Janvier 2009 Conjoncture 25
Les progrès accomplis au cours des dernières années
sur le front de la stabilité macroéconomique avaient
laissé espérer que le Brésil soit enfin engagé sur un
sentier de croissance soutenable, voire, peut être, soutenue.
En raison de la diversification géographique de son commerce
extérieur, de sa forte dotation en matières premières et de
la relative solidité de ses fondamentaux, la principale
économie d’Amérique latine avait même pu apparaître un
temps comme une candidate idéale au “découplage,” ou tout
au moins à un découplage “partiel”. La croissance semblait
certes devoir ralentir sous l’effet de la modération de la
demande mondiale et, surtout, de facteurs endogènes
(contraintes croissantes sur les capacités de production,
accélération de l’inflation et appréciation de la monnaie qui
pesait sur la compétitivité des exportations), mais l’atterrissage
semblait encore, à la fin du mois de juillet, pouvoir être
relativement doux(1).
L’intensification de la crise financière, la
généralisation des pressions récessives nées aux Etats-
Unis et la forte correction baissière observée sur les
marchés de matières premières ont modifié la donne,
générant des ondes de choc qui se sont transmises avec
une rare violence au Brésil via le canal financier (cf.
graphiques page 26). Le marché boursier (Bovespa) a
été le premier affecté, en raison notamment du poids
dans sa capitalisation de grandes compagnies dont les
profits sont très dépendants de l’évolution des cours
mondiaux des matières premières(2). Entre la fin mai et la
mi-septembre, l’indice de référence (Ibovespa) avait
perdu près de 30% de sa valeur. La correction baissière
s’est intensifiée après que le dépôt de bilan de Lehman
Brothers a poussé la crise financière à un paroxysme,
entraînant une remontée généralisée de l’aversion au
risque et contraignant certains acteurs à solder sans
discrimination celles de leurs positions qui étaient encore
liquides. En l’espace d’un mois et demi, entre la mi-
septembre et la fin octobre, l’Ibovespa a perdu encore
44% de sa valeur.
Surtout, les pressions baissières se sont étendues au
marché des changes, dans un contexte où les flux de
capitaux étrangers qui avaient irrigué l’économie au
cours des deux dernières années se sont inversés et où
certains acteurs domestiques se sont trouvés contraints
de clore très rapidement les positions courtes en devises
qu’ils avaient accumulées à la faveur de quatre années
d’appréciation continue du real. La violence du choc
laisse même penser que le Brésil est confronté à ce que
la théorie économique appelle un “sudden stop(3), c’est-
à-dire une inversion violente et inattendue des flux
de capitaux, doublée d’une “large dépréciation du
change”(4) : les entrées nettes de capitaux étrangers, qui
s’étaient accrues au cours des dernières années jusqu’à
représenter 8,5% du PIB en 2007, ont fait place à des
sorties nettes en octobre-novembre et, entre la fin août et
la mi-décembre, le real s’est déprécié de près de 50%
face au dollar.
Faut-il dès lors réviser à la baisse les perspectives
de croissance de la principale économie du cône sud, à
court comme à moyen terme ou même envisager une
résurgence de l’instabilité macroéconomique ? Et si oui,
jusqu’à quel point ? Au-delà des incertitudes qui
affectent tout exercice de prévision dans le contexte
actuel, la réponse est moins évidente qu’il pourrait
sembler au premier abord. L’expérience passée
Brésil : quelle résistance dans un
contexte de “sudden stop et de
large dépréciation du change ?
Valérie Perracino
jqp// g
Janvier 2009 Conjoncture 26
200820072006
110
90
70
50
30
Ibovespa (base 100 au 20.05.2008)
Sources : Ecowin, BNP ParibasGraphique 1
Une correction boursière marquée...
Vale Rio Doce (prix à la clôture)
Petrobras (prix à la clôture)
Indice Ibovespa
08070605040302010099
180
160
140
120
100
80
60
4.0
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
1994=100 spot
Source : EcowinGraphique 2
...et une correction majeure du change
Taux de change effectif réel (TCER)
TCER moyen (1994-2008)
USD/BRL
200820072006
20000
15000
10000
5000
0
-5000
-10000
-15000
-20000
mns USD, flux nets sur le marché spot
Sources : BCB, BNP ParibasGraphique 3
Un "sudden stop" sensible
sur le marché des changes...
Total
Flux liés à des opérations commerciales
Flux liés à des opérations financières
2008200620042002200019981996
12
10
8
6
4
2
0
-2
-4
-6
-8
en % du PIB sur 12 mois glissants
Sources : BCB, BNP ParibasGraphique 4
*flux d'invest. de portefeuille+autres investissements
de court terme+dépôts des non résidents
dans le système bancaire
Flux de capitaux étrangers
entrant au Brésil
...et dans les données de balance des paiements (1)
Total
Flux de court terme*
IDE
DNOSAJJMAMF
J
DNOSAJJMAMF
J20082007
20
15
10
5
0
-5
-10
mds USD, balance des paiements, flux mensuels
Sources : BCB, BNP ParibasGraphique 5
Le solde du compte financier
est devenu négatif (2)
Compte courant
Compte financier
0807060504030201
60
50
40
30
20
10
0
-10
-20
-30
-40
15
10
5
0
-5
-10
glissement annuel %, volume, production industrielle
Sources : Anfavea, IBGE, BNP ParibasGraphique 6
Des premiers signes de freinage de l'activité
Production automobile (Anfavea)
Production industrielle
jqp// g
suggère, en effet, que si les “sudden stop” entraînant
une “large dépréciation” du change peuvent affecter
des économies très différenciées quant à la qualité de
leurs politiques économiques ou à leur insertion dans la
globalisation, leurs conséquences varient, en revanche,
très fortement d’une économie à l’autre(5). Certains
sudden stop” couplés à de “larges dépréciations du
change” sont passés quasiment inaperçus, ou ont eu
même un impact expansif. D’autres n’ont entraîné
qu’une inflexion modérée de la croissance pendant
quelques trimestres et une accélération aussi modeste
qu’éphémère de l’inflation. Quelques-uns, enfin, se sont
soldés par des récessions très profondes et durables.
Pour tenter de mieux cerner l’impact possible du
sudden stop” et du choc de change en cours sur
l’économie brésilienne, nous nous attachons, dans un
premier temps, à identifier les points de pressions et les
canaux par lesquels ces chocs se propagent ou
peuvent se propager à l’économie réelle (I) avant
d’identifier les facteurs susceptibles d’atténuer leur
impact (II).
Un freinage brutal de la croissance
apparaît difficilement évitable
Compte tenu tout à la fois de la violence des chocs
cumulés sur la balance des paiements et sur le change,
des pressions récessives émanant de l’environnement
mondial et des déséquilibres ou des fragilités que
présentait l’économie brésilienne au début du mois de
septembre, un freinage de la croissance paraît
difficilement évitable.
Des premiers signes de décélération (brutale) de
l’activité
Les indicateurs disponibles pour le quatrième
trimestre font du reste état d’une décélération marquée
de l’activité, suggérant que le PIB, dont la croissance
était restée plus que soutenue au troisième trimestre
(+7,4% au taux annuel par rapport au trimestre
précédent), pourrait se contracter au quatrième
Janvier 2009 Conjoncture 27
Encadré 1
Rappel sommaire des principaux mécanismes d’ajustement dans un contexte de “sudden stop”
Par définition et de manière comptable, on a l’égalité suivante : EC = DBC + R
EC désigne les entrées nettes de capitaux étrangers (le solde du compte financier et du compte de capital de la balance
des paiements)
DBC désigne le déficit de la balance courante (signe - si excédent)
Rest la variation des réserves de changes
Quand la valeur de EC chute brutalement, voire devient négative (“sudden stop”), la somme du solde de la balance courante
et de la variation des réserves de changes doit nécessairement s’ajuster. L’ajustement peut se faire soit par une baisse des
réserves de changes (mais celle-ci est souvent insuffisante sur la durée), soit par une amélioration du compte courant (hausse
de l’excédent ou réduction du déficit). Un redressement du compte courant passe généralement en pratique par une
amélioration de la balance commerciale de biens et services (les transferts nets unilatéraux et les revenus d’investissements
ne suffisant pas à absorber le choc). Celle-ci peut se faire via une expansion des exportations ou une contraction des
importations. Cette dernière ne présentera un caractère récessif que dans le cas où elle résulterait d’un recul de la demande
intérieure et non pas d’une substitution accrue de la production domestique aux importations.
jqp// g
trimestre. L’effondrement de la production de véhicules
automobiles, dont font état les données publiées par
l’Anfavea (-33,6% en glissement annuel au mois de
novembre, un plus bas historique), suggère, en effet,
des pressions récessives marquées dans l’industrie, où
l’activité semblait déjà avoir nettement ralenti à partir du
mois d’août (cf. graphique 6). La détérioration des
perspectives dans l’industrie est au demeurant
confirmée par les données d’enquête. L’indicateur
mesurant la confiance des chefs d’entreprise du secteur
publié par la Fondation Getulio Vargas (FGV), dont
les évolutions ont anticipé celles de la production
industrielle de manière satisfaisante dans le passé, a
notamment enregistré une dégradation particulièrement
brutale en novembre, retrouvant des plus bas qu’il
n’avait pas atteints depuis juillet 2003. Du côté de la
demande, les indicateurs ne sont guère plus
encourageants. Les ventes au détail se sont inscrites en
repli en octobre (-0,3% par rapport au mois précédent),
et la confiance des consommateurs s’est également
nettement dégradée.
Le canal du crédit : un durcissement des contraintes de
financement dont l’impact ne doit pas être sous-estimé
Le “sudden stop” auquel est confronté le Brésil se
traduit, en effet, par un durcissement des contraintes de
financement dont l’impact ne doit pas être sous-estimé.
Les entrées nettes de capitaux étrangers, dont le
montant dépassait les 10 points de PIB sur 12 mois
glissants à la mi-2007, avaient joué un rôle important
dans le cycle de croissance soutenu qu’à connu
l’économie brésilienne au cours des dernières années,
favorisant le développement des marchés de capitaux
locaux, accroissant les ressources à disposition du
secteur bancaire pour financer l’expansion du crédit au
secteur privé et participant notablement au renforcement
des capacités de production dans certains secteurs
(secteurs très liés aux matières premières notamment).
Plus récemment, l’afflux de capitaux étrangers avait
permis au taux d’investissement de dépasser le taux
d’épargne, faisant même plus que financer le déficit
courant qui était apparu à la fin de 2007 et ressortait à
1,4 point de PIB sur 12 mois glissants en août 2008.
L’impact du changement de dynamique du compte
financier a du reste entraîné des tensions sur la plupart des
compartiments de liquidités au cours des derniers mois. En
ligne avec les évolutions observées au même moment dans
la plupart des pays, la liquidité locale en dollar (marché “on
shore”) s’est asséchée à la mi-septembre : les spreads
entre les taux du dollar local (Cupom Cambial(6)) et le Libor
se sont écartés jusqu’à frôler les 800 points de base sur les
échéances courtes le 19 septembre (cf. graphique). Des
tensions sont également apparues sur la liquidité en BRL,
les petites banques ne disposant pas d’une large base de
dépôts ayant, semble-t-il, rencontré davantage de difficultés
pour se refinancer, alors que les grandes banques
manifestaient une préférence accrue pour la liquidité dans
un environnement devenu plus incertain. Toujours est-il que
la progression du crédit au secteur privé, qui avait contribué
de manière décisive à la vive expansion de la demande
intérieure au cours des dernières années, semble avoir
marqué le pas en octobre. Selon les données publiées par
la BCB, la croissance des nouveaux crédits concédés au
secteur privé serait passée de 27,3% en glissement annuel
au mois de septembre à moins de 7% en octobre, ce qui
suggère une contraction au mois le mois.
Le canal du change : les effets récessifs devraient
l’emporter à court terme
Les banques pourraient s’avérer d’autant plus
réticentes à accroître leur offre de prêt en direction des
entreprises du secteur privé non financier ou même sur
Janvier 2009 Conjoncture 28
DNOSAJJMA
M
2008
800
600
400
200
0
-200
-400
Spread Cupom Cambial / Libor, points de base
Sources : Bloomberg, BNP ParibasGraphique 7
Des tensions sur la liquidité en dollar
1 mois
6 mois
jqp// g
Janvier 2009 Conjoncture 29
le marché interbancaire que la forte dépréciation du real
a accru les incertitudes quant à la solidité du bilan de
certaines contreparties.
Un effet négatif sur les bilans
Les pertes dont ont fait état dès le mois d’octobre
certaines grandes entreprises cotées sur le Bovespa
(Sadia, Aracruz, Votorantim(7)) ont, en effet, laissé
craindre que certaines compagnies domestiques aient
pu prendre des positions spéculatives relativement
lourdes sur les dérivés de change, ou, plus simplement,
négliger de se couvrir contre le risque de change du fait
du faux sentiment de sécurité créé par quatre années
d’appréciation quasi continue du real face au dollar.
La vive croissance de la dette externe privée (cf.
graphique 8) au cours des dernières années et, surtout,
l’absence de données fiables sur la taille et la nature des
positions prises par les différents acteurs sur le marché
des dérivés de change ont contribué à nourrir un climat de
défiance(8), avec des effets dommageables à la fois sur la
dynamique du crédit, sur la liquidité du marché inter-
bancaire et sur les valorisations boursières. Les valeurs
bancaires cotées sur le Bovespa ont été notamment
lourdement pénalisées, les opérateurs craignant que les
principales banques ne soient exposées sur les dérivées
de change à la fois directement (du fait des positions
prises pour compte propre ou comme contrepartie de
clients) et indirectement (via la détérioration de la qualité
de leurs actifs qui pourrait résulter de la dégradation de la
solvabilité de certains de leurs clients ayant parié sur une
poursuite de l’appréciation du real).
Les autorités de régulation ont pris rapidement des
mesures pour éviter des réactions de panique, ordonnant en
particulier aux entreprises cotées de faire connaître
rapidement leurs expositions au risque de change sur le
marché dérivé, et les première données communiquées en
liaison avec la publication des comptes du troisième
trimestre ont amené à penser que la taille des expositions
était moins importante qu’on pouvait le craindre. Toutefois,
un desserrement des conditions de crédit semble peu
probable tant que les incertitudes ne seront pas totalement
dissipées et, au niveau microéconomique en tout cas,
certaines contreparties pourraient être contraintes à des
ajustements plus ou moins douloureux dans les mois à venir.
Un effet expansif sur les volumes d’exportation
limité...
D’une manière générale, il semble peu probable que
la dépréciation du BRL puisse avoir un impact expansif
suffisant pour permettre que l’ajustement au changement
de dynamique du compte financier se fasse via une
augmentation de la production et des exportations et non
pas par une contraction de la demande intérieure.
Certes, le choc de change intervenu à partir du mois de
septembre a probablement permis de corriger une
situation antérieure de déséquilibre. Bien que le niveau
“normal” du taux de change soit difficile à évaluer avec
précision dans des pays qui, comme le Brésil, ont vu leur
productivité, leur degré d’ouverture au commerce inter-
national, leurs termes de l’échange et leur régime
monétaire affectés par d’amples variations au cours des
deux dernières décennies(9), plusieurs éléments
indiquaient une surévaluation du real à l’été 2008. D’une
part, le taux de change effectif réel se situait à un niveau
supérieur de près de 20% à sa moyenne de long terme, un
écart que même l’amélioration des termes de l’échange, le
redressement de la productivité et les progrès en matière
de stabilité des prix observés au cours des dernières
années ne suffisaient pas à expliquer. D’autre part et
surtout, l’évolution des comptes externes suggérait une
détérioration de la compétitivité : non seulement le solde
du compte courant était devenu déficitaire dans un
contexte où les importations enregistraient des taux de
croissance à deux chiffres, mais le Brésil semblait perdre
des parts de marché à l’exportation (cf. graphique 9).
0807060504030201
120
100
80
60
40
20
0
mds USD
Sources : BCB, BNP ParibasGraphique 8
Dette externe privée
Moyen long terme
Court terme
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