L`insertion des jeunes non scolarisés : le cas de la France

Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 1
"L'insertion des jeunes non scolarisés :
le cas de la France"
Le thème choisi est "l'insertion des jeunes non scolarisés en difficulté", il correspond à la mission
que je conduis au sein de l'Observatoire de la Précarité, de l'insertion et de l'intégration depuis
1992. Il a fait l'objet de journées d'études nationales en janvier 1996 étaient réunis la plupart des
experts français sur ce sujet. Ma contribution s'inscrit sous le volet "précarité des jeunes", je
développe ici tout particulièrement l'analyse de la réponse étatique.
1. Définition de l'objet
1.1. Les jeunes non scolarisés dits en difficulté
L'intitulé "Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté" mérite quelques éclaircissements. En
France, depuis une vingtaine d'années avec le déclin de l'emploi stable, le développement de la
précarité et la persistance du chômage, les zones de désaffiliation sociale (CASTEL, 1995) n'ont
cessé de s'agrandir. Dans ce contexte, les conditions et les modes d'accès des jeunes au marché du
travail se sont considérablement transformés et complexifiés.
En France, la jeunesse ou plutôt les jeunesses (car toutes ne disposent pas des mêmes atouts pour
traverser les zones de désaffiliation) jouent un rôle de révélateur d'une crise plus large qui traverse
la société et la jeunesse dite en difficulté révèle de façon criante les effets de l'allongement de la
jeunesse. Elles sont un bon analyseur des transformations en cours du système d'emploi (ROSE,
1995).
O. GALLAND ou G. MAUGER ont montré que la jeunesse s'est constituée comme un nouvel âge de
la vie et que les transitions de l'école à l'emploi et de la famille d'origine à la création d'un nouveau
foyer se sont considérablement allongées depuis une trentaine d'années. C'est à partir de ce cadre
d'analyse que j'observe une partie de la jeunesse, non scolarisée et dite en difficulté (entre 16 ans,
âge obligatoire de scolarité, et 25 ans entrée possible dans un autre dispositif et un autre statut: le
Revenu Minimum d'Insertion). Quelques chiffres significatifs de l'évolution de la situation des
jeunes en France :
scolarisés
emploi
non aidé
stagiaires et
emploi aidé
chômeurs
inactifs
service
national
solde
total
1983
29,9 %
(2 565)
41,3%
(3 547)
4,3%
(458)
9,8%
(843)
6,8%
(585)
2,9%
(249)
3,9%
(336)
8583 000
1994
45,7%
(3780)
26,6%
(2199)
8,9%
(735)
10,2%
(847)
5,1%
(421)
2,8%
(232)
0,7
(56)
8270 000
La première ligne donne les pourcentages et la seconde ligne donne les effectifs âge au 1er javier.
Source : Institut National des Statistiques et Etudes Economiques (INSEE).
Cette tendance continue aujourd'hui : les jeunes reculent toujours plus l'échéance de l'entrée dans la
vie active, dans la vie adulte et essaient de développer le plus d'atouts pour faciliter ce que l'on
appelle l'insertion. Donc la jeunesse se développe comme un nouveau temps de la vie, celui d'une
transition, d'une attente, d'une indétermination mais aussi celui de la "galère" (Dubet, 1987) pour
l'autre "jeunesse" (DUBAR, 1987). Ces jeunes sont ceux qui, chaque année, sortent du système
scolaire sans diplôme (entre 80 000 et 100 000), les politiques s'avèrent impuissantes à enrayer ce
processus d'échec scolaire comme si un seuil avait été atteint.
1.2. Jeunesse, insertion(s) et intégration sociale.
Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 2
L'insertion de la jeunesse telle que je la définis ne correspond pas seulement à l'insertion
professionnelle : elle se manifeste au travers d'un processus diversifié d'inscription dans la société
qui s'organise autour :
- de l'économique (accès à un emploi, à des revenus...) ;
- du social (accès à un bien être social concrétisé dans le logement, la santé, la protection
sociale...) ;
- de la citoyenneté (accès à une reconnaissance dans la société).
Ce n'est que lorsque ces trois conditions sont remplies que l'on peut parler d'une véritable
intégration sociale. Il semble d'ailleurs qu'il y ait une forme d'interaction entre ces trois formes
d'inscription de l'individu dans la société. J'opte donc ici pour le concept d'insertion globale
développé dès le début des années 80 par Bertrand SCHWARTZ mais qui n'a connu que peu d'écho
en terme de concrétisation au niveau d'une politique publique. Le concept d'insertion est donc
indissociable d'un dispositif technique mis en oeuvre. L'insertion des jeunes de faible niveau de
formation dépend aussi de l'offre d'insertion.
2. Une offre publique d'insertion massive pour accompagner les transitions de "l'autre
jeunesse".
Dans les vingt dernières années, on a assisté à un basculement d'une réponse publique cherchant
une adéquation entre formation-emploi à une réponse publique accompagnant les alternances entre
stages-petits boulots-chômage en particulier pour les jeunes les moins qualifiés, exclus précocement
du système scolaire.
2.1. Offre d'insertion et stratégies d'insertion.
Face à deux positions qui s'opposent depuis plusieurs années :
- celle que l'on peut caractériser de structuraliste consisterait à dire comme J. ROSE que "le
rejet du travail par les jeunes n'est que le rejet des jeunes par le monde du travail" ;
- celle beaucoup plus individualiste (théorie économique classique) qui consisterait à dire
qu'il y a une inadaptation des jeunes au marché du travail et que l'insertion est régulée par les
mécanismes du marché du travail.
J'opte quant à moi pour un cadre d'analyse médian cherchant à articuler ce qui relève des stratégies
possibles de l'individu et ce qui relève de l'offre d'insertion. La difficulté se mesure donc à partir de
l'offre d'insertion et des stratégies (atouts et potentialités mobilisables) de chaque jeune.
L'offre d'insertion dépend bien entendu des contextes régionaux, c'est à dire :
- des ressources économiques fournies par le marché du travail local
- des caractéristiques des systèmes localisés d'insertion c'est-à-dire les ressources
relationnelles fournies par les réseaux localisés d'acteurs.
Par exemple, il est intéressant d'avoir quelques éléments comparatifs de l'insertion des jeunes de
"bas niveaux scolaires" en Alsace et en Languedoc-Roussillon à partir d'une étude conduite par le
CEREQ (Centre d'Études et de Recherches et des Qualifications) et qui est actuellement dirigé par
Claude DUBAR. La région Languedoc-Roussillon (qui est le territoire de mes observations) présente
des spécificités qui en font un site d'observation pilote en matière d'insertion des jeunes.
ALSACE
LANGUEDOC-ROUSSILLON
Dynamisme économique
élevé
Niveau de chômage
inférieur de 4 points à la
moyenne nationale
supérieur de 4 points à la moyenne
nationale
Progression du chômage
une des plus faibles
la plus forte
Évolution de l'emploi
une des plus positives
la plus positive
Caractéristiques régionales
croissance du travail frontalier
pression démographique avec
immigration d'actifs
Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 3
Articulation formation-emploi
forte avec une forte tradition
d'alternance et d'apprentissage
croissance qui a peu profité aux
plus défavorisés
Insertion plus rapide et plus
durable
Insertion médiocre et lente
Les stratégies d'insertion des jeunes ont été jusqu'alors principalement étudiées dans le cadre de leur
rapport au dispositif d'insertion des jeunes alors qu'ils développent des "logiques d'insertion
différenciées" (SI AMER, TOUZE, 1995) ou des "stratégies intersticielles" en marge des dispositifs
(ROULLEAU BERGER, 1995).
2.2. Les politiques publiques d'insertion des jeunes.
Le dispositif d'insertion des jeunes correspond à l'ensemble des programmes mis en place par les
pouvoirs publics, que ce soit en terme de formation ou d'aide à l'emploi dans le secteur marchand
ou non marchand (y compris l'apprentissage), destinés aux moins de 26 ans et intervenant entre la
sortie de la scolarité initiale et l'entrée dans l'emploi sous contrat de travail de droit commun.
* Une politique massive
Chaque année, c'est l'équivalent d'une classe d'âge (soit environ 800 000 jeunes) qui est aidée
financièrement par l'Etat afin d'obtenir une formation ou un emploi. C'est en 1987 que le nombre de
bénéficiaires sera le plus important soit près de 1 Million. (cf annexe 1 : evolution des mesures pour
l'emploi et la formation des jeunes).
* Une politique "sélective"
Séléctif car la priorité répétée aux jeunes les plus en difficulté a déplacé une volonté politique de
faciliter l'accès à l'emploi de tous les jeunes vers une politique qui viserait strictement une lutte
contre l'exclusion d'une partie de la jeunesse.
Sélectif aussi car cette politique de lutte contre l'exclusion des jeunes les plus en difficulté, a profité
essentiellement aux moins défavorisés. La dérive est souvent constatée de la sélection du public qui
n'est pas visé au départ. C'est ainsi que le dispositif 16-25 ans est passé de l'accueil des sans-
diplômes à la gestion de la transition professionnelle pour les niveaux intermédiaires (V et IV). De
même, on a pu observer l'élévation des exigences pour les mesures TUC ou SIVP, c'est-à-dire
toutes les formes de travail précaire rémunérées par l'Etat, on est passé des exclus du système
scolaire à une proportion croissante de jeunes ayant le niveau du baccalauréat (DUPREZ, 1993).
Toutes ces dérives des dispositifs en direction des jeunes exacerbent et intensifient entre 25 et 30
ans le dualisme entre jeunes "casés" et jeunes "exclus". L'âge de trente ans est l'âge de stabilisation
de la plus grande partie des jeunes.
* Une politique aux logiques complémentaires
Les politiques qui naissent au début des années 1970 identifient une partie de la jeunesse puis plus
tard la jeunesse dans sa globalité comme une catégorie à insérer dans le marché du travail. La
représentation en terme de crises de socialisation dont résultent soit la déviance, soit la contestation,
s'estompe au profit du thème de la "génération sacrifiée" d'après le titre de l'article de Gilles
GATEAU. Après l'action culturelle et éducative, c'est dorénavant l'action formatrice qui constitue
l'axe central des politiques sociales en direction de la jeunesse et s'articule autour de trois logiques
qui selon l'expression de Claude DUBAR feront le "balancier".
La jeunesse en difficulté d'insertion sociale et professionnelle a fait l'objet d'une multitude
d'interventions des pouvoirs publics dans les vingt-cinq dernières années. Au cours de l'histoire de
ces dispositifs administratifs plusieurs types d'approches se sont succédés. Claude DUBAR les
perçoit autour de trois logiques : la logique "formation qualifiante", la logique "d'insertion
professionnelle", la logique de "socialisation " (DUBAR, 1987). A ces trois logiques repérées par
Claude DUBAR, j'ajouterai aussi la prise en compte des besoins d'autonomisation, notamment
financiers, nécessaire pour effectuer ce que l'on a nommé précédemment comme la transition
familiale. A partir de ces quatre axes on peut relire l'ensemble des mesures qui se sont succédées
depuis plus d'une vingtaine d'années. (Cf. Annexe 2 : les politiques d'insertion et de formation).
Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 4
3. Pistes de réflexion.
Les réflexions qui suivent sont le résultat de quatre années d'observation, d'études et d'enquêtes à la
fois auprès de responsables des politiques publiques, des professionnels concernés et des jeunes.
3.1. Observer plus finement les trajectoires biographiques et les logiques d'insertion des
jeunes.
Les dispositifs publics en direction des jeunes ont été dans un premier temps indifférenciés puis
individualisés, or le pari de l'individualisation ne peut plus être tenu en raison de l'effet de masse du
public accueilli dans les structures d'accueil. Je pense donc qu'il faille améliorer la connaissance des
trajectoires, des besoins, et des potentialités des jeunes afin de saisir leurs propres stratégies et dans
l'optique d'ajuster les politiques publiques qui s'y adressent. Une approche par profils types de
trajectoires offre une approche médiane entre l'approche indifférenciée et l'approche individualisée.
L'étude "Trajectoire de vie et logique d'insertion" est l'aboutissement de trois années de travail en
collaboration avec les opérateurs de terrain et quelques chercheurs dans le domaine de la jeunesse
(DUBAR, MAUGER et BOUAMAMA). Elle s'est conclue par un rapport (SI AMER, TOUZE, 1995) qui
définit cinq profils types de trajectoires très différenciés et souligne l'absence de réponse publique
auprès de toute une partie de la jeunesse. L'offre d'insertion si elle est unique est inadaptée et
excluante.
3.2. Réintroduire le point de vue des jeunes.
L'étude "Logique de formation et référentiel d'évaluation" (NOËL, VOLPONI, 1996) nous a permis
de redonner la parole aux jeunes dans l'acte de formation : ils sont bien souvent les oubliés de
l'évaluation. Cela nous a permis d'observer que, pour eux, la qualité de la formation repose avant
tout sur la qualité relationnelle avec le formateur qui se traduit par de la rigueur, de l'écoute, un
soutien, un accompagnement et un traitement égalitaire. Le second élément à souligner est la valeur
presque mythique du stage en entreprise qui marque le passage dans la communauté des "gens
normaux". Au niveau de la pédagogie à mettre en oeuvre auprès de ce même public : l'acte de
formation doit permettre au jeune de se positionner au regard de trois processus :la
conscientisation (démystifier le monde de l'entreprise, identifier les services sociaux environnants,
apprendre à capitaliser l'expérience) ; l'appropriation, activation des acquis professionnels,
activation des acquis sociaux....la mobilisation des ressources et la contractualisation avec de
nombreux partenaires pour développer droits et devoirs d'une citoyenneté en construction, c'est-à -
dire de développer ses capacités dans le domaine de l'estime de soi, du positionnement social et de
la préparation dans l'avenir. l'objectif d'insertion professionnelle est omniprésent, les
jeunes réclament à être reconnus comme des citoyens à part entière.
3.3. Evaluer les dispositifs publics en cherchant à mesurer le degré d'exclusion généré .
En France l'offre actuelle d'insertion n'offre pas de place aux jeunes les plus en difficulté. La
suppression du programme de Préparation Active à la QUalification et à l'Emploi crée un vide dans
l'offre d'insertion. Toute une frange du public jeune en voie de précarisation (public sésentarisé)
glisse peu à peu des dispositifs d'insertion vers les dispositifs d'hébergement d'urgence, d'accueil
médicalisé. L'exclusion des dispositifs d'insertion génère d'autres exclusions en matière d'accès aux
soins, à la protection sociale, au logement. Une offre d'insertion globale mériterait d'être
développée. A cet égard une expérience conduite dans le département du Gard auprès de jeunes dits
en Grande Difficulté mériterait l'attention des décideurs régionaux et nationaux (NOËL, 1994).
Il s'agit de développer un approche globale et mobiliser un partenariat large.
Le processus d'insertion se construit autour de l'économique, du social et de la citoyenneté. Cela
signifie que toute action d'insertion doit produire une avancée vers ces trois objectifs, dont chacun
détermine une logique d'intervention : l'acquisition d'un poste de travail conditionne la logique de
placement ; la socialisation du jeune structure la logique d'accompagnement ; la formalisation
d'un savoir acquis ordonne la logique de certification (NOËL, VOLPONI, 1996). Si la poursuite des
trois logiques est l'idéal pédagogique de toute action, nous avons observé que le plus souvent ceux-
Insertion des jeunes non scolarisés en difficulté 5
ci ne parviennent à articuler qu'une ou deux d'entre elles. De plus le travail entre les segments de
l'intervention publique est souvent difficile et conflictuel en particulier entre le segment insertion
sociale et professionnelle et le segment sanitaire (NOËL, 1996).
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