En fait, ce sont d'autres sciences de l'homme qui ont mis en lumière l'une des fonctions importantes de
toute religion, en la définissant comme étant un facteur de cohérence de sociétés humaines et un
facteur de cohésion pour chacun de ses adeptes. Parce qu'elle est à la fois un mode d'expression hors
de l'ordinaire, en mettant en contact l'homme avec un absolu, et un ensemble de modalités et de
pratiques régulant le cours ordinaire de la vie. Des sociologues ont ainsi privilégié l'aspect
fonctionnaliste de la religion, qui permet de maîtriser la contingence de toute vie humaine (N. Luhman,
Funktion des Religion, 1977, et Religion des Geselleschaft, 2000).
D'autres insistent sur le fait que la religion est transmission d'un passé dont elle fait mémoire, pour
donner un sens au présent et orienter l'avenir (D. Hervieu-Léger, La religion pour mémoire, 1993).
Enfin, d'un strict point de vue anthropologique, on peut définir la religion comme étant la réponse des
hommes à leur condition d'êtres limités et finis, comme une sorte de témoignage personnel (J. Derrida et
G. Vattimo, Séminaire de Capri, Le Seuil, 1996). Mais quelle que soit la valeur de l'éclairage qu'elles
fournissent, il faut bien constater que les diverses sciences humaines ne peuvent plus donner une
définition univoque de la religion, sinon dans une formule générale et englobante du type « un culte
socialement établi de la réalité éternelle » (L. Kovalowski, Philosophie de la religion).
Car ce n'est pas seulement une appartenance à une tradition, une observance à des rites, des
croyances, qui doivent être prises en compte, mais aussi l'intérêt et la sensibilité personnels. En effet, la
disponibilité actuelle de divers messages religieux favorise incontestablement la possibilité pour chacun
d'effectuer un choix personnel, d'autant plus qu'on revendique fortement l'autonomie de la personne
jusque dans le religieux. On assiste actuellement à un éclatement du croire, ce qu'exprime clairement la
formule de Grace Davie, Believing without belonging, une croyance sans appartenance. Dès lors la
conception d'une religion comme institution historique et sociale peut se trouver remise en cause. Dans
la mesure où ce mot de religion désigne, dans notre culture occidentale, le plus souvent une institution
d'Eglise fondée sur des dogmes et des rites particuliers, ce terme est apparu comme trop exclusif, donc
trop limité pour désigner un phénomène anthropologiquement général. L'expression « fait religieux » lui
est souvent préférée, parce que plus neutre et correspondant mieux pour un grand nombre de cultures à
l'existence d'attitudes et de pratiques croyantes. Le « religieux » prend ainsi un sens objectif : c'est ce
qui constitue la raison d'être d'une communauté de croyants confessant une même foi. Ce fait religieux
devient ainsi un objet que l'on peut appréhender dans les diverses cultures de l'histoire humaine. Il peut
ainsi être enseigné comme tel dans le cadre d'une laïcité ouverte. Et il doit l'être !
2 - LE SACRE
C'est un sujet difficile mais capital, car la question du sacré est au centre même du fait religieux. Si on
définit la religion comme une relation vécue par les hommes avec le divin, il n'est pas d'historien des
religions, d'anthropologue, de philosophe ou de théologien qui ne s'intéresse au sacré. Pourtant, comme
pour la notion de religion, celle de sacré est ambiguë, car le mot révèle de nombreuses équivoques. En
français, le premier piège est de l'ordre du vocabulaire. Le mot sacré peut être soit un substantif, le
sacré, soit un adjectif. En tant que substantif, le concept est englobant : à partir de l'idée d'une
puissance supérieure à l'homme, le sacré apparaît comme une substance unique, polyvalente, à la fois
pure et impure, qui renferme l'idée du divin, voire même de Dieu. Comme adjectif, il qualifie un être, ou
une chose, mis par l'homme en rapport avec la divinité (un lieu sacré, un vase sacré). Il est alors
connote par les tabous, des interdits qui définissent ce qui est pur et ce qui est impur. Or, ce double
constat grammatical du mot sacré constitue non seulement une réelle difficulté pour l'analyse, mais il est
la source de perpétuelles confusions lorsqu'on ne prend pas la peine de distinguer entre le signe et le
signifié, le sacré comme signe, indice du divin. Le danger d'erreur, en effet, est qu'à partir du concept
global « Le Sacré », on en fasse une essence idéale, un absolu, en lui conférant une existence
ontologique, ce qu'a fait Mircea Eliade, et même en en faisant l'équivalent du Dieu Saint de la Bible, ce
qu'a fait naguère R. Otto dans son livre Das Heilige (1917). Ce concept global de Sacré, qui a nourri tant
de théories depuis un siècle, - comme celui de religion -, est en réalité un concept purement théorique,
construit à partir d'une multiplicité de faits liés à la religion. Ce qui explique certaines définitions telles
que : « la religion est l'expérience du sacré » (J.Wach), ou « la religion, c'est la rencontre avec le sacré »
(Mensching), « c'est l'administration du sacré » (Hubert et Mauss). Ce qui n'est pas exactement la même
chose.
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