le regard - Atelier Théâtre Jean Vilar

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Saison 2003-2004
LE REGARD
de Murray Schisgal
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Sur la photo : Laurent Terzieff
© Pascal Gély – Agence Bernard
ING nous aide à initier les jeunes au théâtre dès l’école.
LE REGARD
Murray Schisgal
Distribution
Adaptation : Pascale de Boysson
Avec
Bomberg : Laurent Terzieff
Marta : Francine Walter
Daniel Stempler : Vincent de Boüard
Angelica : Emilie Chevrillon
Mise en scène : Laurent Terzieff
Assistant à la mise en scène : Arthur Remy
Scénographie : André Acquart
Lumières et collaboration technique : Mohamed Maaratié
Son : Pierre-Jean Horville
Chorégraphe : Mayfa Bérenger
Avec l’aide de l’équipe technique de l’Atelier Théâtre Jean Vilar
Coproduction Théâtre Rive Gauche, Alain Mallet, la Compagnie Laurent Terzieff et
WallWorks
Dates : du 6 au 16 novembre 2003
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Réservations : 0800/25 325
Contact écoles : Adrienne Gérard : 010/47.07.11 ou 0473/936.976
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Table des matières
1-Biographie de l’auteur
2-Le Théâtre de M. Schisgal
3-Le Regard ou une corrosive amertume
4-L. Terzieff et « Le Regard »
5-La pièce en elle-même :
* Regards intérieurs mutuels des protagonistes
* Regards extérieurs : Variations de l’auteur sur « L’atelier du peintre »
6-Le théâtre Américain
7-Bibliographie
Thèmes à exploiter :
* Le vieillissement, la solitude et la « panique métaphysique »
* Le conflit des générations à travers les modèles
* L’artiste, l’art et la société du point de vue de deux peintres et d’un écrivain
contemporains :E. Hopper, Balthus et P. Grainville
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1-BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
Murray Schisgal, né à New-york (Brooklyn) le 25 novembre 1926, est l’auteur de
nombreuses pièces et scénarios. Sa renommée prend son essor en 1960 lorsque sont
montées à Londres (avant N.-Y.) ses deux pièces : « Le Tigre » et « Les dactylos » qui
seront représentées durant deux ans.
Sa carrière internationale débute en 1963 avec : « Luv » (Love), son premier grand
succès à Broadway, pour continuer avec : « Fragments », « Fenêtres » et « Autres pièces ».
Viendront ensuite : « Dr. Fish » et « Les Chinois » (1970).
Parallèlement, il poursuit sur sa lancée avec de multiples scénarios pour la
Télévision et le Cinéma. Il lancera Dustin Hoffman dans : « Le Lauréat » (1967), « Jimmy
Shine » (1968) et « All over Town » (1974) pour culminer avec « Tootsie » en 1983.
De 1999 à 2001, il produira : « A walk on the Moon », « The devil’s Arithmetic »,
« Boys and girls » et « Club land ».
Avant de se lancer à fond dans la voie théâtrale - Il a bénéficié d’une formation
artistique universitaire, il a connu plusieurs métiers après sa démobilisation en 1944 :
musicien de jazz, puis, juriste jusqu’en 1953. Il fut également professeur d’anglais dans
diverses écoles publiques et privées.
Il est titulaire de plusieurs récompenses nationales : Vernon Rice Award et Outer
Circle Award en 1963. Los Angeles & New-York Film Critics Award & Writers Award en
1983 pour ses scénarios.
Marié depuis 1958 à Renée Shapiro dont il a eu un fils et une fille, il vit à New-York. Il
se consacre totalement à son métier d’auteur dramatique.
En France, plusieurs de ses pièces ont été jouées au Théâtre Montparnasse, à la
Gaîté-Montparnasse et à la Comédie des Champs-Elysées : « Les Chinois », « Le Tigre »,
« Les dactylos », « Fragments » et bien sûr, « Luv » et « Le Regard ». C’est L. Terzieff qui,
pour la plupart, les a adaptées le premier pour L’Avant-Scène Théâtre.
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2-LE THEATRE DE M. SCHISGAL
Cet auteur aime beaucoup la parodie et applique les recettes de l’avant-garde au
théâtre de Boulevard. Il excelle à montrer le décalage important entre l’être et le paraître, à
démonter les faux-semblants avec talent et bien de la satire. Il croise le goût du « non
sense », typiquement anglo-saxon avec l’humour juif, caractéristique américaine et
particulièrement new-yorkaise.
Au théâtre de critique sociale ou de psychologie s’est substitué le « théâtre de
l’absurde », exprimant bien plus une difficulté d’être…Cependant, il garde, sous-jacente, une
profonde tendresse pour ses personnages.
Voyons-en quelques exemples, principalement dans :
« Le Tigre », une satire du pseudo-rebelle, se révélant finalement comme un
conformiste, l’anti-conformisme n’étant, en dernier ressort, qu’un conformisme à soi. Le tigre
n’est que de papier, en somme.
« Luv » (« Love ») où l’amour est devenu une marchandise, un effroyable cliché du
trio amoureux de et dans la vie quotidienne. Y sont stigmatisés, les obsessions et les
comportements à travers la caricature provocatrice du mariage et la satire perverse des
institutions. Le désespéré ne se suicide pas et l’angoissé se réfugie dans le mutisme ou la
paralysie feints. Schisgal s’y moque de lui-même et de tout avec une efficacité redoutable
dans l’utilisation des gags et du comique gestuel clownesque. Il y a du Chaplin là-dessous.
« All over Town » constitue le sommet de la dérision des valeurs de la société
américaine des années 60-70, notamment la « libération sexuelle », la manie des
psychiatres, le libéralisme à tous crins, le racisme et l’écologie tous azimuts.
« Jimmy Shine » poursuit la satire féroce de l’artiste-héros cherchant un sens à ses
vains essais de séduction amoureuse et de prouesses sexuelles frisant le ridicule.
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3-LE REGARD ou une corrosive amertume
A l’origine, il y avait deux pièces distinctes dont L. Terzieff en a fait une seule. « Une
idée de génie » a commenté Schisgal… Ce qui n’est pas rien.
Deux situations parallèles composent le texte : deux peintres âgés, un homme et une
femme, travaillent chacun sur un modèle nu, respectivement féminin et masculin. Ils nouent
des relations d’amour-haine inscrites dans l’attraction sexuelle et le rapport ambigu typique
de la dialectique du maître à l’esclave.
Les adultes sont durs et cyniques, sans beaucoup de distanciation par rapport à leur
propre situation et les jeunes, « pathétiques », apparaissent dérisoires, même s’ils tentent
de rester dignes. Et ce, en dépit de leur situation-même : leur fonction étant partiellement
humiliante, ils se sentent un peu abandonnés, « tâchant de n’être pas trop désespérés ».
Le conflit des générations à travers les modèles
Le peintre Bromberg est aussi acariâtre qu’amer (nostalgique du passé), sans oublier
son côté fort jaloux : il couvre sans cesse de reproches (imaginaires) Angelica, qui prend les
poses sans souffler mot.
La femme-peintre, faussement sereine, garde ses distances vis-à-vis du jeune
homme très curieux d’elle. Elle regrette de ne pas avoir fondé de famille, de ne pas avoir
enfanté et s’interroge plutôt sur elle-même et ses tableaux, consciente « qu’elle n’est pas un
grand peintre ».
Les modèles, eux, se cherchent, sans trop y croire…Ils se débattent sans cesse,
plutôt, comme s’ils étaient pris dans une immense toile invisible.
Le conflit des générations mêlé chez les aînés, à la crainte de vieillir (et de mourir)
contraste avec la vivante jeunesse (qui se gaspille) reste fertile en émotions voilées, au
travers d’une introspection psychanalytique en forme de miroir. Les quatre acteurs se
sentent cependant menacés par la dépersonnalisation pour des motifs diamétralement
opposés.
Le ton tantôt désinvolte, tantôt persifleur, souligne davantage encore la gravité des
propos et les silences n’en sont que plus lourds de signification. C’est particulièrement vrai
par rapport aux doutes exprimés par « les aînés ».
Le vieillissement, la solitude et la « panique métaphysique »
L’insolente fraîcheur des corps nus rend plus sensible la profondeur de l’abîme qui
les sépare de la vieillesse des peintres, qui ont tout sacrifié à leur art.
Est-ce vraiment une victoire ? s’interroge l’auteur, les regrets étant éternels et vains
face à ce que l’on n’a pas pu ou ne peut plus réaliser.
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L’avenir des peintres touche, en effet, à sa limite et celui des modèles demeure plus
qu’interrogatif, alors qu’ils sont aux lisières de la vie active. C’est, semble-t-il, la fin des
certitudes comme des rêves inassouvis, personne n’échappe au sacrifice. Voilà qui rappelle
douloureusement une étonnante actualité…
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4-LAURENT TERZIEFF
et « Le Regard »
L. Terzieff a fait connaître M. Schisgal en France dès 1963 en mettant en scène,
quelques années à peine après leur parution et leur triomphe à Londres et à New-York, « Le
Tigre » et « Les Dactylos », puis, successivement en 1966, « Love » et en 1968, « Les
Chinois » et « Fragments » d’après les adaptations de Pascale de Boysson – par ailleurs
éditrice des versions françaises des pièces de l’auteur américain.
« Le Regard » a été créé le 25 septembre 2002 au Théâtre Rive-Gauche dans une
mise en scène de L. Terzieff, qui nous fait part de sa conception du montage comme suit :
« Schisgal me donne toutes les pièces qu’il écrit. J’avais « Le Regard » depuis
quelques années dans mes tiroirs, mais je ne l’avais pas monté. Il s’agit en fait de deux
pièces qui devaient être jouées l’une après l’autre. Elles mettent en apposition un thème
commun : comment survivre dans l’absurdité du quotidien ? J’ai préféré faire un découpage
séquentiel de ces pièces et de les faire interférer l’une dans l’autre. Les développements
sont parallèles et apposés en même temps. C’est un montage presque cinématographique
(…) Le metteur en scène doit savoir lire. Il doit être le premier lecteur et le premier
spectateur. Il faut savoir lire une pièce et la potentialité dramatique qu’elle porte.
Dans ce cas précis, s’insinue « une panique métaphysique » exprimée par la
conscience du vieillissement et le doute de l’artiste, qui dresse le bilan de sa vie. Plus amer
et désenchanté, dit avec colère et révolte chez Bromberg, plus sévère et sans concessions,
dit avec pudeur et tristesse chez Marta Anders.
La souffrance et l’impuissance des protagonistes face à leur destinée est quasi
palpable, soulignant l’intensité du tragique et du dérisoire de leur humaine condition.
Chez eux, l’orgueil de créateurs imbus de leur supériorité mêlé au sentiment d’échec
de leur vie comme personnes et comme artistes, reflète bien cette conviction à peine voilée
d’avoir été floués par l’existence. »
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5-LA PIECE EN ELLE-MEME
A-Regards intérieurs mutuels des protagonistes.
Les caractères.
* Bromberg ou le baroud d’honneur :
Malgré sa soixantaine vigoureuse et narcissique, il n’a plus rien à dire : d’où son
égarement dans la tyrannie face à Angelica, un moment soumise, puis indifférente, d’autant
plus que le peintre pense à sa place et s’enfonce dans le formalisme de ses invectives
d’autocrate. Jusqu’à un certain point, ces scènes ont un côté littéralement surréaliste.
Impulsif, colérique et agressif, il ne se complaît que dans le jugement, le dénigrement
et la nostalgie de ses années de jeunesse hippie vécues dans « l’apothéose de
l’orgasme »… En fait, il vit les derniers soubresauts de son agonie d’homme et d’artiste. Il
s’accroche désespérément à sa dernière chance de ne pas perdre la face vis-à-vis de luimême, surtout.
Paradoxalement, afin de mieux mettre en évidence son désarroi, l’auteur le fait
tellement se désintéresser de son modèle qu’il semble le dessiner à peine. L’obligeant
souvent à changer de pose, se contentant d’esquisses, il apparaît que Bromberg se trompe
de cible : ce n’est pas Angelica qui « rate » sa vie, c’est lui, qui, au bout du rouleau l’imagine
telle, prenant ses rêves (de maître) pour la réalité.
* Marta Anders ou tuto in utero:
Energique, passionnée et idéaliste, elle est bien plus cohérente, plus humaine et plus
fine comme artiste et femme également insatisfaites.
Bien sûr, elle veut régenter la vie des autres du fait de son rêve de maternité
inassouvi et de la conscience profonde d’avoir échoué dans sa réalisation comme artiste.
Elle a soif d’une reconnaissance éperdue qui n’arrive jamais et que de toute façon, il est
vain de vouloir attendre.
Sa vision lucide et désespérée d’elle et de son œuvre inaccomplie n’empêche rien.
Au contraire, elle renforce son sentiment d’impuissance généralisée au regard de sa propre
vanité.
Marta aurait voulu être mère, fonder un foyer, réussir son mariage et une vie de
famille comme la mère de son modèle. Elle, qui rêvait de devenir peintre comme son amie
Marta, a « abandonné sa personnalité » face à son époux, agent immobilier, obsédé par le
business.
En réalité Marta effectue un transfert, on ne peut plus classique par rapport à son
amie de toujours qu’elle maintient dans une idéalisation de l’accomplissement.
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Le fils s’empresse vite de démentir cette « réussite », qu’il voit comme un tissu de
conventions bourgeoises et d’attitudes maniaco-dépressives. Ce qu’elle est très
certainement. N’empêche.
* Angelica ou le modèle déposé :
Cette jeune femme pleine de vitalité, assez nymphomane, aux yeux de Bromberg,
semble croquer la vie à pleine dents. Elle ne dit mot, parce que dépendante financièrement
et subjuguée par la tyrannie du maître. En outre, elle subit, physiquement et moralement, le
voyeurisme impitoyable de celui qui, à la fois, veut son bien comme un père attentionné qu’il n’est pas,- mais également comme un Pygmalion ne lâchant pas sa proie si désirable.
Sa condition d’humiliée n’est que plus poignante une fois que le peintre la congédie.
C’est à ce moment précis qu’elle s’en va soulagée et vraie maîtresse des lieux, sans
demander son reste. Sa froide détermination l’emporte à l’égal de l’insolence de sa beauté.
C’est un nouveau départ pour elle dans son orgueil tranquille tandis que Bromberg, interdit,
se retrouve au bord du gouffre…
* Daniel Stempler ou l’Adonis éconduit:
Ce beau jeune homme velléitaire, relativement inconsistant, essaie d’échapper à sa
condition de modèle en partant pour la grande Ville où il a signé un contrat avec la
Télévision, éternel miroir aux alouettes d’une jeunesse victime de ses ambitions illusoires.
Il a bien sûr, toujours rêvé d’être acteur…Mais, orphelin de père, il cherche une
caution morale auprès de Marta, qu’il aurait voulu pour mère. Pas tout-à-fait innocent, il
tente maladroitement une ébauche de séduction amoureuse -inconsciemment teintée
d’inceste, afin d’être soutenu par une « sponsoresse » facile. Démarche naturelle d’un futur
professionnel du sentiment : l’american gigolo de rêve…
En vain, une Marta, sensée, responsable, fatiguée de ce désir-là, le renvoie
gentiment, mais fermement. Elle le restitue d’autorité à son néant supposé dans un avenir
indéfini.
En conclusion :
Il apparaît, toute réflexion faite, que chacun a tout faux : toutes les interprétations
issues des regards réciproques sont trompeuses. Chaque personnage semble évoluer
comme une figure libre fantasmatique dans des décors réels. Chacun croit tout contrôler
dans sa volonté déchaînée de s’accomplir en dépit de tout, mais c’est un leurre de plus.
Comme dans un tableau de Hopper, l’absurde des situations réelles transpire
véritablement et confine au fantastique. La réalité dépasse fort souvent la fiction. Seule une
vision d’artiste ou d’écrivain, de créateur en tout cas, peut rendre cruellement cette vérité.
Chacun semble s’être trompé de vie.
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B-Regards extérieurs:
* Variations de l’auteur sur « L’atelier du peintre »
La part métaphysique et psychanalitique de la pièce fait indéniablement penser à un
peintre américain contemporain : Edward HOPPER.
Ses tableaux, paysages ou ensembles avec modèle, sont des espaces vides
soigneusement construits dans leurs structures comme dans leurs tons. Ils exercent une
puissante fascination par leurs « métamorphoses du silence » ainsi que l’exprime un
critique.
Les différentes scènes du « Regard » peuvent être, à bon droit, considérées comme
autant de tableaux variés et nuancés de l’atelier du peintre et de ses rapports avec son
modèle.
Ce qui conduit à penser que M. Schisgal fait quasi « parler » E. Hopper dans le
calme menaçant et violent de ses tableaux, reflets d’une critique sociale acerbe de
« l’american way of life » et de la ville titanesque et froide, qui tue lentement l’individu
complètement perdu, corps et âme. L’expression des phantasmes masculins y est d’un
parallélisme confondant.
Comme Hopper, il donne à reconnaître que le regard que l’homme porte sur la
femme crée dans le même temps une surface de projection de ses désirs inconscients. Que
le regard de l’homme succombe plus à un codage typique de la mentalité d’une société.
L’impact de la sexualité fortement suggérée sous les voiles et dans des décors
arides chez le peintre se retrouve exposée totalement chez le dramaturge, exprimant une
apparente libération alors qu’elle réduit les personnages à la dépendance sinon à la
déshumanisation.
Les peintres y copient simplement la nature et leurs œuvres sont dépourvues d’âme.
* L’artiste, l’art et la société du point de vue de deux peintres et d’un écrivain
contemporains : E. Hopper, Balthus et P. Grainville
Comment Edward HOPPER conçoit-il son métier et son œuvre ?
La signification des tableaux tardifs de Hopper où il peint les humains dans des
bureaux ou des rues vides et tristes, se révèle le mieux dans leur opposition aux tableaux de
Reginald Marsh des années trente et quarante.
Eux aussi reflètent la vie dans les grandes villes, renvoient à des différences et à des
tensions sociales et font toujours des femmes le signe des ruptures de société.
Hopper anticipera les idées picturales de Andrew Wyeth (Le monde de Christine) et
d’Eric Fischl (Bowery Drunks).
« Pour moi, la forme, la couleur et le contour sont d’abord des moyens pour atteindre
une fin, les outils avec lesquels je travaille, et ils ne m’intéressent pas quant à leur
destination propre. Je suis en premier lieu intéressé par le large champ de l’expérience et du
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sentiment dont ne s’occupent ni la littérature ni un art à l’orientation purement artificielle. (…)
Mon but en peignant est toujours d’utiliser la nature comme un intermédiaire, de m’efforcer
de capter sur mes toiles mes réactions les plus intimes face à l’objet tel qu’il m’apparaît
quand je l’aime au plus fort. Quand les faits s’accordent avec mes intérêts et avec les
représentations imaginaires qui les précèdent. Pourquoi je recherche de préférence certains
objets plutôt que d’autres, je ne le sais pas exactement moi-même, sinon que je crois
vraiment qu’ils sont le meilleur intermédiaire pour une prise de conscience globale de mon
expérience intérieure. »
BALTHUS parle également de son art comme ceci :
La création
« Elle a été constante aussi, cette quête, dans tous mes dessins. Je ne vois pas de
plus exigeante discipline que ces variations sur les visages, les poses de mes jeunes filles
rêvant, parce qu’il s’agit là, dans la caresse du dessin, de retrouver cette grâce de l’enfance
qui s’efface si vite et dont on garde à jamais le souvenir inconsolable. Traquer cette douceur
donc, faire que la mine de plomb retrouve sur la feuille de papier l’ovale encore neuf d’un
visage, cette forme proche du visage des anges. »
« Il convient de condenser son regard, sa main, dans ce noyau obscur, presque
infracassable, caché au-dedans de soi, de se projeter vers lui, et d’en tirer la vraie identité
de celui qu’on portraiture. C’est une chose très difficile, une alchimie qui demande beaucoup
de concentration, de résistance au monde extérieur.
Je crois que Picasso comprenait bien cela, quoique nos peintures aient pris alors des
voies toutes différentes. A la différence des surréalistes, je ne voulais pas exprimer des
injonctions diverses, des effets de chaos, des brisures d’inconscient, mais les déceler, les
débusquer au travers d’une structure, d’une ordonnance d’une construction.
Le dessin est une formidable école de vérité et d’exigence. On y est au plus près de
la nature, dans sa géométrie la plus secrète, chose que la peinture ne permet pas toujours
d’atteindre car on y met plus d’imagination, de mise en scène, de spectacle, pourrais-je dire.
Le dessin au contraire oblige à l’abstraction en quelque sorte, puisqu’il s’agit d’aller derrière
les apparences du visage et de puiser à sa lumière. »
La vieillesse et la mort
« Je n’ai pas peur de la mort, seulement de cette angoisse au fond de moi parce que
je sais bien que la mort interrompt l’accomplissement de ma peinture qu’est à chaque fois
un tableau nouveau. Craindre de ne pas l’achever, de laisser inaccompli ce que je ramenais
de très loin, et qui m’était inconnu à moi-même. C’est cela surtout qui m’est pénible.
Ce n’est pas la mort qui m’effraie, ni l’agonie, mais sa survenue dans le temps du
travail, son arrivée impromptue, sa manière de faire cesser tout ce qui a vocation de revenir,
les saisons, les climats, les cycles de la nature toute entière, la lumière.
Elle surtout. Quand je rejoins mon atelier chaque matin, c’est la même crainte qui
s’empare de moi, le même souci de lumière, elle est mon interlocutrice, rien n’est pareil d’un
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6-LE THEATRE AMERICAIN
Le théatre Américain n’a pas une longue tradition derrière lui. Il n’existe que
depuis…une soixantaine d’années. Faute de s’abreuver à des sources nationales, il a été
longtemps tributaire de deux grands mouvements esthétiques européens : le Naturalisme du
théâtre libre et l’Expressionnisme allemand.
Le nouveau théâtre américain est né d’une allergie à deux constantes de la vie et
des lettres américaines : le Naturalisme et l’intérêt porté à la psychanalyse. Dès 1940,
Brodway est envahi par d’innombrables et fades dramatisations de la vie domestique et des
présentations à peine déguisées de véritables cas psychiatriques : c’est dans cette
tendance qu’Arthur Miller et Tennessee Williams s’illustrent avec le talent et parfois le génie
qui leur est propre.
Il faut attendre 1960 pour que soit montée à New York la première œuvre
représentative de cette nouvelle génération : Zoo Story d’Edward Albee.
A la même époque, Murray Schisgal incarne un autre pôle du nouveau clivage qui se
dessine dans le théâtre américain, plus parodique, plus « dégagé ». Il s’intéresse plus à
Ionesco qu’à Sartre, il est plus attiré par Beckett que par Artaud. Dans un style saccadé,
bondissant, ironique, il met en pièce les attitudes de mauvaise foi de l’homme moderne.
Il nous dit : « le Théâtre est une aventure vécue par le spectateur. Vivre cette
aventure c’est participer à un événement théâtral. Je ne vois pas pourquoi elle serait la
réponse à une question ou un compte rendu de la réalité. Pourquoi les gens veulent-ils que
tout leur soit présenté dans un paquet bien ficelé ? Pourquoi se croient-ils obligés de tout
expliquer ? : bla, bla, bla, bla…cette attitude a de graves conséquences, car elle bannit du
théâtre une vitalité et un sens du merveilleux fatalement ambigu, et qui échappe à toute
définition. »
Laurent Terzieff
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7-BIBLIOGRAPHIE
SCHISGAL, Murray
Le Regard, Adaptation de Pascale de Boysson
Paris, L’Avant-Scène Théâtre, 2002, 53 p.
L’Avant-Scène Théâtre a aussi publié 5 pièces de l’auteur : Les dactylos, Le Tigre,
(AST 312) Love (AST 369), Les Chinois et Fragments (AST 421).
BALTHUS
Mémoires recueillis par A. VIRCONDELET
Monaco, Editions du Rocher, 2001
Edward HOPPER
Bibliothèque Taschen, 2000
GRAINVILLE, Patrick
Paris, Le Seuil, 1988
L’Atelier du peintre
PASQUIER, M.-C.
Le Théâtre américain d’aujourd’hui
Paris, P.U.F., 1978
KORNILSKY, Françoise
Le Théâtre aux Etats-Unis
WYLMETH, Don B.
Cambridge Guide to American Theatre
CORVIN, Michel
Paris, Larousse
Dictionnaire encyclopédique du Théâtre
QUELQUES REPERES POUR EN SAVOIR PLUS :
BALZAC, H. de
Le chef-d’œuvre inconnu (La belle Noiseuse)
Turin, Les Mille et une Nuits, 1993
DESBORDES-VALMORE, M. L’Atelier d’un peintre Scènes de la vie privée
Préface de l’auteur de 1833
Miroirs Editions, 1992
STORR, Anthony
Les ressorts de la création
Paris, Laffont, 1972
WILDE, Oscar
Le portrait de Dorian Gray
Bruxelles, Le Soir/Rossel, 2003
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