e thème de la commémoration de
septembre 2004 me plaît tout
particulièrement, en ce sens qu'il
nous situe à la croisée des chemins de cette
vénérable institution que sont les Conserva-
toire et Jardin botaniques.
L'histoire – ou les histoires –, c'est évidem-
ment la source de découvertes importantes,
la transmission de traditions et de savoirs,
la constitution d'un patrimoine.
Les modernités, quant à elles, sont reflétées
par les objectifs actuels des CJB et leur enga-
gement, tant sur le plan local
qu'international. Les modernités botaniques
permettent de préciser ce que représente
réellement un tel musée scientifique, que
l'inconscient collectif – relayé par les
médias – aurait tendance à considérer
comme poussiéreux, vétuste, d'un autre
temps. Mais je suis conscient de m'adresser
à un lectorat averti et convaincu, puisque
ceux qui tiennent en main la «Feuille
Verte» associent les Conservatoire et jardin
botaniques à une image dynamique et
qu'ils suivent avec intérêt son actualité.
Alors qu'ils fêtent le centenaire de leur
transfert hors les murs pour la création du
Jardin botanique moderne, les CJB jouent
plus que jamais un rôle d'expert «vert» au
niveau régional et international. Le Dépar-
tement des affaires culturelles se réjouit
de la mise en œuvre de synergies autour
d'une plate-forme muséale commune
liant sciences, ethnographie et social, tout
comme de ses ouvertures sur le multi-
culturalisme et la solidarité internationale.
Musée vivant, la fréquentation des CJB n'a
jamais été aussi haute que ce printemps et
cet été 2004 (sixième musée visité en
Suisse, avec plus de 350'000 visiteurs par
an, selon les statistiques). Ce succès est dû
notamment aux efforts constants de mise
en relation des divers publics (grand
public, scolaire, professionnel) avec un
monde végétal rendu actif, source de
connaissances et d'enseignements, mais
aussi source permanente de bien-être phy-
sique, artistique, voire spirituel.
Les CJB, comme musée vivant de la cité,
véhiculent une image très positive d'une
Genève scientifique par tradition, multi-
culturelle par essence et interactive par pas-
sion. Leur situation privilégiée au centre des
organisations internationales est un atout
non négligeable. Mais, ce qui fait leur répu-
tation, c'est essentiellement un centre de
documentation et de savoir botaniques
presque inégalé: fait notoire, ils conservent
le cinquième plus grand herbier au monde!
Le Jardin botanique s'affirme comme une
source globale d'expériences et de connais-
sances. Par son refus de la plante «objet»
pour une plante «utile», omniprésente et
universelle, il s'inscrit dans un mode de tra-
vail interactif, à l'écoute des préoccupations
de la cité, par la diffusion des savoirs bota-
nique et ethnobotanique. Sa responsabilité
est lourde: détenteur d'une tradition sécu-
laire, il est au service de la connaissance, de
la protection et de la conservation d'un
environnement à la diversité maximale,
qu'elle soit naturelle ou culturelle.
En dernier lieu, il convient encore de souli-
gner les singularités des CJB dans le monde
muséal, grâce à ses expériences socio-
pédagogiques et ses procédés novateurs de
communication. D'intéressantes solutions
muséographiques de plein air ont été réali-
sées: activités pédagogiques, Ateliers verts,
Espace famille, Jardin des senteurs et du
toucher, Brunchs tropicaux, etc.
Longue vie donc à ce centenaire plus alerte
et moderne que jamais, longue vie à sa tra-
dition scientifique de pointe jamais démen-
tie, longue vie à son enseignement et à ses
qualité pédagogiques, longue vie enfin à sa
démarche transculturelle inscrite dans la
politique de la cité. Et, surtout, merci à tous
les acteurs de sa promotion et de son succès.
éditorial
LA FEUILLE VERTE – JOURNAL DES CONSERVATOIRE ET JARDIN BOTANIQUES – N° 35 – DÉCEMBRE 04 – PAGE N° 3
e grands spécialistes en botanique alpine comme
C. Favarger, H. Merxmüller et P. Ozenda relevaient
la lacune que représentait l’absence d’une Flore
des Alpes. Considérant leur tradition, les don-
nées de leurs collections et les compétences de leurs cher-
cheurs, les Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de
Genève (CJB) ont jugé possible et légitime de préparer un tel
ouvrage. De plus, l’institut a appliqué très tôt les systèmes
d’information à la botanique. Forts de ces compétences, les
CJB annonçaient en 1990 le Projet pour une Flore des Alpes.
C’est le quatrième grand axe thématique de recherches des CJB
sur la diversité végétale, à côté de ceux constitués par la Cryp-
togamie et les recherches méditerranéenne et intertropicale.
Il est délicat de mentionner des précurseurs, car il y en a beau-
coup et on en oublie toujours. Néanmoins J. Briquet et E. Bur-
nat surgissent naturellement à nos mémoires, tant sont impor-
tants leurs travaux et leurs collections pour la recherche sur
les Alpes et pour la valorisation de l’herbier de Genève. Plus
récemment, A. Charpin, P. Hainard et F. Jacquemoud ont contri-
bué à ancrer la recherche alpienne aux CJB. Le présent travail
a été réalisé grâce au réseau de spécialistes que la réputation
de D. Aeschimann, K. Lauber, D. M. Moser et J.-P. Theurillat a
permis de mettre en place.
Dès 1996 paraissait Flora Helvetica, splendide ouvrage illustré
de K. Lauber et G. Wagner. Le succès de ce livre a incité les édi-
tions Haupt et les CJBG à mettre en commun leurs moyens et
leurs compétences, pour publier cette Flore des Alpes atten-
due depuis longtemps par de nombreux botanistes. Flora alpina
présente les 4500 plantes vasculaires constituant la diversité
végétale de l’arc alpin. C’est de la sorte un catalogue synony-
mique entre les Flores nationales concernées, regroupant les
entités biologiques semblables sous le même nom latin. Cela
semble évident, mais il faut rappeler que la faiblesse de la clas-
sification végétale résulte du manque de standardisation des
noms scientifiques, qui peuvent varier selon les conceptions
taxonomiques et nomenclaturales. L’originalité du Flora alpina
repose dans sa couverture géographique transfrontalière, qui
a imposé une standardisation des noms grâce à une approche
globale et concertée.
Lorsque le lecteur découvre la richesse du patrimoine alpin
au fil de cet ouvrage, il doit se rappeler que ce travail est le
produit de générations de scientifiques qui ont parcouru les
Alpes, récolté et déterminé des plantes, puis confronté leurs
déterminations avec les herbiers et les livres. Ces scientifiques
étaient formés par nos universités. De tels savoir-faire sont
aujourd’hui en voie de disparition car les Hautes Ecoles ne
forment bientôt plus de botanistes de terrain, susceptibles
d’identifier les espèces. Le laboratoire remplace le terrain, le
virtuel se substitue au réel. L’expérience ponctuelle débou-
chant sur un beau modèle mathématique est beaucoup plus
valorisée que la connaissance intuitive globale forgée par des
années d’expérience. On parle beaucoup de biodiversité, mais
on ne forme plus de professionnels aptes à reconnaître et
à mesurer cette diversité, qui ne pourra pas être préservée à
long terme si nous en ignorons les composantes. «L’esprit de
notre temps», comme le dirait Jung, veut que la biologie végé-
tale place son effort principal et la majorité de ses moyens
dans le génie génétique. Néanmoins une forte minorité de
chercheurs considèrent que ces créations sont dangereuses
pour l’environnement et exigent la stricte application du prin-
cipe de précaution.
L’histoire de l’agriculture montre qu’on peut sélectionner dans
la diversité du patrimoine naturel des variétés présentant les
mêmes avantages que les OGM, sans les dangers liés à ce genre
de manipulations. Cet ouvrage est le catalogue des espèces
naturelles de notre belle région alpine. Puisse-t-il transmettre
la passion de la botanique de terrain à ses lecteurs et convain-
cre le futur biologiste que la plante est d’abord un être en soi
et non pas seulement un phénomène de laboratoire.
Flora ALPINA
Aboutissement d’une grande tradition de recherche aux Conservatoire et Jardin
botaniques: parution de l’ouvrage Flora alpina
R. Spichiger directeur
Histoires et modernités
BOTANIQUES
P. Mugny conseiller administratif en charge du Département des affaires culturelles de la Ville de Genève