Regard Croisés 1 - Justice sociale et inégalités
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ?
A. Qu’est-ce qu’une inégalité ?
Il faut distinguer différence et inégalité, qui est un accès différencié dans l’accès à une ressource socialement
valorisée. Lorsque le traitement inégal concerne tout un groupe social (ex. les femmes), on parle d’inégalité sociale.
Les sociétés démocratiques se caractérisent par la recherche de l’égalité, selon Tocqueville : l’égalité des droits qui
correspond à l’égalité des citoyens devant la loi (chacun dispose des mêmes droits politiques et sociaux), l’égalité
des chances qui doit permettre à chacun d’accéder à toutes les positions sociales existantes selon ses capacités
(bourses, moyens supplémentaires en ZEP,…) ; l’égalité des situations qui correspond à une égalisation des
conditions matérielles d’existence (politiques de redistribution).
L’idéal de justice sociale qui résulte de cette « passion pour l’égalité » dépend du système de valeurs qui organise la
société. En effet il est difficile de définir un idéal d’égalité qui convienne à tout le monde. Aussi, chaque pays selon
ses valeurs, recherche un compromis acceptable. A la suite d’Aristote, on peut distinguer la justice commutative:
chacun reçoit la même chose ; la justice distributive: il est juste que chacun reçoive en proportion de ce qu’il apporte
(idéal méritocratique). Enfin la justice corrective cherche à redistribuer les revenus, les patrimoines, en fonction de
critères moraux, politiques ou sociaux sur ce que l’on estime être juste.
B. Faut-il lutter contre les inégalités ?
Pour les libéraux, les inégalités sont justes à condition que la liberté et l'égalité des droits des individus soient
respectées. Elles résultent de différences de talent et d’effort des individus. Ils ne sont pas favorables à l’intervention
de l’Etat pour réduire les inégalités. D’une part, le marché conduit spontanément à l’allocation optimale des
ressources. D’autre part la lutte contre les inégalités est inefficace (car elle désincite au travail ou à l’investissement,
courbe de Laffer), et attente aux libertés (risque de despotisme selon Tocqueville, de totalitarisme pour Hayek).
Les keynésiens et leurs héritiers au contraire font remarquer que les inégalités ne sont ni justes ni efficaces. Les plus
riches ayant une forte propension à épargner, les inégalités diminuent la demande globale et conduisent au sous-
emploi. De plus, les inégalités ont des coûts sociaux importants (délinquance, conflits sociaux,…) qui nuisent à la
cohésion sociale et à la productivité.
Pour John Rawls, la société doit offrir à tous les mêmes moyens de réussite afin que chacun puisse exprimer ses
potentialités. Les inégalités sont alors acceptables si elles favorisent la croissance et profitent à tous, y compris aux
plus défavorisés (principe de différence). Pour Amartya Sen, donner à tous les mêmes chances de départ ne suffit
pas. Il faut encore que les individus soient capables de les utiliser. Il est difficile de déterminer un idéal de justice
sociale, en revanche on peut lutter contre des inégalités concrètes, en associant l’Etat, le secteur privé et associatif.
Pour être libre, l’homme doit avoir à sa disposition les ressources qui lui importent, pour pouvoir exprimer ses
potentialités. Pour les marxistes, la démocratie libérale étant un outil de domination au service de la bourgeoisie, la
réduction des inégalités est un leurre qui retarde la révolution qui seule mettra fin aux rapports de classe.
C. Quels sont les moyens de l’Etat pour contribuer à la justice sociale ?
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, un Etat-Providence a été progressivement instauré. Selon Esping-
Andersen, différents modèles existent, donnant une protection minimale (modèle libéral), ou très étendue (modèle
social-démocrate). D’autres sont essentiellement fondés sur le statut professionnel (modèle corporatiste-conservateur
allemand). L’intervention de l’Etat permet de réduire les inégalités par la redistribution (les cotisations sociales et les
impôts financent des prestations sociales). Après avoir longtemps favorisé l’assurance (chômage, santé,..), le système
de protection sociale français recourt davantage à l’assistance (RSA, CMU,..). Il existe aussi des mécanismes
d’assurance universelle, l’Etat couvrant des besoins fondamentaux indépendamment des revenus des bénéficiaires.
La fiscalité constitue également un outil redistributif. De tous les prélèvements obligatoires, l’impôt sur le revenu est
celui qui corrige le mieux les inégalités économiques car il est progressif. La fourniture de services collectifs gratuits
en matière de santé, d’éducation ou de logement permet également de redistribuer la richesse et de lutter contre
l’inégalité des chances. L’Etat met également en œuvre des politiques de lutte contre les discriminations, qui sont un
traitement inégal des individus ou des groupes sociaux sur la base de 20 caractéristiques physiques et/ou sociales
stigmatisées. Les discriminations sont pénalisées, et peuvent faire également l’objet de mesures compensatrices
(discrimination positive).
D. L'intervention de l'Etat en débat
Cependant l’intervention de l’Etat subit une triple crise de financement, d’efficacité et de légitimité. En effet, la
protection sociale a un coût élevé pour la collectivité, pèse lourdement sur les comptes publics et dégrade la
rentabilité et la compétitivité-prix des entreprises, ce qui contribuerait à la détérioration du solde de la balance
commerciale. Selon les libéraux, des prélèvements obligatoires élevés désincitent à la fois au travail (trappes à
inactivité) et à l’investissement. Cependant l’effet désincitatif du RSA semble faible chez les jeunes, car la norme
d’emploi est forte. L’effet redistributif de la fiscalité aurait diminué du fait de nombreuses niches fiscales qui
viennent diminuer la progressivité de l’impôt. Enfin, La protection sociale est perçue par certains comme un carcan
administratif coûteux et peu efficace, destiné à créer des clientèles électorales.