Cinq
notes
égyptiennes
Les
épithètes
funéraires
de
Tell
El
Yahoudijeh
W.
Horbury
s'est
récemment interrogé
sur
le vocabulaire de
quelques
épitaphes
juives
en
langue
grecque de
la
petite
bourgade égyptienne
de
Tell el Yahoudijeh-Léontopolis,
Studies
in
early jewish epigraphy,
edd.
J.
W.
Van
Henten
et
P.
W.
Van
Der
Horst, Leyde, 1994, 9-43 ;
son
article,
intitulé
"Jewish inscriptions
and
jewish literature
in
Egypt,
with
special reference
to
Ecclesiasticus",
porte
en
particulier
sur
le vocabulaire
des
épitaphes
métriques
(0.1. 23-32),
dans
l'ordre, les
stèles
d'Abraham,
Somoèlos,
Dèmas,
Jésus,
Pappion
et
Rachèlis1.
Son
propos
était
d'y
repérer
les
épithètes
empruntées
par
la
pratique
épigraphique
de ce village2
aux
"classiques" de
la
littérature
juive
d'expression
grecque3. Des contacts
sont
évidents
avec
l'Ecclésiasté.
Horbury
en
a
trouvé
quatre
(la sophia de
Dèmas
et
d'Abraham,
la
bonté
d'Abraham
et
de ses
enfants
(agathoi),
la
pistis
et
la
charis de Somoèlos
0.1.
commentaire
22-26). Mais
il
s'est
limité
aux
épitaphes
en
vers.
Je
veux
donc
insister,
ici,
sur
la
distinction à
établir
entre
un
vocabulaire
d'emprunt
attesté
sur
quelques
épitaphes
versifiées
et
un
autre
vocabulaire
dévolu
aux
autres
stèles
5.
1
29, 30, 34, 36, 37, 39,
dans
W.
Horbury
et
D.
Noy, Jewish Inscriptions
of
Graeco-Roman
Egypt, Cambridge, 1992.
Tout
au
long de cet article,
je
renverrai
à ce recueil.
20.1.9:
"What
light
do
Jewish
inscriptions
and
literature
in
Egypt
throw
on one
another
?
(.
.
.)
in
Egypt
as
elsewhere most
Jewish
inscriptions
are
epitaphs,
and
epitaphs
form
the
c1ass
of
inscriptions
which
stands
c10sest
to
literature
;
but
in
Egypt
the
resemblances
between
Jewish
epitaphs
and
Jewish
literature
are
even
stronger
than
might
have been
expected.
The
literature
is often
epigraphic
in
theme,
and
the
surviving
epitaphs
are
unusually
often
of
sorne
literary
pretension
(.
.
.)
comparison is therefore encouraged
by
shared
place
and
time,
and
by contacts
in
style
and
subject-matter".
3
0.1.
10 : "The
literature
here
in
view for comparison
with
the
inscriptions
consists
of
books
likely
to
have been
translated
or
written
in Ptolemaic
and
early
Roman Egypt.
These
include,
first
and
forernost,
the
LXX
Pentateuch,
followed by
most
of
the
Prophets
and
Hagiographa,
III Maccabees,
the
Wisdom of Solomon
and
the
greek Ecclesiasticus.
These
greek
books
are
probably ail Ptolemaic,
but
for
III
Maccabees
and
Wisdom
an
early
Roman
date
is
also possible".
Horbury
fait
remarquer
ibid., à
juste
titre,
que
cette
énumération
ne recouvre
que
les
textes
qui
ont
survécu
et
que
les
juifs
d'Egypte
ont
certainement
lu
d'autres
oeuvres
aujourd'hui
disparues.
40.1.
26:
"Nevertheless, Ecc1esiasticus often
illuminates
the
background of
the
epitaphs
(.
..
)".
5
On
ne
peut
faire
cette
distinction qu'à Tell el Yahoudijeh, seul
site
du
delta
à
avoir
produit
autant
de poèmes
funéraires
(sur
l'inégale productivité des
sites
du
delta
en
épitaphes
versifiées,
v.
déjà E.
Bernand,
Inscriptions métriques,
Paris,
1969, introd. 13-14).
73
Voici
le
bilan
d'une
recherche
sur
le
recueil
de
Horbury
et
Noy6.
J'ai
disposé
les
épithètes
en
trois
séries,
selon
qu'elles
apparaissent
en
vers
(1),
en
prose
(2)ou
dans
les
deux
modes
d'expression (3)
(en
face
de
chacune
figure
le
nombre
de
ses
attestations).
Mais
j'ai
éliminé
les
épithètes
attachées
à
d'autres
que
les
morts
(parents
des
divers degrés)7
et
les
épithètes
descriptives (qui
caractérisent
objectivement
les
carriè-
res,
évènements
et
accidents
de
la
vies
ou
des
traits
physiques
des
indi-
vidus).
Je
n'ai
retenu
que
les
épithètes
qui
impliquent
une
appréciation
subjective
et
morale
des
morts
par
leurs
survivants,
car
ce
sont
les
seules
qui
révèlent
l'état
des
mentalités.
Ma
liste
est
donc
moins
longue
que
celle
de
Horbury
et
Noy 0.1. 269-272.
agathos
ainomoros
aklèros
aneuphrantos
aristos
atychès
alupos
anegklètos
kompsos
kydalimos
néos
1
Epithètes
sur
épitaphes
en
vers
1
ex
dusménès
1 dusmoros
1 hagnotraphès
1 makaristotatos
1 panaristos
2 panôduros
sôphrôn
2
Epithètes
sur
épitaphes
en
prose
9 ex.
1
1
1
philadelphos
philètos
philogeitôn
philoteknos
1 ex.
1
1
1
1
1
1
1 ex.
1
1
1
6 Sous les
29-104,
leurs Jewish inscriptions groupent toutes les épitaphes
sûrement
ou
probablement originaires de Tell el Yahoudijeh (stèles métriques =
29-40,
provenances non
assurées =
40,
61,
64-66,102-104).
7 Exemple austèros qui qualifie non le défunt, mais
sa
compagne (30, 3).
S Exemple agérastos qui évoque les honneurs décernés
au
magistrat
Abraham (39, 5).
74
akmaios
ateknos
aôros
chrestos
pasiphilos
3
Epithètes
attestées
en
vers
et
prose
vers
1 ex.
2
2
1
1
prose
1 ex.
4
27
41
31
Ces
tableaux
sont
parlants,
malgré
la
maigreur
des
effectifs
enregistrés.
L'influence des sources
juives
traduites
en
grec
reste
limitée,
pour
l'instant,
à
quelques
épitaphes
métriques
et
ne
s'est
pas
diffusée,
appa-
remment,
aux
épitaphes
en
prose. Les
autres
épithètes
des
stèles
métriques,
quand
elles
ne
sont
pas
banales
9,
sont
des
raretés
qui
ne
proviennent
pas
des
sources
littéraires
juives
et
qu'on
ne
retrouve
pas,
non
plus,
sur
les
stèles
en
prose.
Pour
cette
deuxième raison, il
faut
plutôt
y voir les signes
d'une
recherche d'originalité
simplement
stylis-
tique
10.
Mais,
sur
ce point
également,
ne
soyons
pas
abusés
:
les
adjectifs
rares
et
véritablement
originaux
sont
quelques-uns,
pas
plus
ll
.
Les
rares
épithètes
attestées
seulement
en
prose font l'éloge
des
qualités
personnelles
des
défunts
12
ou
de
leur
sociabilité
13
. Elles
suffisent à
montrer
que
Tell el Yahoudijeh a privilégié
les
mêmes
thèmes
funéraires
que
le
monde
hellénico-égyptien
qui
l'entourait.
Côté grec,
on
donnait
la
priorité
aux
épithètes
laudatives
(M. N. Tod,
ABSA
46,
1951,
182-190), côté égyptien,
aux
vertus
de convivialité familiale
et
de
sociabilité villageoise (ZPE 23,
1976,225-227
et
CE 67, fasc. 134, 1992,
329).
Les
deux
tendances
s'expriment
ici,
parallèlement.
Cinq
épithètes
apparaissent
simultanément
en
vers
et
en
prose,
dont
trois, aôros, chrestos
et
pasiphilos,
sont
massivement
les
plus
attestées
de
toutes,
mais
presque
exclusivement
en
prose. Si
on
examine
la
phra-
séologie
funéraire
des
communautés
non
juives
de l'Egypte, on
constate
la
prédominance
des
mêmes
qualificatifs. A
Kom
Abou Billou, l'ono-
mastique
est
majoritairement
indigène,
la
déploration
sur
la
précocité
des décès
est
tout
aussi
répétitive
qu'à
Tell
el
Yahoudijeh (54 exemples
9 Exemples aristos, atychès, sôphrôn.
10
Cf.
la
remarque
d'E. Bernand 0.1.
209,
à propos d'aklèros
et
d'aneuphrantos : "Comme
dans
d'autres
épigrammes de Léontopolis, on constate
un
effort
du
poète pour renouveler
le vocabulaire".
11
D'autres
épithètes
sont
de simples
emprunts
sans
originalité à l'épopée homérique
(ainomoros,
dusménès,
dusmoros).
12Anegklètos, kompsos, kydalimos.
13Alupos,
certainement
utilisé
au
sens actif, "qui n'a causé
aucun
chagrin" (Lychnos n "65,
1995, 36-39), philadelphos, philètos, philogeitôn, philoteknos.
75
d'aôros
dans
CE 67, 329),
de
même
la
célébration des
vertus
commu-
nautaires
(60
témoins
de philoteknos
et
18 de chrestos, ibid). Pasiphilos
et
alupos y
sont
bien
attestés
aussi,
quoiqu'en
nombre
plus
limité,
et
surtout,
une
impressionnante
série
de composés enphil(o)- occupe
le
bas
du
tableau
0.1. 329. Les
milieux
grecs
païens
d'Alexandrie
partageaient
le
même
vocabulaire:
en
1976
<ZPE
23, 227),
on
dénombrait
15 aôroi
et
même
aôrôtatoi, 62 chrestoi
et
23
philoi
des
plus
diverses espèces14.
La
phraséologie funéraire de Tell el Yahoudijeh
ne
présente
donc
de
particularités
lexicales
véritablement
"juives"
que
sur
une
infime mino-
rité
d'épitaphes
en
vers.
Sur
les
autres
stèles
s'est
épanouie
la
phraséo-
logie commune à
toute
l'Egypte gréco-romaine
15
.
A
cette
indistinction,
il
y a
sans
doute
une
raison
:
les
colons
juifs
implantés
à Tell el Yahoudijeh
avaient
mêmes
occupations,
cadres
et
modes
de vie,
dans
leur
petite
bourgade
rurale,
que
des
voisins égyp-
tiens,
comme les
paysans
de Kom Abou Billou.
Pour
mener
à
bien
leurs
tâches
quotidiennes
et
vivre ensemble,
les
uns
et
les
autres
devaient
se
partager
quelques
valeurs
morales
communes. Ces idéaux, fondés
pour
l'essentiel
sur
le besoin
d'entraide
collective,
étaient
d'une
utilité
telle-
ment
universelle
qu'aucun
particularisme
théologique
n'avait
de
motifs
de
s'opposer à
leur
célébration.
Ils
étaient
acceptables
par
tous
16
.
CEMG
1630
Plusieurs
étiquettes
de momies
révèlent
des cas
d'inhumations
retar-
dées. A.
Bataille
les a évoqués
dans
ses
Memnonia,
1952,222-225,
suivi
de
J.
Quaegebeur,
PLB
19, 1978, 238
et
M.
Chauveau,
BIFAO 91,
1991, 159. Déjà prouvée
par
les
témoignages
d'auteurs
antiques
{Bataille 222), cette
pratique
a
été
confirmée
par
l'archéologie (id. 223)
et
le
papyrus
Casati
(id. 223)
des
choachytes
thébains
rendent
des
cultes
funéraires
à des
défunts
n'ayant
pas
encore rejoint
leurs
tombes
définitives.
Bataille
et
Quaegebeur
citent
l'étiquette
d'une
femme décédée le
25
Mésorè
d'un
an
1
et
inhumée
le
11
Pachôn
d'un
an
2, soit
plus
de
14 Philophilos, philoteknos, philoponos,
philanthrôpos,
philopaterl-patôr, philomèterl-
mètor,
philandros,
philadelphos,
pasiphilos.
15
On
pourrait
même dire,
sans
excès, commune à
tout
l'Orient hellènophone,
car
les
épithètes évoquées aux pages précédentes
apparaissent
partout
l'on a inhumé
en
grec,
comme le
montrent
les exemples de
M.
N. Tod 0.1.
16
Cette
impression d'indistinction a
été
déjà ressentie. Horbury
et
Noy 0.1. introd. XVIII
s'en font l'écho:
"C
..
)
the
phraseology used
in
the
epitaphs
at
the
site was broadly
similar
ta
that
used elsewhere in Egypt.
It
is therefore impossible
ta
identify a non-Jewish
element
in
the
Leontopolis population on
the
bases
of
names or vocabulary".
Un
peu
de
statistique
permet
d'en mieux
montrer
le bien-fondé.
76
8
mois
et
demi
après
(G. Mimer,
BDT
1, 1913,
102
=
SB
l,
1195 =
CEMG
109).
Quaegebeur
y
ajoute
l'inscription
démotique
d'un
linge funéraire,
qui
révèle
un
intervalle
de
140
jours
(ibid.
note
52),
Chauveau,
deux
étiquettes,
Louvre
inv.
AF
12049 (16
décembre
97-5
juillet
98 =
plus
de
6
mois
et
demi)
et
Fouad
5 (13 février-23 octobre 191 =
presque
8
mois
et
demi).
Il
y a
aussi
des
présomptions
d'inhumations
retardées
sur
les
étiquettes
Louvre
inv.
AF
10076
et
CEMG 1914,
que
Chauveau
signale
ibid.
note
15.
Je
crois
qu'il
faut
ajouter
CEMG
1630 à l'ensemble.
Cette
étiquette
a
été
initialement
publiée
par
D. Mueller,
JEA
59, 1973, 177-178
et
planche
XLII
(texte
amendé
dans
CE
98,
1974, 396).
En
voici
la
traduction
: "Hermiysis fils
de
Kollouthos, courage.
(un
blanc)
Kollouthos à Kallistos.
Quand
la momie
de
mon
garçon
t'aura rejoint, garde-la jusqu'à
ce
que
je
te rejoigne"17.
La
situation
est
claire :
un
père
expédie
la
momie
de
son
fils à
un
tiers.
À
son
sujet,
D.
Mueller
écrit
ceci:
"Kallistos
could
be
a
relative
in
the
home
town
where
the
burial
was
to
take
place
;
or
merely
a
nekrotaphos employed
at
the
necropolis for
which
the
mummy
was
destined.
In
either
case,
the
cemetery
would
have
to
lie a
certain
distance
away,
as
Kollouthos
apparently
expects
sorne
time
to
elapse
between
the
delivery
of
the
body
and
his
own
arrivaI.
Altematively,
Kallistos
could
be
a
shipping
agent
or
boat
captain
(.
..
).
In
that
case,
his
instructions
wereto
await
the
arrivaI
of Kollouthos before proceeding
with
the
transport".
Il
ne
me
paraît
pas
vraisemblable
que
Kallistos
ait
été
nécrotaphe.
Dans
les
nécropoles
égyptiennes,
il
serait
surprenant
de
rencontrer
un
Hellène,
si
D.
Mueller
a
vu
juste
en
le
croyant
tel
("His
name
certainly
suggests
Greek
rather
than
Egyptian
extraction").
En
effet,
partout
apparaissent
des
noms
d'employés
funéraires,
nécrotaphes
ou
entaphias-
tes,
nous
sommes
au
coeur
de
l'onomastique
égyptienne
18.
De
plus,
les
textes
juxtaposent
toujours
leurs
noms
et
leurs
titres
("X, nécrotaphe"19),
ce
qui
n'est
pas
le
cas
ici,
et
ont
parfois
la
forme
d'ordres
de
livraison
("livre A à X, nécrotaphe")20, ce
qui
n'est
pas,
non
plus,
le
cas
ici.
17
Je
reproduis
en
traduction
("rejoindre")
la
répétition
du
verbe grec (paragénesthai).
18
Ceux
qu'on
connaît
se nomment Panéchatès
(CEMG
2022, 2051-2052, 2054),
Panisas
(2034),
Pouartis
et
Pouerséous (2023), Sékès (2035) !
19
CEMG 2022-2023, 2034-2035, 2051-2052, 2054.
20
CEMG 2022, 2025, 2054, 2113.
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