ploie, de plus en plus elle ploie. Vers le sol. Mais ses yeux sont bien sur la
terre. Sur la surface de la terre. Une terre qu’elle ne veut pas quitter.
Elle est allongée dans son lit. Elle n’a plus aucun relief, sous les draps c’est
presque plat. Elle sort sa main des draps, une main longue, fragile. Avec ses
yeux a demi rongés par un glaucome, elle pétille encore, elle est bien là,
quelqu’un de bien vivant, de plus vivant que nous peut-être. Plus proche sans
doute de ce que c’est que le seul fait de vivre. Avec elle, sans les mots,
quelque chose vient d’avoir eu lieu, une rencontre, quelque chose d’unique. «
Tout ce que nous appelons vie, univers, Dieu, n’est que notre façon de voir ce
qui représente une réalité que nous n’apercevrons pas tant que nous
resterons ce que nous sommes », écrit Maeterlinck. Et ce sentiment d'être en
face de « cette sorte de cruauté vitale qui est à la base de la réalité », comme
l'écrit Artaud dans
Le Théâtre et son double
. « Il faut que le théâtre passe à
travers les larmes », a écrit le grand metteur en scène allemand Klaus Michael
Grüber, faisant de cette phrase le titre d'un de ses livres. C'est de ce théâtre-
là sans doute qu'il est question ici. Entre goût de la vie et glissement dans la
mort, entre présent et passé, entre extrême vieillesse et jeunesse des
sentiments, le personnage se déploie.
A la maison de retraite, on l’appelle « l’opposante ». Elle s’oppose à tout ce
qui pourrait assurer son confort, et surtout elle refuse la nourriture.
C’est elle qui parle, c’est un monologue. Tantôt lyrique, tantôt grave, tantôt
léger.
Le texte se présente comme un compte à rebours. Il part du jour de la mort
de la femme, plus exactement de son enterrement, des conditions précises
de son enterrement, un beau jour ensoleillé d’hiver. Elle observe ses proches,
ses voisins, les mots et les rituels autour de ses funérailles. Elle est présente,
sa voix est d’outre-tombe.
Depuis l’église où on célèbre son enterrement, elle s’envole en hélicoptère.
Puis elle s’absente et quitte le monde, et c’est un compte à rebours qui
commence. A partir du moment de sa propre mort, elle remonte dans son
passé, un jour, une semaine avant sa mort, puis un mois, des mois, un an, des
années, des décennies avant sa mort. L’amour, la guerre. Elle a perdu
la conscience du temps. Elle qui parle si peu arpente les paysages à la
rencontre de son secret.
Importance des gestes quotidiens : comment elle s’habille, ce qu’elle mange.
Notes sur les paysages, sur la force des paysages.
Force pathétique d'un personnage qui passe de la fin de vie aux origines de la
vie. La vie est bouclée.
Dévoilement progressif de son histoire d'amour personnelle avec un soldat
allemand qu'elle n'a pas épousé mais qu'elle n'a jamais cessé de revoir.