Pour son premier cycle de l’année scolaire 2013-2014, le ciné-club du lycée Montaigne vous propose un aperçu en cinq films du cinéma anglais ou plutôt d’un certain cinéma anglais : celui qui s’inscrit dans une veine sociale. Repères historiques et artistiques: 1) Le « free cinema » des précurseurs Dans les années 60, dans un célèbre entretien avec Alfred Hitchcock (le grand maître du suspens britannique), François Truffaut se demande « s’il n’y a pas incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre ». On peut s’étonner d’un tel manque de discernement par l’une des figures de proue de la Nouvelle Vague du cinéma français (avec Claude Chabrol, JeanLuc Godard, Eric Rohmer, etc.) alors même que la Grande Bretagne livre elle aussi une Nouvelle Vague très riche mais aussi très différente car davantage axée sur le réalisme et le traitement de sujets qui touchent à la condition de la classe ouvrière de l’époque. A cette époque, de jeunes cinéastes (proches du mouvement littéraire des « angry young men ») lancent un courant, le « free cinéma », en réalisant des films « qui donnent la parole à ceux à qui on ne la donne jamais ». Le cinéma de Tony Richardson (« La solitude du coureur de fond »), Karel Reisz (« Samedi soir, dimanche matin ») ou Lindsay Anderson (« If »), tend à s’affranchir d’un certain académisme bourgeois et prend à contre pied les règles narratives et esthétiques classiques : caméra à l’épaule, tournage dans la rue (et non en studio), acteurs non professionnels, et surtout thèmes sociaux auparavant peu abordés à l’écran. 2) Un cinéma de combat irrigué par les années Thatcher Mais le courant du « free cinema » se tarie vite et le cinéma anglais connaît une crise qui ne s’achèvera que dans les années 80-90 avec des réalisateurs engagés à nouveau ancrés dans le réel comme Ken Loach, Mike Leigh, Stephen Frears, Danny Boyle, etc. Leurs œuvres sont à la fois irriguées et galvanisées par la crise économique et les bouleversements politiques des années Thatcher (1979-1990). Durant cette décennie de pouvoir, la « Dame de fer » a transformé en profondeur la société anglaise en redressant en particulier son économie (Londres devient l’une des plus grandes places financières du monde) alors en déclin par l’application d’une doctrine libérale (inspirée du courant économique ultra-libéral des « Chicago boys ») sans concessions voire brutale que les classes populaires paieront au prix fort : privatisations, politique de rigueur (dégradation des services publiques et destruction du « British Welfare »), réduction du pouvoir des syndicats, dérégulation de l’économie et du code du travail, chômage devenu endémique dans les anciens districts industriels, accroissement des inégalités. Ces cinéastes « de combat », à l’instar de Ken Loach essayent « d’exprimer un point de vue non sur la classe ouvrière mais de la classe ouvrière » en réaction à l’action politique de Margareth Thatcher et de ses succédanés libéraux (John Major, Tony Blair, etc.). Leurs films mettent en scène les défavorisés, les déclassés, les exclus du redressement économique du pays qui tentent, dans les cités ouvrières britanniques massivement touchées par le chômage, de survivre en se livrant parfois à des actes illégaux : vols, consommation et trafic de drogue (« Trainspotting »/« Sweet sixteen »), travail au noir, etc. Mais le regard porté sur les héros de ces films est dénué de jugement et plutôt compassionnel et l’attention de ces cinéastes se focalise sur la réaction de leurs personnage face à la crise ou à l’exclusion : voies politiques plus ou moins résignées (syndicalisme dans « The navigators », extrémisme dans « This is England ») voire même apathie politique (« Transpotting »), petite délinquance (« Sweet Sixteen »), paradis artificiels, etc. Cette capacité à aborder des sujets graves n’interdit pas, et c’est une spécificité du cinéma britannique, l’humour, souvent noir, avec des scénarios relevant parfois de la comédie (« Transpotting », « The navigators ») qui leur donnent une touche de légèreté et participent de leur efficacité à sensibiliser le spectateur sur des problèmes graves sans le lasser. Ces films sont en tout cas tous empreints d’une grande humanité qui s’appuie sur les relations d’amitié et de solidarité qui sont parfois les seules lueurs d’espoir dans l’univers sombre des protagonistes. Elément de contre-culture dans une société dominée depuis les années 80 par le libéralisme, la dérégulation du code du travail et des marchés financiers, d’accroissement de « la fracture sociale » et la surconsommation, le cinéma social poursuit une bataille idéologique en abordant, avec humour et lucidité, des sujets qui restent plus que jamais actuels. Christophe Sanson & Laurent Pedraza Ciné-club - Lycée Montaigne CYCLE « CINEMA SOCIAL ANGLAIS »