L`évolution créatrice

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CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE
“Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.”
Voltaire
L’ÉVOLUTION CRÉATRICE
L’auto-création constante du monde
CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Association ALDÉRAN Toulouse
pour la promotion de la Philosophie
MAISON DE LA PHILOSOPHIE
29 rue de la digue, 31300 Toulouse
Tél : 05.61.42.14.40
Email : [email protected]
Site : www.alderan-philo.org
conférence N°1600-124
L’ÉVOLUTION CRÉATRICE
L’auto-création constante du monde
conférence d’Éric Lowen donnée le 19/02/2011
à la Maison de la philosophie à Toulouse
Une des grandes découvertes scientifiques du 20ème siècle fut de se rendre compte de la
faculté créatrice de l’évolution matérielle, entraînant l’univers dans une auto-création
constante. Il n’y a ni créateur, ni création au sens conventionnel, c’est le devenir en acte du
monde qui crée à chaque instant ce qu’est le monde. Cette découverte cosmologique
entraîne une révolution philosophique de nature similaire. Quels en sont les principes ?
Quelles conclusions pour le sens de l’existence humaine ? Quelle est notre place dans ce
processus ?
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L’ÉVOLUTION CRÉATRICE
L’autocréation constante du monde
PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Dans les coulisses de l’évolution s’activent des personnages
qui ont un nom : temps, espace, matière, force, énergie, lois, hasard, etc.
Hubert Reeves
Patience dans l’azur, 1981
I
LA FIN DU CRÉATIONNISME ET DU FIXISME
1 - La révolution cosmologique du 20ème siècle a ébranlé les conceptions anciennes sur le monde
2 - Une double remise en cause
3 - La remise en cause du créationnisme traditionaliste
4 - La remise en cause du fixisme newtonien classique
II
LA RECONNAISSANCE DE L’ÉVOLUTION ET DE SA NATURE
1 - L’évolution n’est pas une théorie, l’évolution est un fait : des millions de faits
2 - La découverte progressive des processus évolutifs dans le monde
3 - L’omniprésence des processus évolutifs dans la nature, dans tous les aspects du réel
4 - L’évolution est à l’origine de toute chose, choses matérielles et choses immatérielles
5 - Rien n’est compréhensible sans prendre en compte l’évolution qui l’amène à être
6 - L’évolution, un critère cosmologique présent dès l’origine du cosmos
7 - La continuité de l’évolution depuis l’origine du Cosmos
8 - La nature contingente de l’évolution : le rôle orienteur de l’aléatoire, du désordre et du hasard
9 - Mais surtout une évolution créatrice !
III
LES MÉCANISMES DE L’ÉVOLUTION
1 - L’évolution est la conséquence de nécessités physiques et matérielles
2 - La matière est dotée de facultés auto-organisatrices
3 - Les forces physiques naturelles ont des effets évolutifs
4 - Le principal mécanisme est le principe de complexification
5 - Les propriétés émergentes, la naissance de nouvelles propriétés des êtres et des choses
6 - Le rôle de l’énergie, chaque évolution demande de l’énergie et augmente l’entropie
7 - L’importance de la temporalité et d’une temporalité importante
8 - L’effet complexifiant et novateur des perturbations aléatoires et chaotiques
9 - L’importance des déséquilibres, entrainant des ruptures de l’homogénéité et de l’isotropie
10 - Le rôle des brisures de symétries
11 - L’interaction croissante des choses entres elles démultiplie l’évolution
IV
LES CONSÉQUENCES PHILOSOPHIQUES DE LA NATURA CREATRIX
1 - L’accès novateur et révolutionnaire à la compréhension objective de ces processus naturels
2 - La création du cosmos n’est pas achevée, elle continue
3 - Une création sans créateur, la réalité s’auto-invente sans cesse
4 - La nature est créatrice et innovante, c’est bien la “natura creatrix” de l’atomisme antique
5 - Le remplacement d’une causalité extérieure par une causalité intérieure
6 - L’absence de finalisme, une évolution sans finalité (afinaliste)
7 - L’inutilité et la contradiction avec un principe organisateur, intentionnel et intelligible
8 - Une réalité non-prédéterminée qui se définit en se réalisant, une réalité existentialiste
9 - La réhabilitation du rôle de la contingence et du hasard
10 - L’imprévisibilité des développements de l’évolution, le libre-devenir du monde
11 - Un élément supplémentaire et stratégique de la désanthropocentrisation du monde
12 - Une rupture karminsky majeure dans notre compréhension du monde
13 - Une nouvelle place pour l’homme dans le cosmos, l’homme étant aussi un être auto-créateur
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V
CONCLUSION
1 - Le cosmos est une extraordinaire et fabuleuse aventure, qui continue à chaque instant
2 - Une révolution cosmologique universelle dans notre manière de penser et de vivre
3 - L’intégration de la notion d’évolution, un critère des philosophies modernes
ORA ET LABORA
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Document 1 : Lavoisier et sa femme, Marie-Anne Lavoisier, pionniers de la révolution chimique qui montra
que la matière possédait des pouvoirs d’auto-animation, sans faire appel à des forces extérieures (Tableau
de David, Rockfeller Institut, NY).
Document 2 : Lamarck fut le premier à émettre l'hypothèse de la généalogie unique du monde vivant, dans
son discours de l'an VIII en 1800. Il est le père de la première grande théorie évolutionniste, le
transformisme, qui fut plus tard supplantée par les travaux de Darwin (tableau de Ch. Thévenin, coll. Part).
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Document 3 : Bien avant les travaux modernes de la génétique, Gregor Mendel (1822-1884), moine au
monastère de Brno, avait compris le principe de transmission des caractéristiques génétiques des
organismes vivants en étudiant des petits pois et leurs évolutions successives. Après des études
scientifiques, notamment à l’institut de physique de Christian Doppler où il s’intéressa aux théories de Franz
Unger, spécialiste de physiologie végétale, il créa un jardin expérimental et une serre dans la cour de son
monastère. Il mit alors sur pied un plan d’expériences visant à expliquer les lois de l’origine et de la
formation des hybrides. Il choisit pour cela le pois qui a l'avantage d'être facilement cultivé avec de
nombreuses variétés décrites. Il expose et publie les résultats de ces études en 1865 dans un article
intitulé : Recherches sur des hybrides végétaux. Après dix années de travaux minutieux, Mendel a ainsi
posé les bases théoriques de la génétique et de l’hérédité moderne. Son travail ne va pas susciter
d'enthousiasme auprès de ses contemporains qui ont du mal à comprendre la formalisation mathématique
de ses expériences. Très peu de scientifiques de son temps vont citer son travail et ceux-ci seront petit à
petit oubliés. Les lois de Mendel furent redécouvertes en 1900 par trois biologistes : le hollandais, Hugo de
Vries (1848-1935), l’allemand Carl Correns (1864-1933) et l’autrichien Erich Von Tschermak-Seysenegg
(1871-1962).
Document 4 : Bien après la biologie, la physique a fait sa propre révolution évolutionniste en intégrant,
d’abord les principes évolutionnistes à l’échelle cosmique puis dans les structures complexes, grâce par
exemple aux travaux d’Ilia Prigogine (1917-2003) sur les structures dissipatives et l’entropie, prix Nobel
1977.
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Document 5 : Les processus évolutifs reposent sur des seuils de rupture, dont les évolutions sont
imprévisibles.
Dans tous les cas de ce genre [l'explosion du coton fulminant], il y a une circonstance
commune : le système possède une quantité d'énergie potentielle qui peut être
transformée en mouvement mais, ne peut commencer à l'être que lorsque le système a
atteint une certaine configuration, ce qui nécessite une dépense de travail, qui peut être
infinitésimale et est en général sans commune mesure avec l'énergie qu'elle permet de
libérer. Ainsi, le rocher détaché par le gel et en équilibre sur un point singulier du flanc de
la montagne, la petite étincelle qui embrase l'immense forêt, le petit mot qui met le
monde en guerre, le petit scrupule qui empêche l'homme de faire ce qu'il veut, le petit
spore qui gâte toutes les pommes de terre, la petite gemmule qui fait de nous des
philosophes ou des idiots. Chaque existence à partir d'un certain niveau a ses points
singuliers : plus élevé le niveau, plus nombreux les points. En ces points, des influences,
dont la taille physique est trop petite pour être prise en compte par un être fini, peuvent
produire des résultats de la plus grande importance. Tous les grands résultats produits
par les entreprises humaines dépendent de la manière dont on prend avantage de ces
états singuliers, lorsqu'ils se présentent.
James Clerk Maxwell (1831-1879)
“Science and Free Will”, Campbell L. et Garnier W.
Document 6 : À propos de l’imprévisibilité de l’évolution (différente de la prévisibilité phénoménale).
La science ne permet jamais de «prévoir» ou plus exactement elle ne prévoit que des
répétitions. Une théorie est fondée pour rendre compte d'un ordre de relations entre les
phénomènes ; l'imagerie qui découle des équations importe peu. Les équations comptent
seules. Elles sont valables jusqu'à la... décimale et c'est tout.
Une théorie ne prévoit jamais un développement, ni quelle synthèse succédera à la thèse
et à son antithèse.
Faire de la science c'est découvrir l'enchaînement des causes en remontant dans le
passé et - aujourd'hui - les relations. Mais non de prévoir l'avenir, c'est-à-dire la méthode
de calcul des décimales inférieures. Ou l'arbre à partir de la cellule vivante initiale ou la
destinée du prolétariat. Penser le monde social futur est antimarxiste.
Le déterminisme consiste à poser que l'arbre est né et le renouer par un enchaînement
de faits qui soit explicable : Non à poser que la connaissance des lois naturelles
permette, en étudiant la cellule initiale, de prévoir I'oeil et l'arbre. car alors cette pensée
serait purement finaliste, c'est-à-dire son contraire.
Même si la cause au lieu d'être interne était externe. si la nature façonnant peu à peu la
vie, la connaissance de ces lois pouvait faire prévoir...
Si la conscience peut prévoir l'œil l'univers est finaliste.
Si la conscience ne peut prévoir l'œil (et elle ne peut le prévoir) c'est qu'il n’y a qu’un
enchaînement de causes en remontant le cours d'événements réalisés, mais de multiples
possibilités en descendant ce cours. ....
Saint-Exupéry (1900-1944)
Carnets, IV, 33, 1953
Document 7 : En raison de la dimension cosmologique de l’évolution, nulle chose ne peut être comprise en
dehors des processus évolutifs qui ont contribué à son existence.
Pas plus qu'aucune autre chose au Monde, la cellule, si merveilleuse qu'elle nous
apparaisse dans son isolement parmi les autres constructions de la Matière, ne saurait
être comprise (c'est-à-dire incorporée dans un système cohérent de l'Univers) que
replacée entre un Futur et un Passé, sur une ligne d'évolution. Nous nous sommes
beaucoup occupés de ses différenciations, de son développement. C'est sur ses origines,
c'est-à-dire sur les racines qu'elle plonge dans l'inorganisé qu'il convient maintenant de
faire converger nos recherches si nous voulons mettre le doigt sur la véritable essence
de sa nouveauté. (...) Prise en descendant, la cellule s'ennoie, qualitativement et
quantitativement, dans le monde des édifices chimiques. Prolongée immédiatement en
arrière d'elle-même, elle converge visiblement à la Molécule. (...) La découverte des virus
ou autres éléments semblables n'enrichit pas seulement d'un terme important notre série
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des états ou des formes de la Matière. Elle nous oblige à intercaler une ère jusque-là
oubliée (une ère du “subvivant”) dans la série des âges mesurant le Passé de notre
planète. (...) Les méga-molécules portent vraisemblablement en elles la trace d'une
longue histoire. Comment imaginer en effet qu'elles aient pu, comme des corpuscules
plus simples, s'édifier brusquement et demeurer telles une fois pour toutes ? Leur
complication et leur instabilité suggèrent plutôt, un peu comme celles de la Vie, un long
processus additif, poursuivi, par accroissements successifs, sur une série de générations.
(...) Ainsi s'approfondit, en arrière de nous, cet abîme du Passé qu'une invincible
faiblesse intellectuelle nous porterait à comprimer dans une tranche toujours plus faible
de Durée - tandis que la Science nous force, par ses analyses, à la distendre toujours
plus.
Teilhard de Chardin (1881-1955)
Le phénomène Humain, 1955
Document 8 : L’évolution créatrice, un élément participatif du réenchantement rationnel, objectif et
scientifique du monde. Le texte suivant est la conclusion de L’origine des espèces de Darwin.
Il y a de la grandeur dans cette conception d'une vie riche de tant de pouvoirs, modelée à
l'origine par le Créateur en quelques formes, ou en une seule ; et dans le fait que, tandis
que cette planète ne cessait de tourner selon les lois immuables de la gravité,
d'innombrables créatures, chaque fois plus belles et plus admirables, se sont formées et
continuent de se former à partir d'un commencement aussi simple.
Charles Darwin (1809-1882)
L'origine des espèces, 1859
Document 9 : Richard Darwkins, biologiste et éthologiste britannique, est actuellement un grand théoricien
de l'évolution, vulgarisateur scientifique et opposant aux adeptes du créationnisme direct ou indirect comme
l’intelligence design. En publiant en 1976 son livre intitulé The Selfish Gene (français : Le Gène égoïste), il
mit en évidence que l’évolution biologique était centrée non sur les organismes mais sur les gènes. Il a aussi
introduit le terme de «mème», mettant en évidence que les entités culturelles sont capables de se répliquer,
généralement d'humains en humains, et d'évoluer comme des réplicateurs efficaces d'informations et de
comportements, dans des fonctionnements comparables à ceux de la sélection naturelle.
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Document 10 : L’évolution du monde est une histoire autocréatrice, unique et contingente, de 13,7 milliards
d’années, dont nous sommes un des innombrables et singuliers résultats (comme toute espèce vivante
d’ailleurs). Voilà un bref aperçu de cette auto-fabrication du monde jusqu’à notre espèce sur notre planète.
Il était une fois, il y a dix ou quinze milliards d'années [chiffres actuels, 13,7 milliards
d’année], un univers sans forme. Il n'y avait ni galaxies, ni étoiles, ni planètes, ni vie. Les
ténèbres régnaient sur l'abîme. L'univers était composé d'hydrogène et d'hélium. Le Big
Bang venait de se produire, et les débris de l'explosion - création de l'univers ou cendres
d'une précédente incarnation - se répandaient doucement dans l'espace.
Mais l'hydrogène et l'hélium ne se répandaient pas régulièrement. Ici et là, dans les
ténèbres, par hasard, le gaz se concentrait un peu plus qu'ailleurs. Ces poches
croissaient imperceptiblement aux dépens de leur entourage, attirant par la force de leur
gravitation une masse grandissante de gaz environnant. Au fur et à mesure que ces
poches grandissaient, leurs noyaux les plus denses, gouvernés par les lois inexorables
de la gravitation et de la conservation du moment angulaire, se contractaient et
accéléraient leur rotation. À l'intérieur de ces grands globes ou roues gazeux, de petits
fragments de plus grande densité se concentraient, puis éclataient en milliards de boules
gazeuses en condensation.
La contraction conduisait à de violentes collisions des atomes au centre de ces boules.
Les températures croissaient tellement que les électrons étaient arrachés des protons
dans les atomes d'hydrogène. Les protons, porteurs de charges positives similaires, se
repoussent habituellement. Mais après un moment, les températures au centre des
boules gazeuses devenaient telles que les protons se heurtaient avec une énergie
extraordinaire - une telle énergie que la barrière électrique qui entourait le proton était
brisée. Une fois la pénétration effectuée, les forces nucléaires - qui maintiennent
ensemble les éléments constituants du noyau atomique - entraient en jeu. À partir de
l'hydrogène, corps le plus simple, l'hélium, qui vient après dans la chaîne de complexité,
se formait. Mais dans la synthèse de l'hélium à partir de l'hydrone, un surplus d'énergie
est libéré. Cette énergie, frayant son chemin à travers la boule de gaz, arrivait à la
surface et rayonnait dans l'espace. La boule de gaz s'allumait. La première étoile était
née. Et la lumière fut. Les étoiles évoluaient durant des milliards d'années, convertissant
lentement l'hydrogène en hélium dans leurs entrailles, transformant en énergie la petite
différence de masse, et inondant les cieux de lumière. À l'époque il n'y avait pas de
planètes pour capter cette lumière, ni de formes de vie pour s'émerveiller de l'éclat des
cieux. La conversion de l'hydrogène en hélium ne pouvait pas se prolonger indéfiniment.
Il arrivait que, dans les entrailles brûlantes des étoiles, où la fournaise avait raison des
forces de répulsion électrique, tout l'hydrogène fût consumé. C'était la panne de
carburant. Le four ne résistait plus à la pression des couches stellaires ; les astres
reprenaient leur processus de contraction, d'effondrement interne, interrompu un milliard
d'années auparavant par la mise à feu. Dans la contraction qui s'ensuivait, de plus hautes
températures étaient atteintes, si hautes, que les atomes d'hélium - cendres du feu
primitif - devenaient utilisables comme carburant astral. Des réactions nucléaires plus
complexes intervenaient au coeur des étoiles - maintenant gonflées et distendues,
géantes et rouges. L'hélium se convertissait en carbone, le carbone en oxygène et en
magnésium, l'oxygène en néon, le magnésium en silicium, le silicium en soufre, et ainsi
s'édifiait la table périodique des éléments, selon les arcanes d'une alchimie titanesque.
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De vastes et complexes réactions en chaîne construisaient certains noyaux. D'autres
noyaux atomiques s'amalgamaient pour former des noyaux beaucoup plus complexes.
D'autres encore se fragmentaient ou se combinaient avec des protons pour constituer
des noyaux un tout petit peu plus complexes.
Mais, à la surface des géantes rouges, la gravité était faible, tellement les astres s'étaient
agrandis. Les couches externes des géantes rouges se dissolvaient lentement dans
l'espace interstellaire, l'enrichissant de carbone, d'oxygène, de magnésium, de fer, et de
tous les éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium. Dans certains cas les couches
externes disparaissaient lentement, comme les peaux d'un oignon que l'on pèle. Dans
d'autres cas une colossale explosion nucléaire ébranlait l'étoile, projetant à grande
vitesse dans l'espace interstellaire la plus grande partie de l'enveloppe astrale. Que ce fût
par dispersion ou par explosion, la matière stellaire était réinjectée dans le gaz obscur et
léger d'où les astres avaient pris naissance.
Et c'est là que prenaient naissance les générations suivantes d'étoiles. À nouveau les
amas en condensation commençaient à tourner sur eux-mêmes et à opérer la
métamorphose du gaz stellaire en matière astrale. Mais ces étoiles de la seconde et de la
troisième génération étaient enrichies en éléments lourds, hérités de leurs ancêtres.
Alors, comme les étoiles se formaient, des condensations plus petites apparaissaient à
proximité, beaucoup trop petites pour former des brasiers nucléaires et devenir des
étoiles. De petites mottes de matière dense et froide se formaient à partir du nuage en
rotation, qui seraient plus tard illuminées par les feux nucléaires qu'elles ne pouvaient
pas engendrer seules. Ces caillots modestes donnaient naissance aux planètes :
certains, énormes et gazeux, composés principalement d'hydrogène et d'hélium, étaient
froids et éloignés de l'étoile mère ; d'autres, plus petits et plus chauds, perdant lentement
le gros de leur hydrogène et de leur hélium qui s'évanouissaient dans l'espace, donnaient
une différente sorte de planète - rocheuse, métallique, au sol dur.
Ces petits débris cosmiques, en se figeant et en s'échauffant, libéraient de petites
quantités de gaz riches en hydrogène, emprisonnées en leur sein durant le processus de
formation. Certains gaz se condensaient à la surface, formant les premiers océans ;
d'autres se maintenaient au-dessus de la surface, formant les premières atmosphères atmosphères différentes de l'actuelle atmosphère terrestre, composées de méthane,
d'ammoniaque, d'hydrogène sulfureux, d'eau et d'hydrogène - un mélange nauséabond
et irrespirable pour les humains. Mais ce n'est pas encore une histoire humaine.
La clarté des étoiles irradiait cette atmosphère. Le Soleil provoquait des orages, éclairs et
tonnerre. Des volcans entraient en éruption, la lave brûlante réchauffant l'atmosphère à
proximité de la surface. Ces processus brisaient les molécules de l'atmosphère primitive.
Mais les fragments se recomposaient en molécules de plus en plus complexes, qui
tombaient dans les océans primitifs, où elles entraient en interaction, et se déposaient par
hasard dans les argiles : un processus étonnant de rupture, nouvelle synthèse,
transformation, un lent mouvement vers des molécules d'une complexité croissante,
suivant les lois de la physique et de la chimie. Au bout d'un certain temps, les océans
prirent la consistance d'un tiède bouillon.
Parmi les espèces innombrables de molécules organiques complexes qui se formaient et
se dissolvaient dans cette soupe, un jour surgit une molécule capable de se recopier ellemême - une molécule qui influençait suffisamment les processus chimiques dans son
entourage pour que surgissent d'autres molécules qui lui soient identiques - une molécule
qui s'autoreproduisait. Ça marchait plus ou moins bien. Les copies n'étaient pas parfaites.
Mais bientôt elle commença à prendre le pas sur les autres molécules des eaux
primitives. Les molécules qui produisaient des copies d'elles-mêmes prenaient le dessus,
les autres non. Les premières, à force de se multiplier, devenaient surabondantes.
Comme le temps passait, le processus de copie gagnait en exactitude. Certaines
molécules étaient transformées en vue de fournir le matériau de la copie. Un atout
minime et imperceptible au départ devint bientôt, par l'effet de progression géométrique,
le processus dominant dans les océans.
Des systèmes reproducteurs de plus en plus élaborés se firent jour. Les meilleurs
systèmes produisaient le plus grand nombre de copies. Les moins bons en produisaient
moins. Bientôt, la plupart des molécules s'organisèrent en collectifs moléculaires, en
systèmes de duplication. Certes, ces molécules n'éprouvaient pas le moindre désir
reproducteur, ou n'agissaient pas en fonction d'une idée préconçue ; simplement, les
molécules duplicatrices fabriquaient des copies, et bientôt le visage de la planète s'en
trouva transformé. À terme, les mers furent emplies de ces systèmes moléculaires à
l'œuvre : formation, métabolisation, duplication... formation, métabolisation, duplication...
formation, métabolisation, mutation, duplication... Des systèmes élaborés surgirent, des
systèmes moléculaires pourvus d'un comportement, se rendant là où le matériau
abondait, évitant les systèmes rivaux. La sélection naturelle commença à opérer,
sélectionnant les combinaisons moléculaires les plus douées, par hasard, pour la
duplication.
Pendant tout ce temps les matériaux étaient produits, principalement sous l'effet du
rayonnement, et l'action de la foudre, dus à l'étoile voisine. Les processus nucléaires
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internes de l'astre conduisaient les processus planétaires, et ceux-ci menaient à la vie, et
la nourrissaient.
Comme le matériau commençait à s'épuiser, un nouveau type de système moléculaire
surgit, capable de produire du matériau de construction moléculaire en son sein, à partir
de l'air, de l'eau, et du rayonnement solaire. Les premiers animaux furent rejoints par les
premiers végétaux. Les animaux devinrent des parasites des plantes, eux qui
dépendaient jusque-là de la manne stellaire tombant du ciel. Les végétaux
transformèrent progressivement la composition de l'atmosphère ; l'hydrogène s'évanouit
dans l'espace, l'ammoniaque se transforma en azote, le méthane en gaz carbonique.
Pour la première fois, l'oxygène était produit en quantités importantes dans l'atmosphère
- l'oxygène, gaz mortellement dangereux, capable de reconvertir toutes les molécules
autoreproductrices en gaz simples comme le gaz carbonique et l'eau.
Mais la vie affronta ce suprême défi : dans certains cas en s'établissant dans des milieux
d'où l'oxygène était absent, mais - dans les cas les plus réussis - en évoluant non
seulement de façon à ne pas être détruite par l'oxygène, mais aussi de façon à l'utiliser
pour accroître l'efficacité de la métabolisation des matériaux nourriciers.
Le sexe et la mort apparurent - processus qui accrurent notablement le taux de la
sélection naturelle. Certains organismes acquièrent des parties solides, grimpèrent sur le
rivage, et survécurent sur la terre ferme. Le rythme de productions de formes de plus en
plus complexes s'accéléra. Les espèces volantes firent leur apparition. D'énormes
quadrupèdes écumèrent les jungles torrides. De petits animaux virent le jour, naissant
vivants, à l'air libre, et non pas dans des réservoirs à coquille dure emplis de répliques du
milieu marin primitif. Ils survécurent à force de vitesse et d'astuce - et, de plus en plus,
durent leur savoir moins à la programmation moléculaire qu'aux leçons des parents et à
l'expérience.
Durant tout ce temps le climat se modifiait sans cesse. De légères variations dans le
débit du rayonnement solaire, le mouvement orbital de la planète, les nuages, les océans
et les calottes polaires produisaient des changements climatiques, gommant de la
surface de la planète des groupes entiers d'organismes, et provoquant la prolifération
exubérante d'autres groupes, jusque-là insignifiants.
Et alors... la Terre se refroidit quelque peu. Les forêts reculèrent. De petits animaux
arboricoles descendirent des arbres pour chercher fortune dans les savanes. Ils se
redressèrent et prirent l'habitude de se servir d'outils. Ils communiquèrent entre eux en
produisant des vibrations dans l'air avec leurs organes de respiration et de manducation.
Ils découvrirent que la matière organique pouvait, sous une température suffisante, se
combiner avec l'oxygène atmosphérique pour produire le plasma brûlant et stable appelé
feu. L'apprentissage d'après la naissance fut considérablement accéléré par l'interaction
sociale. La chasse communautaire se développa, l'écriture fut inventée, les structures
politiques évoluèrent, la magie et la science, la religion et la technique firent leur
apparition.
Et puis, un jour vint une créature dont le matériau génétique ne différait en rien
d'essentiel des systèmes moléculaires autoreproducteurs de n'importe quel autre
organisme de sa planète, qu'il appelait la Terre. Mais il était capable de scruter le mystère
de ses origines, le chemin étrange et tortueux par lequel il avait surgi du matériau astral.
Il était matière cosmique capable de se penser. Il considérait l'énigme de son avenir
problématique. Il s'appelait lui-même l'Homme. Il appartenait au peuple des étoiles. Et il
avait la nostalgie des étoiles.
Carl Sagan (1934-1996)
Cosmic Connection ou l'appel des étoiles, 1975
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- Les cours et conférences sans nom d’auteurs sont d’Éric Lowen -
Revue de philosophie “ALDÉRAN”
N°27 - Le plus vaste horizon du monde, par William Ruthenford
N°28 - Le réenchantement du monde, par William Ruthenford
N°29 - La seconde mort de dieu, par William Ruthenford
Conférences sur la fabrication matérialiste du réel
- La fabrication du monde, voyage au cœur de l’évolution créatrice
- Le Big bang et les premiers instants de l’univers
- La création du système solaire, notre archipel cosmique
- La naissance de la terre, notre oasis spatial dans l’immensité infini de l’espace
- L’apparition de la vie sur la Terre
- L’histoire de la vie sur notre planète, de la biogenèse à aujourd’hui
- Les origines préhistoriques de l’Être Humain, l’anthropogenèse évolutionniste de l’homme
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Conférences sur l’histoire de la philosophie
en relation avec ce sujet
- Héraclite et le devenir
- Démocrite et l’atomisme
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Conférences sur l’histoire des révolutions scientifiques qui ont contribué à améliorer notre
compréhension des phénomènes d’ordre et de chaos dans le monde
- La révolution hérodotienne, l’invention de l’Histoire
- Les grandes découvertes maritimes, révolutions géographiques et humaines
- La révolution naturaliste : Linné, Buffon, Cuvier et les autres
- La révolution chimique, la découverte de la puissance interne de la matière
- La révolution biologique, le début de l’exploration des mécanismes de la vie
- La révolution de la thermodynamique, le début de la physique de l’énergie
- La révolution géologique, la découverte de l’extraordinaire ancienneté de la terre
- La révolution préhistorique, la découverte d'une humanité avant l'humanité
- La révolution darwinienne, la découverte des origines animales de l'humanité
- La révolution archéologique, la découverte de l’immensité du passé culturel de l’humanité
- La révolution sociologique, l’invention des sciences sociales
- La révolution atomiste, la découverte de la puissance intérieure de la matière
- La révolution einsteinienne, la naissance de la cosmologie moderne
- La révolution quantique, les surprises de la physique quantique
- La révolution cosmologique, la découverte du big bang et des premiers instants de l’univers
- La révolution génétique, l’accès aux mécanismes intimes de la vie
- La révolution des neurosciences, l’exploration de la matière pensante, le cerveau humain
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Conférences sur le Cosmos
- La nouvelle réalité du cosmos
- Éloge du cosmos, introduction à une ontologie positive
- La réalité du cosmos, la réalité de la réalité - la défaite de Platon
- La naturalité du cosmos, pour en finir avec les illusions du surnaturel
- La matière triomphante, la victoire de Démocrite
- L’unité du cosmos, l’unité derrière la pluralité des apparences du réel
- Les lois de la nature existent-elles ?
- La rationalité du monde, de la nature rationnelle du cosmos
- La connaissabilité du monde, l'étonnante connaissabilité du cosmos
- L’éloge de l’impermanence, la fin du mythe de la permanence
- La temporalisation du réel, la revanche de chronos
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- De la nécessité et du hasard, le jeu créateur du hasard et de la nécessité dans le cosmos
- Le déterminisme innovationniste, la prévisible imprévisibilité du déterminisme
- Ordre et chaos dans le cosmos
- L’évolution créatrice, l’autocréation constante du monde
- Principe de complexité et propriétés émergentes dans le cosmos
- La nécessité du hasard, le chaos créateur
- L’effet papillon, la prévisibilité de l’imprévisibilité
- Cosmodiversité et biodiversité, l’expansion de la diversification du réel
- L’infinité des champs du réel, les possibilités infinies du devenir ouvert du monde
- L’être humain et le cosmos, vers une nouvelle alliance
- L’illusion du principe anthropique, le retour déguisé d’un finalisme anthropologique
- Le réenchantement du monde, introduction au réenchantement naturaliste et matérialiste
- La magnificence du cosmos
- La symphonie du monde
- La transcendance horizontale du cosmos
- Le miracle du monde
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Conférences sur des notions présentées dans cette conférence
- La génèse historique du concept de progrès
- Le sens spirituel des origines animales de l’Humanité
- L’Être Humain, un animal comme les autres
- La place de l’Être Humain dans la nature
- Les origines naturelles de la culture
- Le besoin de sens dans la condition humaine
- L’aventure humaine
- Le devenir de l’Humanité
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Quelques livres et revues sur le sujet
- Le plus grand spectacle du monde, Richard Dawkins, Robert Laffont, 2010
- Guide critique de l'évolution, Guillaume Lecointre, Belin, 2009
- Pour en finir avec Dieu, Richard Dawkins, Éditions Perrin, 2006
- Le temps des datations, Dossier spécial, Pour la science N°44, Janvier-mars 2004
- Le miroir brisé de l’antimatière, Italo Mannelli, Pour la Science N°303, janvier 2003
- La théorie synthétique de l’évolution revisitée, Hervé le Guyader, Pour la Science N°300 octobre 2002
- Asymétrie : la beauté du diable - Où se cache la symétrie de l’Univers ?, F. Close, Éditions EDP Sciences,
2001
- L’influence de Darwin sur la pensée moderne, Enst Mayr, Pour la science N°275, septembre 2000
- Atome et nécessité, Démocrite, Épicure, Lucrèce, Pierre-Marie Morel, PUF, 2000
- La Nature, France Farago, Armand Colin, 2000
- Qu'est-ce que l'Évolution ? Le fleuve de la Vie, Richard Dawkins, Hachette, 1997
- L’éventail du vivant, Stephen Jay Gould (1996), Seuil, 1997
- Horloger aveugle, Richard Dawkins (1986), Robert Laffont, 1999
- Les âges de Gaïa, James Lovelock (1984), Laffont, 1990
- La nouvelle alliance, Prigogine et Stengers (1978), Folio, 1986
- Cosmic Connection ou l’appel des étoiles (1973), Carl Sagan, Seuil, 1975
- Science et religion, Bertrand Russell (1971), Seuil, 1990
- L’évolution créatrice, Henry Bergson (1907), PUF, 2007
- De l’origine des espèces, Charles Darwin, 1859
- De la nature, Lucrèce, Garnier-Flammarion, 1964
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