"L'insertion des jeunes non scolarisés : le cas de la France" Le thème choisi est "l'insertion des jeunes non scolarisés en difficulté", il correspond à la mission que je conduis au sein de l'Observatoire de la Précarité, de l'insertion et de l'intégration depuis 1992. Il a fait l'objet de journées d'études nationales en janvier 1996 où étaient réunis la plupart des experts français sur ce sujet. Ma contribution s'inscrit sous le volet "précarité des jeunes", je développe ici tout particulièrement l'analyse de la réponse étatique. 1. Définition de l'objet 1.1. Les jeunes non scolarisés dits en difficulté L'intitulé "Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté" mérite quelques éclaircissements. En France, depuis une vingtaine d'années avec le déclin de l'emploi stable, le développement de la précarité et la persistance du chômage, les zones de désaffiliation sociale (CASTEL, 1995) n'ont cessé de s'agrandir. Dans ce contexte, les conditions et les modes d'accès des jeunes au marché du travail se sont considérablement transformés et complexifiés. En France, la jeunesse ou plutôt les jeunesses (car toutes ne disposent pas des mêmes atouts pour traverser les zones de désaffiliation) jouent un rôle de révélateur d'une crise plus large qui traverse la société et la jeunesse dite en difficulté révèle de façon criante les effets de l'allongement de la jeunesse. Elles sont un bon analyseur des transformations en cours du système d'emploi (ROSE, 1995). O. GALLAND ou G. MAUGER ont montré que la jeunesse s'est constituée comme un nouvel âge de la vie et que les transitions de l'école à l'emploi et de la famille d'origine à la création d'un nouveau foyer se sont considérablement allongées depuis une trentaine d'années. C'est à partir de ce cadre d'analyse que j'observe une partie de la jeunesse, non scolarisée et dite en difficulté (entre 16 ans, âge obligatoire de scolarité, et 25 ans entrée possible dans un autre dispositif et un autre statut: le Revenu Minimum d'Insertion). Quelques chiffres significatifs de l'évolution de la situation des jeunes en France : scolarisés 1983 1994 29,9 % (2 565) 45,7% (3780) emploi non aidé 41,3% (3 547) 26,6% (2199) stagiaires et chômeurs emploi aidé 4,3% (458) 8,9% (735) 9,8% (843) 10,2% (847) inactifs 6,8% (585) 5,1% (421) service national solde 2,9% (249) 2,8% (232) 3,9% (336) 0,7 (56) total 8583 000 8270 000 La première ligne donne les pourcentages et la seconde ligne donne les effectifs âge au 1er javier. Source : Institut National des Statistiques et Etudes Economiques (INSEE). Cette tendance continue aujourd'hui : les jeunes reculent toujours plus l'échéance de l'entrée dans la vie active, dans la vie adulte et essaient de développer le plus d'atouts pour faciliter ce que l'on appelle l'insertion. Donc la jeunesse se développe comme un nouveau temps de la vie, celui d'une transition, d'une attente, d'une indétermination mais aussi celui de la "galère" (Dubet, 1987) pour l'autre "jeunesse" (DUBAR, 1987). Ces jeunes sont ceux qui, chaque année, sortent du système scolaire sans diplôme (entre 80 000 et 100 000), les politiques s'avèrent impuissantes à enrayer ce processus d'échec scolaire comme si un seuil avait été atteint. 1.2. Jeunesse, insertion(s) et intégration sociale. Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 1 L'insertion de la jeunesse telle que je la définis ne correspond pas seulement à l'insertion professionnelle : elle se manifeste au travers d'un processus diversifié d'inscription dans la société qui s'organise autour : - de l'économique (accès à un emploi, à des revenus...) ; - du social (accès à un bien être social concrétisé dans le logement, la santé, la protection sociale...) ; - de la citoyenneté (accès à une reconnaissance dans la société). Ce n'est que lorsque ces trois conditions sont remplies que l'on peut parler d'une véritable intégration sociale. Il semble d'ailleurs qu'il y ait une forme d'interaction entre ces trois formes d'inscription de l'individu dans la société. J'opte donc ici pour le concept d'insertion globale développé dès le début des années 80 par Bertrand SCHWARTZ mais qui n'a connu que peu d'écho en terme de concrétisation au niveau d'une politique publique. Le concept d'insertion est donc indissociable d'un dispositif technique mis en oeuvre. L'insertion des jeunes de faible niveau de formation dépend aussi de l'offre d'insertion. 2. Une offre publique d'insertion massive pour accompagner les transitions de "l'autre jeunesse". Dans les vingt dernières années, on a assisté à un basculement d'une réponse publique cherchant une adéquation entre formation-emploi à une réponse publique accompagnant les alternances entre stages-petits boulots-chômage en particulier pour les jeunes les moins qualifiés, exclus précocement du système scolaire. 2.1. Offre d'insertion et stratégies d'insertion. Face à deux positions qui s'opposent depuis plusieurs années : - celle que l'on peut caractériser de structuraliste consisterait à dire comme J. ROSE que "le rejet du travail par les jeunes n'est que le rejet des jeunes par le monde du travail" ; - celle beaucoup plus individualiste (théorie économique classique) qui consisterait à dire qu'il y a une inadaptation des jeunes au marché du travail et que l'insertion est régulée par les mécanismes du marché du travail. J'opte quant à moi pour un cadre d'analyse médian cherchant à articuler ce qui relève des stratégies possibles de l'individu et ce qui relève de l'offre d'insertion. La difficulté se mesure donc à partir de l'offre d'insertion et des stratégies (atouts et potentialités mobilisables) de chaque jeune. L'offre d'insertion dépend bien entendu des contextes régionaux, c'est à dire : - des ressources économiques fournies par le marché du travail local - des caractéristiques des systèmes localisés d'insertion c'est-à-dire les ressources relationnelles fournies par les réseaux localisés d'acteurs. Par exemple, il est intéressant d'avoir quelques éléments comparatifs de l'insertion des jeunes de "bas niveaux scolaires" en Alsace et en Languedoc-Roussillon à partir d'une étude conduite par le CEREQ (Centre d'Études et de Recherches et des Qualifications) et qui est actuellement dirigé par Claude DUBAR . La région Languedoc-Roussillon (qui est le territoire de mes observations) présente des spécificités qui en font un site d'observation pilote en matière d'insertion des jeunes. ALSACE Dynamisme économique Niveau de chômage Progression du chômage Évolution de l'emploi Caractéristiques régionales LANGUEDOC-ROUSSILLON élevé inférieur de 4 points à la supérieur de 4 points à la moyenne moyenne nationale nationale une des plus faibles la plus forte une des plus positives la plus positive croissance du travail frontalier pression démographique avec immigration d'actifs Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 2 Articulation formation-emploi forte avec une forte tradition croissance qui a peu profité aux d'alternance et d'apprentissage plus défavorisés Insertion plus rapide et plus Insertion médiocre et lente durable Les stratégies d'insertion des jeunes ont été jusqu'alors principalement étudiées dans le cadre de leur rapport au dispositif d'insertion des jeunes alors qu'ils développent des "logiques d'insertion différenciées" (S I A MER, TOUZE, 1995) ou des "stratégies intersticielles" en marge des dispositifs (ROULLEAU BERGER , 1995). 2.2. Les politiques publiques d'insertion des jeunes. Le dispositif d'insertion des jeunes correspond à l'ensemble des programmes mis en place par les pouvoirs publics, que ce soit en terme de formation ou d'aide à l'emploi dans le secteur marchand ou non marchand (y compris l'apprentissage), destinés aux moins de 26 ans et intervenant entre la sortie de la scolarité initiale et l'entrée dans l'emploi sous contrat de travail de droit commun. * Une politique massive Chaque année, c'est l'équivalent d'une classe d'âge (soit environ 800 000 jeunes) qui est aidée financièrement par l'Etat afin d'obtenir une formation ou un emploi. C'est en 1987 que le nombre de bénéficiaires sera le plus important soit près de 1 Million. (cf annexe 1 : evolution des mesures pour l'emploi et la formation des jeunes). * Une politique "sélective" Séléctif car la priorité répétée aux jeunes les plus en difficulté a déplacé une volonté politique de faciliter l'accès à l'emploi de tous les jeunes vers une politique qui viserait strictement une lutte contre l'exclusion d'une partie de la jeunesse. Sélectif aussi car cette politique de lutte contre l'exclusion des jeunes les plus en difficulté, a profité essentiellement aux moins défavorisés. La dérive est souvent constatée de la sélection du public qui n'est pas visé au départ. C'est ainsi que le dispositif 16-25 ans est passé de l'accueil des sansdiplômes à la gestion de la transition professionnelle pour les niveaux intermédiaires (V et IV). De même, on a pu observer l'élévation des exigences pour les mesures TUC ou SIVP, c'est-à-dire toutes les formes de travail précaire rémunérées par l'Etat, où on est passé des exclus du système scolaire à une proportion croissante de jeunes ayant le niveau du baccalauréat (DUPREZ, 1993). Toutes ces dérives des dispositifs en direction des jeunes exacerbent et intensifient entre 25 et 30 ans le dualisme entre jeunes "casés" et jeunes "exclus". L'âge de trente ans est l'âge de stabilisation de la plus grande partie des jeunes. * Une politique aux logiques complémentaires Les politiques qui naissent au début des années 1970 identifient une partie de la jeunesse puis plus tard la jeunesse dans sa globalité comme une catégorie à insérer dans le marché du travail. La représentation en terme de crises de socialisation dont résultent soit la déviance, soit la contestation, s'estompe au profit du thème de la "génération sacrifiée" d'après le titre de l'article de Gilles GATEAU. Après l'action culturelle et éducative, c'est dorénavant l'action formatrice qui constitue l'axe central des politiques sociales en direction de la jeunesse et s'articule autour de trois logiques qui selon l'expression de Claude DUBAR feront le "balancier". La jeunesse en difficulté d'insertion sociale et professionnelle a fait l'objet d'une multitude d'interventions des pouvoirs publics dans les vingt-cinq dernières années. Au cours de l'histoire de ces dispositifs administratifs plusieurs types d'approches se sont succédés. Claude DUBAR les perçoit autour de trois logiques : la logique "formation qualifiante", la logique "d'insertion professionnelle", la logique de "socialisation " (DUBAR, 1987). A ces trois logiques repérées par Claude DUBAR, j'ajouterai aussi la prise en compte des besoins d'autonomisation, notamment financiers, nécessaire pour effectuer ce que l'on a nommé précédemment comme la transition familiale. A partir de ces quatre axes on peut relire l'ensemble des mesures qui se sont succédées depuis plus d'une vingtaine d'années. (Cf. Annexe 2 : les politiques d'insertion et de formation). Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 3 3. Pistes de réflexion. Les réflexions qui suivent sont le résultat de quatre années d'observation, d'études et d'enquêtes à la fois auprès de responsables des politiques publiques, des professionnels concernés et des jeunes. 3.1. Observer plus finement les trajectoires biographiques et les logiques d'insertion des jeunes. Les dispositifs publics en direction des jeunes ont été dans un premier temps indifférenciés puis individualisés, or le pari de l'individualisation ne peut plus être tenu en raison de l'effet de masse du public accueilli dans les structures d'accueil. Je pense donc qu'il faille améliorer la connaissance des trajectoires, des besoins, et des potentialités des jeunes afin de saisir leurs propres stratégies et dans l'optique d'ajuster les politiques publiques qui s'y adressent. Une approche par profils types de trajectoires offre une approche médiane entre l'approche indifférenciée et l'approche individualisée. L'étude "Trajectoire de vie et logique d'insertion" est l'aboutissement de trois années de travail en collaboration avec les opérateurs de terrain et quelques chercheurs dans le domaine de la jeunesse (DUBAR , MAUGER et BOUAMAMA ). Elle s'est conclue par un rapport (SI AMER , TOUZE, 1995) qui définit cinq profils types de trajectoires très différenciés et souligne l'absence de réponse publique auprès de toute une partie de la jeunesse. L'offre d'insertion si elle est unique est inadaptée et excluante. 3.2. Réintroduire le point de vue des jeunes. L'étude "Logique de formation et référentiel d'évaluation" (NOËL, VOLPONI , 1996) nous a permis de redonner la parole aux jeunes dans l'acte de formation : ils sont bien souvent les oubliés de l'évaluation. Cela nous a permis d'observer que, pour eux, la qualité de la formation repose avant tout sur la qualité relationnelle avec le formateur qui se traduit par de la rigueur, de l'écoute, un soutien, un accompagnement et un traitement égalitaire. Le second élément à souligner est la valeur presque mythique du stage en entreprise qui marque le passage dans la communauté des "gens normaux". Au niveau de la pédagogie à mettre en oeuvre auprès de ce même public : l'acte de formation doit permettre au jeune de se positionner au regard de trois processus :la conscientisation (démystifier le monde de l'entreprise, identifier les services sociaux environnants, apprendre à capitaliser l'expérience) ; l'appropriation, activation des acquis professionnels, activation des acquis sociaux....la mobilisation des ressources et la contractualisation avec de nombreux partenaires pour développer droits et devoirs d'une citoyenneté en construction, c'est-à dire de développer ses capacités dans le domaine de l'estime de soi, du positionnement social et de la préparation dans l'avenir. Là où l'objectif d'insertion professionnelle est omniprésent, les jeunes réclament à être reconnus comme des citoyens à part entière. 3.3. Evaluer les dispositifs publics en cherchant à mesurer le degré d'exclusion généré . En France l'offre actuelle d'insertion n'offre pas de place aux jeunes les plus en difficulté. La suppression du programme de Préparation Active à la QUalification et à l'Emploi crée un vide dans l'offre d'insertion. Toute une frange du public jeune en voie de précarisation (public sésentarisé) glisse peu à peu des dispositifs d'insertion vers les dispositifs d'hébergement d'urgence, d'accueil médicalisé. L'exclusion des dispositifs d'insertion génère d'autres exclusions en matière d'accès aux soins, à la protection sociale, au logement. Une offre d'insertion globale mériterait d'être développée. A cet égard une expérience conduite dans le département du Gard auprès de jeunes dits en Grande Difficulté mériterait l'attention des décideurs régionaux et nationaux (NOËL, 1994). Il s'agit de développer un approche globale et mobiliser un partenariat large. Le processus d'insertion se construit autour de l'économique, du social et de la citoyenneté. Cela signifie que toute action d'insertion doit produire une avancée vers ces trois objectifs, dont chacun détermine une logique d'intervention : l'acquisition d'un poste de travail conditionne la logique de placement ; la socialisation du jeune structure la logique d'accompagnement ; la formalisation d'un savoir acquis ordonne la logique de certification (N OËL, VOLPONI, 1996). Si la poursuite des trois logiques est l'idéal pédagogique de toute action, nous avons observé que le plus souvent ceuxInsertion des jeunes non scolarisés en difficulté 4 ci ne parviennent à articuler qu'une ou deux d'entre elles. De plus le travail entre les segments de l'intervention publique est souvent difficile et conflictuel en particulier entre le segment insertion sociale et professionnelle et le segment sanitaire (NOËL, 1996). Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 5 Bibliographie indicative * BOUAMAMA Saïd , "De la galère à la citoyenneté", colection épi-habiter, éditions Desclée de Brouwer, Lonrai, Mai 1993. * BOURDIEU Pierre, "La jeunesse n'est qu'un mot " in Questions de sociologie, Ed. de Minuit, Paris, 1980, pp. 143 à 145. * DUBAR Claude, "L'autre jeunesse : jeunes stagiaires sans diplôme" , Presses universitaires de Lille, 1987. * DUBET François, "La galère : jeunes en survie", Ed. Fayard, Paris, 1987. * DUPREZ Dominique,"Les politiques de jeunesse en France : crise des modes de régulation traditionnels et essoufflement des nouvelles réponses étatiques" in "Jeunesses et sociétés" (sous la direction de Gérard MAUGER, René BENDIT, Christian WOLFERSDORF), éditions Armand COLIN, Paris, 1994. * GALLAND Olivier, "Jeunesse et exclusion" in "Ville, exclusion et citoyenneté - Entretiens de la ville II" sous la direction de Joël ROMAN, Editions Esprit, Paris, Septembre 1993. * GATTEAU Gilles, "Une génération sacrifiée ? " in "Demain, un emploi", revue autrement, 1990. * GAUTIE Jérôme, "Le chômage des jeunes en France, un problème de formation ? " in Futuribles, avril 1994. * G ELOT Didier, "Les politiques d'aide à l'emploi des jeunes sont-elles efficaces ?" in actes des journées d'études "Jeunesse et insertion, trajectoires spécifiques des jeunes non scolarisés", O.P.i.i.L.R., Montpellier, 1996 (à paraître). * MARTIN Gérard, "Existe t-il en France une politique publique de la jeunesse?" in "Les 15-25 ans acteurs dans la cité" (sous la direction de Gilbert BERLIOZ et Alain RICHARD, IDEF, éditions Syros, Paris, 1995. * MAUGER Gérard, "Les définitions sociales de la jeunesse : discontinuités sociales et évolutions historiques" in "Les politiques d'intégration des jeunes issus de l'immigration" sous la direction de Bernard LORREYTE. CIEMI, L'Harmattan. * MUXEL Anne "Insertion sociale et Citoyenneté-une enquête longitudinale auprès des 18-25 ans", Fondation Nationale des Sciences Politiques, CEVIPOF, Septembre 1990. * N ICOLE-DRANCOURT Chantal et R OULLEAU-BERGER Laurence, "L'insertion des jeunes en France", P.U.F., collection que sais-je ?, Paris, avril 1995. * NOËL Olivier , "L'accès aux soins des jeunes en voie de précarisation" (Secrétariat d'Etat à l'Action Humanitaire d'Urgence à paraître) * NOËL Olivier "Emergence d'une catégorie à insérer : la jeunesse" in "Jeunesse et citoyenneté", N°1196 revue "Hommes et Migrations, pp. 6 à 10, Mars 1996. * NOËL Olivier : "Citoyenneté(s) entre parenthèses pour jeunesse(s) en mal d'insertion", Montpellier, 82p, Mémoire de DEA Université Montpellier III, Septembre 1995. * NOËL Olivier "Les jeunes d'origine étrangère et les difficultés d'accès à l'entreprise" in Revue Transversales infos-jeunes, pp.7 et 8, N°17, Juillet-août 1995. * NOËL Olivier "Monographie d'une expérience : les modules de remobilisation conduits en direction de jeunes en grande difficulté dans le département du Gard" O.P.i.i.L.R., 46P, Juin 1994 . * NOËL Olivier "Evaluation de l'image de la Mission Locale d'insertion du Gard-Rhodanien auprès des jeunes usagers-De la participation dans l'approche globale", O.P.i.i.L.R., 66P, Septembre 1993 * NOËL Olivier , VOLPONI Anne-Françoise "Logiques de formation et référentiels d'évaluation : des indicateurs d'efficience pour une approche globale des stagiaires de moins de 26 ans l'expérience du Languedoc-Roussillon", O.P.i.i.L.R., 66P, Janvier 1996. * PERRET Bruno, R OUSTANG Guy, "L'économie contre la société, affronter la crise de l'intégration sociale et culturelle", Le Seuil, Paris, 1993. * SCHWARTZ Bertrand, "L'insertion sociale et professionnelle des jeunes", La documentation française, Paris, 1981. Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 6 Annexe : Les politiques d'insertion et de formation 1. L'approche organisée autour de la "formation qualifiante" Dès 1968, les premiers balbutiements des dispositifs d'insertion des jeunes de faible niveau scolaire par l'intermédiaire de l'Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) ou des Foyers de Jeunes Travailleurs (FJT) sont mis en place au travers des actions de remise à niveau scolaire, de préformation-professionnelle et d'aide à la recherche d'emploi. Durant cette période la rescolarisation n'est pas autonomisée des autres approches et l'alternance entre périodes de scolarisation et activité professionnelle est expérimentée. Elle va devenir la règle en matière de pédagogie. Le dispositif interministériel (stages dits "Barre") mis en place de 1975 à 1977 propose également des formations pour les jeunes ne disposant pas de diplôme professionnel ou d'une qualification adaptée au marché du travail. Trois types de stages sont proposés : - stages de conversion, lorsque la qualification est inadaptée ; - stages de qualification, quand la formation générale de base est suffisante ; - stages de pré-formation professionnelle quand les connaissances de base sont insuffisantes. Dans les trois cas, la logique formation-emploi prédomine, les stages de formation devant constituer un préalable à l'insertion professionnelle. Durant la période des premiers Plans Nationaux pour l'Emploi (1977-1981) la logique de rescolarisation est quasiment abandonnée, la formation ne devant réapparaître que sur la base d'un emploi acquis. Le Plan Avenir Jeunes introduit une différenciation des jeunes chômeurs selon leurs possibilités ; ceux qui sont jugés aptes à suivre une formation relèvent de stages de qualification professionnelle organisés par d'autres acteurs que l'Education Nationale. A partir de 1982, suite au Rapport SCHWARTZ, l'approche globale est définie et devient le nouveau fil conducteur du dispositif. La fonction d'orientation est alors développée par la mise en place des Permanences-Accueil-Information-Orientation P.A.I.O. et des Missions Locales d'Insertion (M.L.I.) qui présentent une palette de mesures. En 1995 on compte près de 250 M.L.I. et 400 PAIO qui couvrent le territoire national et accueillent près de 1 million de jeunes. Pour la première fois des itinéraires de formation différenciés concrétisés par plusieurs formes de stages intitulés "orientation, insertion, qualification" inspirent l'organisation de la formation. Une série de mesures se fixe pour objectif la réintégration d'une fraction des jeunes dans le système scolaire au travers du Dispositif d'Insertion des Jeunes de l'Education Nationale (DIJEN). A d'autres il est proposé des cursus de formation individualisés sur les savoirs de base (lire, écrire, compter) au travers de la création d'Ateliers Pédagogiques Personnalisés (APP). L'approche de la formation qualifiante, à partir de 1988, est systématisée avec la mise en place du Crédit Formation Individualisé. Ce dispositif se fixe pour objectif de procurer aux jeunes une qualification professionnelle reconnue. On assiste donc à une individualisation de la réponse d'insertion, jusqu'alors les offres en matière d'insertion étaient fondées sur une quasiindifférenciation du public jeune si ce n'est la distinction faite entre insertion sociale et insertion professionnelle. Cette première logique a porté sur ce que Lucie Tanguy a appelé "l'introuvable relation emploiformation" par la mise en place de programmes de formation massifs. Malgré le slogan du "CFIdeuxième chance",de nombreuses études ont montré que ceux à qui ils étaient proposés avaient connu l'échec scolaire et par ce biais étaient replongés dans un milieu qui les avaient éliminés. On a d'ailleurs observé une sélectivité (décrite précédemment) de ces dispositifs qui s'adressaient aux plus formés parmi les moins formés. 2. La logique "d'insertion professionnelle". Apparue dans le milieu des années soixante-dix, elle a d'abord eu un fort contenu de critiques de l'efficacité de l'institution scolaire. Ce traitement social du chômage élabore de nouvelles formes de redistribution liant activité productive et insertion sociale à travers différentes mesures. Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 7 Les Plans Nationaux pour l'Emploi (1977-1981) affirment la primauté de l'insertion professionnelle des jeunes . Stages, contrats particuliers et mesures d'aides à l'embauche pour les entreprises sont organisés pour privilégier l'accès direct à l'emploi qui pourra ensuite déboucher sur une nouvelle recherche de formation. Le Plan Avenir Jeunes (1981-82) propose à certains des jeunes chômeurs une intégration sur le marché du travail au travers de stages de qualification professionnelle. Suite à "l'approche globale" de la Mission Schwartz, une partie des dispositifs accentue l'articulation de la formation autour de la priorité à l'emploi. En témoigne le développement de contrats de type particulier Travaux d'Utilité Collective (TUC) et Stages d'Insertion à la Vie Professionnelle (S.I.V.P.). Cette approche ne sera plus mise en cause, les pouvoirs publics réaffirmant sans cesse pour une fraction de la jeunesse défavorisée, la prééminence d'une première expérience de travail sur les autres dispositifs . Mais pour ce traitement social du chômage, au travers désormais des Contrats Emploi Solidarité (CES) ouverts aux moins de 25 ans, la nécessité de répondre au nombre et à la pression continuelle de l'urgence n'a pas permis de se soucier de la cohérence des itinéraires personnels des bénéficiaires et enferme les jeunes dans des situations temporaires. 3. La logique de "socialisation". Dès les premières expérimentations du dispositif Jeunes (1968-1974) la distinction entre insertion sociale et insertion professionnelle apparaît. La logique de socialisation concerne essentiellement des jeunes cumulant handicaps scolaires et sociaux ; sont alors mis en place à l'époque des stages de récupération sociale. Le terme employé parle de lui-même, il est révélateur de la représentation que se faisaient les initiateurs de ce programme des jeunes qui devaient le composer. Les Pactes Nationaux pour l'Emploi (PNE) ne comportaient aucune mesure spécifique pour les jeunes accumulant les difficultés scolaires, familiales et sociales. Par contre diverses expériences de socialisation furent menées auprès des jeunes ne pouvant bénéficier des P.N.E. (Projet Pilote C.E.E et actions dites E.S.T. mises en place par les ministères de l'Education, de la Santé et du Travail). Avec la Mission Schwartz certains des stages (pré-qualification et remobilisation) proposés aux jeunes défavorisés relèvent également de la socialisation. Durant les années 1988-92 la logique de socialisation est mise au second plan, la priorité étant donnée aux deux précédentes. Ce n'est qu'au travers du plan PAQUE, (Préparation Active à la Qualification et à l'Emploi) qu'une série de stages reprend cette approche. Nombreux cependant sont les acteurs de l'ensemble du dispositif de formation qui assurent aujourd'hui des tâches de socialisation dans le cadre de leur mission de qualification ou d'insertion professionnelle. 4. La prise en compte des besoins d'autonomisation. Entre 1975 et 1977, l'émergence du statut de stagiaire de la formation professionnelle ainsi que celui de titulaire d'un contrat de type particulier (premiers stages dits de qualification) aboutit pour la première fois à la prise en compte de la nécessité de procurer un revenu au jeune dans une perspective d'autonomisation. Dès lors la recherche d'un revenu autonome par le jeune sera constamment présente dans tous les dispositifs avant une amélioration progressive des statuts. De l'allocation du stagiaire T.U.C. au salaire du Contrat Emploi Solidarité ce n'est pas tant le montant des versements qui changent que le statut et les droits qui s'y attachent. Dernièrement la mise en place du FAJED (Fonds d'Aide aux Jeunes en difficulté) initialement prévu pour suvbvenir aux besoins annexes à la formation se transforme peu à peu comme un Revenu Minimum d'Insertion pour les jeunes. Le Revenu Minimum pour les jeunes est d'ailleurs une question qui traverse actuellement les préoccupations des responsables des politiques en direction des jeunes et a fait récemment l'objet d'une recommandation d'un rapport remis au commissariat général au plan par le sociologeconsultant, Louis DUBOUCHET. De même après la phase des premières mesures où l'attention aux profils des jeunes était rendue possible par le faible nombre de jeunes suivis, les mesures de 1977 à 1982 concernant un public Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 8 jeune de plus en plus large a conduit à une forte indifférenciation des dispositifs. Dès lors la question de la motivation personnelle, l'articulation entre projet personnel et cursus de qualification-professionnalisation a même été relativisée, voire sacrifiée. C'est la mission Schwartz qui réabordera cette approche en redonnant de l'importance à l'orientation et aux choix à opérer entre itinéraires différenciés. L'ensemble des dispositifs s'adressant aux jeunes de premiers niveaux de qualification ont évacué un des paramètres intervenant dans le processus de socialisation de la jeunesse : le rapport à la famille d'origine. Vraisemblablement ce phénomène provient-il du fait qu'il n'existe pas de dispositif d'intervention prenant en compte la diversité familiale mais aussi l'aspect développement de la citoyenneté. L'ensemble des dispositifs ont plus ou moins articulé les quatre types de logiques. Cependant on peut avancer l'idée que si la recherche du revenu nécessaire à l'autonomie financière à été prise en compte rapidement, la trajectoire d'individualisation n'a été réintroduite que dans les dernières années. Autrement dit les divers dispositifs sont passés de réponses indifférenciées s'adressant à l'ensemble des jeunes de premiers niveaux de qualification à des réponses individualisées au cursus de chaque jeune. Et surtout, la priorité à l'insertion a omis, à mon sens, la prise en compte de l'acteur jeune comme acteur à part entière au sein même de ces dispositifs publics. La jeunesse n'est perçue que comme une catégorie à insérer. Olivier NOËL Mai 1996 Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 9