Introduction, notes et traduction de François Hominal, Institut Ricci de Paris, Mai 2009
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la Loi bouddhique, ont aussi subi l’influence dominante d’un environnement scientiste. C’est
pourquoi Liang Shuming, tout en reconnaissant que la Loi bouddhique satisfait aux deux
critères de la religion – le mystère et l’extraordinaire -, qu’elle est une vraie religion, pense
aussi que la religion est une direction de l’existence de l’humanité à venir, quoique l’époque
s’efforçait de la rejeter. Liang Shuming soutient que la science et la religion ont une affinité
inexplicable, il s’efforce de discuter les raisons pour lesquelles la culture chinoise n’a ni
science ni démocratie. Xiong Shili s’applique à montrer que le confucianisme n’est pas une
religion, définit avec rigueur la frontière entre science et religion, entre études confucianistes
et études bouddhiques, il critique l’idée que la religion bouddhique s’oppose à la science,
insiste sur le fait que le confucianisme contient la science, la démocratie, etc. Et ce,
probablement, parce que la question qu’ils rencontrent, celle à laquelle ils doivent répondre
est la suivante : ce que les Occidentaux ont de plus précieux, la science et la démocratie, la
culture chinoise et le confucianisme en sont dépourvus.
La deuxième génération de néo-confucianistes contemporains, Tang Junyi, Mou Zongsan15,
etc., n’ont commencé à affirmer la valeur de la religion qu’à la fin des années 40 - début des
années 50. Après s’être installés à Hong-Kong, ils ont encore mieux réalisé que ce qui est
vraiment le fond de la culture occidentale et ce qu’elle a de plus profond, n’est précisément
rien d’autre que la religion. Tant tout à la fois stimulés par la conscience religieuse
occidentale et la valeur de la religion, s’ancrant dans une obsession à résister à la culture
occidentale et à conserver l’esprit de la culture chinoise, ils ont commencé à connaître, à
exhumer et interpréter à frais nouveaux l’esprit religieux que contient l’école confucianiste et
le confucianisme. Le Manifeste « La Culture chinoise et le Monde »16 de quatre maîtres, Tang
Junyi, Mou Zongsan, Xu Fuguan, Zhang Junmai publié le jour de l’an 1958 est un exemple
d’une approche de la religiosité du confucianisme qui a déjà trouvé sa forme accomplie. Ils
pensent que la Chine n’a rien connu du système occidental, ni Eglise, ni guerres de religion,
ni séparation de la politique d’avec la religion, que le sentiment transcendant à caractère
religieux du peuple chinois ainsi que son esprit religieux sont liés d’une manière inséparable à
la morale éthique à laquelle il est très attaché ainsi qu’à la politique.
La conception du ‘ Ciel ’ de l’antiquité désignait le Souverain suprême doté d’une
personnalité17 ; la foi religieuse des anciens à l’égard du Ciel s’est infiltrée dans la manière
dont les penseurs ultérieurs ont pensé l’homme et a conduit à des conceptions comme : ‘ le
Ciel et l’Homme unissent leurs vertus ’, ‘ le Ciel et l’Homme s’unissent ’, ‘ le Ciel et
On trouvera des monographies sur ces deux penseurs et sur les quatre qui sont étudiés dans cet
article dans Umberto Bresciani,
Reinventing Confucianism
, Taipei Ricci Institute for Chinese Studies,
Taipei, Taiwan, 2001.
15 Tang Junyi (1909-1978) et Mou Zongsan (1909-1995) : voir ci-dessous.
16 Le Manifeste « La Culture chinoise et le monde » de 1958 est notamment une protestation contre
les diverses mésinterprétations occidentales de cette culture, une affirmation qu’elle a une religiosité,
que son joyau est l’interprétation idéaliste du confucianisme (doctrine xin-xing 心性, ‘Esprit-Nature
humaine’) et que les sciences et la démocratie doivent être assimilés par les Chinois.
17 Le texte propose « personal God ». Nous le traduisons par « dieu personnel », mais non sans
réserves. L’expression chinoise (人格神
rengeshen
) doit se comprendre comme « divinité dotée d’une
personnalité », c’est-à-dire réputée pouvant voir, entendre, parler, juger, récompenser et punir, etc.,
une divinité que l’on peut prier, à laquelle on peut demander le salut, ce qui détourne l’homme de
rechercher en lui son accomplissement. Elle peut s’appliquer aussi bien au Ciel chinois de l’Antiquité
qu’au Dieu de la Bible. Nos réserves viennent de ce que l’expression « dieu personnel » a une
signification différente dans la perspective biblique, où le caractère « personnel » de Dieu tient à ce
que la relation entre Dieu et l’homme est concçue d’une manière analogue à celle existant entre des
personnes humaines. Nous évitons aussi l’expression « dieu/divinité anthropomorphe » qui sont des
dieux représentés avec des formes et des mœurs humaines.