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AMOPA DU PUY DE DOME
Conférence du Jeudi 20 novembre 2014.
« L’Homme est un roseau pensant …
de Pascal aux neurosciences … »,
par le Docteur Jean Yves PEROL.
I - Introduction
Le but de cette présentation est de s’interroger sur le rôle éventuel de Blaise Pascal dans l’état actuel
de la connaissance humaine sur les neurosciences qui conditionnent probablement l’avenir de l’humanité
comme nous le verrons.
Je ne suis malheureusement, ni un spécialiste de Pascal, ni un spécialiste des neurosciences …
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Je ne suis en fait qu’un médecin, spécialisé en psychiatrie depuis plus de quarante ans, qui s’interroge
obligatoirement sur l’évolution de la compréhension du rôle et du fonctionnement du cerveau … Or le
rôle de Pascal, là encore comme dans d’autres domaines comme nous le verrons aussi, apparait comme
minimisé, négligé, la dernière preuve étant que dans une récente encyclopédie de l’histoire des
neurosciences, remarquable d’ailleurs, Pascal est cité de façon complétement anecdotique sans que les
auteurs aient perçu, semble-t-il, l’importance de Blaise Pascal.
Je vous propose de faire une description chronologique de l’évolution des conceptions en
neuroscience, en resituant Blaise Pascal dans ce schéma, puis de réfléchir un peu plus sur le rôle inconnu
de Pascal …
II - Description chronologique de l’évolution des Conceptions des Neurosciences
1 – Période des Certitudes :
Le Big-Bang créé ex nihilo l’univers il y a un peu plus de 13 milliards d’années ; la Terre apparait
ainsi que le système solaire il y a 4,5 milliards d’années et la vie apparait : notre grand-père à tous
s’appelle en termes scientifique Luca, c’est-à-dire notre dernière ancêtre commun universel, c’est-à-dire,
la chimie du carbone en fait.
Apparaissent les mammifères il y a une centaine de millions d’années et les primates il y a 40 ou 50
millions d’années dans les dernières conceptions scientifiques. Le premier hominidé « Toumaï » apparait
en Afrique il y a 7 millions d’années, notre grand-mère bien connue Lucy il y a trois millions d’années et
il y a 1,5 million ou 2 millions d’années, notre ancêtre homo erectus invente le feu et commence à
enterrer ses morts, c’est-à-dire à avoir une conception probablement plutôt religieuse de la vie.
L’évolution s’accélère, homo sapiens il y a 250.000 ans parcourt le monde, se sédentarise il y a 15.000 ou
20.000 ans et l’écriture apparait il y a 6.000 ans.
Toutes les civilisations de moins 6.000 ans au XVIème siècle (l’Egypte, les civilisations
sumériennes, précolombiennes, gréco-romaines, les religions juives, chrétiennes, arabes, indus, chinoises,
etc., ont un point commun, de croire dans une ou des divinités qui sont des puissances créatrices que l’on
peut influencer par la prière ou son équivalent ancien les sacrifices ; on peut donc résumer cette immense
période par le fait que l’espèce humaine répète des rites et invente des dieux à son image.
2 – Apparition du Doute Scientifique (en Europe seulement) ?
À partir en fait au minimum de l’invention de l’imprimerie en 1468 par Gutenberg apparait, petit à
petit, principalement en Europe, le doute scientifique.
Copernic en 1543 émet l’hypothèse que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse ; il est bien
entendu immédiatement condamné par les autorités religieuses.
Léonard de Vinci peint la Joconde dont le sourire énigmatique interroge sans certitude, surtout
Shakespeare et Cervantès (ils meurent tous les deux en 1616) commencent à décrire une condition
humaine qui ne dépend plus des divinités.
Entre 1610 et 1630 Galilée, grâce à la découverte des lentilles et de la longue vue, ouvre la porte à la
modernité en confirmant les conceptions de Copernic et en déduisant, à l’inverse de tout ce qui s’était dit
avant que d’une part, l’univers est immensément complexe et que la Terre est une toute petite partie de
cet univers et d’autre part, que le monde est « régit par les mathématiques » et non plus comme dans toute
la période antérieure par les divinités …
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3 – Faisons une halte plus importante sur Pascal :
1623 - Né à Clermont-Ferrand, Blaise Pascal ce « génie effrayant » comme le qualifiait
Châteaubriand, fils d’Etienne Pascal, haut fonctionnaire local ; Alexandre Vialatte dit de façon plaisante
que Pascal aimait tellement l’Auvergne qu’il est né à Clermont-Ferrand …
À 3 ans il est orphelin de mère, son père s’occupe complétement de son éducation (Pascal n’est
jamais allé à l’école et n’a jamais exercé une véritable activité professionnelle).
À 12 ans Blaise parle déjà le grec, le latin, l’hébreu, réinvente les démonstrations d’Euclide, dévore
la bibliothèque paternelle qui est remarquablement fournie, puisqu’Etienne Pascal est un véritable
honnête homme de l’époque ayant une culture à la fois littéraire et mathématique considérable.
Probablement à 7 ans Pascal rencontre au Château d’Effiat le cardinal de Richelieu qui se repose
chez le maréchal d’Effiat de la campagne de destruction de la ville de La Rochelle (Paix d’Alès en 1629).
Ce milieu du XVIIème siècle, c’est la période de Louis XIII mort en 1643 (dont Pascal avait vingt ans),
Richelieu mort en 1642, La Fronde 1648-1652, véritable guerre civile qui a impacté la vie de Pascal …
C’est une France de 20 millions d’habitants avec Corneille, Boileau, La Fontaine, au milieu d’une
ébullition artistique et scientifique considérables ; c’est aussi l’effroyable Guerre de 30 Ans (1618-1648)
véritable guerre civile en Europe avec probablement plus de 7 à 8 millions de morts pour des raisons
apparemment religieuses (guerre entre catholiques et protestants), mais sous tendue par des ambitions
territoriales.
Accessoirement à l’époque, la Chine vit la période Ming et Quing avec le règne éblouissant du grand
Empereur chinois Kangsi. Comme vous le savez, la famille de Pascal va vivre à Paris, à Rouen (amitié
très importante avec Corneille), puis Pascal va vivre définitivement à Paris faisant néanmoins de
nombreux voyages en Auvergne.
À 17 ans, en 1640, il publie « L’essai sur les coniques » dont les lois physiques et mathématiques
font progresser l’architecture … À 19 ans, en 1642, il invente la Pascaline qui est considérée dans le
monde entier comme le premier ordinateur ; cette machine arithmétique est à la base de l’informatique
qui fait progresser depuis plus de 50 ans l’ensemble du monde et particulièrement les neurosciences,
puisque toutes les techniques de progrès des neurosciences sont en grande partie basées sur des progrès
extraordinaires de l’informatique. À 23 ans il fait l’expérience du Puy-de-Dôme, qui confirme la pression
atmosphérique (travaux sur la nature du vide, ce qui permet l’invention des presses hydrauliques, ce qui
sera la base de l’extraordinaire extension de l’industrie aux XVIIIème et XIXème siècles.
Il s’intéresse aux nombres (le triangle de Pascal, avec les travaux de Fermat et il réfléchit aux jeux de
hasard, ce qui débouchera sur le calcul des probabilités et le calcul intégral) ; tout ceci est à la base de
l’immense domaine des statistiques avec des conséquences dans les sciences sociales considérable. On
peut néanmoins remarquer que les expériences sur le vide auraient pu anticiper les travaux de Newton
(1642-1727) et que les travaux sur les statistiques auraient pu là-aussi permettre à Pascal d’aller beaucoup
plus loin …
Mais à la même époque quasiment, il invente les transports en commun (expériences des carrosses à
cinq sols à Paris) et il écrit les « Provinciales », pamphlet contre les Jésuites : travail remarquable sur le
plan de la fixation de la langue française, mais qui a peut être empêché Pascal de devenir légal de
Newton. Enfin, dans les « Pensées », il travaille sur « l’esprit de finesse et de géométrie », ce qui est
actuellement reconnu comme la base de tous les travaux modernes sur la communication humaine (méta
communication, hypnose, psychothérapie brève, etc.) ; ses travaux sont énormément utilisés actuellement
dans l’élaboration de l’intelligence artificielle qui va probablement être la grande découverte du XXIème
siècle.
Enfin, il s’oppose à Descartes qui en 1637, dans son discours de la méthode, propose une vision
dualiste de l’Homme avec une âme d’origine divine et un corps machine et il écrit dans les pensées au
tour de la 41année :
« L’homme est un roseau pensant »
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« Le cœur a ses raisons que la raison ignore »
Il meurt en 1762 à l’âge de 39 ans, les causes de sa mort étant actuellement discutées (maladie
rénale ? malformation vasculaire ? etc.).
4 – Darwin :
En 1831 un jeune botaniste britannique, Charles Darwin, né en 1809, part pendant cinq ans sur un
bateau « Le Beagle » pour explorer le Monde : ce génie absolu élabore petit à petit en ayant fait des
constatations sur l’évolution des espèces, la fameuse théorie qui lui permettra en 1859 à l’Académie des
Sciences de Londres d’exposer « l’origine des espèces » qui est basée d’abord et avant tout sur le fait que
l’Homme est un animal comme les autres, un mammifère primate qui est soumis à l’évolution des
organismes selon la loi de la sélection, ce qui bien sûr remet en cause le dogme biblique selon lequel Dieu
aurait créé séparément des espèces immuables (ce dogme était en réalité accepté par des gens comme
Descartes).
Darwin se battra toute sa vie pour petit à petit convaincre l’ensemble du milieu scientifique; dans le
monde actuel, beaucoup de religions continuent à mettre en doute la théorie Darwinienne qui est
globalement majoritaire dans le monde scientifique ; il faut noter une parenté très importante entre les
aspects les plus extrémistes des religions pensant qu’il existe un Dieu créateur comme nous l’avons décrit
dans la période des certitudes alors que parmi toutes les autres sciences, les travaux sur les neurosciences
confirment de plus en plus les théories Darwiniennes.
5 - Les neurosciences vont faire des progrès absolument impressionnants :
Pendant 15 ans (1950-1965), véritable période miraculeuse, la découverte des psychotropes
(neuroleptiques, tranquillisants, antidépresseurs et régulateurs de l’humeur comme le lithium) permettent
une évolution considérable de la prise en charge des maladies mentales avec une diminution majeure de la
mortalité de ces patients même si leur qualité de vie pose encore problème ; il faut en effet savoir que la
maladie mentale était très souvent mortelle à court terme durant toutes les périodes antérieures.
En 1966, dans un laboratoire lyonnais, le Professeur Jouvet enregistre grâce à un
électroencéphalogramme de nuit le sommeil d’un nombre considérable d’animaux et il démontre que le
sommeil des mammifères, Homme compris, répond complètement aux mêmes critères, ce qui constitue
l’un des éléments très importants de validation des hypothèses darwiniennes ; particulièrement, il décrit
les cycles de sommeil, l’existence de deux sortes de sommeil complètement différents, à savoir le
sommeil ou l’on se repose, le sommeil lent et un sommeil dit paradoxal dans lequel en réalité le cerveau
travail et consomme une énergie considérable, élément dont nous reparlerons tout à l’heure.
A partir de 1990, la visualisation du cerveau par le scanner, le PET scanner et surtout l’IRM et l’IRM
fonctionnelle permet de comprendre de plus en plus le fonctionnement du cerveau dans son intimité.
On se rend compte qu’il existe des circuits fonctionnels qui n’avaient pas pu être découverts par les
recherches anatomiques ; on se rend compte que le cerveau a une plasticité beaucoup plus importante
qu’on ne le pensait (des zones lésées vont pouvoir être remplacées par d’autres zones cérébrales qui
changent de fonctionnement pour suppléer le déficit) ; on découvre aussi qu’une partie des cellules
cérébrales sont capables de se régénérer comme les cellules hépatiques ou les cellules cutanées par
exemple ; les découvertes de ces quinze dernières années sur le fonctionnement du cerveau sont
absolument extraordinaires, ouvrent pour le XXIème siècle la possibilité de travaux dont nous n’arrivons
même pas à comprendre exactement ce sur quoi cela va déboucher.
En plus, à partir de 2000, le décryptage du génome humain qui semblait impossible rentre dans la
pratique courante (10 ans d’effort et 1 million de dollars pour le premier génome décrypté et actuellement
possibilité d’avoir le décryptage de son propre génome pour 5 ou 600 euros …).
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Le décryptage de ce génome permet de relier la vie du cerveau à une base biologique ce qui éclaire
d’un jour complètement nouveau la fameuse dualité entre l’inné et l’acquis ; toutes ces découvertes
posent la question de la vulnérabilité biologique de base ; peut-on devenir schizophrène, alcoolique,
dépressif … sans une vulnérabilité génétique antérieure …?
Des nouvelles techniques de stimulation cérébrale comme la stimulation magnétique transcrânienne
débouchent actuellement sur les premières utilisations thérapeutiques et à terme, sur la possibilité de
modifier le cerveau « normale » pour augmenter ses capacités et ses compétences.
Enfin, les travaux sur l’intelligence artificielle qui associent la puissance de l’informatique et la
compréhension des mécanismes cérébraux débouchent au XXIème siècle sur des aspects dont il est
difficile d’apercevoir les limites (robots de plus en plus « intelligents », etc.)…
III - Alors que dire de Pascal en 2014 ?
1 – Comme nous l’avons signalé, ses « fulgurances » scientifiques sur l’informatique, les probabilités
et la communication humaine sont à la base des travaux constitutifs des Neurosciences.
2 - Pascal a émis dans les « Pensées » cette phrase surprenante : « L’homme est un roseau
pensant… ».
Tous les travaux modernes confirment cette anticipation de Pascal : la pensée est liée à la nature
biologique du cerveau … Peut-être Pascal, lui-même, n’a pas compris à quel point cela allait modifier les
rapports de l’Homme à la Nature et donc aux conceptions sur la divinité…
L’ensemble des travaux sur les neurosciences amène à se poser la question du devenir de
l’intelligence artificielle et des modes d’intervention sur la vie psychique ; il est probable que dans les
vingt ou trente années à venir, une nouvelle conférence sera utile pour approfondir l’apport de Pascal dans
ses travaux.
3 - On peut déjà réfléchir sur une autre phrase prononcée par Pascal : « Le cœur a des raisons que la
raison ignore … ». L’un des grands débats actuellement dans les neurosciences réside dans le rôle de ce
que l’on avait appelé au début du XXème siècle le cerveau « archaïque », « limbique » ou « émotionnel »
; la théorie était que nous avions bien sûr une part animale, mais que la raison nous gouvernait et
Descartes avec son « Cogito Ergo Sum » allait dans ce sens.
Tous les travaux modernes (principalement les travaux d’un chercheur d’origine italienne vivant aux
Etats Unis, le Professeur Damasio, vont plutôt dans le sens inverse ; il a écrit le fameux livre « L’erreur
de Descartes » dans lequel on est en train de montrer que ce cerveau dit « inférieur » en réalité gouverne
99% de notre vie et que les aspects corticaux sont moins importants qu’on le pensait ; tous les travaux
modernes insistent sur le fait d’une part, comme Pascal l’avait prévu, que le cortex frontal ne peut pas
gouverner le cerveau archaïque, ce qui permet d’avoir des réactions beaucoup plus rapides qui permettent
notre survie (Spinoza à la même époque s’était opposé à Descartes).
En effet, tout ce passe comme si notre cerveau archaïque effectuait un calcul statistique extrêmement
rapide pour savoir quelle est la bonne solution qui va permettre notre adaptation à la meilleure et
principalement notre survie dans un environnement hostile ; ce calcul statistique empreinte des voies
cérébrales très complexes qui sont petit à petit en train d’être mises à jour.
L’un des exemples les plus étonnants est la découverte des neurones miroir par une équipe italienne
dans les années 2000 ; ces neurones qui semblent exister chez les grands singes, chez le chien et chez les
êtres humains permettent l’empathie, c’est-à-dire, de pouvoir percevoir chez l’autre s’il existe des
sentiments agressifs ou, au contraire, une absence d’agressivité ; ces neurones miroir ont permis la mise
en place de processus de vie sociale beaucoup plus performants chez les grands singes (semble-t-il
particulièrement chez les Bonobos) et chez l’espèce humaine.
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IV - Conclusion
Pascal apparait bien comme ayant eu des intuitions géniales sur le fonctionnement du système
nerveux et bizarrement, les deux phrases tout à fait extraordinaires que l’on trouve dans les pensées n’ont
pas été reprises ou moins pas suffisamment étudiées et pourraient constituer, pour des gens plus cultivés
que moi, un champ d’observation et de travail tout à fait passionnant …
Il faut néanmoins observer, comme je l’avais dit dans l’exposé, que Pascal est quand même moins
connu que Newton alors qu’il s’agit probablement d’un génie aussi universel ; Pascal n’a jamais poussé
jusqu’au bout ses incroyables intuitions ; il s’agit d’un touche à tout de génie, mais on peut regretter qu’il
n’ait pas utilisé plus d’énergie dans certaines directions …
Enfin, petit clin d’œil à notre vie actuelle, il est dommage qu’une ville qui a été le lieu de naissance
d’un des dix plus grands génies de l’humanité, ne mette pas plus en valeur celui-ci comme par exemple
dans le nom de son aéroport : on voyage à St Exupéry à Lyon, à Léonard de Vinci à Rome, à Kennedy
Airport à New York … l’aéroport Blaise Pascal aurait quand même plus d’allure que le nom actuel…
Docteur Jean-Yves PEROL
Ancien Interne du C.H.R.U. de Clermont-Ferrand
Ancien Médecin Attaché des Hôpitaux
Ancien chargé de cours à la Faculté
D.U. Sommeil et Psychiatrie
Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière
PSYCHATRIE (TROUBLES DU SOMMEIL)
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