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La conférence de Berlin (1884 – 1885)
Auréolé par la victoire remportée en 1870-1871 sur la France, Bismarck, le « Chancelier de
fer » allemand organise dans la capitale du jeune IIème Reich une conférence internationale
destinée à gler les différends coloniaux opposant les puissances européennes qui se
partagent alors le « gâteau africain » (l’expression est de Bismarck). La France, le Portugal,
l’Italie, l’empire turc ottoman, l’Angleterre, les USA, l’Allemagne, notamment, essayent
d’éviter l’aggravation des rivalités coloniales susceptibles d’entraîner un conflit généralisé…
La Belgique, présente au Congo, est invitée à cette conférence. Léopold II, roi des Belges, tire
alors les marrons du feu en faisant reconnaître l’Association Internationale du Congo, lequel
sera théoriquement indépendant de 1885 à 1908, mais sous l’autorité du souverain de
Belgique.
Un intérêt tardif pour l’Afrique ?
Selon une opinion communément admise, les puissances européennes ne se seraient vraiment
intéressées au continent africain que vers 1875, après les expéditions de Livingstone et de
Stanley. C’est oublier le rôle d’un pape controversé et celui des navigateurs portugais.
L’héritage empoisonné d’un Borgia
Dès 1493, un an après la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb, le pape
espagnol Alexandre VI Borgia attribue au Portugal et à l’Espagne toutes les terres « trouvées
ou à trouver, reconnues ou à reconnaître ». Ces terres sont départagées par une ligne de
démarcation : le « méridien d’Alexandre VI »…A l’ouest de cette ligne, les Espagnols
pourront « trouver et reconnaître » des terres, tandis que les Portugais feront de même, mais à
l’est du méridien.
Le traité de Tordesillas (1494)
Mais un an plus tard, la ligne de partage sera déplacée vers l’ouest, ce qui permettra au
Portugais Pedro Cabral de « découvrir » le Brésil en 1500… Ses compatriotes pourront
continuer leur périple autour de l’Afrique, concrétisant de la sorte les ambitions du prince
Henri le Navigateur.
Dans le sillage de Henri le Navigateur et de Vasco de Gama la pénétration portugaise
en Afrique à la fin du moyen âge : des escales vers « les Indes »
Fils de Jean 1
er
de Portugal, l’ « Infant » Henri organise, dès 1416, une série d’expéditions
vers l’Afrique. Il s’agit de poursuivre la « reconquête » contre les musulmans, d’évangéliser
des peuplades païennes, d’approfondir les découvertes scientifiques et géographiques, et de
trouver une route vers les Indes en contournant l’Afrique ! En 1491, déjà, les Portugais
convertissent le roi du Congo au catholicisme. Son petit-fils sera un évêque sacré à Rome ! Le
premier catéchisme en langue congolaise, œuvre de franciscains lusitaniens, date de 1555.
Mais l’évangélisation entreprise par les missionnaires portugais en Angola souffrira de la
brutalité pratiquée par leurs compatriotes marchands et/ou esclavagistes.
En 1500, le Portugal contrôle la plupart des îles de l’Atlantique face à l’Afrique, à l’exception
des Canaries qui sont espagnoles.
Les expéditions portugaises se succèderont le long de la côte africaine : Diego Cao reconnaît
l’embouchure du fleuve Congo en 1483, Bartolomeo Diaz double, en 1488, le Cap des
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Tempêtes, rebaptisé Cap de Bonne-Espérance et Vasco de Gama longe les côtes orientales de
l’Afrique pour atteindre Calicut, en Inde, en 1498.
La prise de Constantinople par les Turcs Ottomans en 1453 avait amorun déclin du trafic
en Méditerranée, déclin aggravé par l’arrivée en Inde des Portugais… Ceux-ci avaient abordé
les côtes de Guinée et d’Angola dès la fin du 15
ème
siècle… Plus tard, la mainmise espagnole
sur le Portugal, entre 1580 et 1640, causera l’intensification de l’effort colonial portugais vers
le Brésil. C’est au 19
ème
siècle que le royaume lusitanien se réinteréssera davantage à
l’Afrique.
Timides tentatives espagnoles
Peu avant l’unification ibérique en 1492, les Espagnols s’étaient implantés dans les Canaries
en 1479, mais avaient échoué en Afrique du Nord. La prise d’Oran (1509), de Tripoli (1510)
et de Tunis (1535) resta sans lendemain.
Premières implantations françaises au 17
ème
siècle
Dans une démarche semblable aux efforts portugais, le royaume français installe, sur la côte
africaine, des « étapes » vers les Indes (« comptoir » de Pondichéry en 1674)… Dès 1642,
l’établissement de Fort-Dauphin est créé à Madagascar, et celui de Saint-Louis du Sénégal
date de 1659… Des objectifs esclavagistes ne sont pas absents lors des implantations
françaises. Conçu par Colbert, ministre de Louis XIV, le « code noir » paraît en 1685, 200 ans
avant la conférence de Berlin.
Incursions hollandaises en Afrique
Dès 1652, les « Provinces-Unies » fondent la colonie du Cap, s’assurant une étape vers les
« Indes néerlandaises » (l’Indonésie). Et, en 1717, les Hollandais achètent l’établissement
prussien de Gross Friedrichsbourg, fondé dans le golfe de Guinée en 1681.
Victoires, défaites et expansions anglaises
Très soucieux de consolider ses possessions canadiennes et indiennes, le royaume britannique
triomphe dans les conflits l’opposant au royaume de France. La guerre de sept ans assure ainsi
la prédominance coloniale anglaise consacrée par le traité de Paris en 1763. Les Anglais
s’emparent du Canada et consolident leurs implantations indiennes d’Asie, ne permettant aux
Français que de conserver quelques comptoirs en Afrique et en Inde.
Défaite dans la « guerre d’indépendance » des Etats-Unis d’Amérique (1776-1783),
l’Angleterre doit renoncer à ses 13 colonies (le berceau des USA), mais ses conflits avec la
France monarchique, puis républicaine, puis impériale (Napoléon 1
er
) lui démontrent
l’importance de ses possessions coloniales, y compris en Afrique. Possédant Gibraltar depuis
1704, les Anglais s’installent en Sierra Leone dès 1787, occupent le Cap au détriment des
Hollandais en 1815. Six ans plus tard, les voilà en Côte de l’Or (1), avant d’atteindre le Natal
(1843).
Et l’esclavage ?... dans la perspective de la conférence de Berlin
Les « Idées nouvelles » des philosophes du 18
ème
siècle embarrassent et enthousiasment
simultanément les colons… Emancipation, certes, mais qu’en est-il de la production à bas prix
assurée par l’esclavage ? Toutefois, des théories opposées, telles que le mercantilisme et la
physiocratie, de même qu’un humanisme philanthropique bouleversent les « philosophies »
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économiques ainsi que les consciences, du moins en Angleterre. Ainsi,Wilberforce obtient
l’abolition de la traite des esclaves noirs en 1807, et celle de l’esclavage en 1833/34… dans
les possessions anglaises.
Quant à la France, Victor Schoelcher joue un rôle considérable dans le débat relatif à
l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, décrétée en 1848, sous la IIème
République.
Après 1815
Une expansion française consolatrice
La chute de Napoléon 1
er
provoque une grande restriction des ambitions françaises en Europe.
De un intérêt croissant pour les terres plus ou moins lointaines, sous la restauration des
Bourbons à Paris. René Caillé « découvre » Tombouctou en 1828, tandis que les règnes de
Charles X puis de Louis-Philippe sont marqués par la conquête de l’Algérie (1830 1847)…
La pénétration française s’accentue aussi dans le golfe de Guinée, et atteint la côte des
Somalis en 1862, sept ans avant l’ouverture du canal de Suez.
Les grandes ambitions de « Napoléon le petit » (Napoléon III)
Voulant assurer des débouchés et des matières premières pour les industries françaises,
l’empereur désire aussi renforcer son prestige et celui du catholicisme missionnaire… C’est
le cas en Algérie, ce le fut aussi au Sénégal (fondation de Dakar en 1857).
Le contexte de la conférence de Berlin : l’impérialisme colonial
(1870 – 1914)
Quelques déclarations révélatrices
En 1902, l’anglais J.A. Hobson (2) écrit : « (l’impérialisme) : l’effort des grands maîtres de
l’industrie pour faciliter l’écoulement de leur excédent de richesse, en cherchant à vendre ou
à placer à l’étranger les marchandises ou les capitaux que le marché intérieur ne peut
absorber ».
En 1885, le français Jules Ferry (3), à la Chambre des députés : « …les nations au temps
nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent… Rayonner sans agir,
sans se mêler aux affaires du monde, …c’est abdiquer et, dans un temps plus court que vous
ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième ».
En 1911, le nationaliste italien Corradini, peu avant la conquête de la Libye : « L’émigration
signifie du travail italien abandonné à soi-même de par le monde ; la conquête des colonies
signifie au contraire que le travail italien est accompagné dans le monde par les autres forces
de la nation italienne et par la nation elle-même ».
Selon E. Clémentel, le colonisateur européen doit « réveiller les races de leur torpeur
séculaire ».
Un collaborateur de la revue anglaise Nineteenth Century en 1897 : « A nous à nous et non
aux autres un certain devoir précis a été assigné. Porter la lumière et la civilisation dans
les endroits les plus sombres du monde ; éveiller l’âme de l’Asie et de l’Afrique aux idées
morales de l’Europe ; donner à des millions d’hommes, qui autrement ne connaîtraient ni la
paix ni la sécurité, ces conditions premières du progrès humain ».
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Karl Marx, dans un article du New York Times, 1853 : « La véritable question, la voici :
l’humanité peut-elle satisfaire à sa destination sans une révolution fondamentale dans l’état
social de l’Asie ? Si elle ne le peut, alors l’Angleterre quels qu’aient été ses crimes, a été, en
réalisant cette révolution, l’instrument inconscient de l’histoire ».
Principes et facteurs d’explication : les impérialismes
A la fin du 19
ème
et au début du 20
ème
siècle, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Russie,
les USA et… le Japon sont les grandes puissances « impérialistes »… Mais des pays
« moyens » comme le Portugal, ou « petits » comme la Belgique ne sont pas en reste…et
n’oublions pas l’Italie, unifiée en 1860 seulement mais qui affiche rapidement ses ambitions
expansionnistes.
Capitalisme et expansion.
Grands, moyens ou petits, les pays industrialisés ont besoin de débouchés et de matières
premières… Paradoxalement, la concurrence devrait accentuer le libre-échange entre les
puissances « modernes », mais cette concurrence engendre aussi le protectionnisme et la
course à la recherche de minerais, notamment en Afrique les explorateurs sont
« sponsorisés » par les gouvernements ou les souverains des nations industrielles. Pensons à
Stanley, Brazza, Cameron, autres.
Nationalismes divers
En général, les raisons évoquées soulignent la mission civilisatrice des pays colonisateurs,
dont le prestige est ainsi accru, sans menacer la paix européenne, puisque les enjeux sont
ailleurs… Conception fragile et encore fragilisée lorsque les intérêts coloniaux opposeront les
puissances qui s’engageront dans des alliances internationales précédant la Première Guerre
mondiale.
La surpopulation dans les pays industrialisés ou en passe de l’être
L’accroissement démographique européen (de 180 à près de 430 millions d’habitants entre
1800 et 1914) concerne surtout l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie. Celle-ci ne peut fournir
du travail à sa nombreuse main-d’œuvre, car son développement industriel est encore
embryonnaire. Si les Allemands émigrent principalement en Amérique, les Italiens
s’orienteront vers l’Afrique toute proche, notamment en Libye.
L’humanitarisme
Avant les tueries de masse des deux guerres mondiales, l’Européen et l’Américain (surtout
blanc) sont convaincus, non seulement de leur supériorité industrielle, intellectuelle et
militaire, mais aussi du devoir, de la mission qui leur incombe, de civiliser la partie de
l’humanité qui ne bénéficie pas encore du modernisme des pays du nord. Il faut y ajouter
l’évangélisme protestant, de même que l’ambition missionnaire catholique, ce qui n’est pas
sans engendrer une certaine émulation concurrente, elle aussi…. Sans oublier le prosélytisme
laïque particulièrement actif dans la IIIème République française… Les lumières de la raison
sont simultanément complémentaires et adversaires de l’illumination divine propagée dans les
peuples colonisés… L’enseignement, l’hygiène et la science, passés au crible des diverses
philosophies et obédiences, franchissent les mers et affranchissent, croit-on, les peuples.
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Léopold II de Saxe-Cobourg-Gotha (1835 1909), deuxième roi des Belges
(1865 – 1909)
Une jeunesse itinérante
Fils de Léopold 1
er
et de Louise-Marie d’Orléans, le prince Léopold épouse, en 1853,
l’archiduchesse d’Autriche Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine… C’est le « mariage d’un
palefrenier (Marie-Henriette est passionnée d’équitation) et d’une religieuse » (le jeune
prince Léopold passait alors pour être timide et renfermé).
N’empêche qu’il a de la suite dans les idées… Sénateur de plein droit dès ses 18 ans, Léopold
insiste sur la cessité d’agrandir les perspectives de développement de la Belgique, mais en
vain. En 1860, il il ramène une plaque de marbre trouvée à Athènes, sur laquelle il avait fait
graver : « Il faut à la Belgique une colonie » ; 28 ans plus tard, il écrit à son frère, le comte de
Flandre : « la patrie doit être forte, prospère, par conséquent posséder des débouchés à elle,
belle et calme ». Une autre déclaration est aussi révélatrice : « Il ne s’agit pas de nous établir.
Nos regards doivent embrasser de plus vastes horizons ». Il dira aussi : « La mer baigne nos
côtes, l’univers est devant nous »Plus tard, il affirmera sa volonté de « planter
définitivement l’étendard de la civilisation sur le sol de l’Afrique centrale ».
Amateur de paysages nouveaux dès son adolescence, Léopold envisage des colonies pour la
Belgique, partout c’est possible. Il a forcément la bougeotte, ce qui l’amène vers des
destinations diverses : le Portugal,Gibraltar, l’Afrique, les Indes, l’Indochine, Ceylan, la
Crète, la Chine, Alexandrie, l’Asie Mineure, la Grèce, la Sicile, l’Italie, la Suisse…au point
que l’ambassadeur d’Autriche disait que Léopold ne boitait qu’à Bruxelles… Précisons que
ses visées colonialistes s’intéressaient à l’Asie Mineure, aux îles Fidji et Salomon, à
l’Amérique, à l’île de Formose, aux Philippines et à la Chine.
L’indifférence de l’opinion belge à propos de la question coloniale
Avant et après l’avènement de Léopold II en 1865, le public, dans sa grande majorité, est
indifférent, voire hostile aux ambitions coloniales… Il faut préciser que la menace de
reconquête hollandaise pèse sur la jeune nation belge jusque 1839, et que les problèmes
sociaux et politiques sont considérables : fin de l’unionisme, le droit de vote, la misère
ouvrière, la revendication des « 8 heures », etc…sans oublier les visées expansionnistes de
Napoléon III.
Un rappel : l’ « African Association » 1788
En 1788, l « African Association » se crée à Londres. Il s’agit alors de coordonner les
explorations « modernes » du continent africain… Jusqu’alors, ces explorations étaient
intermittentes, sans méthode mains non sans buts : débouchés, étapes vers les Indes, traite des
Noirs, évangélisation… Le « commerce de la peau d’ébène », selon l’expression consacrée
pour désigner les esclaves noirs, était pratiqué, non seulement par les Européens, mais aussi
par certains musulmans esclavagistes, et par certains potentats africains n’hésitant pas à
vendre leurs compatriotes…C’était particulièrement le cas dans le Bas-Congo, et en Afrique
orientale : Soudan, Zanzibar… On sait que l’anglais Wilberforce, en 1807, et le français
Schoelcher, en 1848, avaient pu obtenir l’abolition de la traite des Noirs, déjà condamnée par
les Congrès de Vienne en 1815.
Il faut également insister sur le commerce de l’ivoire, qui aiguisait aussi certains intérêts peu
philanthropiques, alors que l’ « African Association », pénétrée de l’esprit des « Lumières »
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