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Il [...] me demanda sarcastiquement si je savais
que les éléphants étaient en réalité les derniers
individus – oui, monsieur – et qu'ils
représentaient, paraît-il, les derniers droits
essentiels de la personne humaine, maladroits,
encombrants, anachroniques, menacés de
toutes parts, et pourtant indispensables à la
beauté de la vie.
Romain Gary, Les Racines du ciel
1
INTRODUCTION
Est-il raisonnable, dans un travail de recherche, de se fonder sur l’hypothèse – de faire le
pari, en somme – de l’existence foisonnante d’une scène nomade ? La question est abrupte,
triviale, mais peut-être sensée, du moins en apparence. A première vue, en effet, le spectacle
vivant nomade (théâtre ambulant, numéros saltimbanques et forains, cirque) n’existe plus aux
dires de certains, est moribond pour d’autres. Plus de roulottes ? Disparition des caravanes et
des chapiteaux ? Que dire des tentes et des campements forains ? Doit-on se résoudre à la
concomitance d’une familiarité de l’image avec la disparition de son sujet ? Ce serait négliger
qu’un peu subsiste et qu’un peu émerge ou ressurgit
2
. C’est justement ce peu qui nous
intéresse dans ce travail, y compris dans ce qu’il contient d’un tout. Nous affirmons alors, en
suivant, que la scène nomade dans ce qu’elle recèle, contient à elle seule ce tout qui est le
spectacle vivant, dans l’esprit flamboyant du Grand Cirque Calder
3
. Tel a été effectivement
notre feu dans cette présente entreprise : approchons-nous, plus près, arrêtons-nous, et
regardons vraiment ; la scène nomade est vivante et belle. Certes, concédons-le, les dernières
décennies ont peut-être été parmi les pires de son histoire : quasi-disparition du théâtre
1
G
ARY
R., Les Racines du ciel, Paris, Collection Folio, Gallimard, 1956, 1972, p. 153.
2
D
E
M
ORANT
A., La Scène itinérante, émergences, résurgences, Mémoire de DEA, Université Paris X,
Nanterre, 1999.
3
P
AINLEVE
J., Le Grand Cirque Calder, 1927, Paris, Centre Georges Pompidou, 2009.