La catégorie de l`aspect : cerise sur le gâteau ou plat de résistance

Lidil
Revue de linguistique et de didactique des langues
47 | 2013
Le verbe pour exprimer le temps
La catégorie de l’aspect : cerise sur le gâteau ou
plat de résistance ? De l’intét de lui faire une
place en classe
The category of aspect: side dish or main course? Making room for it in the
classroom
line Corteel et cile Avezard-Roger
Édition électronique
URL : http://lidil.revues.org/3269
ISSN : 1960-6052
Éditeur
Ellug / Éditions littéraires et linguistiques
de l’université de Grenoble
Édition imprimée
Date de publication : 31 mai 2013
Pagination : 123-146
ISBN : 978-2-84310-247-9
ISSN : 1146-6480
Référence électronique
Céline Corteel et Cécile Avezard-Roger, « La catégorie de l’aspect : cerise sur le gâteau ou plat de
résistance ? De l’intérêt de lui faire une place en classe », Lidil [En ligne], 47 | 2013, mis en ligne le 01
décembre 2014, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://lidil.revues.org/3269
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© Lidil
La catégorie de l’aspect :
cerise sur le gâteau ou plat de résistance ?
De l’intérêt de lui faire une place en classe
Céline Corteel et Cécile Avezard-Roger *
Résumé
L’objectif de cette contribution est de montrer que la notion d’aspect
grammatical mérite une entrée à part entière dans l’étude des phéno-
mènes linguistiques abordés en classe. L’aspect chapeaute en effet des
faits de langue différents, traités séparément dans la littérature scolaire,
mais qui ressortissent tous de la façon d’envisager le procès.
À partir d’un questionnaire soumis à des élèves de cycle 3 / début de
collège, nous avons cherché à savoir si l’aspect est une catégorie
grammaticale intuitivement perçue par les locuteurs. Nous montrons
ici comment les réponses des élèves ouvrent la voie à une approche
renouvelée de certains faits de langue, en particulier l’opposition temps
simples / temps composés, les périphrases verbales et les circonstants
temporels.
AbstrAct
The goal of this article is to demonstrate that the concept of gram-
matical aspect deserves a place of its own in the study of linguistic
phenomena in the classroom. More specically, the concept of aspect
has scope over different areas of grammar. Such areas are usually
addressed separately in school textbooks, even though they all inter-
connect through aspect.
Based on a questionnaire submitted to students (around 12 years old),
we have tried to determine whether aspect as a grammatical category
is intuitively perceived by the speakers. In this paper, we show how
the pupils’ answers to the questionnaire argue in favor of a renewed
approach to certain areas of grammar, in particular that of the contrast
between “simple tenses” and “compound tenses”, verbal periphrases
and time adverbials.
* Université d’Artois, IUFM Nord Pas-de-Calais, EA 4521 GRAMMATICA.
céline corteel et cécile avezarD-roger124
Le constat de la faible place accordée à la catégorie de l’aspect en di-
dactique constitue le point de départ de notre réexion. De fait, l’aspect
grammatical est bel et bien le « parent pauvre » des manuels scolaires :
il en est souvent absent, et lorsqu’il est mentionné, c’est davantage
comme une remarque « noyée » dans une leçon sur la valeur des temps.
L’objectif de cette contribution est donc de montrer que la notion
d’aspect grammatical, dénie notamment par Gosselin (2005, p. 35)
comme « la façon dont [le procès] est « montré / perçu », mérite une
entrée à part entière dans le sommaire des points de langue abordés en
classe. L’aspect chapeaute en effet toute une série de faits de langue,
traités séparément dans la littérature scolaire, et qui pourtant, ressortis-
sent tous de la façon d’envisager le procès.
L’intérêt est alors double : (i) proposer une entrée qui fasse sens
dans la mesure l’aspect correspond comme nous le verrons à une
façon intuitive d’appréhender les procès ; (ii) redonner de la visibilité
à des faits appréhendés isolément alors qu’ils participent d’un même
phénomène général.
Nous avons choisi de partir des représentations des élèves, an de
voir si l’aspect est une catégorie grammaticale qu’ils perçoivent intuiti-
vement, compte non tenu de leur niveau de connaissances sur la langue.
Pour ce faire, nous avons élaboré un questionnaire, soumis à 168 élèves
de n de cycle 3 / début de collège.
Après un bref rappel théorique sur la notion d’aspect et quelques
considérations méthodologiques, nous montrerons comment les réponses
des élèves ouvrent la voie à une approche renouvelée de certains faits
de langue, en particulier l’opposition temps simples / temps composés,
les périphrases verbales et les circonstants temporels.
1. Objet d’étude et méthodologie
1.1. La catégorie grammaticale de l’aspect
Avant d’en venir à des considérations didactiques, on rappellera briève-
ment quelques caractéristiques générales de la catégorie de l’aspect.
D’abord utilisée au xixe siècle par des linguistes allemands pour
l’étude des langues slaves 1, la notion d’aspect a également été utilisée
pour rendre compte des données des langues romanes. En français, la
notion trouvera une véritable place au cœur des préoccupations linguis-
1. Cf. notamment Riegel, Pellat & Rioul (2009, p. 518-519).
la catégorie De laSpect 125
tiques avec les travaux de Guillaume, pour qui « l’aspect est une forme
qui, dans le système même du verbe, dénote une opposition transcen-
dant toutes les autres oppositions du système, et est capable ainsi de
s’intégrer à chacun des termes entre lesquels se marquent les dites oppo-
sitions » (1929, p. 109).
Dans l’étude du verbe, l’aspect s’avère une notion clé pour rendre
compte du procès exprimé, en l’envisageant « sous l’angle de son dérou-
lement interne » (Imbs, 1960). En effet, comme le rappelle Le Querler
(1996, p. 14),
l’aspect est « le temps intérieur au procès », selon la dénition de
Gustave Guillaume, qui dénit par opposition la temporalité comme
« le temps extérieur au procès ». Le temps désigne l’époque où le procès
(l’action ou l’état) a lieu, l’aspect désigne les caractéristiques du dérou-
lement du procès.
Sans entrer dans le détail des différentes théories de l’aspect, il
convient également de mentionner ici la distinction traditionnellement
opérée entre aspect lexical et aspect grammatical et de préciser quel
sera notre objet d’étude dans le présent article.
L’aspect lexical, encore appelé Aktionsart (Hinrichs, 1985), aspect
inhérent (Comrie, 1976) ou encore télicité (Verkuyl, 1993 ; Krifka, 1998),
renvoie « au sens lexical du verbe, ayant trait à la présence ou à l’ab-
sence des bornes intrinsèques du procès dénoté par le prédicat verbal »
(Stanojević & Ašić, 2010, p. 108). L’aspect lexical est donc lié au sens
du verbe, avec lequel l’environnement cotextuel peut parfois interagir 2.
Dans cette catégorie, on pourra par exemple distinguer l’aspect per-
fectif qui implique un procès borné (arriver, trouver, mourir…) de l’as-
pect imperfectif qui caractérise un procès ne comportant pas de borne
intrinsèque (aimer, nager, travailler…). D’autres types d’oppositions
peuvent également être envisagées : on parlera par exemple d’aspect
itératif pour un procès impliquant une répétition (sautiller, radoter…)
et d’aspect semelfactif dans le cas d’un procès unique. Ajoutons que
l’interprétation itérative ou semelfactive est souvent à mettre au compte
de la présence d’un circonstant (Il va souvent en ville / La voiture dé-
marra brusquement et disparut dans la nuit).
2. Outre le sens lexical du verbe, le co(n)texte intervient pour apporter des
indications de type aspectuel. C’est notamment le cas des circonstants (Il
pleut souvent, Il a couru toute la journée, Il a déjà visité l’Égypte plusieurs
fois…).
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L’aspect grammatical, d’autre part, dépend largement du temps au-
quel le verbe est conjugué : « L’aspect grammatical dénit le mode
de présentation du procès tel qu’il est indiqué essentiellement par les
marques grammaticales (temps morphologiques, semi-auxiliaires, ad-
verbes d’aspect…). » (Gosselin, 1996, p. 10) Ainsi, « on parle d’as-
pect grammatical quand l’information aspectuelle est encodée par des
morphèmes grammaticaux » (Stanojević & Ašić, 2010, p. 108). Van
Raemdonck et Meinertzhagen (2011, p. 300), qui dénissent l’aspect
comme « une catégorie grammaticale indiqu[ant] la vision que l’énon-
ciateur a du déroulement du procès décrit », considèrent par ailleurs
que cette notion fait « partie intégrante de la carte d’identité des tiroirs
verbaux » (Van Raemdonck & Meinertzhagen, à paraitre).
Allant dans ce sens, Vet (2010, p. 20) pose que « l’aspect [de phase]
est une forme grammaticale (grammaticalisée) qui indique de quelle
phase du procès le locuteur parle ». Tout procès se compose ainsi de
plusieurs phases successives, que Vet schématise de la façon suivante :
1) phase préparatoire, 2) début du procès, 3) phase médiane, 4) n du
procès et 5) phase résultative (exprimée par la séquence avoir / être +
participe passé).
Cette analyse rejoint celle de Gosselin (2010, p. 27), pour qui « tout
procès possède virtuellement cinq phases, deux phases externes et trois
phases internes » : les phases externes (1 et 5) sont nommées respecti-
vement « phase préparatoire » et « phase résultante », les phases internes
(2, 3 et 4) sont les phases « initiale, médiane et nale ».
Dans ce qui suit, nous verrons que différents faits de langue gagne-
raient à être étudiés en classe sous l’angle de l’aspect grammatical,
en ce qu’ils permettent de situer le procès, en l’envisageant selon son
déroulement.
Nous nous intéresserons ici particulièrement aux phénomènes sui-
vants :
— L’étude des temps composés : les données dont nous rendons
compte suggèrent que la majorité des élèves a l’intuition que les temps
composés, construits à partir des auxiliaires avoir ou être et du par-
ticipe passé du verbe, situent le procès à la phase 5 de son déroule-
ment, présentée par Vet comme la phase « résultative ». La distinction
entre temps simples et temps composés gagnerait alors à être abordée
au regard de l’opposition entre aspect inaccompli et aspect accompli.
Selon le contexte, ces temps composés pourront revêtir une valeur tem-
porelle (d’antériorité) et/ou aspectuelle (d’accompli), nous y revien-
drons (cf. 2.1.2).
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