INTENTIONS DE MISE EN SCÈNE
« Gogol cherche pour Le Revizor un théâtre qui n’existe pas, capable d’éviter le vaudeville en res-
tant comique et de trouver l’équilibre entre réel et symbolique. » (Georges Nivat) Ce désir de Gogol évoque en
moi un monde qui se dénit comme mélange de poésie et de grotesque. Un monde suggestif qui peut passer
du rire à la mélancolie. « La pièce de Gogol c’est de la poésie en action », dit Nabokov, une intrigue simple et un
monde plein de détails en apparence secondaires mais qui composent un arrière plan où le poétique bouillonne
et où se révèle le véritable royaume de Gogol. Sonder cet univers m’attire.
Je vois les intérieurs représentés avec une grande économie d’objets (une table , un lit, quelque
chaises, une porte, une fenêtre, un tableau, tous légèrement plus petits que d’habitude…) où la musique peut
jouer un rôle extrêmement important. La lumière aussi car elle rythme notre vision. L’extérieur est immense, il
enfonce l’être humain comme s’il pouvait l’emporter dans un tourbillon à n’importe quel moment ; il est froid,
enneigé, venteux, fantasque, comme un personnage qui vient parfois s’introduire dans la maison du gouver-
neur… Je vois une calèche s’éloigner vers l’horizon, devenir petite, un point, une fourmi, disparaître… Je vois
une porte qui s’ouvre sous l’eet du vent qui fait sortir tous les personnages…
Quant au changement de décor, à l’entrée et à la sortie des personnages ou simplement aux
passages entre les scènes, l’idée est de trouver un mouvement scénique bureaucratisé qui nous permettra
d’explorer quelques situations un peu absurdes. Par exemple un groupe de domestiques, suivant des règles très
précises s’occupe de bouger les objets an de changer un décor mais aussi d’eectuer des tâches qui s’avèrent
inutiles et parfois exaspérantes car chacun sait que son existence dépend de l’ecacité avec laquelle il développe
sa fonction.
Kantor disait que paradoxalement sur la scène c’est des choses mortes que surgit la vie… Car
c’est des vieux objets que le passé aeure, des marionnettes et pantins qu’on tire l’intensité d’expression. L’accent
sera donc mis sur les corps transgurés des acteurs. Les femmes joueront des hommes par exemple…
Le jeu est stylisé, délicat, fragile comme une marionnette, surtout chez Khlestakov ou « le spectre
de Khlestakov » comme dirait Nabokov. Les défauts sur lesquels s’appuient les compositions de chaque person-
nage devront apparaître sans être trop soulignés dans le jeu. Comme si l’absurde était quelque chose de trivial.
Les personnages sont comme des « âmes mortes » qui peuvent tout à coup s’eriter et perdre une couche, une
partie, un nez…
« cendreux », comme les dénit Georges Nivat.
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Ils portent de vieux manteaux, leurs cheveux sont gras, ils ont un nez protubérant, ils sont
Tel que dans Le Grand Cahier nous sommes dans un
monde expressionniste, où l’on atteint l’émotion avec la déformation
ou la stylisation. Où prime un monde subjectif. Et sur la patine de ce
monde qui pourrait devenir triste, l’humour glisse, nous surprend et
trouve sa place.