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EMANUEL
(Quand le monde s’arrête)
Pièce en un acte
de
Andrea Lopez Saez
Traduit de l’espagnol, Décembre 2003,
Dépôt n M001609-SACD- Belgique
Première représentation en espagnol de « Emanuel » : Santiago du Chile, 14 Janvier 2003
Mis en scène : Jimena Saez
Fou : Omar Lopez
Emanuel : Patricio Lara.
Personnages :
- Emanuel
- Le Fou
Quelque part dans le désert, à la tombée de la nuit
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Deux hommes sont couchés par terre. L’un d’eux, un peu étourdi se lève et trébuche sur
l’autre qui se réveille en sursaut.
FOU – Qui êtes-vous ?
EMANUEL- N’ayez pas peur !
FOU – Qui êtes-vous ?
EMANUEL – Ça fait trois jours que vous êtes inconscient, couché ici au milieu du désert.
Heureusement que je vous ai trouvé et que…
FOU – (Interrompant) Trois jours ! Quel jour sommes nous ! Oh ! Ne me dite rien (Il
court vers sa valise et en sort un grand agenda tout défait) .Voilà, ici ! Il est
écrit grande première, Mardi 12 à 20 heure ! Et quel jour sommes nous
aujourd’hui ? (Emanuel ne sait pas quoi répondre) Et l ‘heure ? Quelle heure
est-il ?
EMANUEL- Le soleil vient de se coucher et…
FOU- (interrompant) Je suis foutu ! La grande première est passée. Et si mes calculs
sont exacts, ils ont jouer sans moi. Sans moi ? Les salauds ! Et moi ici
comme un con à penser ma vie (Il se frappe au visage) Imbécile, imbécile,
imbécile…
EMANUEL – Mais ne vous martyrisez pas ainsi. Ce qui est fait est fait.
FOU - Mais vous ne comprenez donc pas ?! Ils ne vont jamais me le pardonner. Et en
plus aujourd’hui, le jour de la première ! Je vais être à nouveau au chômage.
Sans travail, sans avoir de quoi vivre, ni créer, ni manger, ni rien. Et
maintenant, que vais-je faire ?
Emanuel se recroqueville de douleur au ventre.
FOU- Qu’avez vous ?
EMANUEL- Rien, rien. Ça fait longtemps que je ne mange pas.
FOU- Mais comment est-ce possible ? Attendez, ne bougez surtout pas. (Il accourt
vers sa valise, l’ouvre et en sort plusieurs accessoires théâtral) Le voilà ! (Il
déroule sur sa valise qui lui fait office de table, une nappe sur la quelle sont
collés des assiettes fausses et un poulet en frigolite) Tataaaan ! Monsieur, la
table est servie. Ce n’est pas comme transformer les pierres en pain mais on
pourrait dire que c’est presque un petit miracle (Emanuel touche le drôle de
service) Ce sont des accessoires de théâtre.
EMANUEL- Accessoires de théâtre ?
FOU – Oui, de théâtre ! Vous savez, le théâtre avec des acteurs, des costumes, du
maquillage … Ne me dite pas que jamais il a eu du théâtre dans votre village.
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EMANUEL- Non, jamais.
FOU- Le théâtre c’est la vie mais pas comme la vie courante, si non d’une façon plus
expressive et manifeste. Une pièce de théâtre est un segment simplifié de la
vie. Vous comprenez ?
EMANUEL- Une pièce de théâtre est à la vie ce que sont les paraboles aux Ecritures ?
FOU – C’est exactement ça ! Une pièce de théâtre est une façon plus simple
d’expliquer la vie. Il y a sur le réel un voile qui nous cache la vérité. Ce voile
c’est le temps que nous perdons à survivre. Nous dédiant peu aux choses
vraiment importantes de la vie, nous sommes avilis à lutter pour les quelques
miettes du pain quotidien. Les gens de théâtre comme moi avons la charge de
distraire le voile et de permettre aux gens de voir avec clarté la vérité de leur
propre existence.
EMANUEL – Et vous dans ce…théâtre, que faite-vous exactement ?
FOU – Moi, je suis … (levant le buste et ajustant sa voix) : acteur professionnel !
EMANUEL – Acteur professionnel ?
FOU – Oui, monsieur ! L’amateurisme c’est pour les lâches (Emanuel se
recroqueville à nouveau) Monsieur, pardonnez-moi, j’oubliais l’essentiel ! Le
vrai festin se trouve dans ma poche. (Il sort de sa poche un vrai vieux sandwich
et le coupe en deux) Ceci est mon sandwich préféré. Je l’aime plus que ma
propre vie et je veux le partager avec vous. (Le Fou mange avec appréhension
et tout à coup remarque que Emanuel n’en touche rien) . Vous ne mangez
pas ?
EMANUEL – Je suis désolé. Je ne peux pas.
FOU – Vous avez des nausées ? Vous ne vous sentez pas bien ? Vous avez l’air pâle. Il
faut absolument que vous fassiez attention à votre système digestif. Ça fait
combien de temps que vous ne mangez pas ? Ouvrez la bouche, sortez la
langue…Ne dite rien ! C’est le stress qui vous épuise. Que le travail par-
ci…que la maison par-là…que la famille …Faite attention ! Toutes ces
préoccupations peuvent être fatales pour la santé et dans votre cas, je dirais…le
colon. Oui, monsieur vous avez une gastrite ou quelque chose du genre mais
plus bas. De retour au village il va falloir que vous alliez voir votre médecin de
famille ou si vous préférez votre guérisseur ou sorcier local. Il vous dira la
même chose que moi.
Un esprit sain dans un corps sain. Croyez- le, mon vieil ami !
EMANUEL - (Dur) Mon esprit et ma santé vont parfaitement bien. Laissez-moi tranquille et
n’insistez plus.
FOU - Mais qu’est-ce qui vous arrive?
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EMANUEL – Rien du tout ! Je vous prie de vous mêler de vos affaires, un point c’est tout.
FOU – (choqué) Soit, je ne suis pas rancunier. (Pause)Vous avez de la chance, à une
autre époque je l’aurais mal pris et même que je vous aurais défié en un duel
mortel. Je sais me battre, vous savez ? Il ne faut pas se fier aux apparences.
Mais comme je suis de bonne humeur, je vous pardonne. Et comme preuve de
ma bonne foi, je mangerais ce sandwich tout seul !
Emanuel le regarde avec attendrissement.
EMANUEL – Vous devez être quelqu’un de très spécial pour avoir eu le courage d’être un
acteur professionnel.
FOU – Je dois reconnaître que depuis ma plus tendre enfance, j’ai su que j’avais un
« je-ne-sais-quoi ». Un rien m’émouvait aux larmes, tout me procurait de
l’éblouissement : le ciel bleu, nager dans la mer, courir sous la pluie…
EMANUEL- …S’échapper de la maison à l’heure de la sieste…
FOU - … Et s’enfuir à toute jambe, presque en volant…
EMANUEL- Oui ! Et grimper sur les arbres !
FOU - …En chiper les fruits et puis les manger en cachette !
EMANUEL – Tous les matins et tous les soirs, parler à mon chien et à mon chat. Et durant
toute la journée se sentir danser au lieu de marcher, au son d’une symphonie
secrète émise par les nuages, les fleurs et les pierres.
FOU - À cette époque, tout me parlais et je comprenais tous ces langages…
EMANUEL – Alors que maintenant, j’entends que du bruit dans ma tête.
FOU – Je me souviens qu’à cette époque tout m’était évident. J’étais un être à part,
destiné à devenir un artiste. Le don théâtral coule dans mes veines. Je me
résigner à l’évidence : j’étais un acteur né. Je n’eu pas le choix et me
consacrer corps et âme à ce dur métier d’acteur, mais ô combien gratifiant en
certains aspects. Comment pourrais-je vous l’expliquer de façon simple et
compréhensible pour vous ?
EMANUEL – C’est comme cette voix qui depuis les tripes ri quand on fait ce que l’on doit
faire et pleure quand on n’en fait rien ?
FOU – Ouiii ! C’est ce que l’on peut appeler l’alarme de la vocation…
Quelle perspicacité ! Vous êtes artiste, vous aussi ? Je le savais ! Mon intuition
ne me fait jamais défaut.
EMANUEL - Non, pas du tout…
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FOU - Vous ne pouvez pas me tromper. Vous devez être un artisan ou quelque chose
d’autre.
EMANUEL – Je suis charpentier.
FOU – Artisan ou artiste, c’est de même ! Collègue, fêtons les retrouvailles ! Venez.
(Il fait asseoir Emanuel près de la « table » et s’installe ensuite. Il termine de
mâcher ce qui lui reste de sandwich) Manger est le plus grand des plaisirs que
puisse offrir la vie. C’est meilleur que tout ! Tient, si on me laissait le choix
entre la plus désirable des femmes et mon sandwich préféré, sans aucun doute
je choisirais le sandwich.
EMANUEL- Ah, ça m’étonnerait.
FOU – Je vous le jure sur la tête de Shakespeare ! Je suis capable d’abandonner l’objet
de tous les désir et ses bien connues promesses pour le plus trivial et ridicule de
tous mes goûts. J’aime goûter et tout expérimenter. Nous sommes des animaux
d’expérience ou pas ?
EMANUEL – (pause) Je crois plutôt que nous sommes des êtres de transcendance qui …
FOU – (interrompt) Je suis tout à fait d’accord avec vous ! Une fois, quand j’étais plus
jeune, j’ai eu une expérience à mon avis transcendantale. Avec un ami nous
avons avalé un hallucinogène, juste pour voir et ça a été une véritable
expérience mystique, de transcendance pure comme vous dite. Vous devriez
essayer.
EMANUEL – Vous croyez ?
FOU- Bien sûr ! Mais faite gaffe aux excès et au manque de volonté. Moi, le désir ne
me domine jamais.
EMANUEL – Il ne vous domine peut être pas et pourtant le mouvement perpétuel de la
grande roue de la vie, lui, il semble bien que oui . A chaque fois, par habitude
ou par paresse nous insistons à répéter les me erreurs, ces exquis petits
cauchemars et ainsi nous perpétuons notre condamnation éternelle à nous
traîner dans la plus remarquable de toutes nos caractéristique humaine : la
démence totale.
FOU - J’adore la démence et ses dérivés ! C’est ma source de jeunesse et
d’inspiration ; L’enfer donne du goût à la vie. Les chinois le disent : « Les gens
heureux n’ont pas d’histoire ». Et les histoires, c’est mon business. De plus je
pressens que trop de bonheur nous maintiendrait dans l’apathie, la paresse et
l’ennui. Vous ne croyez pas ?
EMANUEL- Non, je ne le crois pas. (Pause) Je vous prie de m’excuser, mais il faut
absolument que je parte.
FOU – Vous allez me laisser tout seul ?
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