RELATIVITÉ ET HÉGÉMONIE D`UN POSSIBLE Donissongui SORO

Perspectives
P
hilosophiques
n
°001,
premier
sem
estre 2011
Donissongui SORO
LE DÉSORDRE PAR L’ONTOLOGIE
: RELATIVITÉ ET
HÉGÉMONIE D’UN POSSIBLE
Donissongui SORO
Maître
-
Assistant
Université de Bouaké
-
Côte d’Ivoire
Résumé
:
Les panégyristes de l’ordre ont souvent perçu le déso
rdre à
travers le prisme
des dogmes simplificateurs qui
le réduisent à une
violation de l’ordre. Synonyme de ruine, d’anarchie et de crise morale, il
serait négation des mœurs, de la paix, de la stabilité politique et de la
croissance économique. Mais à ce réductionnisme, le présent article tente
d’opposer une
esthétique de ce concept galvaudé. Car l’ontologie du
désordre le manifeste comme un type de relation que la conscience
entretient avec son objet, comme un autre ordre qui s’impose à notre
esprit, et dont celui
-
ci n’a que faire. Car, aussi, elle le manife
ste comme un
moment déterminant du progrès et comme le référent d’une téléologie
universelle.
Mots clés
:
sordre
,
e
sprit
,
morale, n
ature
,
o
rdre
,
p
rogrès
,
s
cience
,
s
ociété
Abstract
:
The panegyrists of the order often perceived the disorder
th
rough the
pr
ism of the simplifying dogmas which reduce it to a violation
of the order. Synonym of ruin, anarchy and moral crisis, it would be
negation of manners, peace, political stability and the economic growth.
But
against
this reduction, this arti
cle tries to opp
ose an esthetic
of this
deteriorated
concept. Because the ontology of the disorder
manifests it
as
a type of relation which the conscience maintains with its object, as
another order which is essential on our spirit and this one has to only
make. Because
i
t
also
expresses it like one moment determining of
progress and
as
the referent of a universal teleology.
Key words:
Disorder
,
m
ind
,
m
orals
,
n
atur
e
,
o
rder
,
rogress
,
s
cience
,
s
ociet
y
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Donissongui SORO
Introduction
On considère le désordre comme pure négation de l’ordre et
de
l’être. Le pédagogue le soupçonne d’être un obstacle à la formation du
citoyen de demain. Le politique le tient pour une puissance de
déstabilisation qu’il urge de dompter. L'économiste voit en lui l'ennemi du
développement, de la croissance et de la pr
oductivité. Le moraliste le
réduit à une atteinte aux bonnes mœurs. Le matérialisme réductionniste
le pose comme une désagrégation de l’être
à laquelle eut s'opposer la
rigidité du tangible
.
Au
total, il
coïncide avec le mal, se réalise en lui et le
réa
lise sous la symbolique de l’euphémisme.
Aussi Machiavel, dans
Le
Prince
, préconise
-
t
-
il qu’il ne soit jamais toléré
1
.
Mais le désordre est
-
il synonyme de d
écadence, de chaos, et de
perdition
?
Si on se soustrait un instant de
l’influe
nce
des intérêts pou
r en
faire une ‘’endoscopie’’, ne le verra
-
t
-
on pas comme une dimension
nécessaire de l’être par rapport à laquelle notre esprit préfère le contraire
?
Mieux, n’est
-
il pas l’hypostase d’un esprit désabusé cherchant à perpétuer
son rêve ? Si nos esprits, ab
usés par des
a priori
de tous genres, l’ont
souvent réduit à ce qui ruine et rebute,
ne faut
-
il pas, enfin, s’émanciper
des catéchismes idéologiques et des dogmes simplificateurs, pour
rechercher, avec Jean
-
Pierre Dupuy, une pensée neuve, un nouveau
paradi
gme
2
?
Et si son ontologie n'était, au fond, qu’une phénoménologie
de l'esprit humain
!
Baudelaire avait écrit
Les fleurs du mal.
Nous voulons penser l’ordre
du désordre. Nous voulons
repenser le désordre et, peut
-
être, le panser
.
1
MACHIAVEL,
Nicolas
,
Le Prince
,
Paris,
Éditions Fernand Nathan, 1982,
p
p
. 105
-
107.
2
DUPUY,
Jean
-
Pierre
,
Ordres et désordres : enquête sur un nouveau paradigme
, Paris,
Seuil, 1990.
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Ce poète avait suscité
et essuyé le courroux de son siècle
3
. Nous
espérons donner au nôtre une image réaliste de cette autre dimension de
l’existence qui nous est renvoyée par le prisme de la négativité comme
altérité austère. L’ontologie du désordre comme phénoménologie de
l’es
prit, la dialectique qui le lie au progrès, autant que son optique
eschatologique, font droit à cette orientation du penser. Et il importe de
suspecter la fascination du préférable au profit de la réalité, fût
-
elle
troublante.
I. L’ontologie du désordre c
omme phénoménologie de l’esprit
Au sujet pleinement conscient de Descartes, la psychanalyse
freudienne a substitué l’homme de l’inconscient. Mais ce qui, de
ce
dépassement, reste
inébranlable, c’est la définition de l’homme par la
pensée. Loin des formes
pathologiques qui le nient, l’homme pense et se
pense. Il pense ses actions, son être et ses pensées. Ainsi, le désordre,
lorsqu’il est celui de l’homme moral, ne serait que l’exutoire d’un désordre
intérieur qu’on peut percevoir, avec Platon, sous les tra
its d’une
subversion dans l’âme.
1. La subversion dans l’âme
Sauver le concept. C’est là le pas inaugural de toute réflexion
sérieuse sur le désordre. En effet, la critique nominaliste a fait du concept
une abstraction sans correspondant réel. Car
,
idé
e générale et abstraite, il
ignore les spécificités individuelles et reste en
-
deçà
de l’ici et
maintenant,
condition
de toute perception. Comme le Beau en soi de Platon,
qui
n’apparaît «
ni comme une force corporelle, ni comme un raisonnement, ni
comme une
science, ni comme une chose qui existe en autrui
»
4
, mais qui,
3
Charles
Baudelaire
est
un poète français né en
1821 et mort e
n 1867. En 1857, il publie
aux éditions
Poulet
-
Malassis de Paris,
Les
Fleurs
du
mal
.
Les thèmes abordés par cet
ouvrage sont jugés
scandaleux. Il
est alors
censuré
et retiré de la vente. Le poète et son
éditeur
sont condamnés pour outrage à la
morale
(
Micr
osoft ® Encarta ® 2007. © 1993
-
2006 Microsoft Corporation
).
4
PLATON
,
Le Banquet
,
210b
-
211b,
in
Le Banquet
,
Phèdre
, Paris, GF, 1964
, trad. Émile
Chambry
.
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au contraire, existe en lui
-
même et par lui
-
même, simple
,
parfait,
universel et éternel, et
qui rend belles toutes les belles choses
5
, il n’a
ni
corps ni couleur, ni forme ni ombre.
Ainsi, ce
qui est et
dont l'homme fait
l'expérience, ce n'est pas le
désordre en général, c'est tel ou tel désordre qu
’il a
devant lui et par
rapport auquel il a à se déterminer.
C’est le désordre de cette salle de
conférences, de la chambre des enfants, du marché,
du bureau de l’état
civil qui ne peut retrouver tel ou tel registre. C’est le désordre cosmique,
moral, social, politique, économique, culturel, etc.
Mais
,
loin d’être un credo, un tel point de vue est une invitation à
penser. Il signifie que le vrai n’es
t pas spontanément, et qu’il faut, au
penser, un dépassement de soi et du donné. Certes, le désordre est un
concept, le résidu d’un processus d’abstraction
mû par la quête de
l'universel
. Sans doute, il est un singulier
-
pluriel,
une marque de
l'universel,
procédant du divers et le subsumant. Sans doute aussi,
lorsqu'au divers se substitue l’unicité, l'esprit humain ne se réfère pas
moins, pour autant, à telle ou telle individualité spécifique qui le guide et
crée le sentiment du général. Mais, il est, en ta
nt qu’il est, le désordre.
Dans
La République
, Platon, cherchant à identifier la justice
dans
l’individu
, en laisse une définition remarquable.
L’enquête de
La
République
a, en effet, pour objet de cerner la justice dans l’individu. Mais
on ne sait y parv
enir directement, et l’enquêteur passe du particulier à
l’ensemble, du microcosme au macrocosme. Il cherche à la déceler dans
un cadre plus grand, où elle sera plus «
grande et plus facile à étudier
6
»,
c’est
-
à
-
dire, dans la cité. Quand elle sera ainsi sai
sie dans la cité, on
pourra la déchiffrer dans l’individu.
Et ce que révèle l’enquête, c’est que, dans la cité, il y a trois
classes
ayant chacune une fonction spécifique : les chefs dont le rôle est
de gouverner, les gardiens qui doivent assurer la sécur
ité tant intérieure
qu’extérieure, et les producteurs qui ont pour rôle de générer les biens et
5
I
bidem.
6
PLATON
,
La République
,
368b
-
369b
, Paris, GF, 1966
,
trad. Robert Baccou
.
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services indispensables au fonctionnement de la cité. Elle est donc juste
quand cet ordre est respecté, et injuste lorsqu’il ne l’est plus, lorsqu’aux
chefs se
substituent, par exemple, les gardiens.
De même, dans l’âme humaine, il y a trois éléments
: la raison ou
l’élément par lequel l’homme connaît, le courage encore appelé l’élément
irascible, et l’appétit ou l’élément concupiscible
7
. Et la justice, dans
l’in
dividu, consiste en ce que la raison gouverne, que le courage défende
l’intégrité et l’honneur de l’individu, et que l’appétit lui apporte les
éléments indispensables à son bien
-
être matériel. Quant à l’injustice, en
lui, elle est le désordre que produit l
e non
-
respect de cet ordre.
Ainsi qu’il
le fait dire à Socrate
: «
Donc, engendrer la justice n’est
-
ce pas établir selon
la nature les rapports de domination et de sujétion entre les divers
éléments de l’âme
?
Et engendrer l’injustice n’est
-
ce pas leur per
mettre de
gouverner où d’être gouvernés l’un par l’autre contre nature
? »
8
.
Cette ontologie de l’âme amène Platon à une typologie
qui
lui permet
d’
établi
r
qu’il existe
« trois principales classes d’hommes, le philosophe,
l’ambitieux, l’intéressé
»
9
, puis
au fondement du désordre moral. Passant
au portrait de chacun de ces types de personnes, en effet, il note que le
philosophe est l’homme en qui la raison gouverne, qui veut «
connaître la
vérité telle qu’elle est
»
10
et qui mène une vie réglée par la philo
sophie
11
.
Quant à l’ambitieux, ami de la victoire et des honneurs, et à l’intéressé,
soucieux d’amasser des richesses, ils vivent dans le désordre, l’un étant
gouverné par l’élément irascible, par la quête de la victoire et des
honneurs, et l’autre par le c
oncupiscible ou la recherche effrénée des
plaisirs du corps.
Ainsi, lorsqu’au lieu du philosophe, l’ambitieux ou l’homme
intéressé gouverne, la cité ne peut que souffrir du désordre. De même que
dans l’âme, seule la raison doit gouverner, de même dans la
société, seul
7
Idem, 580b
-
581b.
8
Idem,
444d
-
445c.
9
Idem, 581b
-
582a.
10
I
bidem.
11
PLATON
,
Phèdre
, 256d
in
Le Banquet
,
Phèdre
, Paris, GF, 1964
, trad.
É
mile Chambry
.
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