux principales méthodes adaptées à l'évaluation du degré de synchronisation des chocs. 2.1 Une approche statique L'analyse statique, envisagée en premier lieu, repose sur l'examen des propriétés du cycle des affaires extrait à partir du PIB réel. Elle s'inspire des travaux de Beine et Coulombe (2002). Selon ces derniers, une forte corrélation entre le cycle des affaires de divers pays favorise leur rapprochement au sein d'une zone monétaire. La procédure d'extraction du cycle suscite l'intérêt de nombreux auteurs10, nous retenons ici l'utilisation du filtre d'Hodrick et Prescott (HP)11. La difficulté d'analyse des pays sud méditerranéens repose sur le manque de données sinon mensuelles au moins trimestrielles. Pour caractériser le degré de synchronisation du cycle des affaires, nous avons dès lors utilisé des données annuelles extraites de la base CHELEM du CEPII, le PIB réel (base 1995) est considéré comme représentatif de l'activité économique12. Les données couvrent la période de 1960 à 2001. De nombreuses études empiriques évaluent à 100 le paramètre optimal du filtre dans le cas de données annuelles, nous décidons donc de retenir cette valeur13. Les cycles sont présentés en Annexe 1. D'autres filtres tels que le Band Pass Filter de Baxter et King (1995) peuvent être utilisés, mais leur équivalence est mise en évidence par Beine et Coulombe (2002), la méthode d'extraction du cycle n'affecte pas les corrélations estimées. 10 Se référer à Canova (1998) pour une revue de littérature complète. Cette procédure est moins sujette à critiques que la modélisation VAR, mais ne laisse pas l'opportunité de différencier la nature des chocs. 12 Beine et Coulombe (2002) analysent conjointement au PIB le taux de chômage et obtiennent des résultats convergents. 13 Pedersen (2001) précise néanmoins que la valeur optimale du filtre peut être obtenue à partir de l'analyse de la densité spectrale de la variable. 11 9 Les pays ont un intérêt à se rapprocher, si les chocs qui affectent leur activité sont symétriques, c'est à dire si les corrélations entre les cycles des affaires sont élevées. La matrice des "cross correlations" ou corrélations croisées est présentée dans le tableau 3 : Tableau 3. Corrélations croisées des cycles des Affaires CHY ALG EGY CHY EUR ISR JOR LIB MAL MAR SYR TUN TUR 1 ALG -0.01 1 EGY 0.08 0.10 EUR 0.31 0.03 -0.20 1 1 ISR 0.02 -0.12 -0.42 0.23 JOR 0.27 -0.09 0.50 -0.40 0.01 1 LIB 0.22 -0.08 -0.36 0.03 0.48 1 0.12 1 MAL -0.01 0.11 0.05 0.03 -0.27 0.01 -0.29 1 MAR -0.05 0.06 0.07 0.30 -0.05 -0.13 -0.29 0.24 SYR -0.43 -0.31 -0.02 -0.24 0.41 0.24 -0.02 0.19 TUN -0.19 0.13 0.07 0.03 0.08 0.48 1 0.08 1 0.08 -0.10 -0.05 0.47 TUR -0.24 0.10 -0.14 0.01 -0.16 -0.28 -0.26 0.05 1 0.21 -0.06 -0.00 1 Source : Calculs des Auteurs, Source Chelem CEPII. Deux conclusions principales sont effectuées à la lecture du tableau. Tout d'abord les corrélations sont très faibles, elles n'excèdent pas 50,3% (entre l'Egypte et la Jordanie). Ensuite, un résultat majeur émerge de cette analyse : les dynamiques des cycles des affaires analysées sont fortement hétérogènes, les 11 pays étudiés ont des cycles différents et ne remplissent pas le critère fondamental de la théorie des zones monétaires optimales, à savoir une certaine symétrie des chocs affectant l'économie. Les pays n'ont pas intérêt, du moins à ce stade de leur développement, à se réunir en zone monétaire, la faiblesse des corrélations avec l'Europe souligne l'inefficacité d'un ancrage immédiat à l'euro. Les coûts d'un tel rapprochement risquent d'être élevés et ne seront pas forcément porteurs au niveau commercial. 10 2.2. Une analyse dynamique Afin de vérifier la robustesse de ces premiers résultats, une analyse dynamique à la Bayoumi et Eichengreen (1994) est menée. Soit un modèle VAR à trois variables : ∆yt ∆X t = ∆pt ∆et où ∆yt , ∆pt et ∆et sont des variables stationnaires qui sont respectivement le taux de croissance de la production (évalué grâce au taux de croissance du PIB réel base 1995), l'inflation réelle (calculée comme le déflateur du PIB réel) et la variation du taux de change nominal14. Les chocs réels, d'offre et de demande, et les chocs nominaux sont calculés à partir d'une modélisation VAR avec un retard15 : k k ∆ykt b11 b12 ∆p = b k b k kt 21 22 ∆ekt b31k b32k b13k b23k b33k ∆yk ( t −1) ε kts d ∆pk ( t −1) + ε kt ∆ek ( t −1) ε kte (2) ε kts , ε ktd , et ε kte désignent respectivement les chocs réels d'offre, et de demande, et les chocs nominaux non anticipés de change issus de la modélisation VAR. Pour Bayoumi et Eichengreen [1994b, p 150] "les chocs d'offre représentent au mieux le caractère symétrique ou asymétrique des perturbations imputables à un changement de régime de 14 La méthode appliquée est celle de Blanchard et Quah (1989). Les données sont annuelles, de 1960 à 1999, et sont extraites de la base CHELEM du CEPII. Toutes les variables sont en logarithme, les tests de Dickey et Fuller [1979, 1981] et Phillips et Perron [1981] sont appliqués 15 Le nombre de retard est sélectionné grâce aux critères Schwartz et Akaïke. 11 change", dès lors l'étude de leur corrélation devrait permettre de confirmer les conclusions de la première approche statique. Les résultats sont reportés dans le tableau suivant. Tableau 4. Corrélations croisées des chocs d'offre. ALG CHY EGY ALG ISR JOR LIB MAL MAR SYR TUN TUR 1 CHY 0.08 1 EGY -0.01 0.07 1 ISR 0.02 -0.05 0.12 JOR 0.00 LIB -0.09 -0.16 -0.22 0.26 0.32 0.07 MAL -0.02 -0.09 0.14 MAR 0.16 1 0.24 0.04 1 0.01 1 0.24 0.11 1 0.14 -0.06 -0.06 0.19 -0.43 0.20 SYR -0.23 -0.13 -0.10 0.39 0.23 -0.13 0.13 TUN 0.35 -0.01 0.12 0.26 0.41 1 0.30 0.05 -0.16 0.16 1 0.19 1 TUR 0.09 -0.11 0.22 -0.07 0.01 -0.17 -0.23 -0.06 -0.05 0.15 1 Source : Calculs des auteurs, Source Chelem CEPII. Les corrélations des chocs d'offre sont plus faibles que celles des cycles des affaires. Elles n'excèdent pas 35% entre la Tunisie et la Turquie, de surcroît, 22 corrélations sur 55 sont négatives, reflétant le caractère asymétrique de la relation entre les pays. Ainsi, les chocs de la Syrie et Chypre sont inversement corrélés à la majorité des pays de l'échantillon. Toutefois, l'examen des chocs d'offre n'accorde pas d'importance à l'impact des politiques économiques. Les chocs de demande, qui sont liés au comportement des institutions monétaires (Bayoumi et Eichengreen [1992, 1994b]) complètent cette analyse, les résultats sont reportés dans le tableau suivant. 12 Tableau 5. Corrélations croisées des chocs de demande. ALG CHY EGY ALG ISR JOR LIB MAL MAR SYR TUN TUR 1 CHY 0.12 1 EGY 0.14 -0.20 1 ISR 0.06 0.10 -0.04 1 JOR 0.01 -0.11 -0.25 0.16 LIB 0.02 0.13 -0.22 -0.21 0.01 MAL -0.05 0.00 -0.28 0.05 MAR 0.55 1 0.36 1 0.17 -0.27 0.12 -0.01 0.07 1 0.05 -0.13 1 SYR 0.27 -0.05 -0.04 0.21 0.30 -0.55 0.11 0.18 1 TUN 0.31 0.01 0.13 0.20 0.44 -0.14 0.01 0.60 0.32 1 TUR 0.31 0.31 0.13 0.04 -0.21 -0.14 -0.12 0.22 0.30 0.09 1 Source : Calculs des auteurs, données base CHELEM du CEPII. Les corrélations sont plus élevées, illustrant la volonté de mener des politiques économiques convergentes, notamment entre le Maroc, la Tunisie et l'Algérie où les corrélations sont supérieures à 50%. Seul l'Egypte semble adopter un comportement divergent, les coefficients de corrélation sont négatifs avec la moitié des pays. Les résultats sont ainsi conformes à l'analyse statique des corrélations des cycles des affaires. Les pays sud-méditerranéens sont hétérogènes, et ne remplissent pas le critère de symétrie des chocs défendu par les théoriciens des zones monétaires optimales. Le Liban, Chypre, la Syrie et la Turquie n'ont aucun intérêt à se rapprocher au sein d'une zone monétaire unifiée. Les corrélations entre les chocs d'offre dans leur ensemble, sont évaluées en moyenne à 14.88% en valeur absolue, alors que les chocs de demande sont estimés à 18.20% et 23.22% pour les chocs de change16. Cette comparaison illustre la difficulté à abandonner le taux de change comme instrument d'ajustement, en revanche, elle permet de souligner la possibilité de se rapprocher à terme au sein d'une union monétaire. En 16 La matrice des corrélations des chocs de change n'est pas présentée ici mais reste disponible auprès des auteurs. 13 effet, bien que les corrélations entre les chocs de demande et de change soient faibles, leur supériorité à celles des chocs d'offre montre la volonté des pays à mener des politiques convergentes. Conclusion Cet article s’inscrit dans le cadre de la littérature relative à la complémentarité d'une intégration commerciale et monétaire autour du partenariat Euro-Méditerranéen. Les relations Nord-Sud pourraient être facilitées par l'émergence d'un espace régional sud-méditerranéen cohérent. La faiblesse des échanges entre les pays de la rive sud de la Méditerranée, ainsi que le faible niveau des échanges intra-branche dans ce commerce illustre le caractère peu intégré de la zone. Une intégration monétaire devrait dès lors faciliter les échanges. Même si la création d'une zone monétaire entre pays sud-méditerranéens, n'est pas encore à l'ordre du jour, la réalisation d’un espace économique régional euro-méditerranéen, qui passe par une intégration Sud-Sud croissante et complémentaire au rapprochement Nord-Sud, implique qu’on envisage la perspective d’une intégration monétaire et donc le moment de sa réalisation. Deux pays ont intérêt à joindre une union monétaire si les chocs affectant leur activité économique sont symétriques. Dans ce contexte, les corrélations croisées des cycles des affaires mais également des chocs affectant l'économie de 11 pays Sud-méditerranéens sont analysés. Il s'avère dès lors que les corrélations entre ces pays sont faibles, y compris avec l'Europe. La réalisation d’une régionalisation monétaire pour les pays de la rive sud de la méditerranée, dans le cadre de la construction d’un espace économique euro-méditerranéen, passe au préalable, par une intégration économique Sud-Sud beaucoup plus approfondie. Quelques pistes pour améliorer cette intégration peuvent être avancées. L'intégration régionale 14 signifie concrètement la facilitation des échanges entre les pays de la région, à la fois par un abaissement des tarifs douaniers, mais aussi par la mise en place d'infrastructures transversales et par une convergence vers un cadre réglementaire commun. A cet égard, le cumul régional des règles d'origine jouerait pleinement son rôle d'outil au service de l'intégration régionale. Références Bibliographiques Bayoumi, T., et B., Eichengreen, (1994), "Monetary and Exchange rate Arrangements for NAFTA," Journal of Development Economics 43, 125-165. Bayoumi, T., et B., Eichengreen, (1992). 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