INFORMATION TO USERS This manuscript has been reproduced from the microfilm master. UMI films the text directly from the original or copy submiUed. Thus, some thesis and dissertation copies are in typewriter face, while others may be trom any type of computer printer. The quailly of thls reproduction 1. dependent upon th. quailly of th. copy submltted. Broken or indistind print, colored or poor quality illustrations and photographs, print bleedthrough. substandard margins, and improper alignment can adversely affect reproduction. ln the unlikely event that the author did not send UMI a complete manuscript and there are missing pages, these will be noted. Also, if unauthorized copyright material had ta be rernoved. a note will indicate the deletion. Oversize materials (e.g., maps, drawings, charts) are reproduced by sectioning the original, beginning at the upper left-hand corner and continuing trom left to right in equal sections with small overtaps. ProQuest Information and Leaming 300 North Zeeb Raad, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA SQO-S21..Q600 • Pensée méditerranéenne et religions monothéistes selon René Habachi • Chantal Hoss e • Chantal Hoss, 2000 14'1 National Ubrary of Canada Bibliothèque nationale du canada AcQuisitions and Bibfiographie Services Acquisitions et services bibrlOgraphiques 385 weIIngIDn Street OIawa ON K1A C)NlC. 315. rue WellinglDn Ottawa ON K1A 0N4 C8nIlda c.n.da The author bas granted a nonexclusive licence allowing the National Library ofCanada to reproducc, 10~ distnbute or sen copies ofthis thesis in microform, paper or electronic formats. L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant à la Bibliothèque nationale du Canada de reproduire, prêter, distribuer ou vendre des copies de cette thèse sous la forme de microfiche/film, de reproduction sur papier ou sur format électronique. The author retains ownership ofthe copyright in tbis thesis. Neither the thesis nor substantial extracts ftom it may be printed or otherwise reproduced without the author's pennission. L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation. 0-612-70596-X Canadl • ii TABLE DES MATIÈRES Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. üi Remerciements iv ABBRÉVIATIONS UTILlStES v UN11l0DUCTION Introduction 1/1 CHAPITRE 1 UN ITINÉRAIRE DE PENSÉE Chapitre 1 11/7 1. 1 La Méditerranée, un espace Chapitre 1 12/8 1.2 Temps et longue durée Chapitre 1 17/13 1. 3 La formation philosophique Chapitre 1 1III17 1. 4 Les activités d'enseignement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 1 114/20 • CHAPITRE 2 LA PENSÉE MÉDITERANÉENNE: CONDITIONS ET PERSPECTIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 2 11/32 2. 1 La méthode en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 2 14/35 2. 2 L'actualité· Chapitre 2 16/37 2. 3 Un impératif: la liberté Chapitre 2 111142 2. 4 Nature et aventure Chapitre 2 114/45 2. 5 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 2 121/52 CHAPITRE 3 L'ALTÉRITÉ 3. 1 Judaïsme et hospitalité 3. 2 Islam et tolérance Chapitre 3 11/54 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 3 17/60 Chapitre 3 111164 CHAPITRE 4 LA GRATUITÉ CHAPITRE 5 PENSÉE MÉDITERRANÉENNE ET MONOTHÉISMES 5. 1 La recherche d'une harmonie 5. 2 Le concept de révélation 5. 3 Le rapport au Iudaïsme 5. 4 La proximité de l'Islam 5. 5 Une Méditerranée au présent CONCLUSION • ; BIBLIOGRAPHIE _ 1. ~ources premières: Ecrits de René Habachi 2. Ecrits sur René Habachi 3. Autres sources Chapitre 4 11/67 Chapitre 5 11/75 Chapitre 5 12/76 Chapitre 5 16/80 Chapitre 5 18/82 Chapitre 5 116/90 Chapitre 5 121/95 Conclusion /1/102 Bibliographie Bibliographie Bibliographie Bibliographie /1/106 /1/106 /9/114 /9/114 iii • Résumé Préoccupé par la survie du Christianisme en Méditerranée, René Habachi engage le dialogue de la pensée avec la vie. propose, avec un demi siècle d'avance, ce que la diplomatie d'aujourd'hui essaie avec peine d'esquisser. Dans une Méditerranée où les traditions abondent, les origines varient, les cultures se chevauchent et les civilisations se succèdent, Habachi définit la philosophie comme une pensée ancrée dans l'actualité et il recourt aux traditions du passé pour mieux préparer l'avenir. Respectueux des trois monothéismes en Méditerranée aux prises avec la gestion difficile d'une coexistence pacifique, il en appelle au dialogue en précisant une triple tâche: pour le Judaïsme, la tâche de l'hospitalité, pour l'Islam, la tâche de la tolérance, et pour le Christianisme la tâche de la gratuité. Il insiste sur le fait que seule une économie saine, mais surtout équitable, est à la base de toute solidarité. n • Abstnct Concemed with the survival of Christianity in the Middle-East, René Habachi engages a dialogue between thinking and life. Half a century ahead of his time, Habachi puts forward a proposai for peaceful coexistence - something which today's diplomacy is still stl11ggling to sketch out. In a Mediterranean where traditions abound, nationalities vary, cultures overlap and civilisations succeed one another, Habachi opts for a philosophy anchored in the present, baving recourse ta traditions of the past, so as to prepare a better future. Respectful of the three monotheistic religions in the Middle-East and cognizant of the practical difticulty in managing a peaceful coexistence, Habachi calls for dialogue between the three religions, while assigning to each a specific task : for Judaîsm, the task of bospitality; for Islam, the task of tolerance; and for Christianity, the task of gratuitousness. Habachi remains convinced that ooly healthy and equitable economy is the basis for solidarity. • iv • Remerciements Le professeur René Habachi a suivi cette recherche avec intérêt et son encouragement fut constant. Mes plus sincères remerciements vont également au personnes suivantes: Cécile Moussa1~ Elie et Camille Gédéon ainsi que Marlice Heneen Sirdar, nièce de René Habachi; le Père Simpn Saliba, Bibliothécaire de l'Université Saint...Esprit de Kaslik (Liban), le Père Jean Maroun A Y. Meghames, Chargé des institutions de L'Ordre Maronite • du Liban à Jaffa, Bethléem et Jérusalem; le Père René Baril, franciscain, le Professeur Sarnir Qusaym, s.j., de l'Université Saint...Joseph de Beyrouth; Antoine Kosseim, pour son intérêt et son soutien tout au long de cette recherche, ainsi que mes enfants pour leur estime; les membres du personnel du Service de prêts entre bibliothèques de la Bibliothèque de l'Université de Montréal, pour les écrits de Habachi obtenus auprès de la Library ofCongress à Washington, D.C., de la Bibliothèque du Boston College à Boston, de la Bibliothèque Nationale à Paris, de la Bibliothèque de L'université Laval à Québec et de la Bibliothèque de l'Université McMaster à Hamilton (Ontario); les Professeurs Michael f. Davie, de l'Université Francois-Rabelais de Tours (France) et B"rre Ludvigsen, de lUniversité d'0stfold (Norvège), également professeur invité à l'Université Américaine de Beyrouth, pour leurs précieuses références sur Internet; le Professeur Eric Ormsby, de l'Institut des Études Islamiques; le Professeur Maurice Boutin, directeur de cette recherche, pour ses conseils judicieux. • • • • v ABBRÉVIATIONS UTILISÉES • AHD J. Berque, Les arabes d 'hier à demain, 1960 A. Casanova (dir.), Aujourd'hui. l'histoire, 1974 AuH BrH F. Braude~ Écrits sur l'histoire. 1969 F. Braude~ La Méditerrané ... Philippe II. vol. 1 et 2, 1979 BrM CBB R. Habac~ La colonne brisée de Baalbeck, 1963 R. Habachi, Commencements de la créature, 1965 CC COoLI-D R. Habachi, "Conférences sur Simone de Beauvoir", 1956 Dno M. Bou~ "Dieu et la projection non-objectivée" : LTP 44/2 Ouin 1988) E G. Bourdé et H. Martin, Les écoles historiques, 1983 Expo R. Habachi, Exposé critique de "les Arabes...• de J. Berque". 1964 L'Histoire (oct. 1995 - nO 192) H HiM C. Samaran (dir.), L'histoire et ses méthodes, 1961 HIP-FM F. Majid, A History oflslamic philosophy, 1983 S.N.Hossein & O.Leaman, History oflslamic Phi/osophy. 1996 HIP-Ia HPA R. Habac~ Hamlet ou le Prince de / 'absurde, 1964 H. Corbin, Histoire de la philosophie islamique, 1986 HPI J.- R. Milot, L'Islam elles musulmans, 1975 IsM J. Boulos, Le patrimoine libanais el sa réactivation, 1965 18 L B. Lewis, "Mosle~ Christians and Jews...", 1992 Lb I-II R. Habachi, Liban l 1970 - Lihan Il. 1971 R. Habachi, "Lettre aux intellectuels d'Occident", 1967 LeO Magazine Littéraire MagLit R. Habachi, Le Moment de l'Homme. 1984 MhIcbb NCTI-u-m R. Habâchi, Notre civilisation au tournant 1-2-3, 1959 R. Habachi, Orient quel est ton Occident? 1969 o PMI R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 1. 1956 PMU R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 2, 1957 PMm R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 3. 1959 R. Habachi, Vers une pensée médite"anéenne 4, 1960 PM IV R. Habachi, Une philosophie pour notre temps, 1960 PPT R. Habachi, Qualres aspects de Maurice Zundel, 1993 QAZ Th. Fabre, Revue d'ÉlUdes Palestiniennes. 1995 REP-TF R. Habachi, Recherche de la personne ... de Maine de Biran, 1957 RPM R. Habachi, Le transgresseur, 1984 T G. Barraclough, Tendances actuelles de / 'histoire. 1980 TAH R. Habachi, Théophanie de la gratuité. 1986 TdG J.- P. Peroncel-Hugoz, Une croix sur le Liban. 1984 UC R. Habachi, Une philosophie ensoleillée. 1998 UPE y R. Haba'Chi, uy a-t-il des catastrophes théologiques?", 1977 • Les autres abréviations utilisées sont tirées de Siegfried M. Schwenner, Index international des abréviations pour la théologie et domaines apparentés. Berlin & New York, Walter de Gruyter, 21992, xli + 488p. - Voir la bibliographie pour la référence complète des ouvrages mentionnés. • INTRODUcnON Une main gantée~ celle des gouvernements arabes, a silencieusement rempli de sable la bouche des poètes. C'est à l'écrivain marocain Taher Ben Jalloun, récipiendaire du Prix Méditerranéen • de la Communauté des Universités Méditerranéennes en 1990~ que nous devons cette affirmation (cité dans UC 201). Le philosophe René Habachi réfléchit, travaille, et vit dans cette atmosphère complexe et troublée. Plus qu'une étude critique du contenu de la pensée méditerranéenne, l'objectif de cette recherche concerne les moyens empruntés par Habachi pour articuler une pensée dont les conditions et les perspectives philosophiques se fondent sur l'altérité et la gratuité. Ces deux thèmes qui se conditionnent mutuellement permettent aux rapports entre eux des trois monothéismes qui cohabitent en Méditerranée de se perpétuer. fi s'agit de comprendre comment Habachi décèle, entre différents courants de pensée, une connivence qui rend possible le dialogue entre les traditions philosophiques et religieuses, qu'elles soient indigènes ou importées en Méditerranée. fi s'agit également de discerner les moyens proposés par Habachi pour permettre au Christianisme de paniciper à l'évolution économique et culturene de I~Orient méditerranéen dans le présent quelque peu orageux de la région. • Ceux qui eurent au Caïre le privilège de compter parmi les étudiants de ce maître méditerranéen à la fois humaniste et personnaliste connaissent son ouverture d'esprit et sa créativité, deux conditions essentielles pour la compréhension du multiculturalisme • Introduction 112 croissant de nos sociétés. Habacbi est préoccupé depuis des décennies par la rencontre des cultures. De par son caractère méditerranéen, il accorde une grande importance à la notion de continuité historique. Fondée sur des traditions millénaires, sa pensée entend favoriser une implication nouvelle en économie et originale en ce qui concerne la politique et la religion. La manière avec laquelle la pensée de Habachi est habitée par l'actualité des rapports entre les nations et les peuples ne laisse pas indifférent. Plus que de s'intéresser à l' histoire passagère des événements de la philosophie, Habachi questionne plutôt la permanence philosophique des événements de l'histoire. Sa pensée est une réflexion philosophique active "engagée dans le temps et dans l'espace" (pM 1 Il). Elle cherche à promouvoir l'auto-détermination de certains pays de Méditerranée qui s'effondrent, alors que d'autres se créent. C'est le personnalisme qui, pour Habachi, "tient tête à l'existentialisme en nous donnant le sens de la liberté", il nous "dispose à entrer en société au lieu de nous coaguler en masse"; loin de susciter "une union par inditrérenciationn , il • engendre "une coopération par croissance de différenciation" (pPT 135). Il favorise l'élaboration d'une pensée à la fois philosophique et culturelle empreinte d'un engagement socio-politique qui reconnaît aux chrétiens du Liban le droit à l'existence et les incite au devoir de mieux s'affirmer. L'enjeu est imponant : il s'agit de promouvoir "la présence active de toutes les énergies d'une société aux problèmes de son développement humain" (Lb 1 179). Pour Habachi, le sens de "toute la problématique arabe serait incompréhensible sans le dialogue de la pensée musulmane avec le Christianisme oriental et le Judaïsme" (pPT (32). L'historieh libanais Jawad Boulos, qui propose également d'examiner à la lumière de l'histoire les possibilités et les limites de nos initiatives) soutient que Ucertains héritages) tels que les grandes découvertes, les pensées et les oeuvres des hommes de génie) etc., quoique familiaux ou nationaux, sont le patrimoine commun de toutes les nations." (IB 14) Loin de s'attarder à une critique de l'histoire de la philosophie selon une structure spécifique Habachi s'adonne plutôt à une réflexion philosophique à partir de conjonctures t • ponctuelles et localisées. fi préfère un discours évocatif à un discours argumentali( et on peut se demander si sa pensée est une philosophie d'unification, ou au contraire une sorte d'amalgame de visions théologÏco-religÏeuses de différentes traditions philosophiques du • Introduction 313 passé adaptées à un présent en proie au marasme économique, socio-politique, culturel et religieux. Le respect de la diversité permettrait-il au Christianisme de s'affirmer dans une identité méditerranéenne, au lieu de s'épuiser et de disparaître? '4Je ne prétends à aucun universalisme", dit Habachi qui favorise un humanisme indispensable à la cohabitation. un me suffit de m'identifier à cette rive orientale de la Méditerranée", dans le prolongement d'une histoire longtemps partagée "à laquelle je tiens par toutes les fibres de moi-même, et sans lesquelles [... nous] serions poussière dans le vent, absurdes, incompréhensibles à nous-mêmes et à autrui, et par surcroit inutiles au monde et définitivement stériles" (pPT 112-113). Pour HabacbL "il n'y a pas de culture arabe, telle que l'histoire nous la donne, sans Méditerranée" (pPT 138). Mais les nombreux éclatements des structures socio-politiques dans plusieurs pays de l'Orient méditerranéen ont entraîné la disparition des supports philosophiques et des traditions religieuses qui avaient servi d'infrastructure à leur paisible cohabitation. Dans ce sens, Habachi demande en 1960 : "l'arabisme qu'on nous propose aujourd'hui en Proche-Orient, est-il la réponse • à nos besoins, peut-il faire fonction de personnalisme, ou bien nous en écarte-t-il dangereusement?" (pPT' 112). Lui qui ne s'est pas penché sur la question de l'arabisme de façon particulière, aborde la question en 1964 dans son Exposé critique sur «Les Arabes d'hier à demain» de J. Berque. n considère cet ouvrage comme un "capital de connaissance et de sympathie", il exprime "une inquiétude cependant à l'égard de la structure de pensée sur laquelle ce monument, dangereusement, repose" (Expo 94). Ses réserves à l'égard de la sociologie de Berque concernent la difficulté de celui-ci "à entrer dans une durée proprement orientale", de sone que, selon Habachi, il finit par "nous proposer une philosophie de notre devenir qui va nous paraître [...] beaucoup plus construite de l'extérieur que vécue et pressentie du dedans." (Expo lOS) Chez Habachi, le concept de durée prime sur le concept de temps chronologique et est le fil condudeur de sa pensée. Tout au long de son itinéraire philosophique, il demeure préoccupé par l'évolution culturelle de l'Orient méditerranéen dans ses relations avec un Occident peu conciliant, ct est le moins qu'on puisse dire. Les rapports de rivalité sont au • coeur de la pensée méditerranéenne, et la revendication, au nom de promesses révélées par le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, des mêmes lieux sacrés sur une seule terre devenue sainte, constitue pour Habachi un défi politique incontournable dont Jérusalem est l'enjeu • Introduction 4/4 par excellence. L'itinéraire philosopbico-religieux de Habachi traduit à quel poin~ comme il le dit, "le besoin profond [de philosopher] naît du désarroi de nos intelligences orientales à la recherche d'une vision du monde où elles puissent enfin trouver une place. (...] L'unité arabe s'est otfene à beaucoup comme le substitut d'une philosophie absente" (pPT 7). Pour développer une pensée susceptible de tenir compte de la complexe réalité méditerranéenne, "il ne s'agit pas" pour lui "de déprécier les valeurs arabes, mais de les délivrer des cadres trop étroits de l'arabisme et des moyens maladroits qui risquent de les desservir" (pPT 133). En invitant les trois monothéismes à tenir compte d'une diversité en constante interaction, Habachi se propose de poursuivre simultanément quatre buts qui sont tous d'une extrême urgence: Politiquement : un réveil hostile à toute objectivation, afin de retrouver une position de transcendance. Religieusement : un dégagement hors du traditionalisme théologique, qui risque de nous retenir en arrière. • Économiquement : une exploitation de nos possibilités économiques pour aboutir à une démocratie. Et enfin, cultureUement : une réactivation de la culture et de la langue. Ces quatre buts, comment les refuser? Us dessinent vraiment les lignes maîtresses d'un réveil historique, et d'une revitalisation de notre vocation originale. (pT 133-4) Habachi souligne que '4~ette connexion du langage et des techniques dans une civilisation est si solide que là où une nation n'est plus féconde en oeuvres, il est à prévoir que sa langue s'est déjà figée en un vocabulaire sans ressources, et que cette crise d'expression est elle-même motivée par une conscience entrée en léthargie. [...] Qui ne pose rien en dehors de lu~ c'est qu'il est démuni d'énergie à expliciter". 1 n ajoute qu'une "absence de création prouve souvent une anémie de conscience", que "l'avarice diJne culture en oeuvres manifestes, et la paralysie diJne langue attestent plus souvent un vide qu'une plénitude", et qu' "ainsi meurt une nation, avec de grands gestes et des discours: on ne s'en rendra compte que longtemps après." 1 • 1 CaB (1963) 105; csa (1968) 94; caB (1984) 217. 2 caB (1963) 105-6; CBS (1968) 94-5; CSB (1984) 217-8. •• Introduction 5/5 Arraché à son terreau culturel à deux reprises, Habachi écrira au sujet de la pensée méditerranéenne, dans une lettre en date du 7 novembre 1995 : "[Ce] thème me paraît aujourd'hui lointain [...) bien que ma conviction soit la même". La pensée de Habachi compone quatre moments chaque fois centrés sur une optique . qui ne se sépare jamais d-Une we d'ensemble. Dans une première étape, elle passe manifestement dans sa thèse doctorale sur Maine de Biran en 1939 - d'un existentialisme intuitif à une vision plus académique de type personnaliste. En 1960, Habachi affirme que le personnalisme gratifie l'humain du "sens de la liberté qui fait de l'homme un sujet, un absolu." Il insiste sur "le sens du travail qui met en communication l'homme et le monde, l' homme et les autres. Du même coup, l'homme libre humanise le monde en même temps qu'il s'ouvre à la société" (pPT 110). Son intérêt le conduit à une évaluation des systèmes philosophiques occidentaux au moment où ceux-ci rencontrent les grandes traditions orientales, chrétiennes et musulmanes. Les oeuvres marquantes de cette époque sont les quatre cahiers Vers une pensée médite"anéenne (1956 à 1960), Notre civilisation au • tournant (1959), et Une philosophie pour notre temps (1960). Dans un deuxième temps, il insiste sur le fait que "le sens du travail met en communication l'homme et le monde, l'homme et les autres" (pPT 110). La réédition, vingt ans plus tard, de La colonne brisée de Baalbec (1963) et de Commencements de la créature (1965), en une seule publication sous le titre Le Moment de [·homme (1984) confirme la pertinence de cette préoccupation. Dans une troisième étape Habachi, qui n'est pas historien, réfléchit sur le "sens de l'Occident pour l'Orient". Sa pensée témoigne alors d'une volonté d'engagement qui s'exprime dans une analyse critique des retombées économiques et socio-politiques des rivalités entre l'Orient et ('Occident au Moyen Orient. Cette réflexion est présentée surtout dans Orient, quel est ton Occident? (1969), qui souligne la nécessité d'une identité méditerranéenne qui s'aBirme au sein de l'Islam arabe. Ses textes de philosophie engagée sont publiés dans les deux volumes Liban 1 en 1970, et Liban Il en 1971. L'engagement politique est à son avis le facteur clé de la survivance du Christianisme au Moyen Orient, surtout au Liban. En fin de parcours, Habachi centre son attention sur des thèmes qui, sous • l'influence de Maurice Zundel (1897-1975)~ component une dimension nouvelle et donnent lieu à des conférences centrées sur la spiritualité. Inspiré par son intérêt pour la théologie~ Habachi reprend les thèmes de vérité, de liberté, d'amour et de gratuité dans Le • Introduction 6/6 transgresseur (1985), Théophanie de la gratuité (1986), et Une philosophie ensoleillée (1998). Ces ouvrages aussi démontrent que Habacbi reste fidèle à une ligne de pensée qu'il s'était toujours promis de respecter: maintenir l'actualité au coeur du débat. Après avoir rappelé les principaux moments de l'itinéraire philosophique de Habachi (chapitre 1), la présente étude dégage les conditions et perspectives de la pensée méditerranéenne (chapitre 2) et examine ensuite les impératifs de tolérance et d'hospitalité eu égard à l'Islam et au Judaïsme (chapitre 3), et l'exigence de gratuité reliée essentiellement au Christianisme (chapitre 4). Le chapitre S résume et prolonge les chapitres précédents, et la conclusion souligne l'importance du rapport entre philosophie et théophanie dans l'oeuvre de Habachi. Si selon Habacbi, "la vraie mélodie commence quand le dernier accord s'est éteint" (CC 149), la pensée méditerranéenne aura-t-elle été l'idéologie d'un rêve incompatible avec la dure réalité, ou bien demeure-elle encore un projet porteur d'avenir dont il faut se préoccuper? • • • CHAPITRE 1 LTN ITINÉRAIRE DE PENSÉE Contemporain de bien des itinéraires actuels, celui- ci [mon itinéraire] leur doit beaucoup sans pouvoir mesurer, même quand il les nomme, toute l'étendue • de sa dette. D'une cenaine façon il leur doit tout, sauf de les réfracter à sa manière qui est celle de l'orient méditerranéen où mon destin s'est inscrit. (CC 24) C'est par ces mots que René Habachi termine son Introduction à Commencements de la créature, en date du 6 août 1965, à Hazmieh au Liban. Né au Caire en 1915, Habachi réside actuellement à Paris. En arabe, le mot Habachi veut dire abyssin, en d'autres termes, celui qui vient d'Abyssinie. Cette contrée avoisine les plateaux de Nubie en Haute Égypte et représente, avec l'Étythrée, l'Éthiopie d'aujourd'hui. Le haut plateau abyssin, dont le centre atteint 2440 m. d'altitude, est à la frontière du Soudan, de l'Ouganda et du Kénya, et ses rivières se jettent dans le N'ù. Pratiquement inondée par le lac Nasser créé par le Haut Barrage d'Assouan (Al Sad al AlI) construit entre 1960 et 1968, la Nubie, à cheval sur la frontière soudano-égyptienne, comprenait une population indigène d'origines tribales • multiples_ Mi-sédentaire mi-nomade, cette population est aujourd'hui non seulement irrévocablement déplacée, mais écologiquement dépourvue de ce qui avait permis sa survie d'éleveurs-cultivateurs pendant des millénaires. Ces vieilles cultures aux confins des Chapitre 1 12/1 mouvements religieux originaires du Christianisme nubien sont aujourd'hui politiquement fragmentées entre l'Égypte, le Soudan et l'Éthiopie, tandis que les trois monothéismes sont présents et que l'animisme subsiste. Citoyen libanais, Habachi est d'origine égyptienne, de confession chrétienne, et de rite copte, terme qui est la transcription du mot grec qui veut dire -égyptien».. Habachi est donc égyptien non seulement d'origine, de naissance et de citoyenneté, mais également de religion. À la conquête de l'Égypte par les Arabes en 642, la majeure partie de la population indigène, pour éviter de payer la ..jizab., taxe supplémentaire imposée aux non musulmans, se convertit à l'Islam. Devenus minoritaires dès ce moment, les coptes se subdivisent en deux sous-groupes: les coptes onhodoxes, qui relèvent du Patriarche copte, et les coptes catholiques, qui constituent une infime minorité rattachée à Rome. Dt allégeance copte catholique, Habachi appartient au sous-groupe minoritaire de la minorité chrétienne d'Égypte. Fùs de médecin, Habachi est éduqué au Collège de la Sainte-Famille du Caire tenu • par des Jésuites majoritairement venus de France. Cette institution vouée à l'éducation des garçons de la bourgeoisie égyptienne - Boutros Boutros Ghali, par exemple l'a fréquentée dispense une éducation à la fois orientale et occidentale, ce qui classe Habachi dans une nouvelle minorité. L'éducation de ses parents, probablement dans les mêmes conditions, peut expliquer le fait français à la maison. Dans ce pays arabophone, avoir pour langue maternelle le français ne peut qu'ajouter à la ségrégation. De famille chrétienne francophone et bien nantie, Habachi, de culture occidentale, vit en Orient au sein d'une majorité musulmane arabophone et pauvre. La complexité socio-politique, culturelle et religieuse de ce statut de minoritaire aurait pu l'amener à rester dans ('ombre. Elle suscite au contraire chez lui la volonté de comprendre et de faire comprendre que '~si les choses sont différentes par leur matière, par leur forme elles peuvent être semblables : voici par où l'unification est possible". (pM 1 47) 1. 1 La Méditerranée, un espace • UL'une des principales applications de notre analyse de l'existentialisme dans ses rapports avec la pensée méditerranéenne porte sur la Méditerranée elle-même" (pM IV Il), dit Habachi. Cette Méditerranée, que les Arabes ont toujours appelée le bassin du centre, Chapitre 1 1319 reçoit les eaux du Nd chargées de limon fertile et alourdies par les traditions. Elle accueille également des tleuves européens, dont l'Èbre, le Rhône, et le PÔ. Elle abrite des peuples et des cultures millénaires, et l'Occident la considère comme le berceau de sa civilisation. Souvent placée au coeur des conflits mondiaux, la Méditerranée est pour Habachi un symbole de liaison. n affirme que s'il y avait "une unification possible, c'est bien par le biais de la Méditerranée qu'elle se ferait; [car] la culture voit plus loin que la politique." (pM Il 29) Lourde d'un passé culturel et religieux considérable, la situation méditerranéenne compone actuellement des exigences politiques, économiques et culturelles dont l'importance ne saurait être minimisée. Cette Méditerranée qui a fait parler d'elle à travers les millénaires et qui a passionné tous ceux qui s'en sont approchés, s'engage dans l'actualité meurtrie par les rivalités politiques et religjeuses. Également aftligée d'une endémique pauvreté, elle accueille le troisième millénaire avec appréhension. Habachi n'est pas le premier penseur arabo-oriental, mais probablement le premier philosophe méditerranéen • contemporain francophone et chrétien, à raviver le patrimoine philosophique de ce carrefour de civilisations. Il situe sa pensée dans le même espace que celui choisi par l'historien Fernand Braudel pour sa monumentale étude La Médite"anée et le monde médite"anéen à l'époque de Philippe Il. publiée en 1949. Parlant de son projet, Braudel estime que "l'inconvénient des trop grandes entreprises est que l'on s'y perd souvent avec délicesu (BrM 1 15). Conscient des nombreuses constituantes d'une pensée méditerranéenne dépositaire d'une histoire dont la richesse culturelle et religieuse millénaire est pleinement reconnue, Habachi déclare pour sa part : UPourquoi se hâter de passer du multiple à l'un? La ligne droite n'est pas le plus court chemin, si elle nous fait manquer la richesse du monde" (pM 146). Objet commun de leur attention, la Méditerranée représente toutefois quelque chose de différent pour Braudel et pour Habachi. "En digne représentant de IIÉcoie des Annales, [Braudel] relègue Il-événementiel.. à l'arrière-plan" (E 189), car selon lui~ "l'histoire événementielle" est "davantage produit de l'histoire que productrice d'histoire" (H 81). Son ouvrage sur la Méditerranée, à l'origine • de l'imponant tournant de ce qu'on a fini par appeler à la tin des années '70 la -nouvelle histoire-, a établi la réputation de Braudel en tant qu'historien. Pendant plus de vingt ans, de 1946 à 1968, c'est d'abord avec Lucien Fèbvre, puis seul aux commandes, que Braudel • Chapitre 1 14/10 dirige la rewe Les Anna/es. En 1984, Georges Duby parle de lui en ces termes: Braudel le patron: c'est vrai Qui d'entre nous, et je pense à ceux-là mêmes que dérangèrent naguère les coups de boutoir qu'il assénait sans ménagements contre les citadelles de l'histoire traditionnelle, n'a jamais eu le sentiment de prolonger des pistes qu'il avait lui-même frayées, et de travailler comme sous sa conduite? Il me semble que nous sommes assez nombreux qui, sans lu~ ne serions pas devenus ce que nous sommes.' Si nombre de commentaires élogieux accueillent l'oeuvre de Braudel, plusieurs controverses entourent sa personnalité. À trop célébrer le -miracle français» en matière d'histoire, on ne pouvait que s'attirer les remarques peu amènes, mais ô combien pertinentes, d'un historien néerlandais, W. Den Boer, pour lequel les Annales et «l'Histoire nouvelle» ont bénéficié d'un mécanisme bien connu dans l'histoire des sciences, (...) qu'il appelle le phénomène de concentration • épique ou principe de Saint Mathieu : -Ce dernier consiste à attribuer dans l'histoire des sciences les inventions de nombreux savants à un petit nombre seulement d'entre eux. Comme le dit l'Évangile : ~ car on donnera à celui qui a déjà et il aura davantage; mais pour celui qui nta pas, on lui ôtera même ce qu'il a"t.% François Dufay appelle Braudel "le pape de la nouvelle histoire", "le mandarin", immense historien" dont les ouvrages "ont considérablement vieilli", '~n c~ autocrate impérieux, un prince de la Renaissance" (H 78-79). Ces critiques à l'égard de Braudel et de l'École des Annales ne sont pas sans rappeler le commentaire de Pierre Legendre au cours d'un entretien publié en 1995 sous le titre "Qui dit légiste, dit loi et pouvoir' : "Je me souviens dUne visite que je fis à Braude~ magnat des sciences sociales d'après- guerre, pour faire valoir auprès de lui l'importance de la dogmatique médiévale et d'une histoire des montagnes étatiques. D écarta mon discours d'un revers de la main. J'étais jeune alors, je sortais de mes expériences dans le milieu • internation~ mais je n'ai jamais oublié la l "Braudel le patron de la nouvelle histoire" : Maglit (juin 1984) 17. 2 L'histoire el ses méthodes, Presses Universitaires de Lille, 1983, pp. 90-91; cité dans E 202. • Chapitre 1 15/11 suffisance de cet intellectuel typiquement français, devenu l'idole de l'École des Annales. Voyez-vous, la différence entre Braudel et Kantorowicz est là : l'arrogance chez l'un, la modestie chez l'autre, quant au questionnement".J Habachi, quant à ~ se passe de reconnaissance. nnargue la renommée et n'a suscité que des critiques élogieuses de la pan de ses confrères (nous y reviendrons). Pour le philosophe comme pour l'historien, la Méditerranée représente à la fois un objet et un sujet d'étude. L'espace géopolitique et le temps historique de longue durée qu'elle représente sont toutefois différemment perçus par le philosophe et par l'historien. Braudel savamment la personnalise, faisant d'elle un sujet constitutif d'histoire, tandis que Habachi crée un sujet historique qui se trouve au coeur de sa pensée philosophique. Mais en quoi se distinguent. les deux approches et où se croisent leur vision respective des choses? Dans sa grande étude de 1949 sur la Méditerranée, Braudel, qui hésite à faire de l'histoire un simple reportage journalistique qui annule l'implication personnelle, "tourne • le dos à la tradition de ccl'histoire historisante-·. Le personnage central de son livre n'est pas Philippe IL un homme d'État, mais la Méditerranée, un espace maritime" (E 186). Habachi, pour sa p~ refuse de ne faire de la Méditerranée qu'un objet d'histoire dont on détaine la chronique et décompte les événements. Son intérêt pour la Méditerranée en tant qu'entité géographique est inversement proportionnel à son intérêt pour ce que représentent ses cultures et leurs rapports en tant qu'objets d'analyse. II s'interdit de la réduire à un objet géographique dont on mesure les dimensions et choisit de dégager l'essence de la diversité culturelle inhérente à la permanence philosophique de son histoire, en vue d'une cohabitation qui reste à créer. Si les deux approches se rejoignent dans leur refus de faire de la Méditerranée un simple objet cartographique, elles témoignent pourtant de la différence entre le philosophe et l'historien. Dans une entrevue accordée à François Ewald et Jean-Jacques Brochier, Braudel précise son rappon à la Méditerranée en ces termes: Je n'étais pas, ou pas seulement, à la recherche de la Méditerranée de l'histoire. • J'étais aussi à la recherche de moi-même. Je n'ai pas eu d'illumination. Je suis resté indécis des années et des années face à la Reproduit dans P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, pp. 153-191;p. {56. 3 Cbapitre 1 16/12 • Méditerranée. Je ne l'ai comprise qu'en 1941, dix-huit ans donc après le début de mon travail. le jour où je me suis aperçu que la géographie était le moyen par excellence de ralentir l'histoire, un moyen d'arriver au plan zéro. C'est seulement alors que j'ai découvert les avantages de la Méditerranée comme sujet d'histoire. Je me suis compris alors grâce à elle.· Habachi, qui s'y trouve déjà, effectue le cheminement inverse: il invite l'humain qui habite la personne à retrouver la Méditerranée. "Nous pensons légitime, pour ceux qui refusent d'être des nouveaux-nés du 20ème siècle, qu'ils se souviennent qu'en se réclamant d'une pensée méditerranéenne ils se réclament d'eux-mêmes, et que loin de se trahir ils reprennent pied dans ce qui fut la splendeur de leur passé et la noblesse de leur tradition". (pM IV 1112) Dans ses publications parues entre 1956 et 1960, Habachi parle de la Méditerranée marquée par deux cultures: rune indigène, l'autre importée. II s'agit d'un double regard : l'un intérieur à sa propre histoire, l'autre, extérieur, qui emprunte l'oeil critique de • l'étranger. N'étant pas historien de carrière, Habachi n'entend pas proposer une histoire de la philosophie, qu'il considère déjà faite, et il refuse de faire une philosophie de l'histoire. Déterminé à faire une philosophie dans l'histoire, il fonnule des questions dont la réponse appartient au présent de l'actualité plutôt qu'au présent de la temporalité historique. L'actualité représente pour Habachi un présent qui recompose ses propres lieux, solidifie son unité temporelle, et apaise le tumulte que peuvent provoquer les diverses composantes ethniques, linguistiques et culturelles. L'imponance qu'il accorde au présent de l'actualité tempère le rôle centralisateur du présent chronologique d'une culture ou d'une religion majoritaire qui utilise en outre une langue à connotation sacrée (nous y reviendrons). Même si pour Habachi, la Méditerranée est faite d'espace et de temps, de géographie et d'histoire, de projection et de tradition, de passé et de futur, elle demeure l'agent de liaison dont la pennanence rend possible la cohabitation et la paisible coexistence dans la diversité. Unique en son genre, cette réalité méditerranéenne constitue pour Habachi un défi à relever. Il propose un projet de société qui invite les diverses ethnies à prendre une pan active et • constructive dans l'édification d'un avenir collectif: "n s'agit pour nous de découvrir les .. "La vie pour l'histoire" : MagLit (juin 1984 • nO 212) 18. • Chapitre 1 n 113 éléments communs à tous ces courants de pensée qui se croisent en Méditerranée, entre lesquels notre Proche-Orient doit se frayer un chemin". (pM n 5) La Méditerranée n'est pas une entité géopolitique, culturelle et religieuse non différenciée. Ethnies, peuples, langues, traditions, religions, cultures et courants de pensée y sont toutefois la somme de situations, de difficultés et de conflits qui mettent à mal la solidarité. Braudel a bien saisi l'enjeu du rapport des pays de la Méditerranée entre eux quand il écrivit que "les pays de Méditerranée sont des collections de régions isolées [...] et les contacts qu'ils établissent sont comme des décharges électriques, violents et sans continuité." (SrM 1 147) 1. 2 Temps et longue durée Sans contredire le projet de Habachi, celui de Braudel est différent. Cette différence est manifeste entre autres dans la manière de comprendre le rapport au temps. L'imponant pour Habachi est, comme il le dit en 1957 de "mûrir le futur en sauvant tout ce qui est t • récupérable du passé" (PM Il 5). Dans son article ~~La méthode Braudel" publié dans la revue L'Histoire en 1995, Olivier Dumoulin parle de ce dernier comme d'un 'jOinventeur" qui a "profondément renouvelé la manière d'écrire et de penser l'histoire, en utilisant des notions - pluralité des durées, géohistoire, économie-monde - jusqu'alors inédites. [...] la grande nouveauté de sa thèse (publiée en 1949) (...] fut de transformer le récit historique en une pluralité de ceduréesM" (H 81). Comme le dit Braudel dans l'entrewe qu'il accordait à François Ewald et Jean-Jacques Brochier, "je suis arrivé ainsi à la décomposition du temps. Car le temps de l'bistoire n'est pas d'une seule coulée; il est comme feuilleté".5 Dans la préface de son chef-d'oeuvre, Braudel parle d'une notion qualitative du temps qui permet de distinguer trois aspects de ce qu'on a pris l'habitude d'appeler l'histoire. fi y a une histoire quasi immobile, celle de l'homme dans ses rappons avec le milieu qui l'entoure [...] Au dessus de cette histoire immobile, se distingue une histoire lentement rythmée, (...] une histoire sociale, celle des groupes et des groupements (...] e~ l'histoire traditionnelle, si l'on veu~ • l'histoire à la dimension non de l'homme, mais de l'individu, (...] une 5 "Une vie pour l'histoire" : MagLit (juin1984) 19. Cbapitre 1 11/14 • agitation de surface (...] Une histoire à oscillations brèves~ rapides, nerveuses. Ultra-sensible par définitio~ le moindre pas met en alerte tous ses instruments de mesure. passionnante~ la plus Mais telle queUe, de toutes c'est la plus riche en humanité~ la plus dangereuse aussi. Méfions- nous de cette histoire brûlante encore~ teUe que les contemporains l'ont sentie~ décrite~ véale~ au rythme de leur vie, brève comme la nôtre. Elle a la dimension de leurs colères~ de leurs rêves et de leurs illusions. (BrM 1 13) Comme le souligne Geoffrey Barraclough, "il appartenait à Braudel d'élaborer le concept de la cclongue durée»" (TAH 72 n. 48) et de mettre l'accent sur la dialectique essentielle de l'bistoire~ c'est-à-dire l'interaction entre cette continuité à long terme [...] et les enchaînements rapides~ les mouvements de houle qui viennent s'y briser comme les vagues de la mer contre un rocher, mais qui parfois font éclater le roc~ ouvrant .ce • passage d'un monde à l'autre- qui est .le très grand drame humain sur lequel nous voudrions des lumières-. (TAH 72) Le concept de temps pour l'histoire classique implique une pluralité quantitative "sur lequel viennent se ranger, chronologiquement, des faits minutieusement étiquetés" (HiM 52). Pour Lucien Febvre, cette conception est périmée, car cela véritable histoire n'est pas la science des faits historiques, c'est la science de l'homme dans le temps, le temps ce continu mais aussi ce perpétuel changement». Et Fernand Braudel de renchérir: «L'histoire traditionnelle attentive au temps bref: à l'individu, à l'événemen~ nous a depuis longtemps habitués à son récit précipité, dramatique~ de souftle court. La nouvelle histoire économique et sociale met au premier plan de sa recherche l'oscillation cyclique et elle mise sur sa duréen • (HiM Si) Habachi ne réfère pas explicitement à la -longue durée-- de Braudel; mais il maintient qu' "il nous faut mûrir le futur en sauvant tout ce qui est récupérable du passé" (pM fi 5). • ntransfonne à sa manière une histoire événementielle, sous-produit de l'histoire~ en une histoire existentielle productrice d'histoire. Il recourt pour ce faire à une notion de temps qui met llaccent sur un devenir culturel mettant en rapport liberté sociale et liberté personnelle. U en appelle simultanément au respect de l'individu et à la tolérance au sein • Chapitre 1 19/15 de la société muiticultureUe et religieuse de la Méditerranée; mais il évoque aussi l'indispensable préoccupation soclo-économique, compagne obligée de toute philosophie digne de ce nom. Bien que localisé dans l'espace méditerranéen, le temps historique échappe à la temporalité immobile. La complexité de la notion de permanence du temps en Méditerranée fait que loin d'être figée dans le passé, la permanence culturelle méditerranéenne s'actualise dans la pérennité des civilisations. C'est Jacques Berque qui a le mieux saisi l'impact de cette pérennité. Pour l'illustrer, il réfère à l'Égypte qui constittte une identité coUective d'assise au moins cinq fois millénaire. L'historiographie la moins imaginative doit constater cette extraordinaire permanence, cette personnalité qui revêt, colore, détermine tout ce qu'elle agit et tout ce par quoi elle est agie, à commencer par les phénomènes physiques, tel que le Nil. II n'y a pas de Nil sauvage, il y a depuis cinq mille ans un Nil éduqué. Le Nil sauvage serait un fait naturel. Le Nil endigué, • prolongé de canaux, est un projet humain, un projet historique. Toute l'histoire du pays se fonde sur ce genre de projets, depuis l'origine jusqu'à la construction du haut barrage, par quoi l'on débouche sur la planification présente [...] Il va sans dire que cette identité collective n'a pour moi rien de métaphysique. En définitive elle se résout dans les rapports que les égyptiens entretiennent avec la Nature. Ce sont leurs rapports avec le fleuve qui en constituent la première dimension, remarquablement claire, et la solidité de ces rapports est la permanence caractéristique de ce peuple. (AuH 109-110) La présence de ce -Nil éduqué» change le désen en ceinture nilotique de terre fertile: dès son arrivée en Égypte et jusqu'à ce qu'il se jette dans la Méditerranée, villes et villages s'alimentent à ses eaux chargées de limon. Recueillant les eaux de l'Afrique centrale, ce fleuve, le plus long du monde, a assuré l'existence aux égyptiens et la survivance aux peuples qui vinrent s'y alimenter, y compris le peuple de Yahweh. Mesuré à panic de la • Ruvyironza, branche de la rivière Kagera en Tanzanie considérée comme sa source originaire, le Nd a 6,671 kms de longueur. La surface globale de son bassin atteint plus de 3,349,000 kms carrés. n poursuit son cours en suivant la frontière de l'Ouganda avant de Chapitre 1 110/16 se jeter dans le lac Victoria. À sa sortie de ce lac considéré comme sa source principale, il prend le nom de ~d Victoria et a une longueur de 5,584 lems. n descend jusqu'au lac Albert par un étroit p~sage de falaises rocheuses 10Dg de 483 kms, à l'issue duquel il est dénommé le Nil Albert. n traverse l'Ouganda jusqu'à la frontière soudanaise, où il est désigné du nom de Bahr el Jabal, littéralement, Mer de la Montagne. À partir de sa jonction avec son aftluent second en importance, le Bahr el Ghazal ou Mer des Antilopes, il prend le nom de Bahr el Abyad ou Nil Blanc. U arrive à Khartoum, littéralement la Trompe d'Éléphant, où il reçoit son principal affluent originaire d'Abyssinie, le Bahr el Azraq ou Nil Bleu. Ce gigantesque drain des hauts plateaux de l'Érythrée, long de 1,529 kms, arrive chargé de limon fertile qu'il déverse dans le Nil Blanc à Om Doorman. Tous les deux quittent Khartoum sous le nom de El Nil el Kébir, ou Grand Nil. Plus au Nord, le Grand Nil reçoit la rivière 'Atharah chargée de sédiments noirs qu'il déposait périodiquement, lors de sa crue annuelle, tout au long de son parcours sur des rives désertiques et sur la plaine de son delta, saline et marécageuse. Avec la construction du • Haut Barrage d'Assouan qui débuta en 1960, le ralentissement du débit d'eau favorisa le dépôt de ces sédiments au fond du Lac Nasser. Continuellement dragués, ils sont déposés, inutilisés, dans les environs. Cette opération réduit de façon importante les sédiments limoneux qui avaient de tout temps permis la fertilisation de la ceinture nilotique, y compris celle de son Delta. Le peuple égyptien en désarroi accuse l'Occident de ce désastre écologique, ce qui n'est pas sans ajouter à la rivalité entre l'Orient et l'Occident (nous y reviendrons). Arrivé au Caire, le Nil se divise en deux branches, celle de Damiette et celle de Rosette, du nom de deux viDes côtières de la Méditerranée. C'est à Rosette qu'en 1799 t un soldat de la campagne napoléonienne trouva la fameuse pierre du même nom comportant un texte gravé en trois versions qui devait servir de clé d'interprétation au physicien anglais Thomas Young et permettre à l'égyptologue français Jean-François Champollion de déchiffrer les versions hiéroglyphique et démotique par voie de comparaison avec la version grecque.' D'une portée mythologique considérable, ce Nil vénéré qui nourrit les corps • Le hiéroglyphe est l'écriture idéographique de l'Égypte antique. Le démotique, calligraphie cursive dérivée du hiératique, est l'écriture cursive dérivée des hiéroglyphes monumentaux. 6 Chapitre 1 111/17 jusqu'à leur mort en achemiœnt les âmes vers l'éternité se trouve régulièrement inscrit aux panthéons des cosmologies du Proche-Orient Ancien. Cette divinisation du NiL à la fois horloge et boussole de l'Égypte, instaure une indubitable permanence vécue au rythme de ses crues. Cette complexe symbolique permet de mieux saisir la préoccupation centrale de Habachi qui a grandi au Caire, c'est-à-dire à la jonction de la ceinture nilotique et de son fertile delta. Cette métropole pennet aujourd'hui de distinguer la Haute et la Basse Égypte, et séparait déjà dans l'Antiquité le Royaume du Nord de celui du Sud. Habachi s'attache en effet à relier les questions existentielles d'aujourd'hui à la longue histoire culturelle et religieuse de la Méditerranée. 1. 3 La formation philosophique Habachi qui se dit "très attentif aux courants existentialiste et personnaliste, tels qu'ils s'expriment depuis les années 1933-36"(RPM 9), poursuit ses études en France et • plus particulièrement à Grenoble, haut-lieu du mouvement personnaliste, où il s'ouvre à l'influence des grands maîtres du personnalisme français. Entre 1937 et 1939, il rédige à Grenoble une thèse de doctorat sous la direction de Jacques Chevalier. Ce dernier est fortement marqué par le groupe d'intellectuels catholiques de gauche de la rewe Esprit, source initiale du mouyement personnaliste conjointement avec "L'Ordre Nouveau»'· et Alexandre Marc. Le premier numéro de la rewe Esprit fondée par Emmanuel Mounier paraît en octobre 1932.'" Intitulée La recherche de la personne à travers l'expérience philosophique de Maine de Biran, la thèse doctorale de Habachi propose une analyse de type existentialiste du philosophe français Maine de Biran (1766-1824) et témoigne également de son cheminement personnel. J'avais choisi le Journal Intime précisément pour montrer combien la philosophie biranienne est en situation par rapport à sa vie (...]. Biran m'apparaissait avoir traversé trois étapes : l'homme sensible, l'homme de • Christian Roy, Alexandre Marc et lajeune Europe (1904-1934) : L'O,dre Nouveau aux origines du personnalisme. Nice, Presses d'Europe, 1999, 587 p. 7. Voir John Hellm~ Emmanuel Mounier and the Catholie Left 1930-1950. Toronto, University of Toronto Press, 1981, viii + 357 p. 7b • Chapitre 1 /12/18 l'effo~ l'homme de la grâce, à travers lesquelles se développait par cercles concentriques une même notion: celle de personne humaine, - et non point d'un mouvement systématique, mais par déséquilibre et révolution de tout l'acquis des étapes antérieures. La vision qui en ressonait alors renversait toutes les perspectives. L'axe de la vie humaine n'est plus ni le corps ni l'esprit, mais Dieu lui-même. Et nous sommes plus ou moins "personne" selon notre présence ou notre absence à Dieu. Le centre du monde c'est Dieu lui-même, autour de quoi tourne l'homme comme un principe actifet libre, un transformateur d'énergie. (pM 1 26) Les titres de chapitre de la thèse sont aussi significatifs que ceux de la plupart des pubücations de Habachi. Parallèlement au contenu de l'ouvrage, ils esquissent un profil qui rappelle sa propre démarche. L'introduction suggère un itinéraire qui pan à la rencontre de l'homme sensible (chapitre 1). Cette rencontre s'achemine vers l'approche de l'unité personnelle vue à travers la perspective de l'homme de l'effort (chapitre 2) et passe ensuite • à la confrontation de la personne humaine concernée par l'homme de la grâce (chapitre 3), pour aborder enfin le dynamisme de la personne (conclusion). Les questions que Habachi pose à ('absurdité existentielle ne sont qu'un début. En 1984, il demande encore dans Le trallsgresseur : le sens de l'être, extrême fleur de la métaphysique, peut-il éclore dans une intelügence en sécession d'avec l'homme total, pensant et souffrant? N'est pas métaphysicien qui veut. L'expérience savoureuse de l'être flue et reflue selon les niveaux de la vie et selon l'ouverture de la conscience au ruissellement de l'exister. Et lorsqu'eUe se risque aux approches de sa source - au coeur des substances, des formes et des essences emponées dans leur devenir - ce n'est pas un objet qu'elle saisit : elle se trouve saisie par cet Acte Pur, équivalent rationnel de Dieu, Sujet par excellence, dont le débordement créationnel suscite l'homme à devenir sujet." (T 127) La thèse est publiée en 1957, quelques 20 ans plus tard, aux Presses de l'Université • Libanaise de Beyrouth. Habachi la dédie alors à son directeur en ces termes: "À Jacques Chevalier mon professeur à Grenoble, de 1937 à 1939, qui faisait de son enseignement une recherche vivante et un témoignage" (RPM 10). Cette dédicace compone une affirmation • Chapitre 1 /13/19 imponante dont la teneur est précisée dans le premier cahier Vers une pensée méditerranéenne(1956): C'est aussi contre cette neutralisation du singulier que se dresse d'abord Bergson puis Jacques Chevalier, en marge de l'existentialisme. (Il faut s'en souvenir puisque précisément, cette indifférence au singulier sera le cri d'alarme pour la philosophie nouvelle.) Cet appel ne pouvait éveiller [...] la disponibilité d'Aristote, beaucoup trop pris par la structure générale du monde pour se prêter à l'urgence de l'individue1.· Qu'il s'agisse de philosophie nouvelle ou de nouvelle histoire, il importe de constater que Braudel panage l'urgence de l'intuition fondamentale de Habachi quand il dit : "l'homme est autrement complexe" et "l'individu est trop souvent, dans l'histoire, une abstraction." (BrH 21) Les tendances existentialistes de la pensée de Habachi alors confrontée à différents courants philosophiques se changent en un persoMalisme qui l'accompagne plusieurs • années durant, voire tout au long de sa vie. "Si j'adopte le personnalisme comme philosophie centrale, c'est parce qu'avec lui je m'avance à la fois à la rencontre de mon passé et de mon présent", écrit Habachi en 1960. (pPT 95) Sans donner tort à Denise Barrat qui, dans son liminaire à Commencements de la créature. affirme que Habachi l~ne parle jamais de lui-même et qu'il dit rarement je" (CC 14), il faut bien constater que l'oeuvre de Habachi est parsemée de textes hautement personnels, ce qui laisse croire qu'il réserve à l'écriture des confidences qui sont loin d'être négligeables, par exemple la réflexion suivante : "Dieu n'est pas à chercher à l'extérieur comme U-'1 Être étranger, mais au-dedans comme en attente de dévoilement. Le Tout-Autre de mon intimité, le Tout-Autre en moi" (TdG 95). D'ailleurs, poursuit Barrat, "pour qui le connaît bien, ne serait-ce en quelque sorte être infidèle à son amitié que vouloir évoquer son existence quotidienne pourtant si limpide?" (CC 14) Cette question de Barrat s'adressait probablement à l'hol1Qe ou à l'ami plutôt qu'au philosophe ou à son oeuvre. Dans une lettre datée du Il février 1996, Habachi confie : ULes philosophies qui m'ont influencé sont • : pour la veine personnaliste, Emmanuel MOUIÛer, Jacques Maritain et Jean Lacroix; et pour 8 PM 1 47_ - La parenthèse est dans le texte original. • Chapitre 1 114120 . la veine existentielle : Maine de Biran, Gabriel Marcel, Maurice Zundel et Teilhard de Chardin." nréserve à "la générosité d'une mère comme les eaux d'un océan sans bords, et [à] la fierté d'un père heureux de steff'acer dans la croissance de ses enfants", une place de choix. On parle mal du plus proche. Mais à l'invitation à la vie que me firent mes parents je réponds oui, dans la gravité de l'âge mûr. Malgré les revers de la famille, ils ont débordé mon attente et comblé mon droit à l'existence. La main qu'i1~ tendirent vers moi en décidant ma naissance, je la recouvre aujourd'hui de ma propre main. Et nous voici contemporains d'une même tendresse. (T 132-3) 1. 4 Les activités d'enseignement À son retour de Grenoble en 1940, année de la déclaration de principe de l'indépendance du Liban, t Habachi occupe un poste de professeur de philosophie à • l' Université du Caire et dans divers lycées. Ses tendances personnalistes ajoutées à ses intérêts philosophiques lui valent ses premiers succès de conférencier auprès d'une intelligentsia qu'il souhaite initier au nouveau tournant de sa pensée. Parallèlement à son enseignement, Habacbi donne des séries de conférences jusqu'au moment où eurent lieu en Égypte les événements qu'on connait : le grand incendie du Caire (janvier 1952); la prise du pouvoir par les militaires et l'abdication de Farouk 1, dernier roi d'Égypte (juillet 1952); la Guerre des trois jours, appelée aussi "la triple et lâche aggression" de la France, de la Grande Bretagne et d'Israël, qui "faisait suite à la nationalisation du Canal [de Suez] et celle-ci au refus des crédits demandés pour le Haut-Barrage, c'est-à-dire en we d'une promotion dans l'économique" (AHD 42). L1exode massif des ressortissants français et britanniques ainsi que celui de plusieurs juifs apatrides jouissant jusque-là du statut de résidents en Égypte creuse une faille culturelle profonde au coeur de l'intelligentsia et provoque un déficit important dans l'économie. Le vide socio-culturel, politique et financier permet alors à une politique de caractère plus régionaliste de se développer. Un • nationalisme arabisant de tendance islamiste et plus radicalisé ne tarde pas à s'affirmer et ceDe principe-, parce que la fin du statut de Protectorat Français ne prend effet qu'en 1943. 9 • Chapitre 1 115121 à s'étendre aux pays environnants. Suite à ces événements, Habachi émigre au Liban. Même si le Liban se proclamait terre d' accueü pour les victimes de cet exode, ces départs précipités provoquaient chez certains de ceux qui eurent à les subir, un sentiment de lâche abandon. Par ailleurs, ils représentaient pour tous un véritable déchirement avec la mère-patrie. Habachi l'exprime en ces termes: S'il appartient au Liban de nous rappeler la synthèse dont nous avons besoin, que grâces lui soit rendues! - Ah! Quand pourrais-je dire tout ce que je dois au Delta du ~d et à cet autre delta de cultures qu'est le Liban? Je les joins tous deux dans mon coeur et dans une même supplication, jusqu'au jour où les événements nous permettront de les joindre dans nos intelligences enfin réconciliées avec elles-mêmes. (pPT 10) Dans ce contexte, Habachi se préocccupe essentiellement des relations Orient/Occident en Méditerranée dans le but de sauvegarder une identité chrétienne au • Liban, dernier espace du fragile destin qu'avaient appris à partager le Christianisme et l'Islam au Moyen-Orieat. Sans avoir jamais été formellement militantes, les interventions de Habachi à l'Université d'Al Kahirah au Caire et à l'Université Libanaise à Beyrouth ne se sont jamais voulues conflictuelles. Dans l'espoir de maintenir un Christianisme fortement menacé au Moyen-Orient, Habachi prend part activement aux débats socioculturels et politiques de l'heure et poursuit le projet d'une pensée philosophique devenue à ses yeux indispensable à la survie d'un Christianisme minoritaire au Liban. "Plus je réfléchis, plus il me semble que dans notre Proche-Orient, seul le Liban pourrait devenir le Liban de la pensée méditerranéenne" (pM n 29). Habachi est certain que "en notre condition d'homme, s'arracher à l'histoire c'est se défendre d'entrer dans la communauté internationale qui s'ébauche. Sans compter qu'on ne rejoint l'éternité, -la super-histoire qu'à travers le temps" (2M 15). fi précise sa position en ces termes: "Certains m'accusent de pessimisme quand il me semble voir pour bientôt la fin du christianisme en ProcheOrient, saufau Liban, peut-être. La seule chance qui demeure au christianisme libanais, me • semble-t-il, c'est de prendre l'initiative du problème social et de l'esprit civique" (pM fi 13). Bien que la pensée de Habachi témoigne philosophiquement d'une Méditerranée menacée, c'est sans pessimisme aucun qu'il incite la minorité chrétienne de ('intelligentsia • Chapitre 1 116111 libanaise, privilégiée par sa double culture et favorisée par ses moyens financiers, à développer une identité méditerranéenne qui assurera la survie du Christianisme en milieu arabisant. Habachi n'est pas seul à souligner le rôle unique que pourrait jouer le Liban. Michel Hayek abonde également dans ce sens lorsqu'il écrira en 1972, à propos du Liban ~ "Les responsabilités qui sont les siennes ne relèvent pas des droits classiques des États, mais des exigences spirituelles de l'histoire". Il Jusqu'au début de 1969, Habachi enseigne à l'Université Libanaise de Beyrouth. n cherche à promouvoir une solide formation philosophique chez ses étudiants et dans les milieux intéressés par la question socio-culturelle au Moyen-Orient. Comme au Caire, Habachi s'adresse à un auditoire composé d'une minorité cultivée et principalement chrétienne, sans exclure les adeptes d'autres religions. Il prend la relève d'un "cours public commencé à l'hiver 195S à l'Institut de Lettres Orientales dirigé par le Père Le Génissel" (pM 1 5). En 1956, l'Institut de Lettres Orientales publie le premier des quatre cahiers Vers une pensée méditerranéenne. • L'Institut de Lettres Orientales de l'Université Saint-Joseph fut une institution très prestigieuse, mais qui a plus ou moins fermé ses portes lors de la guerre du Liban. Il fait aujourd'hui partie de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. La bibliothèque qui fut ceDe de l'Institut fait aujourd'hui partie de la Bibliothèque Orientale, qui appartient également aux Jésuites. 11 Les conférences de Habachi au Cénacle Libanais entre les années 1955 et 1969 sont déterminantes pour l'élaboration de sa pensée. Sa préoccupation pour la culture au MoyenOrient témoigne d'un vif intérêt, déjà présent dans ses interventions en Égypte, pour L'unité de la société humaine., titre d'une conférence donnée par Habachi à la Société 10 ue 13 note J ... Michel Hayek est prêtre maronite et auteur notamment de Arabes ou le baptême des larmes, Paris, Gallimard, 1972; voir le quotidien le Monde (9 juin 1976). "The Institut des Lettres Orientales al Université St-Joseph was once a very prestigious institution, but which more or less closed down because of the war in Lebanon. It is DOW pan orthe Faculté des Lettres et des Sciences Humaines of St-Joseph University; the library it once had is DOW part orthe Bibliothèque Orientale, also the propeny ofthe Jesuits" (renseignemeni fournis par le Professeur Michael Davie, de l'Université FrançoisRabelais de Tours, France). 11 • Chapitre 1 117123 Égyptienne de Droit International à Alexandrie le 3 novembre 1948, et qui révèle un humanisme soucieux de mettre à profit la coexistenœ des religions en Méditerranée, surtout en ce qui concerne le Christianisme et l'Islam. Mais cet humanisme ne sera pas tout à fait le même au Liban que celui préconisé par Habachi en Égypte, même s'il s'agit d'une ..idée féconde». Habachi en ést bien conscient lorsqu'il dit en 1954 : Une idée est féconde, me semble-t-il, lorsqu'à l'usage, elle s'avère riche en développements et en explications. Il ne faut d'ailleurs pas se hâter de chanter victoire; il y a des coïncidences fortuites. Et s'il s'agit, non plus d'Égypte mais du Liban, je ne prétends plus du tout avoir la même assurance, et c'est pourquoi je vous demande par avance pardon des maladresses qui pourraient se psser dans les réflexions de ce soir. Je crois en effet qu'il n'y a qu'un Libanais de longue date pour bien comprendre le Liban. À tout autre, même éclairé par une ardente sympathie, à tout autre, il y a quelque chose qui résistera. (Lb U 4) • Une seule approche qui a toujours inspiré Habachi est de mise : il faut pratiquer un type de philosophie où "il n'y a plus de discussion entre l'Immanence et la Transcendance, mais dialogue et altruisme" (NCT m 55). Mais tout comme l'Égypte de Nasser ne parlait plus de son appartenance à l'Occident, le Liban d'après-guerre taira la sienne, sans plus. Habachi est fermement convaincu que pour exister en tant que personne, l'individu doit d'abord trouver la dignité. Pour détenniner quelques indices de la condition de la personne en ProcheOrient, il suffit de la saisir en situation dans notre climat culturel. La culture est à la fois le reflet des conditions économiques et sociales, et la cause de celles-ci. Dépendant du monde et cependant le surplombant, il est normal 'lU' elle nous renseigne véridiquement. (pPT 113) Peu après avoir émigré au Liban, Habachi investit ses espoirs dans ce territoire restreint, ce qui nécessite toutefois un témoignage d'authenticité difficile à exprimer : Si le Christianisme doit mourir en nos pays, et à supposer qu'aucune reprise • d'énergie ne vienne soudainement le ressusciter à lui-même, que ce soit au moins dans un geste de générosité. Qu'il ne disparaisse pas par avarice et lâcheté~ mais qu' il laisse de lui le souvenir de la grandeur qu'il n'a pas pu • Chapitre 1 111114 sauver et de sa présence à ('histoire qui est sa seule raison d'être. (pM II 14-15) . Quand il s'agit de répondre à des arguments qui s'opposent à cette opinion, Habachi devient radical : Je crois qu'il faut répondre implacablement que dans la mesure où le Liban répondra à ces appels, il deviendra nécessaire au monde. Autrement il perd le sens de sa vocation historique[...]. Et si l'un de vous me dit que c'est trop exiger du Liban puisqu'il n'est qu'un petit pays, un simple coquillage jeté . au bord de la Méditerranée, je lui répondrai : Oubliez-vous que dans ce coquillage vous pouvez entendre la grande voix de l'Océan? (Lb n 44) Jean-Pierre Péronœl-Hugozll est également persuadé du rôle spécifique réservé à un Liban chrétien. Il souligne que le prodige libanais, naturellement, s'explique. Il tient à mille cinq cents ans d'endurance, de privations, de qui-vive, de drames, de sacrifices, • notamment en vies humaines. Il ne s'est pas passé un demi-siècle sans que quelque barbe-bleue politique ne tente d'effacer le non-conformisme libanais, depuis l'an 517 où les Byzantins massacrèrent sur l'Oronte 350 moines de la règle de saint Maron - les premiers maronites. Chez eux fermentait déjà cette passion pour l'indépendance d'esprit et de corps qui devait être ensuite, face à tous les empires, l'apanage de la nation décidément peu commune que sont, en Orient proche, les chrétiens du Liban. (UC 12) Pour Habachi, la seule chance qui demeure au christianisme libanais, [...] c'est de prendre l'initiative du problème social et de l'esprit civique: promouvoir un nouvel ordre social appuyé sur une justice distributive plus équitable d'une p~ et d'autre part animer de qualités de conscience chrétiennes les rouages administratifs et les institutions. Je ne dis pas que ceDes-ci sont l'apanage • des chrétiens, mais au contraire, qu'on ne peut appanenir au christianisme 11 Journaliste au Monde. auteur d'un essai sur l'intégrisme islamique en Orient arabe9 Le Radeau de Mahomet (voir bibliographie). • Chapitre 1 119125 sans les cultiver. (pM n 13) En plus de son enseignement à l'Université de Beyrou~ Habachi participe avec assiduité aux activités du Cénacle Libanais. Ce centre culturel a joué un rôle très imponant dans le développement de la pensée méditerranéenne et du dialogue islamo-chrétien. Une liste des conférences données au Cénacle Libanais en 1964-65 témoigne de la diversité de la mise en commun des cultures et des idées. Cette liste a été publiée dans un fascicule du Cénacle Libanais qui comprend les conférences de Jawad Boulos (I8 Jan. 1965) et de Habachi (15 fév. 1965). IJ CONFÉRENCES DU CYCLE 1964- 65 ~ en français IIlIen anglais.. CONFÉRENcIERS ÉTRANGERS BARRATyDenise. Témoignage sur lcs témoins: François Mauriac. Jean Annouche. Louis Massigno~ Pierre Emmanuel ~ BERQUE. Jacqucsy Problèmes de la culture arabe contemporaine III BLANCHET. Émile, Problèmes de la jeunesse dyaujourdYhui ~ • DU CHAUA, ~ Vipgt ans au service de la diplomatie III FOURASTIÉ. Je~ La civilisation en devenir ~ LAHBABlyMohamed Am, L'ère de la détraumatisation ~ METTRA. Jacques, Deux écrivains devant l'événement: Charles Péguy et Romain Rolland fi' SUJETS DIVERS ALM.1EDDINa Nagib. Les fondements d'une industrie touristique libanaise ASMAR. Michel, Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As-Sayyab AS-SA YYAB. Mustapha, Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As-Sayyab DEMESHKŒ, Nadim, Inquiétudes du Tiers-Monde à la Conférence de Genève sur le Conunerce et le Développement EL HASSAN. Hassan, Prestige de l'infonnation et ses moyens techniqucs EL OMARI, Nather, Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As-Sayyab FADLI OAJAN!, Nahida, Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As.Sayyab LAHAM, Edouard, Le rôle des glandes endocrines dans le développement de l' individu. Incidences psycho-sociales III MORIN, Lucy Commémoration du Souvenir de Badr Chaker As·Sayyab III SAlO, Khalida, Conunémoration du Souvenir de Badr Chaker As-Sayyab . COORDoNNÉEs LIBANAISES 64--65 • M-fMOUN. Fouad, Le Liban dans la fraternité arabe ARIDlyBéchir. La politique ASMAR, MicheL La vie culturelle BOULOS, Jawad, Le patrimoine libanais et sa réactivation ~ GHORRA, Edouard, La collaboration des émigrés au devenir national HABACHI. René, Générations nouvelles: engagement 1965 ~ HAFEZ, ~ La vie économique 13 Ce fascicule se trouve à The Boston College Lihrary. Chestnut Hill. MA. • Chapitre 1 /20116 HONEIN, Edouard, Liban de demain ISKANDAR. Adnan. L' administration LAHAM. Albert, Les sources spirituelles du message libanais WAHIB, Rida, Le social LES GRANDES VOIX DE L'AFRIQUE ABRAHAM, Willi~ Le uconsciencisme" du Président Kwame Nkrumah fI'fI' AZKOUL, Karim, Le "'conscicncismc" du Président Kwamc: Nkrumah fi' BOURGUIBA, Habib, La bourguibisme : doctrine ct méthode de lutte pour la liberté et le progrès. ROUS, Jean, Senghor ct la voie africaine du socialisme fi' CHRISTIANISME ET ISLAM AU LmAN ABOU·~ Youssef, gans les pas de Mahomet DUPRÉ LA TO~ François, Le christianisme et la science d'aujourd'hui fi' ES·SADR. Moussa, Islam et culture au XX • siècle KHODR, Georges, Le christianisme aux prises avec les problèmes économiques et sociaux MOUBARAC, Youakim, Le dialogue islamo-chrétien au Liban et sa fécondité SAAS, Hass~ L'[sIam face aux problèmes du temps présent SALER. Sobbi; Le dialogue islama.<:hrétien au Liban et sa fécondité SALHAB, Nasri, Dans les pas du Christ. Par delà les avatars de la guerre, le Cénacle Libanais qui, "en sa tribune libre, aura • le mieux mérité de la nation", garde aux yeux de Habachi le droit à la reconnaissance, parce qu'il "prépare les archives de l'avenir" (Lb fi 43). En 1955-56, on retrouvait déjà Jawad Boulos et René Habachi dans le programme des conférences et les publications du Cénacle Libanais. Des rumeurs ont circulé à l'effet que cenaines publications du Cénacle Libanais, demeurées jusqu'ici introuvables, pourraient être rééditées. Mais de l'avis du Père Simon Saliba, bibliothécaire de IUniversité SaintEsprit de Kaslik (Liban), une telle chose est fon peu probable.·· Bien que Habachi n'ait pas été l'instigateur de la pensée méditerranéenne, il en est un des plus importants promoteurs. Loin de faire obstacle à l'adoption d'une attitude nouvelle et plus scientifique envers l'histoire devenue, selon Barraclough, victime de 04 1' inaptitude des historiens à se dissocier de leur propre milieu" (TAH 334), Habacbi est préoccupé par la poursuite du développement de la pensée philosophique en Méditerranée. nfaut espérer que le dialogue islamo-chrétien aetue~ assuré entre autres par le Père Yoakim Moubarac, Mgr Georges Khodr, Mgr Joseph Nasrallah et M. Camille • Aboussou~ s'inscrive dans le prolongement du souhait de Habachi de voir s'organiser une relève qui 14 Information transmise le 14 mars 2000. • Chapitre 1 121127 reprenne et dépasse la pensée philosophique "jusqu'à se faire oublier dans un vaste courant de pensée méditerranéenne7 dont l'urgence est un appel à l'histoire" (pM 1 6). Camille Aboussouan, Président-du Pen-Club du Lib~ considéré comme un homme pondéré s'il en est, n 7hésita pas, en février 1969, après que Tsahal eût chargé et blessé à Gaza des écolières arabes manifestant les mains nues contre l'occupation israélienne, à publier dans L'Orient - Le Jour un éditorial intitulé ccAnne Frank ... Anne Frank ...... Cela fit scandale, que l'on jetât à la face d'Israël le symbole de la malheureuse petite juive hollandaise. (UC 103) La relève se poursuit également avec Samir Kh. Samir Qoussaym,s.j., qui oeuvre en Egypte et au Liban. Sa thèse, soutenue à l'Université Grégorienne de Rome, pone principalement sur la pensée arabe médiévale du 8ème au 13ème siècles et rapproche théologique et culturelle des rapports. entre les auteurs arabes islamo-chrétiens de cette époque. Son enseignement à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth et ses rencontres avec les • représentants de l'Islam palestinien ont essentiellement pour objet l'analyse des tendances islamistes en émergence dans le monde arabe d'aujourd'hui et la reprise d'un dialogue islamo·chrétien adapté à la modernité. Cette activité est dans le prolongement de la préoccupation de Habachi. Par ailleurs, ses recherches ont mené à la découvene de liens importants entre le Moyen Âge arabe et le monde moderne autant chrétien que musulman. 15 Dans son introduction au premier cahier Vers une pensée médite"anéenne (1956), Habachi invite à la coUaboration en ces termes: "Une pensée méditerranéenne. Il y faudrait plus qu'un chercheur. Une équipe. Comment la rassembler en ces temps où la vie politique, arabe et inte~tionale, fait irruption dans nos vies et nous arrache à une retraite réfléchie?" (pM 1 5) On peut rapprocher ce souhait de celui de Fernand Braudel pour qui l'histoire "devrait se chanter, s'entendre à plusieurs voix, avec cet inconvénient évident que les voix se couvrent trop souvent les unes les autres (BrM 0 SIS). Comme le dit U Barraclough~ si "la science progresse sur un front international~ [...] il Ya autant de types d'histoire qu'il y a de peuples et de nations". (TAH 334) • La dédicace au premier cahier Vers une pensée médite"anéenne reconnaît en IS Voir son "Traité du Cheikh Abu 'Ali Ibn Yumn sur 17accord des chrétiens entre eux malgré leur désaccord dans l~expression", 1990 (voir bibliographie). • Chapitre 1 112128 Michel Chiba, décédé en 1954, "le premier témoin d'une pensée méditerranéenne" (pM 1 5). Habacbi souligne l'importance de ce penseur libanais en ces termes: "On aurait tellement souhaité que les amis de Michel Chiba ne manquent pas de faire de lui le premier témoin d'une pensée méditerranéenne, et n'hésitent pas à fonder, en souvenir de lu~ un Institut, ou une chaire de recherches méditerranéennes" (pM fi 30). Dans sa préface à Liban 1 rédigée à Paris le 6 septembre 1970, Habachi reconnaît que "le premier de tous les pays-frères, le Liban par la bouche de M. Chiba en 1948, a crié à l'injustice et au danger d'un État israélien" (Lib 1 xili). Habachi, pour qui la dimension politico-économique fait partie intégrante de la pensée philosophique en Méditerranée, dédie son deuxième cahier Vers une Pensée Médite"anéenne à quelqu'un qui tient compte de l'importance de ces implications : ''Henri Pharaon, Président du Comité de Patronage du Cénacle Libanais, parce qu'il milite manifestement pour l'équilibre méditerranéen dans la tourmente actuelle de notre Proche-Orient" (pM II 5). Il est convaincu qu' "il n'y a plus de temps à perdre. Il n'y a pas de temps pour la fidélité. Or il ne s'agit pas moins que d'être fidèle à notre • histoire" (pM n 30). Militer pour un Liban chrétien devient pour Habachi une exigence qu'il exprime par ces mots au début de sa conférence sur "La pensée engagée et dégagée au Liban, 1954" : Je ne crois pas beaucoup aux idées neuves. L'humanité me semble depuis longtemps en possession de quelques grandes idées, vite épanouies mais réapparaissant sous de nouveaux éclairages historiques et dans de nouvelles densités sociales qui renouvellent leur expression. Et ce n'est point pour vieillir notre jeunesse que je dis cela, mais plutôt pour rajeunir un antique héritage qui pourrait nous confier aujourd'hui des secrets étrangement neufs." (Lb fi 3) Fidèle à lui-même, Habachi ne peut taire ses convictions philosophiques, sociocultureUes et religieuses dans un Liban qui piétine. À contre-coeur, il accepte en 1969 le poste de Directeur de la Division de Philosophie de l'UNESCO et quitte le Liban pour Paris. Également apprécié dans les milieux académiques et socio-politiques, Habachi est • estimé par ses coUègues orientalistes de toute allégeance religieuse, politique ou culturelle. Bien qu'il ait connu deux émigrations, il reste fidèle à ce qu'il appelle "le dialogue de la pensée et de la vie". Pour lui, Chapitre 1 /23/2,9 • la marche d'une pensée est à la fois ordre, imprévision, évolution et système. Suivre pas à pas le dialogue de la pensée et de la vie ne signifie pas abandonner la logique au bénéfice de la pure incohérence, mais saisir combien la vie alimente la pensée de dons impréws, et combien en retour la pensée gouverne et oriente la vie ... jusqu'à la jonction des deux si possible. (D est vrai qu'à ce moment, quand vie et pensée s'épousent sans hiatus, en général un philosophe n'a plus rien à dire).•, En 1971, Habachi retourne en visite à Beyrouth où il rédige la préface à Lihan Il qui débute par ces mots : Absent du Liban depuis deux longues années pour un exil volontaire vécu malgré tout comme un exil, un mois de vacances à Beyrouth m'a permis d'assist~r à la prise du pouvoir universitaire par les étudiants[...]. Nous ne sommes pas sans tristesse en rédigeant cette préface en avril 1971. D'où viendrait l'optimisme alors que toutes les pages de ce livre, échelonnées sur • plus d'une décade, insistent pour un changement qui ne vient pas, ou qui n'est concédé que par morceaux incohérents. (Lib II ix & xi) En 1975, alors qu'il est encore au service de l'UNESCO, une guerre longue et sordide éclate au Liban. Péroncel.Hugoz, journaliste français, débute le premier chapitre de son livre sur cette guerre Une croix sur le Lihan (1984) en ces termes: Si le Liban n'était qu'un pays, on n'aurait pas besoin de tant d'acharnement pour le supprimer. Avec tous les coups qu'il a reçus, toutes les trahisons . qu'il a subies depuis le début, en 1975, de la guerre protéiforme qui le ravage, il aurait disparu de longue date. Mais le Liban est également une idée. Une idée et une exception., celle d'un État de droit, du respect des droits de l'homme, au milieu de la géhenne orientale [...l. Bref un microscopique lieu de liberté parmi l'immensité, les richesses et les foules des satrapies arabes. (UC Il) En 1957, Habachi parlait du Liban comme du pays qu' "on a défini terre d'amitié" (pM 1 • 5). Prévoyant déjà une situation éventuellement désastreuse, il disait : 16 PM 1 24. • La parenthèse est dans le texte. Chapitre 1 124130 Et je sais bien que c'est une tâche ingrate de faire le vide autour de soL comme je le fais, si l'on ignore, surtout, quelle forme future pourrait combler la place vacante. Mais toute croissance est un arrachement, et toute virilité veut qu'on chasse, d'une main rude et sans nostalgie, les rêves, même très doux, d'une adolescence attardée. Nous ne connaîtrons pas la joie de ceux qui construisent et voient monter l'oeuvre de leurs mains, mais nous aurons la satisfaction, âpre et fone, de ceux qui déblaient l'histoire, pour que d'autres générations construisent, dans des conditions enfin nouvelles. (pM n 16-17) Au terme de son mandat à l'UNESCO en 1977, Habacbi ne retourne pas à Beyrouth. fi accepte un poste de professeur de philosophie à l'Université de Paris VII Jussieu, poste qu'il occupe jusqu'à sa retraite en 1982. De 1971 à 1994, il participe aux travaux des Colloques internationaux sur la problématique de la démythisation fondés à Rome en 1961 par Enrico Castelli (1900-1977), professeur de philosophie de la religion à l'Université de • Rome. En 1973, un jury présidé par Paul Ricoeur lui décerne un Doctorat d'État en philosophie sur présentation de publications déjà parues sur "les conditions dlune pensée méditerranéenne". En e 198S et en 1987-88, Habachi est professeur invité à l'Université Laval. Ses publications chez Anne Sigier le font mieux connaître au Québec. En 1992, René-March Habachi 1'7 se voit décerner le Prix Médile"anéen de la Communauté des Universités Méditerranéennes. Destiné à des personnalités dans le domaine de la recherche et de la culture, ce prix adjugé tous les deux ans fut décerné en 1986 à Fernand Braude~ en 1988 au poète grec Odisseus Elytis, en 1990 à l'écrivain marocain Taher Ben Jalloun, et en 1994 à l'océanographe turc Umit ÜnJüata. Constamment préoccupé par le souci d'établir une relation significative entre philosophie, religion et culture eu égard au développement de la personne, Habachi continue à ce jour de donner des conférences à Paris, Lyon, Dijon, Perpignan, Lausanne et dans les abbayes bénédictines de Landevannec, de la Coudre.. Laval, de Dourgne et du Mont des Cats. Bien qu'il soit compté parmi les philosophes qui ont contnbué au développement • de la pensée arabe aujourd'h~ et que ses activités dans le domaine de la culture aient été 17 March est le prénom de son père. Clest une pratique courante au Moyen-Orient, pour les garçons, que de poner aussi le prénom de leur père. • Cbapitre 1 125131 reconnues par des organismes officiels tels que l'UNESCO et la Communauté des Universités Méditerranéennes, René Habachi est encore peu connu. Autant qu'on puisse voir, il n'existe pas encore de monographie exhaustive sur son oeuvre et sa pensée, à l'exception d'une thèse de doctorat rédigée en arabe à l'Université Saint-Esprit de Kaslik au Liban. II En quittant le Liban, Habachi a légué sa bibliothèque personnelle à la Bibliothèque Orientale de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth dirigée jusqu'à aujourd'hui par les Jésuites. • • 18 Jean Salim Saadé, Philosophie médite"anéenne et engagement libanais dans ['oeuvre de René Hahachi [BibUothèque de l'Université Saint-Esprit de Kaslik, 29], 1993. • CHAPITRE 2 LA PENSÉE MÉDITERANÉENNE: CONDITIONS ET PERSPECTIVES Le philosophe que j'essaie d'être, séduit par la modernité qu'il tente comme d'autres de promouvoir, refuse cependant une facile complaisance : le neuf • n'est pas toujours du nouveau. (T (27) La philosophie ne saurait être pour Habachi une idéologie ponctuelle socialement structurée, voire politiquement canalisée. li s'agit pour lui non pas de mettre la philosophie au service d'une pensée méditerranéenne déjà constituée, mais de rappeler l'importance de la philosophie pour la conduite du quotidien en Méditerranée, de répéter qu'elle n'est pas simplement l'expression d'une réflexion, mais l'intuition d'un projet socio-culturel, économique et religieux qui s'élabore graduellement, qu'elle est en définitive le contraste entre les exigences de cette intuition et un impératif de développement. C'est pourquoi il persiste à dire que la philosophie est accessible à tous. En 1956, Habachi situe encore sa réflexion philosophique dans une perspective existentialiste, plus préG,isément dans ce qu'il appelle un "existentialisme empirique" (pM 1 (9). L'originalité de son approche est plus que le simple choix d\m mode d'analyse qui soit conforme à une "histoire de la philosophie- ou à une .philosophie de l'histoire-. Elle réside • dans l'élaboration d'une expérience réfléchie qui n'est pas autre chose qu'une manière de faire de la philosophie. Cette '6expérience réfléchie" (pM 1 Il) correspond à ce que Habachi appelle en 1963, dans La colonne hrisée de Baalbeck, une uexpérience • Chapitre 2 12133 fondamentale" (CBB 1), et en 1984, dans la réédition de ce livre sous le titre Le moment de l'homme. une "intuition fondamentale", ou encore une "intuition originelle" (MH 149). Pour Habachi faire de la philosophie, c'est mettre à profit sa propre expérience marquée d'une double influence: existentialiste (en référence à Sartre. Nietzsche, Heidegger, Feuerbach et Kierkegaard) et personnaliste sous l'inspiration d'Emmanuel Mounier. Plus qu'une simple approche comparative de ces philosophies, Habachi s'attache à démontrer leur portée dans le quotidien afin de mieux situer les rapports mutuels des trois monothéismes en we de la coexistence pacifique des cultures et des religions au ProcheOrient. Habachi estime que son choix d'une méthode soumise au point de we de . l'évolution plutôt qu'à celui d'un système est un problème plus complexe qu'on ne pense, puisque son "projet ne vise pas à retrouver une pensée, une doctrine, mais à récupérer une histoire à travers une chaine de pensées et de doctrines" (pM 1 26). En 1960, à la fin de son livre Une philosophie pour notre temps, il dit : Devenir. • Personne humaine. Transcendance. Liberté. Démocratie. Travail. Sens de l'histoire [...) furent le fruit d'un long etron et d'une ample maturation auxquels collaborèrent toutes les énergies de la Méditerranée [...]. Renoncer à la Méditerranée, pour nous, c'est tout simplement renoncer, en tant que peuple, en tant qu'histoire, à toutes nos raisons d'exister. (pPT 137-8) . Le fait que Habachi s'adresse à un auditoire indifféremment chrétien ou musulman se reflète dans le choix des penseurs auxquels il décide de référer. S'il privilégie Aristote que l'Islam a fait connaître à l'Occident, c'est que la réalité fondamentale pour Aristote est l'Être. Ltêtre qui se présente à nous sous forme de devenir [...) d\Jne part~ le devenir où nous sommes, où l'être s'actualise progressivement faisant ainsi l'histoire, et d'autre p~ un être en dehors de toute histoire, qui ne devient pas parce qu'il est, en la gloire de son éternité. D'une part, le monde créé emporté dans son histoire, de rautre, rincréé, la divinité transcendant rhistoire. l • Habachi considère que les PM IV 14-15. Habachi précise dans une note: "Nous parlerons de -divinité- et non de Dieu, pour réserver ce mot au Dieu personnel" 1 Chapitre 2 13134 • théologies du Proche-Orient autant chrétiennes que musulmanes, sont plus essentialistes qu'existentialistes, et l'on devine déjà le drame sourd qui devait en résulter. Le platonisme des Pères Grecs, chez les chrétiens, et celui d'Avicennes chez les musulmans, ont perdu leur virilité doetrinale, fondus dans un climat essentialiste, qui pour n'être pas conscient n'en est pas moins intimement subi. [...] Mais l'on peut aussitôt lui donner un nom sociologique actuel selon sa réfraction dans notre histoire: Traditionalisme, tel est son nom. (pM 1 19-20) Pour Habachi, "de l'essentialisme théologique au traditionalisme sociologique, la pente est directe", et c'est ce qu'il craint le plus. Car ains~ "l'histoire indifférente se passe de notre action en nous abandonnant à l'immobilisme des essences immuables". De fait, "il en résulte quelque anachronisme entre notre pensée et notre action, notre idéologie prétentieuse et notre réalité humiliée" (pM 1 20). Mais comme "il y a également, mêlé à notre existentialisme diffus, un essentialisme de base venu non du présent mais du passé, • et d'origine religieuse" (pM 1 19), Habachi décide de remonter "jusqu'aux philosophies du Moyen-Âge Occidental et Arabe" (pM 1 6), et couvre ce même long Moyen-Âge qui représente pour Jacques Le Goff "le contraire du hiatus qu'ont vu les humanistes de la Renaissance" .1 Selon Habachi, la marche dUne pensée est "à la fois ordre et imprévision, évolution et système" (pM 1 24). Loin de soumettre sa pensée aux critères d'une théorie structurée, il privilégie le point de vue de l'évolution. Non pas parce que ce point de vue '~s'oppose au point de vue du système, mais parce qu'il empone la logique de celui-là dans une croissance créatrice" (pM 1 26), tel un progrès qui prépare les conditions d\1ne nouveauté. Mais pour Habachi, il "reste à voir comment avec chaque période il y a continuité et discontinuité, évolution et création, de quel élan simple ou de quel élan brisé sommes-nous les fils" (pM 1 27). arrière. Le retour aux sources effectué par Habachi n'est pas un retour en nest encore moins ce renfermement sur soi et sur le passé ou sur le présent, et qu'il décrit comme un fanatisme. Pour lui, • '~Ie traditionalisme est un fanatisme parce qu'il se replie sur son passé", et "l'égoïsme est un fanatisme parce qu'il se replie sur son présent" 2 J. Le Goff: Pour un autre Moyen-Âge, 1977, p. 10. • Chapitre 1 14135 (NCT m 34). n considère que dans les deux cas. "nous nous trouvons soit happés hors du temps, soit écrasés dans le temps". car pour lui, ''le traditionalisme des essences conduit aux déroutes de la pensée et de l'action" (pM 1 22). Mais toutes les analyses auxquelles s'adonne Habac:hi "révéleraient un étrange goût de l'humiliationy [ ••• ] si elles ne devaient en même temps nous ouvrir la seule voie à suivre. la seule issue par où sauver notre présent et notre passé. remettant en contact l'intelligence et l'action" (pM II 25) à partir de la situation confuse où nous sommes. Cette façon de procéder "mérite une explication" (pM 1 Il), comme il dit. 1. 1 La méthode en question Aborder la dimension millénaire dlune histoire méditerranéenne dépositaire de repères appartenant au présent en remontant vers le passé ne signifie pas privilégier le y passé en tenne de commencement. Ceci serait pour Habachi répéter le travail des historiens qui ont déjà accumulé ~~tant de documents et de richesses suggestives sans que personne ne • songe à en faire une synthèse qui nous permette d'en vivre et de les assimiler'~ (pM 1 6). Même si, selon Habachi, les chercheurs désintéressés et fidèles qui mettent à jour une continuité capable de donner corps à une culture explicite et conforme à l'histoire sont rares en Orient, il refuse quand même de faire une histoire de la philosophie. Mais il ne fait pas une philosophie de l'histoire non plus. Sa préoccupation la plus importante est plutôt de déterminer comment procéder. De fait y la question parait étrange, et cependant si je me la pose c'est qu'il me faudrait résister pour ne pas commencer par la tin, à l'encontre de ce qui semblerait indiqué. À la réflexion, s'accroît encore à mes yeux l'importance de cette question. Le sujet que je me propose pourrait se prendre en général de deux manières, et enfin d'une troisième manière. C'est cette dernière qui me tente le plus. (pM [ 9) Traiter d'un sujet sous forme de questions, de problèmes sur lesquels on porterait "le faisceau lumineux des différentes philosophies [...] supposerait une connaissance déjà • . acquise du climat où se poseront ces questions et du lien intrinsèque ou accidentel qui invite ces diftërentes philosophies à dialoguer suc un même sujet. Voilà donc un moyen à écarter" (PM 1 9-10). La seconde manière serait de suivre l'évolution de certaines • Chapitre 2 15136 doctrines en faisan~ comme on l'entend en général, une histoire de la philosophie. Mais c'est précisément cela surtout que Habachi veut éviter. Car "suivre pas à pas le développement des philosophies c'est se condamner à estomper dans le panorama le relief par quoi eUes se rencontrent ou par quoi eUes s'opposent" (pM 1 10). Habachi partage la réticence de Jacques Le GotT vis-à-vis de "la pire ennemie de l'histoire", c'est-à-dire "la philosophie • l'histoire"..J et opte pour une philosophie dIUu l'histoire. Selon lui, personne n'ignore que pour retrouver la cohérence d'une doctrine, il y a deux points de we : "l'ordre systématique et l'ordre chronologique", et que "le second tient compte du développement de l'oeuvre, des réactions de la vie sur elle, d'eUe sur la vie; le premier, systématique, vise immédiatement l'unité de la doctrine, le point en fonction de quoi tout s'organise" (pM 1 23). Qu'on aborde une pensée philosophique "soit du point de we du système, soit de celui de l'évolution" (pM 1 36), il n'en demeure pas moins, selon Habachi, qu'on pourrait voir que "le système est en suspens à l'intérieur du développement, et non point le développement contenu dans les cadres du système. Le système n'est ici qu\m germe en • devenir dont la croissance est imprévisible [... l". (pM 1 26) Pour découvrir ~e vérité méditerranéenne, les règles fondamentales sont pour lui les suivantes : "attitude existentielle - point de we évolutif• intuition intériorisante" (pM (36). C'est pourquoi notre méthode a choisi d'aller du présent au passé, visant ainsi trois buts: - discerner les éléments du passé qui peuvent être réactivés par les appons du présent, - dégager les éléments du présent assimilables par nous sans incohérence, - reconstituer ainsi un corps vivant de culture, capable d'affronter un avenir émanant de nous·mêmes, ou du moins, naissant de notre dialogue avec les événements. (pM fi 5) La nouveauté de cette démarche réside dans la manière de comprendre le temps historique : "Il n'y a pas d'option.à faire entre le passé et le présen~ mais à l'intérieur de l'un et de rautre, il faut cueillir ce qui intéresse la situation méditerranéennen (pM fi 21). nne s'agjt pas de revisiter l'histoire. L'objecttt: précise-t-iI, "est différent. À la fois plus modeste et • plus intéressé. Et plus complexe" (pM J A n S). Car il s'agit de pénétrer l'épaisseur de 1. Le Goff, Pour un autre Moyell-Age, p. 14. • Chapitre 2 '6137 l'histoire afin de comprendre un monde défiguré "où le spirituel s'affole, le temporel vole en éclats et le monde est défiguré". (NCT m 59) Malgré les ambivalences de la situation, Habachi garde les questions qu'il aborde à l'abri de l'ambiguïté en établissant les distinctions qui s'imposent entre le spirituel et le temporeL l'immanent et le transcendant, les phénomènes et l'être des phénomènes, la raison et la fo~ l'expérience moderne et l'expérience ancienne, les vicissitudes de l'Orient et les abus de l'Occident. Dans un monde où "toutes nos vérités s'égarent parce qu'elles ne retrouvent plus les pistes de Dieu" (NCT m 59), il en appelle à la Révélation comme au "chemin de retour, de la Transcendance à l'Immanence. Et la réplique du Dieu-Réponse de la Foi, au Dieu-Question de l'Intelligence" (NCT m 56). Ce qu'il faut déceler dans cette démarche, c'est la quête philosophique dans l'histoire plutôt que la remise en question, par la philosophie, de la conjoncture historique. Selon l\IL "le plus précieux apport des I<sciences humaines» [est d'avoir] dénudé l'homme de tout ce qui en lui n'était que tissu accidentel et que l'histoire a accroché sur sa charpente, révélant du même coup que lui- • même est porteur de la question et chargé de la réponse." (T 126) nest évident que pour Habachi, "le changement des questions implique aussitôt un changement parallèle des méthodes. L'être étant saisi différemment, on n'y entre pas par les mêmes voies" (pM 1 36). Si la philosophie du passé avait pour objet Ja connaissance et que celle d'aujourd'hui a pour inquiétude l'existence, "conséquemment, la méthode ancienne est J'abstraction intellectuelle, celle d'aujourd'hui est la phénoménologie" (pM 1 37). Qui ne voit pas que la philosophie ne peut garder intacte une existence qui se découpe sur fond de néant n'a rien compris à la philosophie. Selon Habachi, si pour Heidegger u«l'être humain est un être en qui il est question de son êtrCJt, il ne s'agit pas tant de définir la nature de l'homme, (...] mais de s'éprouver existant. Sans savoir ..ce qui existe., savoir seulement que cela «existe-. Qu'il ya encore de l'existence."(pM l 39) 2. 2 L' actualité C'est pounant une autre subtilité qui détermine Ja méthode que Habacbi décide • d'adopter. C'est à l'actualité qu'il laisse le soin de gérer les deux paramètres fondamentaux de sa réflexion : temporalité et spatialité. C'est elle qui détermine les points de dépan et les points de retombéé de sa réflexion dans l'histoire. C'est à travers ('actualité que sa • Chapitre 2 n138 philosophie~ qui peut aujourd'hui moins que jamais faire fi de la géopolitique, entend habiter ce "temps d'aujourd'hui" dont parle Braudel "qui ne se comprend guère que lié au temps de demain", ce temps qui traverse l'histoire, la transforme et fait qu'eUe soit à la fois connaissance du passé et du présent, du -devenu- et du "deveniJ'M, distinction dans chaque -temps- historique, qu'il soit d'hier ou d'aujourd'hu~ entre ce qui dure, s'est perpétué, se perpétuera vigoureusement - et ce qui n'est que provisoire, voire éphémère [...]. C'est toute l'Histoire qu'il faut mobiliser pour l'intelligence du présent. (BrR 2SS) Ces conditions amènent Habachi à affirmer que ~'prendre l'histoire de la philosophie par le bout du commencement" nous expose "à perdre de vue l'actualité, en la noyant dans un large horizon qui s'ouvre derrière nous". C'est pourquoi il déclare : "Je l'avoue immédiatement, c'est l'actualité qui m'intéresse." (pM 1 10) Habachi, pour qui "l'histoire est une croissance dont la perspective change selon qu'on s'y engage par un bout ou par l'autre" (pM 1 Il), ne prétend aucunement être un • historien de la philosophie. U élabore une philosophie qui s'investit volontiers dans l'histoire, il se dit tenté "d'être seulement philosophe engagé dans notre histoire" (pM fi 21), qui propose ''une philosophie en situation" (pM 1 13). Selon lui, on ne peut demander quels sont les autres "moyens de faire de l'histoire de la philosophie" (pM 1 10) sans reconnaître que la question a quelque chose de candide, bien sûr, quand on veut se confronter [à...] ces ingénieurs du passé [qui] ont construit des monuments d'histoire de la philosophie [... qui] ont précisément parcouru leur chemin en entrant dans l'histoire par un bout, le bout du commencement, prenant la patience et le temps de traverser les étapes en relevant leurs points de continuité et leurs oppositions. Puisque ce travail est déjà fait, n'y aurait-il pas une troisième manière de traiter notre sujet? (pM 1 10) Habachi affirme qu' "une philosophie engagée ne se sépare pas de son histoire [et qu'] une pensée méditerranéenne actuelle doit se dégager de toutes les couches qui nous • constituent, les ayant traversées, [...] y montrer en préparation le reliefde l'avenir" (pM 1 13). Un ~'philosophe devant faire une philosophie en situation, pense à l'histoire de la pbilosophie pour mieux vitaliser l'actualité de sa philosophie" (pM 1 13), et l'actualité • Chapitre 2 11139 représente pour lui une portion d' "histoire présente, passée et future" (NeT n 39). EUe sen à Habachi de toüe de fond pour identifier "quelques éléments à l'éveil d'une pensée méditerranéenne" (pM 1 9). Elle est également ce qui permet de prendre acte de l'épaisseur de l'histoire, à la condition de la soustraire à la domination exclusive des médias. L'actualité n'est pas d'abord ni seulement source d'information, eUe est surtout matière à réflexion et source de création. C'est d'ailleurs par le biais de l'actualité que Habachi entretient avec l'histoire une relation de philosophe, et avec la philosophie une relation d'historien. fi rappelle que "pour mieux comprendre l'homme, [et...] pour se comprendre lui-même, il [l'historien} ressuscite ses racines. [Aussi] parce qu'il se sent en question il se penche sur l'abîme de l'histoire pour voir de quelle profondeur émerge la question, et si eUe n'ébauche pas eUe-même une réponse. Il veut retrouver en elle la dimension de l'avenir" (pM 1 13). Quant au philosophe, "devant faire une philosophie en situation, afin de mieux comprendre son présent [il] commence par prendre ses repères dans le passé" (pM 1 13). Il s'agit donc pour Habachi "de découvrir les éléments communs à tous ces courants de • pensée qui se croisent en Méditerranée, entre lesquels notre Proche Orient doit se frayer un chemin (pM2 5), et de "remettre à jour cette ligne de continuité par où notre vitalité existentielle rencontrerait nos richesses médiévales". Alors, "chemin faisant, s'éveillera en nous la conscience de ce qui, dans ces philosophies, devrait changer d'éclairage pour croître et refleurir dans le présent." (pM fi 26) Cette approche souligne non seulement l'importance de l'actualité chez Habachi, malS sunout sa spécificité en tant que constitutive, dans le présent, de l'impératif d'édification du futur "qu'il nous faut mûrir (...] en sauvant tout ce qui est récupérable du passé (PM US). Habachi n'est pas préoccupé par la question du sens de l'histoire; sa réflexion s'attarde à dégager le sens dans l'histoire. Ce n'est pas là tâche facile, compte tenu de ce qu'il perçoit comme étant l'ambivalence, l'incertitude et l'angoisse issues de la pene du sens de l'histoire en Méditerranée. Ce qu'il redoute le plus, c'est que "fatigués de notre incohérence existentieUe nous en appelons à la logique de notre essentialisme religieuxDéçus de nos essences impuissantes nous retombons dans un existentialisme à courte vue" • (pM 1 22). n rappelle également que celui qui ne comprend pas que l'homme de notre siècle veut arracher le monde Chapitre 2 19/40 • à la torpeur des systèmes intellectuels pour lui redonner un sens humain, n'a rien compris à l'énorme entreprise commencée par Kierkegaard [... l. À l' attitud~ du déchiffrage de l'univers par la connaissance, correspond aujourd'hui l'attitude de sauvetage par la libené. On peut dire que le déchiffrage avait pour but le salut de l'homme par le monde, alors que l'existentialisme a pour but le salut du monde par l'homme. (pM 1 58) Autrement dit, être existentialiste ne signifie pas pour Habachi renier le passé, mais au contraire comprendre dans quelle mesure il enrichit la philosophie au présent. Selon lui, on n'apprécie la portée unique de l'existence présente que si l'on voit par quoi elle diftère de l'existence passée. "Plus que cela, il apparaît que la méthode d'abstraction aurait tout à gagner à utiliser la phénoménologie qui, lorsqu'elle porte sur l'homme dans ses relations avec le monde apporte des trésors de renseignements qu'on ne pourra jamais plus négliger" (pM 1 59). Habachi estime qu'une pensée méditerranéenne ne sera signifiante pour la paix au Moyen-Orient que dans la mesure où elle s'engagera pour l'économie et de ce fait, pour • la justice sociale. Dans sa conférence du 22 décembre 1958 au Cénacle Libanais, Habachi démontre qu "il ne fallait dégager la pensée que pour mieux l'engager, plus consciente de ses t moyens, plus attentive aux conditions dont elle est inséparable". Pour lui, "les problèmes politiques sont noués aux problèmes culturels", et "la séparation du culturel, de l'économique et du politique est [...] superficielle, car ils sont en interdépendance réciproque" (NCT n 7). Une philosophie porteuse de sens doit aborder conjointement "ces deux pôles que sont l'essence et [' existence, dont l'opposition subie et inavouée fait notre drame". nprécise: "C'est le dialogue des deux que nous allons repérer dans l'histoire pour déterrer leur origine et voir à quelle profondeur elles font pression sur notre présent" (pM 122). Habachi est convaincu qu'on ne peut ignorer plus longtemps qu' "il y a chez nous un existentialisme empirique" (pM 1 19) superposé à un essentialisme théologjque auquel se conjuguent étrangement les cris et les appels de la foi. D ne pense pas non plus devoir srexcuser auprès de son auditoire de Irentrainer dans des analyses inattendues, de lui • signifier l'urgence d'une philosophie en situation, et de l'inviter à s'engager en toute libené. Autant, pour lu~ renoncer à comprendre quoi que ce soit aux événements que de ne point y • Cbapitre Z /10/41 lire la pensée qui sy cherche. Une philosophie inengagée est un non-sens. Et réciproquement, notre histoire n'est pas encore si incohérente qu'elle ne révèle un sens. Or ce sens, nous avons essayé de le dégager. C'est de lui que se prendra le départ pour notre enquête dans le passé, afin d'y voir s'annoncer les lignes de notre avenir. (pM 122) Le but de Habachi, qui est d'assurer la survie du Christianisme en Méditerranée, l'amène à établir une relation étroite entre l'humain et un monde dépositaire de l'immanence de Dieu. Un monde réceptacle de cultures millénaires, impossible à contenir dans une entité géopolitique, culturelle ou religieuse, singulière et indifférenciée. C'est pourquoi l'actualité telle que l'entend Habachi s'alimente à même les cultures contemporaines et celles qui les ont précédées. Afin de donner une cohérence à la complexe diversité de l'unité culturelle en Méditerranée, Habachi, marqué par l'ambivalence des deux cultures qui constituent son éducation, entreprend de • réentendre le dialogue des philosophies essentialistes et existentialistes, non pour les classer définitivement dans des systèmes clos et les liquider une fois pour toutes mais au contraire pour voir comment eUe se complètent, comment toutes sont à la recherche, - mais chacune à sa manière - d'une certaine' compréhension de l'être et du monde, et de les ressusciter autour d'une même conversation dont dépend notre issue. (pM 1 26-27) Cenaines coordonnées toujours complexes et souvent contradictoires amènent Habachi à craindre "plus que tout, de Perdre la fleur du présent, et la ferveur de l'actualité" (pM fi 21). Il propose de définir la philosophie comme une expérience réfléchie, - car toujours la philosophie est réflexion sur l'expérience, - [pouvant] se dérouler comme un itinéraire subjectif et imprévisible, [...] se déployer noblement comme un vaste système qui se veut objectif et général [et être aussi] cette rigueur de l'inteUigence payée d'une lenteur et d'une sagesse impraticables pour les voyageurs rapides qui préfèrent les échappées soudaines de ('intuition aux vastes horizons clairs • du raisonnement. (pM 1 Il) Bien que le souci de Habachi demeure ude mieux comprendre notre actualité" (pM 1 22) et que celle-ci soit pour lui le lieu premier de l'engagement d'une philosophie en quête • Chapitre 1 111/41 de sens dans l'histo~ ü s'efforce quand même de dégager le sens et la portée de la tradition pour la construction du (iatur à partir des échappées soudaines de l'intuition. Car, ')jne seule voix ressuscite la tradition, cene de l'actualité" (pM 1 14), et cette dernière ne peut être autre chose que la voix de la liberté. 1. 3 Un impératif: la liberté C'est la liberté de l'homme qui est la chance ou le risque de Dieu. (CBB 51) La constante et fondamentale fidélité de Habachi à l'égard de la quête de soi dans et par la liberté s'exprime depuis sa thèse de doctorat de 1939 sur La recherche de la personne dans J'expérience de Maine de Biran. U affirme que "le candidat à l'absolu doit avoir assez le sens du risque pour aller jusqu'au bout de lui-même, et si nécessaire au-delà" (RPM 89). Cette liberté, Habachi finira par la comprendre comme l'intégrité d'une authenticité qui en appeUe à la gratuité et rapproche l'homme de Dieu. D'où sa connivence • avec la pensée de Maurice Zunde~ surtout à partir de 1980. Habachi estime qu'à une liberté en émergence, Dieu ne pouvait infliger ce vilain tour de la soumettre à l'épreuve d'un interdit contraire à la nature divine aussi bien que contraire à la nature humaine. [Sino~ nous ne serions pas] encore sortis de la mentalité biblique, d'un Dieu solitaire dont la toute-puissance est jalouse de ses prérogatives, comme s'il hésitait devant la révolution d'un Dieu-Trinitaire dont seule la liberté est la loi. Il ne pouvait s'agir d'une interdiction mais d'une invitation à entrer en dialogue pour le rendez-vous de deux libenés. Dieu entreprend de révéler l'histoire à elle-même en en faisant iJne histoire d'amour, une histoire-à-deux, et sollicite l'homme à se reconnaître en lui par l'élan qui le précipite en Dieu en l'arrachant à moins que lui. Mais la liberté ne serait quun vain mot, une illusion fallacieuse, si elle ne comportait la possibilité de se refuser. (QAZ 21) • Moyennant la jonction du présent et du passé et la complémentarité du continu et du discontinu on pourrait croire, comme le fait le marxisme, "à la fin de la querelle entre l~homme et la nature~ entre l'homme et l'homme, la fin de la querelle entre l'essence et • Chapitre 2 /12/43 l'existence, la liberté et la nécessité, ('individu et l'espèce" (pM IV 194). Mais Habachi estime que rien ne garantit que le mystère de l'histoire ou celui de la liberté se résolve de cette manière; loin de résoudre l'énigme de la liberté, l'histoire témoigne que "le prix du tra8ique, c'est la bbené" (CBB 35). C'est pourquoi "il nous faut tenir compte du risque de la liberté. EUe contient l'espoir du monde et son désespoir.u (pM IV 194) Sans fonder sa réflexion sur une philosophie ou une idéologie particulière, l'objectif de Habachi est d'amener ses contemporains à se libérer des déterminismes. Les systèmes politiques et religieux doivent mettre leurs idéologies et leurs théories au service de l'humain et non pas l'inverse. "En somme, écrasée par la connaissance et la science qu'elle a engendrées, [il faut que] la conscience moderne se délivre du poids des essences, et réforme le monde en fonction de l'homme" (pM 1 58). Ceci n'est pas pour Habachi une négation de Dieu. À une humanité engagée dans la découverte d'un monde qui ait un sens pour l'être • humain, à un monde préoccupé de ICsignifications humaines~., Habachi propose une notion de l'humain qui est dans le prolongement d'une histoire longtemps panagée en Méditerranée. nestime que sans une solide identification à la Méditerranée, nous "serions poussière dans le vent, absurdes, incompréhensibles à nous-mêmes et à autrui, et par surcroît inutiles au monde et définitivement stériles" (pPT 112-113). Vis-à-vis de l'aventure cosmique chargée d'angoisse existentielle et dans laquelle nous sommes impliqués, la première question est de savoir si l'homme n'est finalement qu'une illusion et de s'assurer si "notre aventure temporelle, qui est simultanément intemporelle, ait pu être ('enjeu d'un pari [...) sans que nous, les intéressés, ayons arbitré la situation: voilà le vrai problème sans solution" (CC 135). Habachi croit qu'au fond de tout être humain se pose la question de savoir si oui ou non ses parents ont été les "témoins conscients et libres du commencement de [son] histoire personnelle" (CC 135). Ce n'est pas le discours théorique sur l'être et le non-être qui intéresse Habachi, mais l'être humain et sa liberté, surtout là où la misère, la surpopulalion et les préjugés racistes et religieux les remettent en question. En effet, "la personne peut-ene naître tant qu'elle est retenue captive de la misère, et la • liberté ne bascule-t-elle alors pas dans les déterminismes les plus implacables?" (QAZ 8) Les débats sur la prédestination et le libre arbitre en Islam ne lui sont pas étrangers (nous y reviendrons.) • Chapitre 2 113/44 Soumise depuis ses commencements à un questionnement quelque peu hors du commun, la pensée de Habachi n'est pas sans avoir laissé des traces au Liban. Le journaliste français Jean-Pierre Péroncel-Hugoz témoigne, sans le nommer et peut-être même sans le savoir de l'importance que Habachi accordait dans son enseignement à y l'engagement en faveur de la liberté. Dans son document sur la guerre du Liban paru en 1984, Péroncel-Hugoz rapporte que "nombre de chrétiens, Béchir Gemayel en tête, exprimèrent leur scepticisme ou leur méfiance à l'endroit de la présence armée syrienne au Y7 Liban (UC 59). On n'est en mesure d'accorder à ce commentaire toute son importance que si l'on sait combien mitigée était l'implication socio-politique de l'intelligentsia libanaise avant la formation des -kataëbs», ces jeunes chrétiens membres du Parti Phalangiste Libanais particulièrement engagés dans la défense nationale lors de la guerre du Liban. Les "kataëb&. répondent au profil des étudiants que Habachi a formé pour être des cctémoins.. et qui "se sentant pris entre le relatifet l'absolu [... l, cherchent leur collaboration dans un y • corps-à-corps avec l'événement" (0 30-3 1 et NCT 1 24-25). Péroncel-Hugoz rappelle également que la première législation libanaise sur le travail fut édictée sous l'impulsion des 'kataëbs'. On ne s'étonnera pas de ces orientations dès lors que l'on saura que c'est le personnalisme chrétien du philosophe français Emmanuel Mounier (1905-1950) qui fournit les principes directeurs de leur doctrine aux kataëbs [... l. Ce penseur est assez délaissé aujourd'hui en France. Pas au Libaq. Au printemps 1984, alors que nous nous trouvions à IUniversité des moines maronites, à Kaslik, [...] nous avons découvert qu'un jeune religieux, le Père Jean Maroun, auteur d'une thèse à IUniversité Grégorienne de Rome sur ccL'internationalisme chez Emmanuel Mounier», faisait, depuis 1980, un cours sur ccl'actualité du personnalisme» où il insistait sur "l'ouverture à toutes les religjoflSlt. Les chrétiens n'ont jamais songé à exploiter à leur profit ce type de fait, témoignant pourtant avec éloquence qu'ils représentent plus que jamais les lumières en Orient arabe." • (UC 44) - Le Père Assaad Yuhanna Meghames, connu sous le nom de Jean MarouD, est en charge des institutiops de L'Ordre Maronite du Liban en Israël ( Jaffa, Bethléem et Jérusalem). Sa thèse soutenue en 1980 (xii + 539 p.) n'est pas encore publiée; une copie en 4 • Chapitre 1 114/45 Bien que les propos de Péroncel-Hugoz ne confirment pas explicitement que ce sont les interventions de Habachi qui gardent Emmanuel Mounier encore présent au Liban, ils ne le nient pas non plus. Le Père Jean Maroun a lui-même confirmé qu'il connaît Habachi par l'intermédiaire de Paulette Mounier veuve d'Emmanuel Mounier et il convient de rappeler 7 7 aussi qu'en 1965 Habachi a dédié Commencements dl! la Créature "à Emmanuel et Paulette 7 Mounier qui appartiennent à cette race remontante dont parle Péguy, en pensant à leur 17 accueil à Châtnay-Malabry en 1950. Habachi considère pour sa part que "c'est de la présence de l'homme au temps que peut naître la véritable histoire" (0 30-31 et NCT 1 24-2S). Cette affirmation renvoie simultanément à la notion de spatialité dans la "présence de l'homme.., et à la notion de temporalité dans sa .'présence au temps». Le crucial débat concernant la relation tempsespace est d'une importance capitale dans les rapports entre le Judaïsme et l'Islam. La nonreconnaissance par l'Islam du principe d'élection du peuple juit: et la priorité accordée par le Judaïsme à la promesse d'une terre par Yahweh sont, selon Habachi, à l'origine du • problème palestinien. Le prochain chapitre analyse deux des trois propositions de Habachi pour remédier à cette déchirure du Proche-Orient. La troisième proposition, qui concerne la gratuité fondée sur la liberté et l'amour, fait l'objet du chapitre 4. 2.4 Nature et aventure "Toute la nature nous invite à courir l'aventure" (CC 94). Pour Habachi, il n'y a d'homme libre que l'homme intègre, et "l'authenticité, c'est précisément la jeunesse d'un présent libre, riche de sa dimension intérieure, ne niant rien du passé mais s'offrant à 17 l'avenir, ne refusant pas la nature, mais faisant face à l'aventure (CC 67). Le rapport étroit entre nature et aventure est souvent évoqué par Habachi, notamment dans Commencements de la créature.! Ce rappon aide à comprendre le principe suivant, fondamental pour Habachi : qui n'a pas de passé ne peut construire un avenir. Car "tant que nous ne trouverons pas le point de clivage du présent et du passé, nous serons essouftlés entre deux • français est conservée à la Bibliothèque Centrale de l'Université Saint...Esprit de Kaslik. Sur "nature'\ voir pp. 17. S5. 64. 65. 133. 134; sur "aventure" voir pp. 7. 52. 56. 57. 58. 60. 73. 107. 109. 135; sur "nature et aventure" voir pp. 9. 12.25.66. 67. 70. 71. 94. 104. 142. 166. 187. 5 • Cbapitre 2 /15/46 impulsions inverses qui nous aplatiront dans un présent sans mémoire, ou un passé sans avenir" (pM n 29). Aussi lui impone-t-i1 non seulement de combler le "fossé entre notre passé et notre présent, [mais aussi et sunout] entre nous-mêmes et nous-mêmes." (pPT 19) L'importance que Habachi accorde au rappon temps/espace dans l'analyse de la relation entre nature et aventure est fondamentale dans la mesure où elle préside aux retrouvailles de l'unité de la personne avec son alter ego. Accuser Habachi de passéisme serait oublier que pour lui, le présent qui se ressource au passé ne s'actualise vraiment qu'à la condition de se laisser saisir en prévision de l'avenir. D'autant plus que selon lui, "on ne recule pas dans un monde qui avance. Reculer serait sortir de l'histoire, c'est la réaction des "passéistes- qui se laisseront évincer par les forces en mouvement et accepteront finalement un exil hors du temps. Ainsi meurent les civilisations, par refus d'adaptation au rythme du monde" (NeT m 33-34). La position de Habachi rejoint cette idée du philosophe américain d'origine espagnole George Santayana (1863-1952) à l'effet que ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter.' • Pour Habachi, ula philosophie est une aventure en suspens dans la stature des aventuriers que nous sommes". Et il ajoute : "Je cherchais une sécurité et c'est l'insécurité qui est ma terre promise" (T 130-31). Situé entre les deux pôles d'une "conscience écanelée entre mon existence brisée et la possibilité de mon essence intègre" (CC 181), Habachi récuse une humanité placée à la jonction d'un monde sans aventure. Cette humanité qui se dénatare comme trahie par ses propres brisures est, selon lui, réduite à sombrer dans l'absurdité. C'est peut-être bien cette absurdité qu'il saisit dans cette agonie au rendez-vous de toutes les fractures du monde, cette vision démoniaque de l'échec de Dieu dans la dérision des siècles, ce dernier cri du second Adam dans lequel l'éternité elle-même semble se briser aux lèvres de l'instant (... En un mot, le] etsuspense,a pathétique auquel s'accroche toute notre histoire. (T 137) Pathos et logos ne sont jamais loin l'un de l'autre dans la pensée de Habachi. Quand il affirme : "Impossible d'oublier les multitudes de corps tordus sur les plages de la • Voir G. Santayana, The Life ofReason or the Phases ofHuman Progress, vol. 5 : Reason in Science, chapitre 2 intitulé l'HistOry", New York, Charles Scribner's Sons, 19051906. 6 • Chapitre 1 /16/47 souffrance, insensibilisées à la montée du transabsurde. Ignoreront..elles leur transfiguration?" (T 143), la question posée est en réalité celle-ci: "Le sens de l'être, extrême fleur de la métaphysique, peut..ü éclore dans une intelligence en sécession d'avec l'homme total, pensant et souffiant?"(T 127) L'importance du rapport entre nature et aventure dans la réflexion de Habachi se répercute sur la relation entre les sexes. Dans son important ouvrage Les Arabes d'hier à demain, Berque débute son chapitre sur "l'intercession de la femme" en faisant référence aux deux conférences données par Habachi le premier et le 15 décembre 1955 sur Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir : "De nulle société plus que de l'Islam ne se vérifie la parole du philosophe copte René Habachi sur la femme -essence intègre et existence brisée..; du moins dans la pratique traditionelle, qui la vouait à la maternité et au plaisir masculin" (AHD 155). Ces deux conférences éclairent le parallèle entre nature et aventure et les rapports entre le masculin et le féminin décrits dix ans plus tard, en 1965, dans Commencements de la créature. Sans donner une idée précise de sa position personnelle • vis-à...vis de la femme et du féminisme, Habacbi est en profond désaccord avec de Beauvoir qui, selon lui, se méprend sur l'essence de la femme. U reconnaît cependant que même si un esprit de polémique marque l'oeuvre, il en affecte la portée, mais non la signification : cele deuxième sexe» se présentait comme le plus important documentaire paru sur la femme jusqu'à ce jour. Parfois volumineux plus que riche, savant mais pas assez, vulgarisateur mais insuffisamment. [...] Ce sera toujours l'inconvénient de ces oeuvres qui veulent ni manquer d'érudition ni manquer à rejoindre la vie de tous les jours, et à promouvoir une modification des situations. (Conf: 1 23) Habachi estime que si le livre de Simone de Beauvoir ne servait qu' c'à nous alerter, en nous apprenant que la féminité est en péril, et que le péril est assez imminent pour fausser la voix de celle qui nous alerte... que son livre trouve ici sa raison dtêtre et à la fois son meilleur argument" (Cont: 1 24). Plus important que de se préoccuper de (texistentialisme sartrien sur lequel de Beauvoir fonde sa pensée, ü faudrait plutôt réfléchir • sur le fait que "si Ithomme s'est construit une essence déterminée au long de l'histoire, on est en droit de se demander par contre si celle de la femme est aussi précise. La femme serait bien embarrassée de définir son essence. Non pas qulelle n'en ait poin~ mais que • Chapitre 1 117/41 celle que l'histoire lui a fait est si contradictoire et ambiguë qu'elle semble en avoir subi quelque pervertissement" (Conf: 1 24). Habachi reconnait le rapport contlictuel et pervers entre les sexes. Selon lui, ce rapport "semble s'être résolu, historiquement, au bénéfice de l'homme qui a réussi à fixer la femme dans une position de chose en fonction de lui, si bien que l'essence féminine porte une marque de fabrique masculine" (Conf: 1 25). n estime que la femme est honteusement objectivée par l'homme, par les systèmes politiques la société t et les religions. n déplore que la femme soit réduite à la fécondité, ou encore à servir de bouclier protecteur à Ithomme afin que celui-ci amonte sans crainte les éléments d'un cosmos menaçant. nadlnet qu' "il y a ce trait d'union de féminité grâce à quoi il [l'homme] peut rejoindre l'eau, la terre, la nuit, le néant, le Tout" (Conf: 128). Cela explique, selon Habachi, que la femme est divinisée dans les panthéons, et inexistante dans le monde des humains. n juge peu représentatif de monter "en épingle des cas comme la Reine Hatshepsout (...] et plus proche de nous, Catherine de Russie ou la Reine Victoria" (Conf. 1 28). U estime que "le caractère exceptionnel de ces cas suffit à dénoncer leur rareté. Et • de plus, ils n'ont pas modifié le destin de la femme" (Conf: 1 28). Habachi s'érige contre l'ambiguïté des attitudes et des dires masculins dont "on se scandalise" et pour lesquels "les femmes se bouchent les oreilles d'indignation et les hommes sont quelque peu humiliés des déclarations émanées du clan des hommes, et chacun se fait petit, et innocent de tous ces crimes de lèse-féminité". Il considère cependant que "nous sommes tous solidaires du climat social et politique que réfractent de telles conceptions" (Cont: 1 31). n maintient que l'homme cherche dans la femme le compagnon humain, mais un compagnon qui l'approuve et ne se transforme pas en juge. Il veut en elle ccl'autre» mais un autre qui le reflète, et c'est pourquoi il craint son accession au rôle de sujet. Et la femme, pour être en face de l'homme, est contrainte d'être autre qu'elle-même. Trahie par lui, elle est trahie par elle-même. L'homme a fabriqué le faux mystère féminin, et en a fait un mystère en soi. Mais ce mystère masque une dérision. (Conf: 1 32) • Habachi souligne par ailleurs que la dichotomie des essences mène à un traitement à deux vitesses, l'un réservé aux garçons et l'autre aux filles. "On demande au garçon d'être luimême, mais à la fillette d'être souriante: mais sourire c'est sourire à quelqu'un, aux autres, • Chapitre 2 111/49 et donc déjà la voici postée comme aux fenêtres d'eUe-même, en fonction des autres. Déjà on lui apprend à se &ire l'autre, le deuxième sexe"( Conf: 1 34). "L-Univers de la fillette est partout limité, entouré, envahi par l'homme, suscitant pour elle cene étrange expérience de trouver son infériorité inscrite dans le monde comme si eUe lui était donnée à titre d'essence, dans sa propre nature" (Conf.l 37). Pour luL la fragilité même de la femme nous ouvre les yeux sur les réussites trompeuses et la fausse sécurité de l'homme. Comment ne pas souhaiter, avec Simone de Beauvoir, cette intégration de la femme dans l'histoire? [...] Or, le but de Simone de Beauvoir n'est pas d'établir à tous les échelons de la responsabilité sociale le dialogue des sexes, il est d'arracher la femme à sa féminité [...] Quand elle se plaint que pour des dizaines de Napoléons, [de] César, et d'Archanges il n'y a qu'une Jeanne d'Arc [...] je ne vois pas en quoi se serait ennobli le répertoire de la féminité! • n faudrait, par surcroît, se demander si ceux qui font du tapage dans l'histoire la poussent en avant plus que le silence plein des silencieux. Il se pourrait que [...] l'apparente immobilité de la femme soit plus dynamique que la gesticulation désordonnée des politiciens et des hommes d'État. (Conf. II 52-53) C'est pounant la femme qui, toujours insatisfaite et en attente, nous apprend qu'elle "est assez consciente de sa blessure pour être encore la pan la plus authentique et la plus sauvée de l'humanité". (Conf n 61) Dans Commencements de la créature (1965), le discours de Habachi sur la femme et sa maternité est loin d'être admissible pour les femmes d'aujourd'hui, qu'elles soient occidentales ou orientales. Pour avoir comparé la femme à la passivité de la nature et ('bomme à la dynamique de l'aventure, Habacbi soulèverait aujourd'hui toute une polémique chez les féministes. Son discours s'alimente en effet à ce à quoi le mouvement féministe réfère comme à un discours patriarcal marqué d'une ambivalence bien propre à Habachi. Sans vouloir diminuer la femme et avec tout l'effort qu'il y met, Habachi ne peut 9 • s'empêcher de faire des distinctions qui ne sont pas dépourvues d'ambiguïté. D'une pan, il afftrnle que "chaque être humain est à la fois nature et aventure" (CC 66); de l'autre, il suggère que 4'la femme est un principe de sécurité et d'abri" et que l'homme ''y prend son • Chapitre 1 /19/50 essor pour l'aventure", qu'elle est uberceau" et qu'il est "mouvement", qu'eUe "marque les temps de repos" et qu'il "dessine la marche en avant, le progrès" (CC 109). Selon l~ la femme est ''tournée vers l'homme, mais à travers lui vers le don et la maternité; [tandis que] l'homme est tourné vers la femme pour mieux conquérir soi-même et l'univers" (CC 109). Dconsidère en outre que chez la femme, "la maternité trouve une attente en ses entrailles" et que, "sexuellement tournée vers le don des corps et des esprits, sa maternité organique et spirituelle, par le don. l'accomplit" (CC 107). Habachi creuse encore plus profondément le fossé de l'accessibilité à l'aventure pour la femme, en écrivant : L'homme abstrait et construit de vastes systèmes, la femme éprouve atrectivement et se passionne. Au niveau de la sensibilité, les sens de l'homme dressent impatiemment leurs antennes qui interrogent l'univers extérieur et se fatiguent de l'horizon quotidien, ceux de la femme éprouvent chaudement les impressions internes orientées vers la maternité. Biologiquement la structure organique de l'homme révèle un moteur à • puissant rendement, dressé pour la lutte, c'est le système végétatif qui domine chez la femme et la dispose intérieurement à la sécurité de la race. (...] L'essentiel est de découvrir qu'à travers les assises de l'esprit et du corps, ces deux races s'interrogent et s'appellent pour composer cette riche unité dont la nostalgie les tourmente. Plus que deux races, ce sont deux univers, résumant tous les ordres de la création, traversés par un élan cosmique qui cherche sa complémentarité à travers l'esprit. (CC 110-1) Le système végétatif, passif par définition, exclut la femme de toute participation à l'action et à la construction de l'avenir - en dehors de perpétuer la race. Habachi a beau insister pour dire que "chaque être humain est à la fois nature et aventure- (CC 66) et que "si vous méprisez la nature, l'aventure s'affole, mais si vous refusez l'aventure la nature s'asphyxiet(CC 66), il n'en demeure pas moins que privée de l'énergie indispensable à l'aventure parce qu'elle lui est refusée, la femme/nature -s'asphyxie- sans autre forme de procès. Mais c'est la crise économique et la croissance démographique qui poussent • ces Simone de Beauvoir arabes, devenues mûres, [qui] se jettent au birthcontrol limitant la famille et allégeant la maternité. EUes ne sont plus honteuses de demeurer vieilles tilles, se révoltant contre les marieuses Chapitre Z /20/51 • professionneUes [...] Se libérant ainsi du poids de l'ancienne féminité, les femmes accèdent à l'histoire, eUes se découvrent citoyennes, veulent être • utiles à leur pays [...] Ce faisant, la femme modifie aussi bien sa relation à l'homme que ses rapports avec la nature. Elle est sortie de sa prison familière, afliontant le monde, la science, la politique. Elle accède au soleil". (Expo 46-47) "Cet être encore immergé dans la nature" représente "le fond du tableau (...] Voilà pour le passé, l'ancien... et maintenant que nous appone le nouveau?" (Expo 44) Malgré son intérêt pour la relation et le relationnel, malgré l'imponance qu'il accorde à l'amour dans l'expérience humaine et le développement de la libené, Habachi aborde la relation entre les sexes avec retenue. D'une pan, il estime qu' "il était temps que le corps ne soit plus une chose honteuse et sous-estimée", mais par ailleurs, dans "l'absence d'autre valeur de culture et de loisir, le corps et le sexe prennent un relief exaspéré et par là déséquilibrant pour la personne tout entière." (Expo 47) • Bien que Habachi ne cherche pas " à contrôler la valeur de l'information théologique de Simone de Beauvoir", il demande: "l'avènement du Christianisme a-t-il amélioré les conditions de la femme, ramenant l'équilibre là où la nature et l'histoire avaient accumulé les iniquités?" (Conf. 1 29) La philosophie de Habachi entend prendre en compte la nature humaine vulnérable parce que libre. La seule possibilité de réchapper cette chétive nature, selon lui .plongée dans l'absurd~., réside dans le recours au ..transabsurde- auquel il accorde un sens spécifique: L'absurde se découpe en nous sur la possibilité d'un cctransabsurde,· qui lui est antérieur et intérieur, puisque c'est au nom de celui-ci et à partir de lui que surgit la conscience de l'absurde [...]. Le transabsurde est omniprésent dans la fibre de cet univers brisé, il le transcende de toute son intégrité. Transcender c'est rejoindre mais en dépassant, c'est étreindre mais en libérant. Tout est absurde, donc Dieu est. Le transabsurde est l'un des noms de Dieu. [...] Le transabsurde était déjà là. Il nous habitait [et] n'attendait • pour se dire que le battement de son coeur à l'interrogation de notre liberté. (T 135) • Chapitre 2 /21/52 L'intuition de Habachi concernant la possibilité d'un transabsurde immanent l'amène à affirmer que l'axe de la vie humaine n'est plus ni le corps ni l'esprit, mais Dieu luimême. Et nous sommes plus ou moins -personnes- selon notre présence ou notre absence à Dieu. Le centre du monde, c'est Dieu lui-même, autour de quoi tourne l'homme comme un principe actif et libre, un transformateur d'énergié. (pM 126) Fragile intuition, à vrai dire, qui peut expliquer la perspicacité de Paul Ricoeur quand il conseille, dans sa préface à Commencements de la créature : "Lisez ce livre d'une traite" et "l'unité de ton qui le traverse vous sera d'emblée évidente." Pour Ricoeur, "tout dans cet ouvrage est placé sous le signe d'une alacrité grave, comme au début d'une aventure que hante la possibilité de l'échec et du néant" (CC 7). Suite à pareilles déductions, quiconque n'aurait pas encore saisi que l'intuition de Habachi est marquée par l'ambivalence des deux cultures qui l'habitent risque de ne pas résister à qualifier sa pensée d'ambiguë. • 2. 5 Penpectives Ce qui n'a jamélis changé et qui demeure constant chez Habachi, c'est son intérêt pour la survie et le maintien du Christianisme en Méditerranée. Sa pensée correspond à l' intuition fondamentale suivante concernant l'être humain : "Dès que l'homme apparaît, l'univers, pour se faire, attend que l'homme le crée" (CC 8). Pour Habachi, "être présent consiste précisément à se placer au point d'intersection de toutes les brisures du monde. Brisure de l'homme, avec son exigence d'unité butant contre l'absurde. Brisure de la nature même de l'homme" (CC 16-17). C'est à cette jonction névralgique que Habachi situe sa compréhension de la Méditerranée. Son but est de créer des rappons là où il n'yen a pas, de les maintenir là où il yen a, afin de permettre ou de faire progresser le dialogue entre les trois monothéismes présents en Méditerranée. Le dialogue est pour lui la condition première et essentielle de la survie du Christianisme, et il doit s'ajuster à une forme spécifiquement adaptée à la Méditerranée. • Pour remédier à la faille non seulement culturelle du Proche-Orient, mais également socio...économique, Habachi propose une philosophie à trois volets. Pour IsraëL dont l'existence est le fait d'une religion qui répond à des paramètres de spatialité fondés sur la • Chapitre 2 122/53 promesse d'une Terre. devenue exiguë et surpeuplée il propose une philosophie de 7 l'hospitalité à l'endroit de ses citoyens non juifs. Alors que pour l'Islam tourné vers l'histoire et dont les paramètres religieux fondamentaux reposent sur la temporalité, il propose une politique sociale dont la tolérance est le fondement. n maintient par ailleurs que seule la gratuité, dont l'essence est la liberté, peut rendre à l'humain le visage qui lui est approprié. C'est au Christianisme que Habachi réserve la tâche de conjuguer amour et liberté dans la gratuité. • • • CHAPITRE 3 L'ALTÉRITÉ Mais cette Jérusalem céleste qui se fait au rebours de la Jérusalem terrestre n'est possible que parce que • révélé, révélant et révélateur sont unis en une réalité personneUe qui n'existe qu'en se donnant parce que l'altruisme est son secret. (Y 280) C'est par ces mots que Habachi termine sa contribution au 17 ème Colloque international sur la problématique de la démythisation (Rome, 3-8 janvier 1977) qui portait sur l'herméneutique de la philosophie de la religion. Le titre de cette contribution est la question suivante : "Y a-t...il des catastrophes théologiques?" uJérusalem, terre des rencontres, terre des ruptures" (Y 279), est le symbole même du fragile équilibre du Procbe...Orient menacé. Alors que le Christianisme est aux prises avec sa propre passivité, les deux autres monothéismes prolifèrent. Habachi centre l'attention sur la mosaïque ethnique, religieuse, politique et culturelle encore présente aujourd'hui en Méditerranée, où deux des trois monothéismes ne sont pas sécularisés. D'après lui, la coexistence pacifique n'est pas une tâche facile qui relève uniquement des instances politiques; les autorités • religieuses également sont concernées. L'échec de la paisible coexistence raciale, nationale, politique, sociale, religieuse et idéologique stimule la réflexion de Habacm. Loin de se laisser arrêter par les • Chapitre 3 12/55 insurmontables différences, il tient compte de la multiplicité des ethnies, des peuples, des traditions, des religions, des cultures et des courants de pensée. Son espoir repose sur les éléments communs permettant de conjuguer les divergences et de relativiser les différends. À l'égard de deux de ces monothéismes, Habachi s'intéresse surtout aux retombées économiques de systèmes socio-politiques dépourvus de solidarité. Il propose une philosophie à visée universelle et susceptible d'être communément partagée, et il lance à l'Occident deux défis : maintenir des relations respectueuses de l'altérité et qui protègent la spécificité des cultures méditerranéennes, et établir des conditions favorisant la dignité humaine au niveau des peuples et de l'individu. Le présent chapitre concerne plus particulièrement le défi pour l'Islam et pour le Judaïsme. Habachi rappelle à l'Islam sa traditionnelle tolérance et incite le Judaïsme à pratiquer l'hospitalité traditionnelle en Méditerranée. Il réserve au Christianisme le défi de la gratuité (nous y reviendrons au chapitre suivant.) • Plutôt que d'élaborer une étude comparative des structures, comme le fait Bernard Lewis dans son article sur le rêve de coexistence entre chrétiens, musulmans et juifs, l Habachi assigne aux trois monothéismes certaines tâches indispensables à leur coexistence. Lewis rappelle que pour George Washington, premier président des États Unis, "la coexistence signifie l'égalité en tant que droit naturel inhérent à tous les différents groupes qui constituent une société politique - l'accorder n'est d'aucun mérite, le retenir ou le limiter est une otfense".l Puisque pour Lewis "le terme cccoexistence», dans son sens actuel, implique une volonté de vivre en paix, et peut-être même dans le respect mutuel avec les autres", 3 Lewis estime que pour une coexistence paisible, la tolérance, qu'il définit comme suit, s'impose : "Pour le groupe majoritaire défini par sa foi, sa race ou quelque autre critère, la tolérance signifie permettre aux membres de groupes différents quelques-uns des privilèges Dans The New York Review (26 Mars 1992) 48-52. - Texte d'une conférence donnée à Naples en avril 1991 au Colloque sur Cohabilazione tra religioni e laicità dello Slalo nel Medile"aneo dei novecenlo. organisé par Storia Uomini Religioni. 1 • UCoexistence means equality between the different groups composing a political society as an inherent natural right of aU ofthem - to grant it is no merit, to witbhold or limit it is an offense" (L 49).(L 49). 2 "The term coexistence, as it is used at the present lime, implies a willingness to live at peace, and perhaps even in mutual respect, with others"(L 48). J • Chapitre 3 13/56 - mais rarement tous - dont jouissent ses propres membres". 4 La notion de tolérance que Habacbi envisage pour l'Islam a le même sens que chez Lewis à quelques nuances près. Ce dernier réfère à deux documents importants de John Locke : A Lener Concerning Toleration, with the Second Treatise ofCivil Govemment, 5 et To Bigotry No Sanction: Documents in American Jewish His/ory.' Ces définitions de la tolérance et de la coexistence sont importantes pour comprendre le rapprochement préconisé par Habachi entre tolérance et hospitalité, deux facteurs indispensables à la coexistence. La Méditerranée n'étant pas un -melting pot.. à l'américaine, Habachi entend contribuer à un aménagement des différences dans les confrontations et conflits entre les instances religieuses, politiques et culturelles de la Méditerranée. Les pays méditerranéens partagent un héritage culturel commun enraciné dans les civilisations du Proche-Orient Ancien et de l'Antiquité grecque. Les trois religions qui prédominent en Méditerranée aujourd'hui proviennent d'une tradition monothéiste qui faisait exception dans un environnement polythéiste. Cependant, marquées par un manque de solidarité légendaire, leurs perceptions • mutuelles et leurs attitudes réciproques sont souvent sources de conflit et d'agression. Pour désigner le non grec et le non jutt: Lewis rappelle les deux termes méditerranéens «barbare.et ccgentil» qui remontent à l'Antiquité grecque et au Judaïsme primitif: Ces termes qui définissent par la négativité ne sont pas sans évoquer une hostilité qui conduit à identifier l'autre à l'ennemi. Us marquent toutefois un progrès sur des concepts plus anciens et moins flexibles fondés sur la permanence des liens du sang et de l'appartenance tribale. Habachi prend en compte que "la dimension de l'avenir est tout aussi nécessaire que la dimension du passé" (CC 66), car il s'agjt pour lui d'insister sur l'actualité de l'existence historique et de ce qu'il appelle un uprésent successif' (CC 67). C'est pourquoi il insiste sur l'imponance de la notion d'espace pour le Judaïsme et de temps pour l'Islam, tout en rappelant que "la natur" n'est peut-être qu'une aventure". (CC 22) Préoccupé par la brisure fondamentale de l'être, Habachi prend en compte les • .. "Tolerance means that a dominant group, whether defined by faith or race or other criteria, allows to members of other groups sorne - but rarely if ever all - of the rights and privileges enjoyed by its own members"(L 49). 5 6 Oxford, Blackwell, 1946; p. 160.; édité par J.W. Gough. Philadelphie, PA, Annenberg Research Institute, (1988), pp. 56-59. • Chapitre 3 14/57 retombées qu'ont provoqué "deux événements de portée politique internationale et de signification religieuse universelle [qui] se sont suivis à distance de trois décades en Proche-Orien~ carrefour de civilisation où jusqu'alors coexistaient trois monothéismes" (Y 273). Il s'agit de ce que Habachi appelle "la stabilisation d'Israël" et la "désintégration du Liban" (Y 274). L'imponant pour lui n'est pas de porter "un jugement avant tout politique sur la nature et la complexité de ce processus", il s'agit plutôt de déceler" quel est le sens de ces deux événements, quel est le lien théologique qui les associe au plan de la phénoménologie, et quel enseignement peut en tirer une herméneutique de la philosophie des religions". (Y 274) Ces visées fondamentales démontrent combien Habachi est personnellement affecté par le démantèlement des infra-structures socio-économiques, politiques, culturelles et religieuses de la Méditerranée. U reprend les mots de Hamlet : .Le temps est sorti de ses gond&., une expression de Shakespeare admirablement commentée par Jacques Derrida en 1993." Comme Hie dit en 1984, "ces mots d'Ramlet correspondent à l'expérience centrale • de ma vie. Une expérience de l'absurde sociologique et culturel, mais aussi bien national, familial et personnel. Une cassure investissant la connaissance tout autant que l'action. L'absurde dans toute sa splendeur, identique au diamant noir du mal" (T 125). Sensibilisé par l'absurde du "drame métaphysique qui rayonne à travers les événements", il affirme en 1964 : "Cette réalité n'est point un événemen~ elle est réverbérée à travers tous les événements" (HPA 7). "La vision d'un monde équivoque" réduit à un monde aliénant, où rien ne dit ce qu'il voudrait dire, où toutes les valeurs sont bafouées parce que les vérités elles-mêmes se font menteuses, où l'esprit le premier tombe sous les coups de l'irrationnel entraînant derrière lui le cortège défiguré de toutes les significations, où la boursouflure des situations pervertit leurs buts et leurs motifs, où les tendresses elles-mêmes ne posent plus que des baisers de trahison, toute cette végétation confuse des contradictions dans laquelle étouffent le sens, le but, la raison, toute cette vanité du monde fait remonter en Ramlet, dans une irrépressible nausée, le sentiment de • l'absurde. (HPA 12-13) 7 1. Derrida, Spectres de Man. L'État de la dette, le travail du deuil et la nouve//e internationale, Paris, GaIlilée, 1993, 281 p.; voir surtout pp. 19 et 41 à 59. • Chapitre 3 15/51 Selon Habachi, si Ramlet se pose la question -être ou n'être pas-, c'est que ule néant qui ronge partout l'être vide l'existence de toute authenticité. Alors que Hamlet, lui, existe'~ (HPA 13). Soutenu par une solide foi chrétienne, Habachi se considère privilégié de n'avoir pas été porté au désespoir par l'absurde, mais plutôt conduit dans un face à face avec l'exigence de l'Évangile qu'il reconnaal ne pas avoir été de tout repos. ULa douceur de Jésus~ je ne la connais pas. Sa violence, oui. Et parfois sa paix comme une rosée sur le désert" (T 125). Habachi fait part de ses interrogations et de ses attentes dans sa conférence Lettre aux intellectuels d'Occident donnée en juillet 1967 au Cénacle Libanais de Beyrouth. Le texte de cette conférence est précédé d'un liminaire qui précise que le "philosophe René Habachi souhaite ouvrir un dialogue avec tous les intellectuels d'Occident à la recherche d'un arbitrage plus définitifque celui des armes et contenant les chances d'une viabilité pour le Proche-Orient." (LeO 7) Au nom de ces fragiles vérités de l'histoire qui attendent "d'être prises en charge par la conscience des hommes et par leur liberté" (LeO 13), Habachi accuse "le vacarme des • triomphes éphémères" et "le tumulte de l'histoire [qui se frayent] un chemin parmi nos consciences bourbeuses mais pas inexorablement imperméables aux tâtonnements de la lucidité" (LeD 13-14). Compte tenu de l'apparition plus récente du Christianisme et de l'Islam~ le Judaïsme demeure un prédécesseur important. La rivalité s'installe et les différends surgissent plutôt entre les deux derniers arrivés. Chronologiquement postérieur au Judaïsme et au Christianisme~ l'Islam est fondé sur le concept de temporalité historique. Ce concept revêt une importance décisive quand il s'agit de la tradition abrahamique, de la sauvegarde de son intégralité, de la chronologie des rapports historiques de l'Islam avec Jérusale~ mais sunout de son rôle de rectification théologique par l'affirmation d'une révélation venant corriger et compléter le Judaïsme et le Christianisme. Le Judaïsme maintient avec sa tradition un rapport de spatialité: départ de la terre d'Ur (Abraham), promesse d'une terre où coulent le lait et le miel, multiples exodes aboutissant à la création de l'État d'Israël en 1948. Le rapport à Jérusalem est essentiel à l'Islam poUf rappeler le Dieu unique de la • tradition d'Abraham altéré par le Christianisme et sa conception du Dieu trine. Quand Habachi rend compte des sources existentielles du Christianisme et de l'Islam, et de leur originalité propre, il reporte leurs antagonismes à un niveau plus fondamental. Pour ne pas • Chapitre 3 16/59 ajouter au conflit, il aborde la situation par le biais de la philosophie et choisit d'éclairer l'opposition entre la philosophie du présent [...] et la philosophie du passé commune au Moyen-Âge chrétien et musulman. Pour ces philosophies, l'univers, depuis Aristote, est fait de substances que nous saisissons par leurs accidents, c'est-à-dire par leurs phénomènes. (...] Non rien que des phénomènes, mais les phénomènes de ..quelque chosCH c'est-à-dire, impliquant un principe d'unité. Ce principe d'unité ne se sépare pas des phénomènes, c'est pourquoi il ne s'abrite pas derrière eux ou dans leur secret. Mais leur unité à eux ne pourrait se faire sans lui. C'est pourquoi notre raison le décbiffie, sans qu'il soit cependant projeté par elle. Il se tient dans les phénomènes, ou plutôt les phénomènes tiennent grâce à lui qui leur donne une réalité. C'est cela la substance. (pM n 57-58) Cette approche philosophique explique ce qui rapproche, et éloigne à la fois, Islam et • Christianisme. Elle permet â Habachi d'insister sur la tolérance. Une tolérance différente de ceDe évoquée par George Washington qui soumettait la collectivité à une seule et même loi et astreignait l'ensemble à une identité culturelle uniformisée. Christianisme et Islam se considèrent, chacun pour sa part, dépositaires de la vérité universelle révélée une fois pour toutes, et assignés à la mission sacrée de transmettre cette révélation au reste de l'humanité. Pendant des siècles, un Christianisme triomphant s'était réclamé de la possession exclusive de la vérité, tandis que l'Islam, qui est par définition c-abandon dans la soumission.., maintenait que l'assujettissement à Allah de l'ensemble du monde créé était un fait irréversible. Jaloux de son élection par Dieu, le Judaïsme ne s'adonne à aucun prosélytisme mais ne prétend pas non plus à l'exclusivisme de ses convictions. Les conditions fondamentales qui déterminent la judaïté sont le fait d'être né dilne femme juive, de pratiquer la morale dictée par la Torah, et d'adhérer au monothéisme. Cette dernière condition rapproche le Judaïsme de l'Islam et fonde le rejet du dogme trinitaire chrétien et donc aussi de la divinité de Jésus. • Pendant des siècles, le Christianisme estimait que sa révélation complétait celle du Judaïsme et en représentait la fin. Chronologiquement antérieur à l'Islam, il a longtemps prôné l'exclusion de tout salut en dehors de l'Éslise. Non seulement s'estimait-il le dernier • Chapitre 3 n'60 tenant de la dispensation révélatrice, mais n ignorait toute révélation subséquente et considérait celle de l'Islam comme nécessairement fautive et nocive. Chronologiquement postérieur aux deux autres monothéismes, ('Islam s'estime le tenant définitif de la tradition prophétique d'Abraham, demeurée jusque-là incomplète avec: le Judaïsme, et le réformateur d'une interprétation théologique altérée par le concept trinitaire du Christianisme. Même s'il se réclame du Coran comme étant la version améliorée et universelle de la révélation de Dieu, l'Islam se considère le dépositaire de la vérité dans sa version finale et définitive. Loin de juger le Christianisme et le Judaïsme comme deux fausses religions, l'Islam les considère comme simplement dépassées. Fondées sur une croyance authentique véridique mais incomplète, elles sont surpassées par la version finale, plus récente et plus perfectionnée, de la révélation à Mahomet consignée dans le Coran. Aux dires de Lewis, les différends quasi irréconciliables entre l'Islam et le Christianisme sont issus de leurs ressemblances plutôt que de leurs différences: "Chrétiens et musulmans partagent la conviction de détenir l'unique vérité universelle et qu'il leur • incombe en outre la mission sacrée de la transmettre au reste de l'humanité".' Lewis en déduit que lorsqu'en cas de litige ou de conflit, "chrétiens et musulmans s'accusaient mutuellement d'être d'exécrables infidèles, chacun comprenait exactement la portée de l'insulte, parce que tous les deux voulaient dire exactement ta même chose".' 3. 1 Judaïsme et hospitalité Habachi a plus d'affinité avec l'Islam qu'avec le Judaïsme et fait plus volontiers alliance avec Allah qu'avec Yahweh. Si dans le cas de l'Islam, Habachi privilégie la commune tradition abrahamique et le passé philosophique panagé avec Aristote, dans le cas du Judaïsme, c'est l'instauration de l'État d1sraël en 1948 et les conséquences qui en découlent qui orientent sa réflexion. La terre promise par Yahweh est une conviction qui traduit l'importance de l'espace pour le Judaïsme. Le rapport à l'espace explique "cette confusion du spirituel et du • "Christians and Muslims shared the beliefthat theirs was the sole universal truth, and that it was their sacred mission to bring il to alI mankind" (L 48). 8 "When Christians and Muslims ca1Ied each other accursed infidels, each understood exacdy what the other meant, because both meant exactly the same thing" (L 48). 9 • Chapitre 3 /1/61 temporel, offerte comme un mirage secourable ou comme la revendication d'un droit à tous ceux dont le désarroi a aveuglé le regard [... J. Ce fétichisme d'un Occident qui a dépassé . le stade des superstitions est un lapsus de l'histoire qui ne fait que commencer de révéler de quelle trouble émotivité il est le symptôme, et qui ne finira pas de sitôt de dérouler ses conséquences pathologiques dans le Proche-Orient aussi bien que dans le monde" (LeO 15). Pour Habachi, l'exclusivisme ethnique et religieux légitimise l'arbitraire d'une revendication territoriale et justifie les agissements despotiques de l'État d'Israël autant sur son territoire que par rapport aux États voisins. Sans le nommer, Habachi estime que cet élitisme, considéré même par certains juifs comme étant la source de tous leurs problèmes, devrait être révisé, voire abandonné. Pour lui, le problème palestinien est la principale conséquence de cet élitisme, surtout depuis la création de l'État juif en 1948. C'est pourquoi il choisit d'articuler sa pensée autour de l'extrémisme sioniste, ce qui le conduit à insister sur l'hospitalité comme tâche politique. Le déplacement inhumain des populations palestiniennes chassées du territoire depuis 1948 et le traitement inégal des • citoyens israéliens au coeur même de l'État d'Israël sont pour lui inacceptables. "L'installation du peuple juif en Palestine devait faire du peuple palestinien le nouveau juif errant" (Y 279). fi considère que le retrait du droit à une terre, inhérent à la vie de tout humain, est une offense à l'ensemble de l'humanité. Cet exclusivisme israélien est au coeur de la Lettre aux intellectuels de l'Occident de Habachi. Ce texte, le plus véhément de son oeuvre, remémore l'horreur et souligne la .mutilation de la vérité- : Nous comprenons que l'anti-sémitisme européen qui a écrit les pages les plus atroces [...] ait suscité en vous des trésors de solidarité. [... Mais] il Y a plus grave. L'anti-sémitisme hitlérien portait le nom d'une démence où personne n'a reconnu le visage de la vérité; le manyre de la Palestine prétend, à travers vous, poner le nom de la justice et de la bonne conscience [...] vous donnez la caution de vos engagements morau~ jetant ainsi une bande de sécurité sur une plaie qui ne cessera jamais de suppurer. Et ce sera le douloureux honneur des refoulés de Palestine de demeurer, dans leur • dénuement de personnes déplacées, le reproche de la faiblesse à la dure et calme mutilation de la vérité. (LeO 14-1 S) Habituellement toléran~ Habachi pose toutefois aux responsables occidentaux une • Chapitre 3 19/62 question qu'on qualifierait plutôt d'accusation outragée : "Quel Nuremberg condamnera-t-il ce nouveau génocide que seule a enseveli une effiayante distraction occidentale?" (LeO 17) fi affirme également que la coexistence pacifique fortement compromise au Proche-Orient n'est pas exclusivement l'oeuvre néfaste de ses habitants. n soupçonne l'Occident d'avoir favorisé en t 947, l'institution d'un État à fondement judaïque, écartant les populations musulmanes et chrétiennes pour s'installer dans un monolithisme religieux. En 1976, la décomposition d'un État [le Liban] où cohabitaient deux religions tentées de se séparer aujourd'hui. (...] Si, pour confirmer l'exclusivisme de l'État israélien, il fallait démontrer la difficulté pour les monothéismes de vivre ensemble, la preuve en est donnée par l'échec de l'État hDanais où Islam et Christianisme avaient acquis une certaine expérience de la vie en commun. (Y 273) Selon Habachi, l'effondrement de l'État libanais est une preuve dérisoire de ce que les • nations étrangères pensaient mettre à profit : affaiblir le Liban, le détruire, et faire disparaître le Christianisme de la Méditerranée. Il s'agit là pour Habachi d'un prix culturel, voire théologique, exorbitant. Alors qu'un Liban fort avait jusque là maintenu un équilibre de première importance pour la paix, Habachi estime que "le refus d'une Palestine où coexisteraient les trois monothéismes est [lourd] de conflits ontologiques et [gros] de contradictions historiques qui n'ont pas fini de dérouler leurs conséquences" (Y 279). La crise libanaise est, précise-t-il, "mineure par son importance quantitative, mais majeure par sa signification, car l'hennéneutique de cette crise est régionale, et plus que régionale : cette herméneutique est avant tout théologique et d'une portée universelle" (LeO 279). Le Christianisme libanais, ajoute Habachi, est amené à s'arcbouter sur ses positions temporelles, tenté de créer, lui aussi, face à une objectivation sa propre objectivation, se durcissant en une réaction nationaliste qui constituerait en fait une négation du Christianisme. Il n'a d'issue qu'en acceptant de perdre son corps temporel au risque, dans les • conditions aetlJelles, d'y perdre aussi son âme. (Y 279-280) Habachi rappelle d'autre part qu'en droit international, en l'absence d'injustice par rapport à une situation antérieure, seules deux raisons fondent le projet d'un nouvel État: Chapitre 3 110/63 le pouvoir-vivre, et le vouloir-vivre. Or, si le vouloir-vivre dans le cas d'Israël est manifeste bien qu'alimenté par le philtre malsain d'un mythe, le pouvoir-vivre fait défaut : non seulement l'économie israélienne pompe ses ressources du dehors, mais l'État en question ne sera jamais intégré par son environnement. Et c'est afin de continuet à quémander l'aide extérieure et afin de se faire imposer du dehors à ceux qui le refusent qu1sraël ne cesse de proclamer l'innocence pharisaïque de ses desseins: "Nous ne demandons qu'à vivre en paix avec nos voisins". S'il en est ains~ s'il ne s'agit que de vivre en paix avec les voisins, pourquoi donc l'Occident pro-israélien ne fixerait-il pas à l'intérieur de ses territoires les frontières où s'écouleraient les flots humains appelés par la loi du retour? (LeD 18) Rappelant les millions dépensés pour l'instauration de l'État d'Israël, Habachi demande : "Pourquoi ne pas imaginer une solution plus complexe et peut-être plus viable si l'on • dépensait ce qui fut dépensé pour l'absurde, d'une Palestine groupant des minorités confessionnelles musulmanes, chrétiennes et juives? Êtes-vous cenains que ce n'est pas vers de telles synthèses qualitatives que monte l'histoire?" (LeO 18-19) C'est pourquoi Habachi rappelle au Judaïsme palestinien de naguère, et suggère au Judaïsme israélien ccimporté», une notion d'hospitalité qui est toujours de mise en Méditerranée. Selon lui, non seulement "le statut de Jérusalem s'en trouverait éclairé d'un jour absolument neuf' (LeO 19), mais cela redonnerait au peuple palestinien déplacé une existence dans la dignité. Au lieu de profiler son drame "sur fond de Golgotha, et rayonnant ténébreusement à travers l'histoire" (Y 273), le peuple palestinien, majoritairement constitué de réfugiés, cesserait alors de transporter l'anarchie panout où il va. Du point de we de l'évolution, aucune perversion ne serait plus significative que la tentative de vouloir fixer une terre promise extérieure, sur quelque continent heureux, alors qu'elle est en attente au-dedans de l'homme dans la mesure où il s'apprête à son intériorité. La reconnaissance d'une cité • incarnant la terre promise serait une catastrophe métaphysique, une nouvelle tour de Babel. (CC 88) Chapitre 3 111/64 • 3. 2 IJlam et tolénnce Afin d'atténuer les retombées d'une prépondérance islamique marquée sur les minorités environnantes, Habachi rappelle à l'Islam sa traditionnelle tolérance. Déjà en 1958, l'orientation de sa pensée s'exprime sans ambiguïté dans cet éloquent avertissement qui évoque une des croyances fondamentales de l'Islam: "Ne faisons pas outrage au Dieu de l'Évangile ou du Coran de séparer les hommes, de les jeter les uns contre les autres. [...) Si Dieu sépare, ce n'est pas de lui qu'il s'agit" (NCT 1 46). À partir de visées communes universellement partagées, il préconise une politique de tolérance qui a toujours prévalu en Méditerranée en général, et en terre d'Islam en particulier. Pour comprendre l'idée de tolérance chez Habachi, il est indispensable de tenir compte des exigences de réinterprétation rappelées par Lewis quant au caractère et au degré de tolérance en Islam. Si l'on entend par tolérance l'absence de discrimination, l'État musulman traditionnel n'était pas tolérant, et pareille définition de la tolérance n'aurait pas été considérée comme un mérite mais plutôt comme un manquement au devoir. Aucune • égalité n'était reconnue en pratique, et encore moins en théorie, entre ceux qui acceptaient et obéissaient à la parole de Dieu, et ceux qui, volontairement et de leur propre chef, la rejetaient. La discrimination était structurale, universelle, imposée par la doctrine et la loi, et renforcée par le consentement populaire. Sans être inconnue, la persécution était par ailleurs rare et atypique. Si jamais il y en avait eu au cours de l'histoire musulmane, il y en aurait eu peu qui équivaudraient aux massacres, aux conversions forcées, aux expulsions et aux bûchers qui furent si communs dans l'histoire du Christianisme avant la montée du sécularisme. 10 Si de nos jours eenains militants islamistes extrémistes, qui prétendent agir au nom de leur foi, brutalisent des otages et s'en prennent à des innocents, et si leurs agissements • 10 "Ifby tolerance we mean the absence of discrimination, then the traditional Muslim state was not tolerant, and indeed a tolerance thus detined would have been seen not as a merit but as a dereliction ofduty. No equality was conceded, in praetice or even less in theory, between those who accepted and obeyed God's ward, and those who willfully and of their own choice rejeeted it. Discrimination was structural, universai, imposed by doctrine and law and enforced by popular consent. Persecution, on the other band, though not unknown, was rare and atypical, and there are few if any equivalents in Muslim history to the massacres, the forcëd conversions, the expulsions, and the burnings that are 50 common in the history ofChristendom before the rise of seœlarism" (L Sa). • Chapitre 3 112/65 ne sont condamnés par aucune autorité islamique officielle, c'est que leurs crimes sont considérés comme des gestes dirigés contre des idéologies et non contre des humains. Tyranniques chez eux et terroristes à l'étranger, leurs actions sont des violations de la morale et de la loi islamiques. Les auteurs de ces crimes, tout comme ceux qui en sont les instigateurs, ont un comportement encore pire envers leurs coreligionnaires qu'envers les autres. Face à un Islam majoritaire en Méditerranée pour qui la revendication de l'espace ne se pose même pas comme problème, Habachi insiste sur l'importance de la temporalité historique qu'il associe à l'aventure. Il rappelle aussi que les racines de la personne sont le meilleur trait d'union entre Islam et Chrétienté, et que "la notion de personne est le pont exceptionnel pour ne pas dire le seu~ qui remettra en contact notre présent et notre passé [et refera] circuler dans notre XXe siècle une sève orientale dont je ne crois pas que l'histoire de la civilisation puisse se passer. Avoir compris cela et le refuser reviendrait à opter pour l'absurde" (pPT 108). À une religion de la conquête qui oblige le musulman à • surveiller les gestes qu'il pose plutôt qu'à analyser ce à quoi il croit ou non, Habachi rappelle sa traditionnelle tolérance vis..à..vis des minorités. Lewis souligne pour sa part que l'absence de hiérarchie institutionnelle en Islam change les règles du jeu religieux: "n n'y avait pas d'autorité ecclésiastique pour formuler, promulger et diriger la foi, détecter les fausses croyances, les définir, les corriger, mettre en vigueur les bonnes ou punir". Il Contrairement aux situations qui menèrent aux grands schismes de la chrétienté, les litiges en Islam ne relèvent pas directement de divergences sur le contenu de la foi. Ils concernent plutôt des conflits entre tenants du pouvoir politique et tenants du pouvoir religieux, comme dans le cas de la grande scission entre Shil ites et Sunnites. Leurs ditTérends originent dans le désaccord sur l'identité et le nombre des sucesseurs du prophète. Selon Lewis, les abus qui menèrent à la sécularisation en Occident ont été longtemps considérés comme "essentiellement chrétiens, n'ayant rien à voir avec les juifs et les musulmans". Il n faut noter aussi que depuis ('instauration de l'État d'Israël, il ya eu des guerres incessantes en Méditerranée, que l'Islam a eu des chefs d'État qui ne séparaient • uThere was no ecclesiastical authority to formulate, promulgate, and direct beliet: or to define and denounce incorrect belief - to detect, to enforce, ta punish" (L 49). Il 12 U[...] purely Christian, not relevant to Jews or Muslims" (L 52). • Chapitre 3 113/66 pas le religieux de la défense nationale, et qu'Israël de son côté ne se lasse pas de confondre identité religieuse et ambitions politiques et territoriales. L'absurdité de la situation en Méditerranée outrepasse la raison -d'être ou de ne pas être,. d'un Liban chrétien et pane atteinte à l'être et au destin même de l'humanité, selon Habachi. Ce qui le conduit à conjecturer le sens de cette situation absurde dans des réflexions comme celles-ci : "Peut-être le privilège du Liban au plus terrible de son épreuve est-il de rappeler au Christianisme sa vocation qui est de tout perdre afin de tout gagner" (Y 280). Ce commentaire concerne la gratuité que Habacbi propose comme tâche au Christianisme et dont la dynamique est précisément une authenticité, "la jeunesse d'un • présent libre, riche de sa dimension intérieure, ne niant rien du passé mais s'omant à l'avenir, ne refusant pas la nature, mais faisant face à l'aventure" (CC 67). C'est par le biais de la liberté qui en appelle au libre choix que l'amour prend le chemin qui mène à la gratuité. • • • CBAPITRE4 LA GRATUITÉ milieu, et ce milieu plus large qu'est ('histoire, - avec leur poids d'incohérence et d'irratipnnel. (TdG 94) • L'itinéraire philosophique qui va d'une attention à l'existentialisme à l'élaboration d'un personnalisme est loin d'être exclusif à Habachi. On le retrouve aussi entre autres dans la pensée et l'oeuvre du philosophe piémontais Luigi Pareyson. Chez Pareyso~ cet itinéraire s'ouvre, dans les années 60, sur ce que Bruno Bianco propose d'appeler un "penser tragiqu~' caractérisé surtout par une réflexion sur le mal et la soutTrance. Le fil continu de cette évolution de l'existentialisme au personnalisme et au -penser tragique» est, toujours selon Bianco, la liberté. 1 Chez Habachi, ce fil continu, c'est la gratuité. Semblable au "vitrail emporté dans la vibration qui l'éclaire et fait chanter sa présence" (TdG 169), la gratuité conduit à l'élaboration de sa Théophanie de la Gratuité publiée en 1986 chez Anne Sigier. Selon Habachi, l'univers de la gratuité dont nous sommes tous nostalgiques n'est celui ni du désir, du regret, ou du projet, mais celui de l'amour en tant que modalité principale de l'être. Surgi du physique mais à la fois physique et métaphysique, l'amour • 1 Voir B. Bianco, "Libertà dell'essere 0 libertà dall'essere? In margine aU' -Ontologia della libertà.. di Luigi Pareyson", dans Marco-Maria Olivetti (dic.), Philosophie de la religion entre éthique et ontologie, Padoue, CEDAM, 1996, 829 p.; pp. 773-783. Cbapitre 4 12'6• • peut emprunter ses expressions au registre de la passion. Habachi fait de la gratuité "le miracle de tout instant que seule a pu voiler la contraction sur soi de l'être, le repli d'un amour qui s'est détourné de l'autre" (TdG 169). Habachi accorde une telle importance au passage de l'être identique à l'être relationnel que pour lui, "la réversion de l'altruisme en identité est une rébellion de l'être contre l'amour" (TdG 169). Dans la mesure où il a une portée théologique et n'est pas uniquement une notion philosophique fondamentale, l'altruisme concerne le projet même de Habachi. Or, comme il le précise en 1986, "le premier problème rencontré par mo~ en tant que candidat à la philosophie, [...] transposé spéculativement, c'est celui de la philosophie et de la théologie. [...) Existentiellement, cette discontinuité entre philosophie et théologie, c'est celle de la nature et de la grâce" (TdG 93). La grâce nlest pas une force extérieure, mais une capacité intérieure de la liberté humaine elle-même libérée pour que "monte le flot d'une vie plus intérieure que la vie" (TdG 95). Le caractère théophanique de la gratuité exprime une préoccupation de longue date chez Habachi . • Pour illustrer ce que signifie pour lui la gratuité, Habachi cite de mémoire ces mots du roman d'Édouard Estaunié (1862-1942) L'infirme ara mains de lumière: qui évoquent la beauté de la saxifrage qui pousse là où personne ne la voit afin que, tout simplement, "le monde soit plus beau quand le soleil le regarde-- (cité dans UPE 70). Habachi compare la gratuité à l'anonymat et au détachement vigilant caractéristiques de l'amour parental: "Si l'enfant naît du corps de ses parents, il renaît de leur générosité" (upE 73). La gratuité découle de l'amour, eUe est l'essence même de l'humain, et souvent eUe nous envahit par le défaut de l'âme plus que par ses perfections. Comme si elle a besoin de notre pauvreté pour souligner sa propre absence de motivation. Car sa motivation réelle est simplement d'être là. [...] Comme un rire sur un visage. Comme un appel lointain dans la rumeur des jours. On ne mérite pas la gratuité. Elle profite de notre effacement pour déclarer sa présence. (TdG 170) Responsable de ce que nrien n'était, et quelque chose fut", la gratuité n'a pas de prix, '~oici • le premier surgissement et la première merveiller n (upE 77) À ceux qui sont en proie à la 1 Paris, Grasset, 1923, 176 p. • Chapitre 4 13/6' nécessité et aux contradictions, qui ploient sous les déterminismes et font appel aux fantumes de l'inconscient pour écarter l'impensable et expliquer ce qui, peut-être, demeure inexplicable, Habachi demande : "Pourquoi tout essayer sauf cette explication qui est un refus d'explication, et peut-être, la seule explication?" (UPE 71) "Le miracle, oui, le miracle d'une existence qui n'a d'autre légitimation que d'exister et d'autre raison que la gratuité" (UPE 70), "cette irrépressible nostalgie de gratuité annonce, peut-être, la symphonie d'un nouveau monde. Mais où est-il? L'événement va-t-il laisser place à l'éclosion d'un avènement?" (UPE 76) Situé au croisement de plusieurs civilisations, Habachi est préoccupé par la survie d'une culture socio-politique et religieuse pour laqueUe l'altruisme est une orientation majeure. Sa condition première est la cohabitation pacifique fondée sur une liberté qui dicte l'amour indispensable à la gratuité. À partir d'un passé chargé de traditions et d'un présent méditerranéen en pleine crise, Habachi propose, on l'a dit au chapitre précédent, une éthique de l'hospitalité et une plus grande tolérance; mais il insiste aussi sur une équité • économique et une solidarité sociale qui relèvent du don. Son approche est moins centrée sur les débats éthico-philosophiques ou théologiques que sur la coexistence des trois monothéismes fondée sur la liberté. Tâche propre du Christianisme, la gratuité n'est pas sans rapport avec l'Isl~ au moins sous deux aspects, l'un positif: l'autre plutôt critique. D'une part, Habachi préconise l'action plutôt que la conviction, ce qui est en plein accord avec l'Islam, plus préoccupé d'orthopraxie que d'orthodoxie. D'autre pan, l'insistance sur la gratuité pour le Christianisme maintient la liberté au coeur du débat. L'idée de prédestination en Islam et la perpétuelle remise en question du libre arbitre qui en découle portent à croire que le cboix par Habachi de la gratuité issue de l'amour fondé sur la liberté n'est pas un hasard. Fondée SUT l'amour, la liberté occupe en Christianisme une place que le Judaïsme et l'Islam lui reconnaissent peu. C'est pourquoi la liberté au fondement de la gratuité revêt un sens tout à fait particulier : elle est le catalyseur de la relation qui marque le passage du registre de la nécessité à celui de l'amour, point ultime de l'évolution de l'homme. Elle n'échappe pas au "tragique de toutes les valeurs humaines d'être en suspens • dans le risque de l'homme" (CC 56). EUe est le passage de l'être identique tourné vers luimême à l'être relationnel qui découvre sa propre altérité en même temps que celle de l'étranger. Pour Habachi, "la personne n'est pas l'individu que nous sommes tous au point Chapitre 4 14nO de départ, mais ce dynamisme de la libené que nous ne cessons d'alimenter quand nous lui sommes fidèles. La personne, c'est le corps de notre libené et de la gratuité q~ déjà, dès à présent, triomphe de l'espace et du temps et de leur usure" (UPE 84). Dès qu'elle se libère de l'égOïsme et de la passion, eUe rappeUe "le Dasein" auquel Habachi réfère comme "le lieu ontologique par excellence" (pM 1 72). La personne libre est alors susceptible de l'amour indispensable à la gratuité. Sensable au dilemme de la raison et de la fo~ Habachi expose, notamment au milieu des années 80, l'imponance de la gratuité pour lui :3 Alors que le dieu des philosophes est appelé, selon une voie de nécessité, par un univers qui, sans lui, perdrait son fondement et basculerait dans la plus hasardeuse contingence, le Dieu de Jésus- Christ est la révélation de la gratuité. li est l'avènement au coeur de l'événement. C'est pourquoi tout en étant autre que le dieu des philosophes, il ne le contredit pas mais le fait éclater du dedans. Il le parachève de son visage personnel et, pour ainsi • dire, de son identité qui est l'altruisme en personne. Sa Transcendance absolue garantit son Immanence. [...] Selon les mots extraordinaires de Fénelon: .Sa différence est de ne point en avoiPt. Alors nous frapperait son caractère gratuit. Comme le geste imprévisible du Christ, au lavement des pieds, nous prépare à comprendre que la Trinité est précisément le reposoir de la gratuité.(TdG 170-1) Sunout depuis la fin des années 70, on peut constater un intérêt marqué pour la question de la gratuité dans la théologie chrétienne." Ce renouveau d'intérêt pour la gratuité ne réussit pounant pas toujours à surmonter le dilemme dans lequel la foi chrétienne est plongée depuis le 17e siècle : sa confusion avec le théisme qui n'en finit plus d'entrainer la 3 "Dieu de l'Être et Oleu de Jésus-Christ", dans M.M. Olivetti (dir.), Ehraismo. ellenismo. • cristianesimo. Padoue, CEDAM, 1985, 2 vol.; vol. 2, pp. 371-389. Voir aussi "le Dieu de l'Être et celui qui est", dans Théophanie de la gratuité (1986), pp. 53-92, et "Le Dieu des philosophes et le Dieu des théologiens" : LTP 4212 (juin 1986) 217·234. Voir par exemple Guy Lafo~ Monothéisme et société, Paris, Cer( 1979, et son article ponant le même titre dans RSR 67/3 (1979) 419-446. 4 • Chapitre 4 /snl foi chrétienne dans sa chute.5 On le voit par exemple dans l'article de Joseph Moingt "Gratuité de Dieu",' texte de sa conférence du premier octobre 1993 au cours d'une session sur l'athéisme. Malgré des accents quelque peu nouveaux, Moingt ne réussit pas à porter le débat sur des bases renouvelées et à tenir compte du constat formulé par Henri Duméry déjà en 1968 en ces termes : Dans notre culture, théisme et athéisme sont des frères ennemis. La polémique ne cesse pas entre eux, parce qu'ils se nourrissent l'un de l'autre. Ce que l'un affirme, l'autre le nie. Mais tout à leur dispute, ils ne songent guère à renouveler le problème. La querelle continue sur de vieilles idées, avec de vieilles méthodes. Elle durerait longtemps si la question ne changeait pas comme question. Or voici qu'eUe change et que le problème ne pose autrement. Cette modification est l'une des plus significatives de notre époque. Les conséquences en sont incalculables. [...] ce n'est pas la religion qui bredouille et l'irréligion qui parle baut et clair. C'est l'homme • occidental, qu'il soit croyant ou incrédule, qui change d'attitude et de langage.' Changer d'attitude et de langage, c'est ce que peut permettre la redécouverte et l'insistance sur la gratuité; mais à la condition de la prolonger et de la situer hors du débat théismeathéisme, comme le suggère Habachi en faisant de l'insistance sur la gratuité une réponse à l'absurde en direction de ce qu'il appelle le transabsurde (nous y reviendrons en conclusion). Quand il parle du Dieu de Jésus, Habachi recourt à un langage dont le radicalisme démontre que "Jésus a pour mission d'enseigner à l'homme la véritable liberté" (TdG 82). Il cite la première lettre de Jean qui dit que ..Dieu est amoUflt (1 Jn 4,8 et 16) et il ajoute: "Tel est l'essentiel de la Révélation qu'apporte l'Évangile: l'amour n'est pas un attribut de Dieu, l'être de Dieu est amour" (TdG 83). "Dieu peut enfin dévoiler son Être-amour. n est Voir M. Boutin, "Analyse marxiste de la société et foi chrétienne" : rewe Prêtre el Pasteur 83/3 (mars 1980) 127-144; surtout pp. 136-140. 5 • 6 RSR 83/3 (1995) 331-356. H. Duméry, Article "Dieu", 5 : "Par-delà théisme et athéisme" : Encyclopaedia Universalis, vol. S, P~s, Encyclopaedia Universalis France, 11968 ( 13 1978), pp. 586-7. 7 • Chapitre 4 16n2 cefoult de l'homme, et la sagesse humaine devra se renverser en ..folie- de Dieu. Saint Paul l'a compris.n(lCo 1,18-25 et 3,19, cité dans TdG 85) La gratuité issue de la liberté et de l'amour est un geste divin : "Celui qui a compris que l'homme souhaite un univers de gratuité - où la paix serait là pour la joie, et la joie pour la paix - comprend du même coup que l'univers n'a pu naître d'une nécessité mais d'un acte de générosité" (upE 79). La création est née d'un -geste d'amour gratuitlt ; "voilà ce que nous découvrons et qui explique l'inexplicable : que l'homme ne respire à l'aise que dans le royaume de la gratuité" (upE 80). "Que s'entrouvrent seulement les vannes de la gratuité, et l'unité monte aussitôt dans un univers réconcilié, mettant en communication chacun avec tous et tous avec chacun, à travers le voile de l'espace et du temps. On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même, qui sait, les uns à la place des autres" (CC 184-5). Cette absolue gratuité au fondement même de la responsabilité rappelle ces mots d'Emmanuel Levinas : "Le signe extraordinaire d'une philosophie, c'est que je vais mourir, mais que ma mon est moins imponante que celle d'autnli. La mort • d'autrui est la mienne! Voilà ma responsabilité.'" le langage de la gratuité compone une dynamique proprement relationnelle. Habachi considère néanmoins "inutile de demander à la théologie des démonstrations scientifiques et vain d'attendre de la science des confirmations de réalités théologiques. Elles relèvent de deux ordres différents" (upE 168), et il y a pour ainsi dire deux mondes : 'toccLe monde des commencementSM est celui où nous sommes, [...] celui d'un espace-temps qui ne cesse de se dilater, et auquel se consacrent les scientifiques. cele monde des origines» est celui que les textes de la Genèse essaient d'évoquer avec les moyens dont disposaient leurs auteurs [...] la question est donc celle-ci : le monde des origines et le monde des commencements sont-ils contradictoires ou sont-ils complémentaires?" (upE 168) Cette question est essentielle à la théologie de l'Islam. Elle a provoqué de grands débats entre les théologiens, tenants d'un dieu créateur, et les philosophes Mu'lazellites qui se ralliaient à la notion aristotélicienne de l'Être suprême. Habachi considère que la création de Dieu est non pas celle de notre monde cassé, mais la création originelle, [qui] se • Émission commémorative de la mort d'Emmanuel Levinas (25 décembre 1995) diftùsée en reprise le 3 septembre 1998 au programme -Dialogue - Magazine religieuxlt (Radio Canada, CDF·AM 690 national). 8 Chapitre 4 nn3 situe dans le monde des origines, dans un univers non spatial et non temporel, un univers métaphysique, inimaginable pour nous - pas plus que n'est imaginable l'univers de l'eschatologie. Eschatologie et protologie se rejoignent dans l'éternel présent de Dieu, et n'était la Révélation, nous n'en aurions rien su par manque de moyens de concevoir un monde qui n'est plus le nôtre ou pas encore le nôtre, mais dont nous gardons la mystérieuse nostalgie. Un monde où l'on n'a plus besoin de recourir aux notions de cause et d'effet parce que tout est présent à tout, alors qu'ici-bas nous avons tant besoin de comprendre; un monde de la gratuité où la générosité se passe de toute explication. (UPE 169) Bien que l'être humain refuse la fixité du définitif et ne se reconnaisse que dans la liberté, comment expliquer le filet des nécessités qui le retient? Si Habachi insiste sur l'exigence de la gratuité pour le Christianisme, c'est parce que le Christianisme apporte un retournement radical dans la compréhension du rapport entre amour de soi et amour • d'autrui. Comme l'indique l'Évangile de Luc (Lc 10, 36-37), le prochain, ce n'est jamais l'autre, mais c'est moi, quand je me fais proche de l'autre.' Il ne fait aucun doute pour Habachi que "le don de Dieu est contemporain du don de l'homme" (CC 41) et que "l'être le plus nécessaire au monde c'est l'être le plus gratuit" (CC 185). La gratuité a d'emblée une dimension cosmique : "L'univers, pour retrouver son unité, n'a besoin que de gratuité. Cette gratuité que nous prenons souvent pour de l'absurde offre peut-être la réponse la plus attendue et le contrepoids le plus urgent au déséquilibre du monde" (CC 185). Selon Habac~ sur le plan de la connaissance, la complémentarité de la métaphysique de l'être et de la phénoménologie s'impose. L'oubli de la première et sa substitution par la seconde ne peut conduire qu'à un appauvrissement de la pensée. Car l'abstraction de l'être n'en est pas une : parce que, bien comprise, ce n'est pas une abstraction mais une intraction [...] le contraire d'un assèchement conceptuel [...] parce qu'elle fournit le fondement à toute validité herméneutique qui, autrement, ne trouverait d'autre fondement que dans la • Voir là dessus M. Boutin, Autrui différé. Remarques sur la théorie de l'action de George Herbert Mead'~ dans M.M. Olivetti (dîr.), Intersoggetività. socia/ità. re/igione. Padoue, CEDAM, 1986,810 p.; pp. 725-739, surtout p. 726. 9 IL • Chapitre 4 IIn4 subjectivité de i'herméneute. Le jumelage des deux fondements est nécessaire: chacun garantissant l'autre et le contrôlant. (TdG 171-2) On ne saurait dire si ce n'est pas "pour se consoler de n'être pas Dieu lui-même, [que] l'homme projette l'image d'un Dieu reposoir de ses complaisances" (pM IV 27). Habachi affirme en tout cas que "si l'univen se prenait d'amour, s'il entrait soudain dans le dialogue de l'être relationnel [...] alors seule régnerait la gratuité, - unanime et partagée". Et il ajoute ceci: "Vous avez reçu gratuitement, donnez en toute gratuité" (TdG 189). Déjà en 1960, Habachi n'hésite pas à dénoncer ceux qui s'inventent '~n Dieu pour les accommoder, autrement dit, pour se dédommager de ce dont ils s'éprouvent manquants" (pM IV 27). Au cours de sa conférence du 13 décembre 1981 à Notre-Dame de Paris en commémoration de la mort de Maurice Zundel, il évoque l'indissolubilité du destin de Dieu et de l'homme chez Zundel : Une présentation monstrueuse de Dieu a chassé de la culture toute dimension religieuse, et cette présentation est peut-être à mettre au compte • des hommes - des hommes d~glise aussi bien que des hommes de toute culture - mais d'hommes qui, se trompant déjà sur l'image qu'ils se faisaient de l'homme lui-même, ne pouvaient que se tromper sur celle de Dieu. Car un homme réduit à l'état d'objet ne peut concevoir qu'un Dieu seigneur des objets, c'est-à-dire propriétaire, revêtu de toutes les perfections et de tous les pouvoirs qui régissent un univers d'objets: ce Dieu despote qui a provoqué justement la haine de Marx, de Nietzsche ou de lean-Paul Sartre. Seul un homme qui s'éveille au statut de sujet peut entrer en relation vivante avec un Dieu sujet, un Dieu personne qui précisément ne communique qu'avec des personnes, un Dieu liberté qui n'entre en dialogue qu'avec des libertés. (QAZ 9-10) • • CHAPITRES PENSÉE MÉDITERRANÉENNE ET MONOTHÉISMES Trois monothéismes qui apparurent en succession historique, devinrent contemporains par leur héritage, • tressèrent entre eux des liens étroits - intellectuels, spirituels et sociologiques - vont-ils délibérément choisir de se séparer? (Y 273) La pensée méditerranéenne doit composer avec trois religions omniprésentes au Proche-Orient : le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, et s'élaborer dans un climat de rivalité politique et religieuse, de pauvreté endémique, et de conflit permanent. Appuyant leurs croyances religieuses sur une politique correspondant à leur foi respective, ils gèrent chacun à sa manière une économie déficitaire et négligent une éthique dont la subtilité est tout particulièrement grande en Méditerranée. Dans l'oeuvre de Habachi, les rapports de la pensée méditerranéenne avec les trois monothéismes n'impliquent aucune référence aux dogmes et ne présupposent aucune concordance avec les trois révélations. Habachi cherche plutôt à souligner certaines références historiques et philosophiques qui affectent le quotidien des adeptes des trois • religions, dans la mesure où ils appartiennent à une communauté de civilisation appelée la Méditerranée. Le Christianisme personnifie pour ('Orient un Occident colonisateur de ses • Chapitre 5 I2n6 territoires et usurpateur de ses ressources et aussi de ses traditions. C'est pourquoi Habachi en appelle à l'importance de la gratuité en tant que dimension essentielle au Christianisme. La gratuité constitue pour le Christianisme un défi : celui du partage équitable des richesses. Par rapport- au Judaïsme, Habachi n'insiste pas tant sur l'aspect économique, comme dans le cas du Christianisme, que sur l'aspect politique qui s'articule autour de la situation palestinienne depuis la création de l'État d'Israël en 1948. Le Judaïsme doit relever le défi de l'hospitalité, de mise en Méditerranée. Quant à l'Islam, Habachi souligne des visées universelles communément partagées à panir d'une éthique qui pose à rlslam le défi de la tolérance. Gratuité, hospitalité, tolérance : il s'agit là de trois axes majeurs de la civilisation et de la pensée méditerranéennes qui concernent tout particulièrement les trois monothéismes. 5. 1 La recherche d'une harmonie Il faut rappeler d'abord que Habachi a plus d'aftlinité avec l'Islam qu'avec le • Judaïsme et qu'il fait plus volontier alliance avec Allah qu'avec Yahweh. Reconnaissant l'importance indiscutable de l'Islam dans l'environnement méditerranéen, il se demande "par quel bout prendre le sujet" (pM 1 9). De toute façon domine chez lui une orientation de pensée et d'action qui s'exprime clairement dès la fin de 1958 dans l'avenissement suivant : ~~Ne faisons pas outrage au Dieu de l'Évangile ou du Coran de séparer les hommes, de les jeter les uns contre les autres. (...] Si Dieu sépare, ce n'est pas de Lui qu'il s'agit" (NeT 1 46). Au lieu de s'arrêter à d'insurmontables différences, Habachi insiste plutôt sur les similitudes entre Christianisme et Islam. Prenant comme point de départ les sources existentielles communes, ü tente d'aniculer une pensée méditerranéenne capable de prendre en compte l'originalité propre au Christianisme et à l'Islam et de déponer les oppositions éventuelles sur une opposition plus fondamentale encore : ceDe entre le présent et le passé. Il s'agit pour Habachi "d'éclairer l'opposition entre la philosophie du présent que Sances incarne ici, et la philosophie du passé commune au Moyen-Âge chrétien et musulman. Pour ces philosophies, l'univers, depuis Aristote, estfait de substances que nous saisissons • par leurs accidents, c'est-à-dire par leurs phénomènes." (pM fi 57) Habachi rapproche sa position de la pensée existentialiste représentée sunout par Iean...Paul Sanre et importée de l'Occident. Or, précise-t-il, "entre la notion ancienne de la • Chapitre 5 I3n7 substance et Sartre, il Ya Kant" (pM D 59); et il cite cette parole de Sartre dans L'être et le néant (p. Il) : -La pensée moderne a réalisé un progrès considérable en réduisant l'existant à la série des apparitions qui le manifestent [...] le dualisme de l'être et du paraître ne saura plus trouver droit de cité en philosophie-. Habachi transpose le langage de l'être et du paraître dans celui de l'universel et du singulier. Afin de signifier l'attention de Dieu pour l'individu, il fait appel au Christianisme qui a mis assez d'ordre dans l'universel pour écouter enfin l'invitation du singulier. [...] L'Évangile, avec des mots simples, allait changer la courbure de l'histoire: ..Pas un cheveu ne tombera de votre tête sans que mon père qui est dans les cieux...•. Avec lui, le singulier allait faire son entrée dans la vie et la pensée, et avec lui, la valeur unique du sujet de la connaissance. (pM 147) La référence à l'universel et au singulier se retrouve aussi en Islam mais prend un sens différent. Dans la Sourate 26 du Coran, Allah se dit aussi proche de sa créature que la veine • jugulaire qui se trouve dans le cou de l'être humain. Cette proximité d'Allah rappelle au musulman qu'il ne peut rien cacher à ce dernier. L'engagement du croyant en Islam doit donc se faire dans la soumission et l'abandon inconditionels de sa destinée à la volonté d'Allah, son créateur et juge. En Christianisme, la crainte de Dieu s'avère plus libératrice qu'en Islam, alors que Hâbachi n'aborde pas la question en ce qui a trait au Judaïsme. Il n'a d'ailleurs pas l'intention d'engager un débat, car "il ne s'agit pas de fanatisme religieux. Islam et Judaïsme se reconnaissent avec le Christianisme dans le même Abraham père de la foi, et dans une même racine monothéiste." (LeO 15) Préoccupé principalement par la coexistence pacifique des trois religions et le maintien du Christianisme au Liban, Habachi est moins intéressé par l'analyse des structures que par la détermination des tâches; il insiste plus sur le chevauchement des trois religions dans le quotidien que sur leurs modes de croyance ou leurs arguments, comme on l'a w aux chapitres 3 et 4. Bien que les trois monothéismes en Méditerranée partagent un héritage commun • originant dans l'Antiquité grecque et les traditions prophétiques du JudaIsme, leurs perceptions et leurs attitudes les uns vis-à-vis des autres ne sont pas harmonieuses pour autant. Habachi constate que la révélation n'a ni le même sens ni la même fonction dans Chapitre 5 14nl les trois religions. Pour le Iudaïsme, il s'agit de conserver la promesse faite à Abraham et la révélation faite à Moïse, et pour le Christianisme, de les réinterpréter à la lumière de l'intervention de Iésus.dans l'histoire. En Islam, la préoccupation est autre, et comme l'affirme Lewis, "l'Islam se définit moins par l'orthodoxie que par l'onhopraxie".l n souligne également qu'en Islam on ne peut pas parler de guerres de religion. Les rivalités entre les Sultans turcs et les Shahs d'lran, par exemple, confirment que les conflits opposent les tenants du pouvoir politique et du pouvoir religieux plutôt que deux groupes de croyants. Le conflit entre Sunnites et Shi'ites existe, mais il ne concerne pas d'abord la doctrine du Coran (nous y reviendrons). Pour Lewis, les situations qui menèrent à la sécularisation en Christianisme concernaient essentiellement les rivalités entre les deux pouvoirs, politique et religieux, plutôt que des controverses opposant chrétiens et adeptes d'autres religions. L'Empire Ottoman héritier d'un Christianisme florissant a été obligé à plus et autre chose qu'à des ajustements architecturaux mineurs à la basilique de SainteSophie. C'est sous l'influence du Christianisme en Turquie que • fut instituée une organisation de dignitaires religieux musulmans hiérarchisée avec ses juridictions territoriales. Les ayatollahs d'Iran constituent une innovation encore plus récente, et il ne serait pas faux de les considérer comme une autre étape en direction d'une christianisation des institutions islamiques, mais aucunement des enseignements islamiques. Khomeini n'a pas de prédécesseur historique en Islam, mais il ne serait pas difficile de lui trouver des homologues dans l'histoire du Christianisme. 1 Tour à tour chrétiens et musulmans, les gouvernements des États de la Méditerranée ont fait montre d'intolérance les uns envers les autres, alors que les juifs subissaient une exclusion deux fois millénaire. Mentionnée dans la loi islamique, la traditionnelle tolérance vis-à-vis des chrétiens et des juifs dans les États musulmans nlest pas un manque de discememen~ l "An organization ofMuslim religious dignitaries was developed, with a hierarchy of ranks and with territorial jurisdictions. The ayatollahs of Iran are an even more recent innovation, and might not unjustly be described as another step in the Christianization of (slamic institutions, though by no means oflslamic teachings. Khomeini bas no predecessor in Islamic history, though it would not be difticult to find parallels in the history ofChristendom" (L 50). 2 • "Islam is detined not so much by orthodoxy as by orthopraxy"(L 49). • Chapitre S ISn9 et la vague fondamentaliste en Islam depuis le 19ème siècle, avec ses tentatives pour instaurer à nouveau la Sharia comme code de loi civil, traduit la réaction d'un Islam menacé dans son identité par la laïcité occidentale accusée de tous les laxismes de la modernité. Seuls le Liban et la Turquie demeurent des États séculiers en Méditerranée. Cependant, plusieurs aspects en Islam et dans le Judaïsme traduisent un dynamisme qui a mené à la sécularisation dans l'Occident chrétien. Si l'on peut dire que "les juifs et les musulmans ont probablement contracté une maladie chrétienne", il leur serait aussi possible d' "envisager un remède chrétien. "3 Qu'en est-il du marxisme en Méditerranée? Même si ses ressortissants n'ont pas de théologie, ils ont quand même une idéologie; même s'ils n'ont pas de religion, ils ont une institution avec ses doctrines et ses dogmes, sa hiérarchie et ses prélats. Habachi réfère au marxisme pour mieux articuler les difficultés rencontrées par le Christianisme avec les deux autres monothéismes, même si, pour le marxisme, l'il ne saurait être question de tenter une conciliation avec une philosophie religieuse quelle qu'elle soit", puisqu'il revient à • "l'humanité d'entreprendre la conquête de sa propre divinité par la libération de l'homme de tout ce qui suscite le délire religieux, c'est-à-dire de tout régime qui le retient étranger à lui-même" (pPT 60). Pour Habachi, une analyse de l'aliénation s'impose, s' "il faut prendre dans son sens absolu l'expression ceun humanisme athée-" selon lequel "il n'y a que l'homme, il n'y a pas de Dieu. L'homme seul est Dieu et Allah est son délire." (pPT 61) L'imponance accordée par le marxisme au travail n'est pas sans intérêt pour la réflexion de Habachi. nsouligne la nécessité du travail pour la "transformation de la nature par l'homme" et son "humanisation progressive de ('histoire". Il demande : Qu'est-ce que le travail précisément, sinon cette transformation de la nature par l'homme, cette humanisation progressive de l'histoire? Le monde ne s'humanise que moyennant le travail, comme la conscience ne se maintient éveillée qu'en état de travail. Vienne à cesser le trav~ [...] et aussitôt le progrès s'arrête, la conscience s'amortit et se vide, et se bouclant sur eUemême, r40mpt le lien social que seul alimentait le travail. (pPT 64-65) • Habachi ne saurait trop insister sur "la fonction du travail dans la résurrection des peuples 3 "Jews and Muslims may perhaps have caught a Christian disease and might therefore consider a Christian remedy" (L 52). • Chapitre 5 '6'10 du Proche-Orient". n estime que si nos conçepts politiques, religieux ou sociaux, ont perdu de leur vigueur en se désengageant de l'histoire, [...] c'est bien parce que nos énergies n'étaient plus au travail. Notre conscience n'engrenait plus sur le devenir et t détournée du tête à tête avec la matière, notre intelligence se figeait dans des cadres anciens provoquant une sclérose de notre vie religieuse et de notre réflexion philosophique. (pPT 65-66) Pour toute consolation, il ne resterait plus qu'une éloquence nostalgique et sentimentale, alors que seul le rétablissement du travail en tant que facteur premier de progrès permettrait ce retour à la vie sans lequel "ni une libération économique ni une solidarité sociale ne seront jamais possibles" (pPT 66). Habachi ne quitte jamais des yeux l'aspect économique au fondement de la tolérance et de la coexistence pacifique. s. 2 • Le concept de révélation Habachi n'aborde jamais de questions exclusivement théologiques concernant les trois monothéismes. Us'intéresse toutefois à la portée dynamique du concept de révélation dans chacun d'eux. Si chacun des trois monothéismes nomme le Dieu UN à sa manière; si les noms de Yahweh, d'Allah et du Dieu trinitaire se rapportent au Dieu unique; si chaque monothéisme entretient avec son dieu des relations paniculières t pour Habachi t toutes ces conditions attestent de spécificités qui ne sont pas dépourvues de conséquences. De plus t la même terre n'est pas promise aux trois monothéismes de la même manière. Le Judaïsme marqué par la transhumancet les exodes et les exils maintient avec sa Terre Promise un rapport de spatialité, alors que l'Islam, arrivé après le Judaïsme et le Christianisme, se dit soucieux de maintenir la permanence de la tradition d'Abraham dans son intégralitét et préconise une religion de la temporalité. Puisant ses sources dans la tradition judaïquet nslam revendique lui aussi les promesses de Yahweh. Non seulement l'Islam se réfère-t-il à un temps qui lui est bien antérieur, mais encore il étire son présent dans le futur en s'assignant pour tâche universelle de soumettre le monde créé à Allah. Placé entre les deux, • le Christianisme fait fonction de lien chronologique et se caractérise par une tradition dont l'histoire concerne aussi le même espace promis aux deux autres traditions. Régulateur historique des rapports fondamentaux de spatialité et de temporalité qui caractérisent • Chapitre 5 n 181 chacune des deux autres religions, le Christianisme se distancie autant de lune que de l'autre. Habachi distingue trois "éléments constitutifs d\me révélation" : le révélé, le révélant, et le révélateur. "Le révélé est le message lui-même. Le révélant en est le médium. Le révélateur est l'humanité contemporaine du révélant ou postérieure à lu~ héritière ou continuatrice du patrimoine révélé". Habacbi demande : "Ces trois éléments sont-ils séparables?" n constate que "l'histoire des religions les a en tout cas distingués puisque [...] les rapports entre eux diffèrent." (Y 274) Dans l'Islam, par exemple, le révélé est un livre parfaitement distinct du révélant, Mahomet. Dans le Judaïsme, le révélé confié à une chaîne de prophètes s'accumule progressivement en demeurant distinct de chacun et de tous. Dans ces deux cas, la distinction est telle qu'elle se refuse à tout lien plus étroit entre le révélant et le révélé. (Y 274-5) Habachi ajoute que cette distinetio~ qui se refuse à tout lien plus étroit entre le révélant et • le révélé, "s'abolit en Jésus qui est en même temps le message et le médium" et qu'à cause de cela, ~~le Judaïsme renonce à se reconnaître en lu~ et l'Islam persiste à en faire un prophète. Par là Judâisme et Islam s'annoncent déjà plus proches l'un de l'autre que du Christianisme [...] Seul Jésus a la tranquille audace de s'identifier à son message" (Y 275). La notion de révélation chez Habachi n'est pas sans rappeler ce que dit Rudolf Bultmann de l'unité du fondement de la foi chrétienne et de son objet. ~ Si la prétention de Jésus à la filiation divine fait scandale pour les deux autres monothéismes, c'est qu'elle est uabsolument irrecevable pour qui a radicalement séparé le révélé du révélant" (Y 275). D'après Habachi, cette séparation est la raison pour laquelle les successeurs de Mahomet se disputent sa successio~ mais le livre demeure indiscuté. [...] De son côté, le Judaïsme historique sépare si bien le révélant du révélé qu'il est inattentif à l'annonce que celui-là [Dieu] fait à son pl'bpre sujet à travers les prophètes, et qu'il désavoue ce révélant qui ne réalise pas la promesse historique, ce messager qui va à l'encontre du • message attendu. Pour le Christianisme, par contre, d'entrée de jeu la .. Voir M. Boutin, uRévélation et communication", dans : M.M. Olivetti (dit.), Philosophie de la révélation, Padoue, CEDAM, 1944, pp. 757.773; p. 770. Chapitre 5 18/82 • révélatien c'est Jésus lui-même [...]. Cela laisse supposer que le rapport entre le révélant et le révélé n'est pas celui d'une juxtaposition de deux réalités séparées, ni d'une attribution d'un acte à un agent, mais un lien rt 275-6) interne et coextensifau révélant-révélé. Selon Habac~ "le temporel finit toujours par chevaucher le spirituel et se le soumettre", et dans ces associations et dissociations, "l'identification spirituel-temporel organise le triomphe de l'instinct sur l'esprit". Toutefois, ~'refiJser la confusion des deux ne revient pas à souhaiter leur dissociation [...car] la séparation du spirituel et du temporel est plus grave encore que leur confusion" (NeT m 34). La structure de la révélation dont Habachi propose l'analyse montre à quel point les trois monothéismes, proches par leur tradition, s'excluent dans leurs fondements. 5. 3 Le rapport au J udaisme Dans l'oeuvre de Habachi, le Judaïsme occupe une place nettement plus réduite que • l'Islam, ce qui ne trahit toutefois pas de sa part un manque d'intérêt pour le Judaïsme. D'entrée de jeu, il était impératif pour lui de reconnaître l'omniprésence de l'Islam dans l'environnement culturel et religieux méditerranéen, et de le faire en ayant recours à la philosophie. Le cas du Judaïsme est différent. Peu prosélyte, le Judaïsme ne panage volontiers ni sa prédilection pour Yahweh ni son alliance avec Yahweh. Avant l'instauration de l'État d1sraël en 1948 et la détérioration de la situation des palestiniens qui s'ensuivit jusqu'à aujourd'huL le Judaïsme ne représentait pas une menace pour le Christianisme en Méditerranée, et surtout au Liban. De fait, si les juifs d'Orient n'avaient jusque-là dérangé personne, c'est que personne ne les avait importunés. Avant 1948, les palestiniens, chrétiens et musulmans, avaient de nombreuses affinités avec les juifs sépharades de Palestine; ils coexistaient dans une relative homogénéité. Mais depuis que ces mêmes juifs sont devenus israéliens~ ils se voient dans l'obligation d'adapter leurs différences à celles des nouveaux arrivés, majoritairement ashkénazes, et bien souvent sionistes extrémistes. S'ils partagent avec ces derniers le Judaïsme religieux, ils demeurent • cependant étrangers culturellement, socialement, économiquement et politiquement, encore plus qu'ils ne le furent avec les chrétiens et les musulmans de Palestine. Au fondamentalisme sioniste s'oppose la modération des sépharades auxquels Habachi réf'ere • Chapitre 5 19/13 comme à ces juifs qui, au long de l'histoire, et jusqu'au moment où prit forme le Sionisme, furent toujours chez eux parmi les peuples arabes, dans une hospitalité familière et chaleureuse. Us ne connurent pas de la part des Arabes ce qu'ils subirent de l'Occident. Jusqu'à présent, quand ils distinguent Judaïsme et Sionisme, ils trouvent parmi nous des amis. Au Liban, ils jouissent à parts égales de tous les droits civiques, et personne ne songerait à les leur contester. (LeO 15) Plus que les concordances et discordances théologiques, plus que les différences dogmatiques et les différends doctrinaux, plus que la comparaison avec les rituels propres au Judaïsme, ce sont d'abord les expressions extrémistes de la politique qui intéressent Habachi. Les vicissitudes de la situation palestinienne sont issues de la revendication arbitraire de la terre promise par le Sionisme et de la création de l'État d'Israël en 1948, appuyées sur la notion d'élection. Édifiée sur un ensemble de complexités bien souvent • contradictoires dont Jérusalem est le parfait reflet, cette terre devenue sainte et revendiquée par les trois religions faft l'objet de conflits et de guerres incessants. Habachi s'inquiète du fait que "Ja loi du retour qui invite tout israélite parmi les nations à se faire israélien renvoie triomphante l'image d'une réalité que le nazisme voulait pantelante" (LeO 16) et empêche toute éventualité d'une «Douvelle alliance- avec Yahweh. Si Habachi accuse "J'exclusivisme de l'État israélien" d'être "à la source du désordre" (Y 273) au MoyenOrient, il souligne par ailleurs que le conflit n'est pas alimenté seulement par le drame des réfugiés palestiniens, mais qu'il sévit également et de façon cruciale entre juifs israéliens. Le malaise judaïque se vit dans l'entre-deux historique d'une tradition prometteuse d' héritage et de son accomplissement. La revendication territoriale se fonde sur la promesse de Yahweh afin de justifier la mise en place d'une politique qui en permette la réalisation. On assiste au dilemme d'un peuple palestinien relativement homogène au sein d'une nation israélienne nettement hétérogène. Ce peuple doit concilier son sémitisme longtemps partagé avec les juifs sépharades, avec les veUéités ostentatoires d'une • occupation territoriale arbitraire par des juifs ashkénazes nouvellement arrivés de divers lieux étrangers. Alors que pour cenains il faut constituer un État-nation et s'y installer de gré ou de force, pour d'autres, il importe de refuser cet état de fait. Mais pour tous, pense Chapitre 5 /10/84 Habachi, il s'agit avant tout de vivre en paix. Pour I~ les retombées économiques, socio- politiques et cultureUes assujetties au principe religieux d'élection font du problème araboisraélien un désastre humanitaire qui ne doit pas passer inaperçu. S'il interpelle les intellectuels d'Occident en leur rappelant les victimes du nazisme, il leur demande cependant : Pourquoi transformer les victimes en bourreaux? L'honneur humain n'y a rien à gagner. Car votre sympathie active pour ceux qui actuellement se réclament de cette mémoire afin d'accroître l\Jrgence d'un foyer national où le droit de vivre leur soit reconnu, semble vous masquer le fait que pour réparer une violence une autre violence mt infligée au peuple de Palestine, et qu'à l'absurde de l'lOti-sémitisme européen que vous abhorrez, l'histoire à laquelle vous collaborez a répliqué par l'lOti-arabisme occidental. (LeO 14) Habachi constate bien qu'en Israël la scission est double. Politique d'une part, elle • oppose à l'extrémisme des "settlers" intégristes la modération de leurs compatriotes prêts à négocier la cession de certains territoires occupés en échange du maintien de la paix. Démocratique, ou plutôt anti-démocratique d'autre part, elle accepte l'existence de deux classes de citoyens, selon leurs origines occidentales ou orientales qui fait des premiers des favorisés, et des seconds, des défavorisés. Habachi rappelle que "si l'on sait en quelle infériorité sont maintenus les Arabes en Israël, on n'ignore pas non plus le fossé qui sépare les Juifs orientaux ou sépharades des Juifs venus d'Occident ou ccashkénazeSM" (LeO 17). Cette nouvelle rivalité entre l'Orient et l'Occident fait que la "pensée méditerranéenne n'implique pas seulement un courant de culture, mais aussi un cenain arrangement de cette partie du monde" (pM fi 5). Habachi préconise un aménagement qui prenne en compte, tant en Islam que dans le Judaïsme, le lien étroit entre religion et politique et les répercussions de ce lien dans le quotidien de la vie. Même si le malaise politique découle de l'intégrisme sioniste et que l'interventionnisme occidental est montré du doigt quand il s'agit du marasme économique, • la cause arabo-palestinienne a des racines encore plus profondes. Berque souligne que le problème de l'Orient arabe est le problème de l'humanité présente. La préoccupation des penseurs orientaux quant à l'universalité de la question arabe et la rapidité de son expansion Chapitre 5 111/85 est vive, car il leur faut choisir entre survivre ou être victimes du nivellement par uniformisation. fi s'agit pour le monde arabe musulman de conserver so~ ou plutôt, ses identités dans la formidable transformation et la non moins formidable uniformité qu'entraine le progrès technique. D'un monde lent et diapré, nous voilà tous ensemble emportés vers un monde qui, d'année en année, se nivelle et se renouvelle. Les riches variations dans l'espace que l'homme affectait de pays en pays, de province à province, se transposent en variation dans le temps, c'est-à-dire en mutation de soi. C'est l~ pour chaque entité originale, perdre ce qui la différencie des autres, donc, à beaucoup d'égards, ce qu'elle est elle-même, en échange du droit de se maintenir. Faudra-t-il payer tellement cher la survie? (...) Mais le problème reste identique, qu'il s'agisse d'Arabes ou de Français. Un débat de la personne et du planétaire, et coroUairement du progrès matériel et des • valeurs, le définit pour eux comme pour nous, là-bas comme ici. Très lucidement, les penseurs orientaux le posent ainsi. À la mortelle nécessité, en même temps qu'à l'appel de la modernisation, ils pensent devoir répondre par l'aménagement des rapports entre eux-mêmes et les autres d'une part, la personne et le milieu d'autre part. Et la plupart d'entre eux [les arabes musulmans], malgré les prestiges d'un passé et d'une foi plus agissants chez eux que chez nous, ne cherchent pas de solution dans le retour à je ne sais quel âge d'or, prétendument indemne des lois de l'évolution technique. La croyance au progrès matérie~ les vertus du plus outre, orientent les efforts, exaltent les courages, là-bas comme ici. ressemblances. Si le problème est ~ Mais là s'arrêtent les les modalités, les rythmes, les figures, les significations varient. (AHD 261) • La préoccupation de Berque s'apparente à celle de Habachi qui considère que "jumeler la croyance judaïque à un État, identifier une foi à une nation, lier un message révélé à la possession d'un territoire: cette confusion du spirituel et du temporel [...] est • une solution beaucoup trop régressive, beaucoup trop sous-évoluée pour ne pas provoquer de désordre dans la conscience des nations" (LeO 15). II affirme par ailleurs qu' '~Israël est un fait colonial" [...] 44 mais à travers Israë~ c'est l'Occident libéré qui provoque cette sorte • Chapitre 5 /12/16 d'épilepsie de civilisation dans un Proche-Orient en voie de s'ouvrir au monde" (LeO 16). Les divers rapports, qu'ils soient d'ordre culturel, philosophique et à certains égards théologique, sont pour Habachi soumis à la politique et laissent peu à espérer en termes d'enrichissement. Dans l'éventualité d'un malaise économique fragilisant les équilibres que l' histoire a lentement inscrits sur les dunes culturelles de la Méditerranée, "toutes les contradictions favorables à une Tour de Babel" (LeO 16) sont déjà là. Tout cela n'est aucunement l'expression dUne vision étriquée ou d'un égocentrisme, voire d'une juxtaposition de préjugés. On n'a qu'à songer par exemple à la critique de l'orientalisme à l'occidentale par d'Edward Saïd dans O,ientalism, publié en 1978. Nombre d'historiens, de philosophes, d'islamologues et d'orientalistes critiqués par Saïd se sentirent obligés de réagir à ses arguments. Comme le rappelle Oliver Leaman en 1996 dans son article "Orientalism and Islamic Philosophy", Saïd "soutenait que plusieurs de ceux qui avaient écrit sur le Moyen-Orient n'avaient pu s'empêcher d'avoir pour cette région et ses peuples un regard essentiellement "autre", chargé d'exotisme, et de traiter les cultures • locales en Occidentaux incapables d'éviter les préjugés colonialistes. n! Leaman reconnaît à Saïd d'avoir montré combien il était difficile [...] de traiter le Moyen-Orient objectivement et que pour esquisser un profil exact de la situation, il était impératif pour les chercheurs d'être personnellement conscients de la position· à partir de laquelle ils écrivent, c'est-à-dire de reconnaître qu'ils font eux-mêmes partie d'un système idéologique qui affecte obligatoirement la manière avec laquelle ils abordent leur travail, et qu'ils ne peuvent traiter les questions avec un total détachement scientifique. "6 ··He argued that Many ofthe writers on the Middle East had found it difticult to avoid regarding the area and its people as exotic and essentially .'other" from the point of view of the West~ and that they incorporated colonialist assumptions in their treatment of the cultures of the area"(HIP-Fa 1143). S "Said showed how difficuJt [...] was an objective treatment ofthe Middle East, and argued that if an accurate picture is to be construeted it must involve an awareness by the weiters themselves of ttte position from which they are writing. That is, they shouJd acknowledge that they are not approaching the issues with complete scientific detachment but they themselves are pan and parcel ofan ideological system which is bound ta affect how they set about their wade" (HIP-HL 1143). 6 • • Chapitre 5 113/17 Selon Leaman, mettre de côté toute une production philosophique en la considérant comme une sorte de littérature mystérieuse est le pire orientalisme qui soit. Cela signifie 'lue les philosophes du monde musulman ne peuvent véritablement être considérés comme des philosophes au même titre que partout ailleurs, mais qu'ils devraient être considérés comme n'étant capables que duo moindre travail, de qualité inférieure, nutilisant un langage philosophique que pour exposer de manière compliquée des idées peu originales. 7 Cependant, avec une forme d'expression philosophique couvrant une si longue période de temps et une teUe diversité de penseurs, il fallait s'attendre à ce qu'il y ait une profusion d'idées variées, de thèmes et d'argumentations. Par conséquent, c'est un simplisme grotesque que de tenter de caractériser cette diversitç comme spécifiquement rattachée à une perspective religieuse • particulière, bien que dans son ensemble elle soit apparue au sein d'un contexte religieux donné. Ceci révèle l'erreur radicale de prétendre qu'on doit partager la même perspective religieuse pour comprendre ce qui en découle.Leaman rappone que Saïd affirme également qu'il relève de la responsabilité de ces auteurs de préciser les tenants et aboutissants de leurs prises de position, et aussi qu' "il leur faudrait reconnaître que faire partie d'un système idéologique affectait automatiquement "The notion that one could sweep away all this philosophical output by regarding it as a mysterious form ofliterature is Orientalism at its worst. It implies that the philosophers in the Islamic world could not really be thought ofas philosophers just like philosophers everywhere else, but should be regarded as capable ooly ofa lesser and inferior activity, using philosophicallanguage to present unoriginal views in convoluted ways" (HIP-~ 7 1146). one would expect with a form of philosophical expression which covers such a long period in time and so many diverse thinkers, there is an immense variety of ideas~ themes and arguments. It is a gross over-simplification to try to cbaracterize lhis variety as being especially wedded to a particular religious perspective, althougb most ofit appeared within a certain religious conteX!. This brings out the radical error in claiming that one needs to sbare religious perspective in arder ta understand what is produced in relation to that perspective" (HIP-HL 1147-8). 8 "As • • Chapitre 5 114/81 leur travail, qu'ils ne pouvaient plus aborder de manière pleinement scientifique et détachée. n' Leaman décrit la situation contraire comme n'étant pas plus acceptable: Il y a une approche de la philosophie islamique qui pourrait être désignée d'orientalisme à rebours. Ceci suggère que la matière du sujet ne peut être réellement comprise que par des musulmans, puisqu'eux seuls seraient en mesure d'apprécier les aspects religieux dans ce domaine. Forcément limités par leur formation, les non-musulmans pourraient jusqu'à un certain point aborder la philosophie islamique, mais n'auraient jamais qu'une we • partielle de Ja question. Ces distinctions fondamentales et significatives sensées exister entre musulmans et non-musulmans, vaguement désignés comme l'"Orient1t et l'..Occident.., pourraient constituer un genre d'orientalisme aussi problématique que celui que Saïd pointe du doigt. [... l Toutefois, il est important pour nous d'insister sur le fait qu'en philosophie, ce sont les arguments qui comptent, tandis que les croyances religieuses • personnelles ou leur absence ne font pas partie essentielle du raisoMement. 18 Habachi n'est pas concerné par la critique faite à J'endroit de ce genre d'orientalisme. Également estimé par les penseurs chrétiens et les penseurs musulmans, il observe l'Orient de la même manière que l'Occident, qu'il ne questionne jamais comme une sorte d'objet étranger. ntraite les uns et les autres comme des sujets à pan entière qui font partie de son they should acknowledge that they are not approaching the issues with complete scientific detachment but that they themselves are part and parcel of an ideological system which is hound to affect how they set about their work" (lDP.. m.. (143). 9 "There is an approach to Islamic philosophy which might be called Orientalism in reverse. This suggests that the subject can really be understood by Muslims, since ooly they are capable of appreciating the religious aspects ofthe area_ Non-Muslims may approach Islamic philosophy to a degree, but they are necessarily Iimited by their background to a partial view. This might be clarified as a type ofOrientalism, since it is based upon the presupposition ofbasic and significant distinctions between Muslims and non-Muslims, between what might bébroadly called the -East.. and the -West-. This isjust as problematic as the type ofOrientalism which Said identifies. [...] It is important yet again for us to emphasize that in philosophy it is arguments which are ofthe most interest, and the aetual religious heliefs, or lack ofthem, of the arguers themselves is Dot a crucial part of the equation" (HIP-HL 1146-1). 10 • "[...] • Chapitre 5 115/89 histoire et de SOD espace géopolitique~ la Méditerranée. Le dialogue de Habachi avec eux est fait d'un va-et-vient d'appartenance et de convivialité. S'il se voit dans les yeux de la Méditerranée qui le re8arde~ à son tour~ il la regarde d'un regard doublement critique : de l'intérieur comme l'un des siens~ et de l'extérieur comme un étranger. rives ~~avec la personnalité qui résulte de son histoire". n aborde ses deux n parle en connaissance de cause de leur distinction qui a "pour trait d'union, non seulement un passé commun de civilisation, de brigandage et de sainteté, mais aussi un présent commun : cette eau qui les reüe, pas assez large pour les séparer, pas assez étroite pour les confondre, juste assez réelle pour les distinguer et les unir." (pM IV 12) Habachi admet que dans tout système où se mêlent idéologie politique et croyance religieuse, aucun réveil ne s'effectue sans profonds bouleversements. Ce qui est encore plus grave à ses yeux, c'est que "l'antisémitisme hitlérien ponait le nom d'une démence où personne n'a reconnu te visage de la vérité" (LeO 14). Anticipant les réactions à cette rét1exio~ • Habachi ajoute : L'objection qui vous vient, nous la connaissons: -ce durcissement du spirituel dans le temporel n'est pas le privilège d'Israël puisqu'on le retrouverait au fondement de l'Islam». Mais si vous ignorez l'évolution des peuples arabes et la substitution en cours de l'arabisme, unité de culture, à l'islamisme, unité de foi, laissez-nous vous renvoyer à la probité de vos propres sociologues. Us constatent du dehors ce que nous vivons du dedans : les structures sociales et économiques, comme la conduite individuelle chez les Arabes depuis plus d'un demi siècle, prennent leurs distances à l'égard de la théocratie califale, et tout en s'inspirant de la spiritualité déposée par la tradition, se délivrent des formules dépassées par l'histoire. Du Golfe Persique à l'Atlantique, l'Orient et l'Occident arabes sont en pleine mutation. (LeO 16) Cela explique pourquoi l'invitation de Habachi à ses contemporains vise à réduire un existentialisme limité à l'individualisme en faveur d'un personnalisme dont l'ouvenure à • l'autre advient dans la vérité et conduit en toute libené vers la gratuité. n n'hésite pas à rappeler que ul'ordre humain ne commence que là où commence la gratuité", et qu' UiI nous faudra toujours cette torche vivante pour éclairer la route de ('homme à travers la nuit des 1. Cbapitre 5 116/90 nations" (LeO 21). Pour Habachi, le "personnalisme, [qui] tient tête à r existentialisme en nous donnant le sens de la liberté" (pPT 135), concerne aussi le problème palestinien auquel il réfère comme au "reproche de la faiblesse à la dure et calme mutilation de la vérité." (LeO 14-15) 5. 4 La proDmité de l'Islam Malgré les diverses raisons, justifiées ou pas, du récent durcissement des régimes musulmans dans certains pays de Méditerranée, il demeure que l'espace méditerranéen comporte un Islam monolithique singulièrement unifié par l'usage de la langue arabe. Depuis qu'Allah a choisi cette langue pour adresser son Coran aux musulmans, l'arabe n'est plus une langue ordinaire. À la fois existentiel et théologique, l'usage exclusif de cette langue renforce la présence immanente et transcendante d'Allah dans la réalité quotidienne. Habachi souligne que la langue arabe préislamique, d'une grande richesse littéraire et poétique,est • à la source du caractère sacré du verbe coranique. Le contenu de la révélation coranique a choisi le support le mieux fait pour lui donner une réalité supérieure et permanente. La langue arabe qui avait été le paradis artificiel de l'anté-Islam était apte à contenir la promesse du paradis réel annoncé par l'Islam. Elle, qui constituait déjà un univers d'essences pures, venait d'acquérir une nouvelle valeur supra-historique, transcendante : privilège exceptionnel dont la contrepartie serait de résister à l'Histoire, d'élever un rempan contre les aventures du temporel mais aussi contre les progrès de la dimension historique de l'expérience humaine. En un mot la langue, refuge contre une nature décevante, allait élever un barrage entre l'Arabe et cette nature. (0 196) L'usage de la langue arabe au quotidien rappelle constamment le caractère impératif de la soumission à Allah, et "l'Arabe a dû donner à partir de lui-même ce que la nature lui refusait" (0 195). Deux sources mentionnées par Habachi soulignent la compensation • apportée par la langue arabe à l'indigence de la nature dans ces arides contrées. D'une part, "l'orientaliste belge Armand Abel a mieux vu quand il dit: [...] -Dégagé des distractions que le monde extérieur exerce sur les poètes des contrées plus favorisées par la fécondité • Chapitre 5 /17/91 du sol et la douceur du climat, le poète arabe reporte sur la langue la ferveur de son attention,.".11 D'autre part, cette position rejoint celle d'un poète arabe moderne, Ali Ahmed Saïd, qui, dans sa préface à une anthologie de la poésie arabe, s'exprime ainsi: -La langue arabe est une langue de jaillissement et d'explosion, et non de logique et de relations causales,.. Et comme le monde est éphémère pour le nomade qui déplace sa tente selon le passage des saisons, c'est la langue qui devient son lieu de séjour, seul repère fixe dans l'usure des paysages. -La réalité immédiatement existante, dit Ali Ahmed Saïd, n'est pas le monde mais le langage-. Et il ajoute: -C'est pourquoi la langue fut investie, au regard de l'arabe anté-islamique, d'un pouvoir magique, et au regard de tout arabe, de la grâce d'être un don de Dieu... Il Moyen de communication par excellence, la langue arabe n'est pas sans favoriser une cristallisation culturelle. Qu'il soit juifou chrétien, l'autre est réduit au statut de tiers étranger. De plus, confinés dans de minuscules oasis à moitié asséchés par leurs propres litiges, juifs et chrétiens sont dispersés dans le vaste espace occupé par l'Islam. Axé sur • deux lignes qui se croisent en Méditerranée, l'Islam s'étend de Gibraltar à l'Ouest jusqu'à l'extrémité de l'Indonésie à l'Est, et de l'Albanie au Nord jusqu'à l'extrême Sud du continent africain. Cette étendue spectaculaire permet à Jean-René Milot d'affirmer que --l'Islam ne connaît pas de frontières, de race ou de culture. [...] Aujourd'hui, l'Islam déborde largement les pays arabes; en fait, il y a plus de musulmans en Indonésie que dans tous les pays arabes réunis." (IsM 20) Quels que soient les ditTérends entre les factions au sein de l'Islam, "tous indiquent un réveil qui allait être brusqué et menacé par l'intrusion des occidentaux" (lsM 159). De fait, c'est l'existentialisme occidental et athée - auquel Habacbi fait référence - venu changer les règles du jeu d'un essentialisme théologique déjà existant, que Milot décrit: L'Islam officiel et traditionnel, représenté par les ~ Ulama (docteurs de la Loi et de la théologie) avait commencé à relever le défi des premiers mouvements de réforme. Mais il fut bientôt interpellé par un autre défi, • A. Abel, Esquisse d'une recherche de dynamique sociale appliquée à l'Islam. CoUoque de sociologie musulmane, 1er sept. 1961, p. 26; cité dans 0 195, note 3. Il Ali Ahmed Saïd, Diwân al ch;'r al arabi, Beyrouth, 1964; pp. 11-12; cité dans 0 196 note 4. Il Chapitre 5 118192 • beaucoup plus radical: celui de l'Occident moderne. Les canaux par lesquels s'est fait sentir r influence occidentale sont innombrables : la structure politique, l'appareil judiciaire et administratif, l'organisation militaire, le système économique, les mass-médias, l'éducation moderne, le cinéma, la pensée moderne et globalement les contacts actuels avec la société 6ccidentale. (lsM 159) Bien que Habachi réfère à une mutation au sein de l'Islam arabe, l'ampleur et la rapidité de l'expansionnisme islamiste suscite un débat religieux et politique qui est loin d'être épuisé. Le commentaire de Fazlur Rahman en 1979 concernant les sources et l'expansionnisme de l'Islam, fait comprendre le choix par Habachi de recourir à la philosophie de Marx pour mieux analyser la structure culturelle de la réalité religieuse en Méditerranée : Une controverse réprobative générale a voilé le vrai caractère de l'expansion [de l'Islam]. Alors que l'insistance sur la propagation de l'Islam par l'épée est une parodie des • faits [...] la véritable explication réside dans la structure même de l'Islam en tant qu'unité d'ensemble à la fois politique et religieux, et dans 90n appropriation du pouvoir politique due au fait qu'il se considère comme le dépositaire de la volonté de Dieu qui doit être instaurée sur la terre par le moyen de l'ordre politique. De ce point de vue, la structure de l'Islam ressemble à celle du communisme qui, même si elle n'oblige personne à adhérer à ses croyances, prend néanmoins pour acquis la suprématie de son ordre politique."u De fait, l'Islam panage avec le communisme une idéologie de supériorité politique et prétend lui aussi détenir l'ordre politique idéal. L'Islam, dont la Sharia fait acte de loi dans la gouverne du quotidien au même titre que la révélation contenue dans le Coran, clame visà-vis du communisme une seconde suprématie d'origine théocratique. La logique politique "A great odium of controversy has hung around the real charader of expansion [of Islam], and whereas it is a travesty offaets to insist that Islam was propagated by the sword [...] the real explanation lies in the very structure of Islam as a religious and political complex [and its] assumption of political power siDce it regarded itselfas the repository of the will ofGod which had ta be worked on earth through a political arder. From this point of view, Islam resembles the Communist structure which, even if it does not oblige people to accept ilS creed, nevenheless insists on the assumption oC [its] political arder" (Fazlur Rahman, Islam, p. 2). 13 • • Chapitre 5 119/93 islamique se manifeste dès la conquête de Khaybar en l'an 9/630, au moment où l'Islam impose à l'oasis juive et prospère de Hijâz, lajizya ou capitation. Prélevée à l'origine pour des besoins ponctuels, cette taxe individuelle, soumise au diktat de deux poids deux mesures, finit par être prise pour acquis et par devenir, au dire de Rahman, ~'le classique traitement islamique vis-à-vis des juifs et des chrétiens, qui fut subséquemment adopté à l'égard d'autres groupes religieux". 14 Ce même principe prime encore aujourd'hui chaque fois qu'Israël prend des décisions unilatérales au nom de l'exclusivisme du peuple élu par Yahweh. Préoccupé par les désaccords que provoquent ces configurations élitistes en Méditerranée, et au risque de passer pour un infidèle, un communiste et un rebelle politique, Habachi mesure la gravité de la situation en remettant en question le bien-fondé des structures politiques quand elles s'apparentent aux idéologies religieuses. Que les mouvements au sein de l'Islam soient arabistes, avant-gardistes, modernistes, traditionalistes, intégristes, fondamentalistes ou radicalement islamistes, en Islam, c'est le pragmatisme politique qui l'empone. • L'Islam ne promet que des choses auxquelles "les pieux'. ont déjà goûté l5 et qui, dès à présent, soot pour tout bon musulman un prélude aux joies de l'éternité. Berque affirme qu'une des nombreuses confusions souvent commises par l'Occident à l'endroit .Ides arabes et des musulmans.. provient de l' "une des originalités des Arabes [qui] réside sans aucun doute dans cette validation de l'immédiat" (AHD 263). En réalité, l'Islam préconise l'immédiateté dans la transaction, presque le donnant-donnant. En somme un corps à corps contractuel. Dès que l'exécution s'ajourne, comme dans la vente à terme, ou la commandite, il hésite. Il accable de suspicions les formules mêmes auxquelles a dû sa croissance l'économie mondiale. Elle s'est fondée sur une culture des probabilités, alors qu'il proscrit dogmatiquement l'aléa. (Al-ID 107) Les liens entre le politique et le religieux sont si étroits en Islam que rien nrest épargné pour rapatrier dans le quotidien une puissante réalité religieuse. Une hygiène corporeUe amplement ritualisée est exigée préalablement aux cinq convocations à la prière • the standard Muslim treatment for Jews and Christians, and was subsequeotly extended to other faiths" (F. Rahman, Islam, p. 28). 1.. "[...] 15 VoirCoranLll, 17 à28; LVI, 22; LXXVIIL 33. • Chapitre 5 /10/94 qui scandent la journée. Au système économique s'ajoutent des règles de financement pour biens meubles et immeubles. Le prêt à intérêt est taxé d'usure et condamné à plusieurs endroits dans le Coran.·' De plus, l'absence de hiérarchie institutionnelle en Islam laisse bien souvent à l'ordre politique une latitude démesurée qui met ce système théocratique fort à la portée d'un totalitarisme aventurier. Quelle que soit la philosophie du régime en place, rien n'échappe à la puissance de l'intégrisme qu~ sans être propre à l'Islam, n'épargne pas ce dernier. Faire de la philosophie à proximité de l'Islam, c'est rapidement verser dans la théologie, et Habachi en est conscient. Dans son Discours décisif, Averroès l'exprimait déjà en ces termes : L'acte de philosopher ne consiste en rien d'autre que dans l'examen rationnel des étants, et dans le fait de réfléchir sur eux en tant qu'ils constituent la preuve de l'existence de l'Artisan [... l. Si la Révélation recommande bien aux hommes de réfléchir sur les étants et les y encourage, alors il est évident que l'activité désignée sous ce nom [de philosophie] est, en vertu de la Loi • révélée, soit obligatoire, soit recommandée. nest évident, en outre, que ce procédé d'examen auquel appelle la Révélation, et qu'eUe encourage, est nécessairement celui qui est le plus parfait et qui recourt à l'espèce de syllogisme la plus parfaite, que lion appelle -démonstration),. 17 Maintenir dans la bonne entente une position chrétienne vis-à-vis des deux autres monothéismes constitue un défi pour Habachi dont la philosophie entend rendre justice à l'autre sans rien concéder de ses propres convictions. Preuve en est le témoignage élogieux du philosophe Majid Fakhri à l'endroit de sa philosophie personnaliste élaborée sur des prémisses existentialistes sans être athée pour autant. Au troisième article du chapitre 12, "La scène philosophique contemporaine : le tbndamentalisme, le modernisme et l'existentialisme: orientations modernes et contemporaines", Fakhri écrit à propos d'Une philosophie pour notre temps: "René Habachi fonde sur des prémisses existentialistes une philosophie ('personnaliste» [...] capable d"élucider mieux que n'importe quel autre système • 16 Voir Coran Il, 276; ID, 125; IV, 159. Averroès, Le discours décisit Édition bilingue, Paris, Flammmarion, 1996, 254 p.; pp.103 et 105. 17 Chapitre 5 /21/95 existentialiste, un sens-ou un dessein divin immanent à l'histoire."·' Comme Habachi le remarque, la révélation nous apprend que si l'homme transcende l'histoire et la dirige c'est que tout l'univers vient d\me transcendance divine et s'oriente vers une transcendance divine. Et voilà qui donne un sens à cette histoire, alors que l'histoire marxiste et le devenir des existentialistes athées conduisent à des impasses qui annulent la signification de l'histoire. (pPT 137) 5. 5 Une Méditerranée au présent Habachi, qui ne confond pas l'observation et la critique en profondeur avec les opinions et les engagelDents partisans, déplore que pour beaucoup, la Méditerranée se réduise finalement à une chimère. nestime en etTet que pour les masses dont l'opinion politique est alimentée par des historiens qui se calfeutrent dans le passé sans voir ses rappoRs avec le présent et par cenains politiciens • qui voudraient fabriquer une Méditerranée nouvelle sans rapport avec le passé [...] parler de pensée méditerranéenne, c'est faire état d'une réalité morte, ensevelie quelque part dans le temps des Phéniciens et des Pharaons, ou peut-être de la pensée hellénique entre le 4ème et le 1er siècle avant Jésus-Christ. Beaucoup ignorent ce que fut le Moyen-Âge méditerranéen du 7ème au 14ème siècle de notre ère, cette longue période où le courant arabe s-: mêlait aux t10ts de l'Hellénisme, du Christianisme et de Byzance, [que] les arabes héritaient de la Grèce par Damas et Bagdad, [et] communiquaient cet héritage à l'Europe naissante, à travers l'Espagne et Cordoue. (pM IV 11-(2) Également influencé par la métaphysique orientale et occidentale, Habachi élabore une réflexion qui affirme une existence tributaire de la divinité dont la transcendance et l'immanence sont une nécessité de l'histoire. Bien qu'elle ne soit pas particulièrement religieuse et qu'elle ne s'accompagne d'aucune velléité de prosélytisme, la pensée de • "René Habachi bases on existentialist premises, a .personalist- philosophy [...) which is able to elicit, better than any other existentialist syste~ a divine meaning or purpose immanent to history'~ (fIIP-FM 359, note 66). 18 • Chapitft 5 122196 Habachi s'appuie sur une conviction théologique en perpétuelle évolution et qu'on peut retracer tout au long de sa vie. Pour lu~ uquel que soit le rythme et l'amplitude [d'une religion] l'imponant est de retrouver l'univers reflété, ramassé par le prisme d'une conscience humaine, vécu spontanément, ou mis en ordre volontairement." (pM 1 Il) Toujours au n0f!1 d'une pensée conçue en we de rappons pacifiques entre les trois monothéismes de Méditerranée, et au risque de déstabiliser cenains esprits, Habachi entreprend de démystifier l'emprise que peut avoir l'image absolutisante d'un Dieu objectivé qui laisse l'homme définitivement résigné. U n'hésite pas, non plus, à dénoncer ceux qui s'inventent un Dieu pour les accommoder. Autrement dit, Dieu est un fait de compensation illusoire. Pour se dédommager de ce dont il s'éprouve manquant, pour se consoler de n'être pas Dieu lui-même, l'homme projette l'image d'un Dieu, reposoir de ses complaisances. [...] ttbomme confère à Dieu la richesse qui lui manque et se laisse tromper par son mirage. Le prenant pour réalité, cela le dispense • de reffort de conquête, et il se résigne à demeurer définitivement appauvri . de ce qu'il a objectivé. (pM IV 27) Cette allusion à l'activité de projection dans le rapport à Dieu renvoie à une théorie bien COMue de la critique de la religion en Occident: celle de Ludwig Feuerbach, dont la radicalité pour tout dire âécevante n'a d'égal que la base logique on ne peut plus conventioMelle. 19 Dans le but de renouveler l'approche du thème de la projection après avoir indiqué que ce que Feuerbach récuse, ce n'est pas tant (a projection que ('objectivation, Boutin cite les paroles de reb Yasri, un des rabbins imaginaires qui peuplent ('oeuvre poétique d'Edmond Jabès, juif de culture française né au Caire en 1912 et décédé à Paris en 1991. Dans le volume 3 de la série «Le Livre des Ressemblances.. paru en 1980 . sous le titre L'ineffaçable L'inaperçu, Reb Yasri ne parle qu'une seule fois pour dire ceci: ..Que Dieu existe ou pas, là n'est pas la question- - avouait reb Yasri, au scandale de son auditoire. • Voir là-dessus M. Boutin, "Dieu et la projection non objectivée. Conséquences de la compréhension de Dieu dans la théologie de Rudolf Bultmann" : LTP 44/2 (juin 1988) 221246. 19 Chapitre 5 113197 • -Si je crois que Dieu existe, cela ne prouve pas Son existence. ·De ne pas y croire, ne prouve nullement qu'Il n'existe point. ·Si nous avons pu imaginer Dieu, c'est que nous sommes capables de le concevoir et de nous abîmer dans notre invention. «Dieu reste au delà, renforcé dans Son mystère et protégé par Son secret. la Et il ajoutait: -Mystère et secret ne sont que distance venigineuse duo mot toléré à un vocable inacceptable-.J' À propos du mot 'vocable', Boutin précise que l'utilisation de ce mot par Jabès, et d'autres mots qui panagent avec -vocable- le sort d'être maintenant relégués dans l'oubli, font partie chez Jabès d'une sorte de stratégie visant à sauver précisément ces mots de l'oubli et à permettre l'intrusion du passé dans le présent. Ces mots apparaissent presque comme des néologismes dans la poésie de Jabès, et ils contribuent selon lui à créer -en quelque sorte la modemité-, puisque -la modernité n'est • pas décelable sans référence à une modernité antérieure".l1 En effet, dit Jabès, "ces mots oubliés sont, pour moi, un «Sésame ouvre-tain. Ils sont un passage dans l'oubli, vers la mémoire reconstituée. Lier ces mots aux mots de notre temps, c'est ne pas laisser s'estomper définitivement le passé. L'avenir porte le poids de tous nos passés. Il n'est donc pas indifférent de savoir de combien de mots oubliés il est fait".u On ne trouve dans aucun des ouvrages de Habachi une tentative du genre de celle mise en oeuvre par Henri Bonnier dans ses Lettres à Nathonaël (paris, Éditions du Rocher, 1996) et qui a pour titre .La ronde de l'alliance-- dans laquelle se dissimuleraient et se révéleraient des visages de Dieu, ou qui substituerait à la Trinité du Christianisme une Trinité des monothéismes dont le Judaïsme représenterait Dieu le Père, le Christianisme le Verbe divin, et l'Islam les lumières de l'Esprit. Habachi ne fait appel à aucune interprétation syncrétique de Dieu ou gnostique de ses visages, et il souscrirait sans doute • ~o E. Jabès, Le Livre des Ressemblances 3. Paris, Gallimard, 1980, 116 p.; p. 31. Cité dans Dno 234. Dno 240 - E. Jabè~ Du désert au livre. Entretiens avec Marcel Cohen, Paris, Beifond, 1981, 173 p.; p. 74. 11 ~1 Du désert au livre, pp. 72-3. • Chapitre 5 /24/98 aux paroles suivantes exprimées par Rudolf Bultmann : "Si nous voulons voir Dieu, la première chose que nous devons nous dire est que nous ne le verrons peut-être pas comme nous l'avons pensé [...] car nous ne pouvons le voir que comme il est réellement".D Habachi sait qu·en Islam, il n'y a pas de place pour l'argumentation théologique si elle concerne le Coran. C'est pourquoi, quand il s'agit de l'Islam, il privilégie le terrain commun de la philosophie. Afin d'illustrer "l'un des drames secrets de la raison, ou de l'homme contre le Dieu des théologies orthodoxes qui voudraient empêcher l'initiative humaine" (pM II 28), Habachi n'hésite pas à évoquer le drame d' Abû'l Hassan "Ali a1Ash'ari, profondément heuné par le rationalisme excessif des docteurs mo'tazilites [groupe dont il fit partie jusqu'à l'âge de 40 ans] dans leur conception de Dieu et du salut humain. La divinité objet de leurs spéculations, n'était-elle pas devenue une abstraction pure, sans relation avec le monde ni avec • l'homme? Quel sens et quelle portée métaphysique ont la connaissance et l'adoration chez l'homme, si tout est déterminé par le simple fait de la causalité dans la création?" (HPI 166) Dans un Islam qui, aujourd'hui, déborde largement les pays arabes, on voit poindre une rivalité fondamentale provoquée par un litige semblable à celui des débuts de l'Islam qui opposait les tenants du Ka/am (révélation) et ceux de la Fa/sa/ah (philosophie). Ce dilemme est vécu de nos jours dans l'opposition entre tradition et modernité. Islam voulant dire soumission dans l'abandon, les théologiens de la tradition coranique, appelés Ah/ a/Kilâb, panisans d'une foi inconditionnelle, soutiennent l'irrévocable primauté de la révélation de l'Islam par un Coran ..incréé- sur toute tentative d'interprétation ou de réinterprétation par la raison humaine. La confrontation initiale en théologie fondamentale islamique demeure jusqu'à aujourd'hui celle entre le libre arbitre et la validité simultanée des principes de la raison et des principes de la foi. Apparentés par la pensée aux dissidents surnommés Mu'tazellites (séparatistes) qui, sous l'influence d'Aristote, se réclamaient de la validité de la raison et de sa non-contradiction avec la • fo~ certains penseurs ou philosophes contemporains maintiennent l'irrévocabilité du libre arbitre, affirmant que 13 Cité par M. Soutin dans LTP 44/2 (juin 1988) 245, note 86. • Chapitre 5 125/99 l'humain ne peut renoncer à la responsabilité de ses actes et que la logique de la raison a sa place en Islam aux côtés de la foi en Allah. Le malentendu contemporain concerne ule phénomène du ..Livre saint révélén" et nOD créé. n demeure fondamentalement le même qu'au début de l'Islam, opposant traditionalistes Iittéralistes et modernistes progressistes. Les premiers refusent toute réinterpétation du Coran adaptée au monde d'aujourd'hui ainsi que tout changement au texte intégral de la Sharï'a dont la mise à jour proposée par les seconds devient une nécessité. Comme l'explique Henri Corbin, la tâch~ première et dernière est de comprendre le sens vrai de ce Livre. Mais le mode de comprendre est conditionné par le mode d'être de celui qui comprend; réciproquement, tout le componement intérieur du croyant dérive de son mode de compréhension. La situation vécue est essentiellement une situation herméneutique, c'est-à-dire la situation où pour le croyant éclôt le sens vrai, lequel du même coup rend son existence vraie. Cette vérité du sens, corrélative de la vérité de l'être, vérité qui est • réeUe, réalité qui est vraie, c'est tout cela qui s'exprime dans un des termesclefs du vocabulaire philosophique: le mot haqiqat. Ce terme de haqiqat désigne, entre autres fonctions multiples, le sens vrai des Révélations divines, c'est-à-dire le sens qui, en étant la vérité, en est l'essence, et par conséquent en est le sens spirituel. D'où l'on peut dire que le phénomène du ..Livre saint révélé- implique une anthropologie propre, voire un type de culture spiritueUe déterminée, et partant aussi postule, en même temps qu'il stimule et oriente, un cenain type de philosophie. Il y a quelque chose de commun dans les problèmes que la recherche du sens vrai en tant que sens spirituel a posés respectivement, en Chrétienté et en Islam, à l'herméneutique de la Bible et à l'herméneutique du Qorân. Mais il y a aussi de profondes différences. Analogies et différences seraient à analyser et à exprimer en termes de structure. (HPI 21-22) Sans traiter explicitement et longuement ces questions de fond, Habachi n'abdique • jamais relativement au fond de la question, même auprès de la philosophie islamique qui "se présente avant tout comme l'oeuvre de penseurs appanenant à une communauté religieuse caractérisée par l'expression coranique, Ahl al-Kitâb" (la famille du livre) (HPI • Chapitre 5 126/100 21). Les conditions existentielles de l'Islam aujourd'hui laissent entrevoir peu de changements quant au respect pour la multiplicité culturelle et religieuse, à moins que ce respect ne s'accompagne d'un réajustement économique pour les peuples concernés. Selon Habachi, il ne s'agit pas seulement, vis-à-vis de 11s1am, de "dévoiler le mystère du -système.., de mettre fin à cette guerre des dieu~ [d'abolir] cette dialectique verbale qui n'intéresse que les philosophes [et] de mettre l'homme à la place de l'ancienne imagerie"; le tout est de savoir si jamais, ce faisant, "on atteint le vrai dieu ou seulement une image délirante de l'homme." (pM IV 32-33) Pour Habachi, le conflit avec le Judaïsme découle de l'engagement pris par Yahweh à l'égard de son peuple il y a plus de 3000 ans et qui se perpétue en donnant lieu à une interprétation qui prête à confusion. Jumeler la croyance judaïque à un État, identifier une foi à une nation, lier un message révélé à la possession d\1n territoire : cette confusion du spirituel et du temporel offene, comme un mirage secourable ou comme la • revendication d\m droit à tous ceux dont le désarroi a aveuglé le regard, par un Occident qu~ lui, a suffisamment évolué pour distinguer spirituel et temporel, est une solution beaucoup trop régressive, beaucoup trop sousévoluée pour ne pas provoquer de désordre dans la conscience des nations. Ce fétichisme d'un Occident qui a dépassé le stade des superstitions est un lapsus de l'histoire. (LeO 1S) Même si, à l'intérieur d'Israël comme dans le Sionisme mondial cette confusion de la terre et du ciel n'est pas prise au sérieux par bien des luifs à la conscience trop civilisée pour ne pas en souffiir, elle gardera la puissance d'un mythe qui détachera toujours plus de masses de leurs patries d'origine, accumulant dans un territoire malgré tout limité, toutes les contradictions favorables à une nouvelle Tour de Babel. (LeO 16) Pour Habachi, "il ne suffisait pas de décrire le faux Dieu et de nommer son vrai • remplaçant, l'homme; encore [fallait-il] tactiquement se servir de l'athéisme pour promouvoir l'élan humain [qui] nous renvoie à une description de la condition humaine" (pM IV 33-34). La teneur d'une pensée où Dieu et l'homme ont en commun l'essence et • • Chapitre 5 127/101 ('existence sans trop tenir compte du mystérieux dépassement de la liberté dans l'histoire, est un débat encore actuel. La réflexion suivante de Habachi exprime à quel point il n'y a plus de dilemme : ou Dieu ou l'homme. Mais Dieu par l'homme et l'homme par Dieu. Philosophiquement, il ny a plus discussion entre l'Immanence et la Transcendance, mais dialogue et altruisme. L'Immanence par la Transcendance et la Transcendance par ('Immanence. Mais nous voici au.seuil de ce qu'on appelle la Révélation. (NeT m S5) Fonement influencé par la métaphysique occidentale, Habachi conserve cependant une affinité avec certains aspects de l'Islam. U reconnaît la transcendance et l'immanence de Dieu comme une nécessité à la fois essentielle et existentielle de ('histoire. Dans un monde où la mobilité est devenue condition de survie, et la multiplicité ethnique, culturelle et religieuse, condition de société, Habachi perçoit qu'il ne s'agit plus seulement de la coexistence pacifique des trois monothéismes en Méditerranée, mais de l'existence, voire de la survie de l'humain au niveau mondial. Son personnalisme de chrétien croyant l'incite • à concilier sa philosophie avec un Islam volontairement plus souple et plus ouvert. Car si l'homme peut se faire sans que Dieu en soit lésé, si Dieu pouvait vouloir la croispnce de l'homme et son renouvellement, comme ('Islam pourrait aujourd'hui y trouver un élan pour se rajeunir, s'ouvrir au libéralisme, s'empêcher de s'assoupir dans un Moyen-Age définitivement dépassé! (pM n 28) La réflexion suivante de Habachi exprime bien à quel point sa profession de foi en l'homme confirme sa foi en Dieu : Si Dieu est, c'est en allant au bout de l'homme que nous pourrions, peutêtre, découvrir sa présence, et aussi qu'il était déjà là dès le premier instant, et sans doute avant le premier instant. Ce fameux dilemme ..Ou Dieu ou l'homme.., je crois qu'il faut le refuser absolument. Dieu et l'homme, ou plutôt Dieu à condition que ('homme atteigne sa pleine stature. Si la liberté • est de Dieu, il y aurait des chances qu'elle nous conduise à Dieu. Si • ('homme est de Dieu, il y a une possibilité que son chemin désigne Dieu. Mais cela, c'est ('avenir qui nous le dira. (CC 72-73) CONCLUSION Dès que l'exercice de la raison agonise, s'annonce en même temps un crépuscule de civilisation. (047) • Selon Habachi, la pensée méditerranéenne est une optique philosophique dont l'objectifest la coexistence pacifique des trois monothéismes. Sa perspective fondamentale est de ne jamais juger, évaluer ou comparer les théologies, les doctrines et les rituels. Son but central est de défier l'absurde qui compromet la survivance du Christianisme en Méditerranée. C'est pour cette raison que Habachi insiste beaucoup sur le lien entre philosophie et théophanie entendue comme manifestation de Dieu. D'après lui, l'absurde surgi de la conscience que nous avons de Dieu se découpe en nous sur la possibilité d'un -transabsurde- qui lui est antérieur et intérieur, puisque c'est au nom de celui-ci et à partir de lui que surgit la conscience de ('absurde. Plus réel que le mal, si ('on peut dire, puisque c'est sur lui que jure le mal. Et lors même que nous n'apprenons sa présence qu'après coup, après avoir plongé dans la nuit de l'absurde, le transabsurde était déjà là, il nous habitait, il n'attendait pour se dire que le battement de • son coeur à l'interrogation de notre liberté. (T (35) L'absurde est pour Habachi "le seul cercle non vicieux parce qu'il se dénoue dans la liberté"; il considère que "l'instinct et la raison" ne sont "autre chose que des étrangJements de la gr,tuité" (T 142). Dans un premier temps, ('absurde du monde est • Conclusion 12/103 transcendé par la liberté. Accomplie dans l'amour, la liberté éclaire le chemin vers la gratuité et marque le transabsurde qui se laisse transgresser par la gratuité. Cette sorte d'exode demeure toutefois à un niveau historique, alors que "si eUe submergeait l'histoire, l'histoire s'éveillerait au grand matin eschatologique" (T 143). "Quand la gratuité sourd dans l'instant, l'instant se fait éternel"; c'est alors que "le temps s'extasierait en son horizon de gloire" (T 143). Venue transcender l'absurde, la liberté fondée dans l'amour s'éclaire et devient la gratuité du jamais w. "Je ne connais pas d'autre révolution" qu~ dans son "déferlement de gratuité", dégage mieux "du chaos la symphonie des ressuscités" (T 143). C'est pourquoi Habachi "ne peut se résigner à une option aussi primaire que : ou bien, ou bien" (pM II 6). S'il ne veut faire fi de l'ambivalence qui l'habite, il indique par ailleurs que l'ambiguïté n'a pas de place dans sa pensée. S'il a conjugué à loisir les rivalités entre l'Orient et l'Occident, s'il a passé de l'existentialisme au personnalisme, s'il a analysé la polarisation entre le communisme et le capitalisme comme les deux religions du 20e siècle aux côtés des trois monothéismes • méditerranéens, c'est pour mieux élaborer une pensée qui s'alimente à des sources variées. Habachi estime qu'un méditerranéen "ne peut sans se trahir, abandonner les sources de la culture occidentale qui demeurent les siennes - par le Christianisme et l'Islam." (pM II 6) Son intuition philosophique reliée à ses croyances religjeuses inspire une foi agissante. La philosophie est "une aventure en suspens dans la stature des aventuriers que nous sommes"(T 130-1), et la foi, une exigence qui s'oriente dans la tension "entre une libené difficile et une grâce à conquérir au prix de sacrifices et de regrets, scandée d'eifons pas toujours réussis" (TdG 93). Pour Habachi, s'engager, c'est assumer d'abord son corps, puis son milieu, et ce milieu plus large qu'est l'histoire, - avec leur poids d'incohérence et d'irrationnel", "tant il est vrai qu'une philosophie ne se sépare pas du philosophe [ni du croyant], étant avant tout méditation sur la vie (TdG 94). Cette méditation est une perpétuelle remise en q\lestion qui l'amène à conclure ceci: "Peut-être me reste-t-il à faire l'effort non seulement de transgresser les murailles de deux philosophies que l'on pense contraires, mais, afin d'y arriver, de me transgresser moi-même. Je cherchais une sécurité, • et c'est l'insécurité qui est ma terre promise." (T 130-1) Habachi réfère à cette insécurité comme à "ce petit drame personnel" qui ne se sépare pas "de situations culturelles et sociales". Tout cela, ajoute-t-il, "alimentait mon expérience de l'absurde qui allait donner le déclic à ma réflexion, comme il est dit dans le • CoadusioD 13/104 -Transgresseur-" (TdG 94). Pourtant, c'est de là seulement que doit surgir de nouveau "cette pensée méditerranéenne endormie depuis quelques siècles, mais qui ne cesse de demeurer notre principale vocation." (pM m Il) Habachi pose à cet égard une question jamais résolue : "Que serait devenue, alors, la vocation humaine dont la croix nous a appris que l'homme égale Dieu?" (QAZ 21) Cette question laissée en suspens dans l'histoire de l'humanité rejoint la radicalité de celle de Zundel quand il demande: "L'homme a-t-il jamais existé?" (QAZ 10) Les variations de l'absurdité existentielle qui accompagnent l'humain dans son cheminement ne sont pas sans stimuler la réflexion de Habachi. Car pour lui, le transabsurde est omniprésent dans la fibre de l'univers, mêlé à l'absurdité qui se trame avec lui sans arriver à l'enfouir. Mais de plus, intérieur et antérieur à la totalité de cet univers brisé, il transcende de toute son intégrité. Transcender c'est rejoindre mais en dépassant, c'est étreindre mais en libérant. (T 135) • Habachi fait rarement une déclaration aussi radicale que celle-ci : "Tout est absurde, donc Dieu est. Le transabsurde est l'un des noms de Dieu" (T 135). "Dans l'éclatement du vitrail est apparue la signature du verrier. Voici le secret qu'implique ma vie, le Dieu à la porte duquel frappait mon acharnement philosophique. S'il existe, ce Transabsurde, slil porte en lui toute la détresse du monde en l'immergeant dans la surabondance qu'il est, alors tout pourrait être sauvé" (T 136). L'absurdité est pour Habachi ''une avarice du monde que seules peuvent guérir ies effiJsions de la transabsurdité", et il n'y a "que le mystère de la gratuité pour combler les abîmes de l'absurde." (T 138) En ce qui a trait aux rapports de sa pensée avec les trois théologies monothéistes, Habachi se tient à l'écart de toute confrontation avec la doctrine officielle. Mais il n'hésite pas à parler aussi des doctrines dès que l'absurde pone atteinte à la gratuitê. C'est ce qui se produit lorsqu'il s'agit de l'absurde subi par le peuple palestinien et que Habachi qualifie de grave parce qu'il y va de la différence entre chrétiens et juifs. ~'La civilisation judéo- chrêtienne est faite d'une continuité pour le Christianisme mais dune rupture pour le • Judaïsme;" "si les chrétiens reconnaissent dans le Christ le Fils de David annoncé par les prophètes de l'Ancien Testament, si le Christ est venu accomplir les Écritures, Israël par contre n'a pas reconnu ce fils dénaturé, - ou sumaturé. Et pour cause" (LeO 19). Or, au lieu de garantir le triomphe à la tribu d'Israël, Jésus révèle à ce peuple qu'il • Conclusion 14/105 n'était élu que parce qu'il détenait un message dUniversalité, et que la souveraineté de l'amour l'effaçait dans la totalité des hommes. Le drame de la croix c'est cela: la fraternité universelle refusée par le particularisme juif: Celui-ci y fut aidé par la puissance de Rome dont le paganisme effarouché par le nouvel ordre spirituel, enjeu de cet afti'ontement, préféra s'en laver les mains. (LeO 19) Par delà la justice encore à inventer, par delà la paix encore à négocier, par delà la pauvreté encore à soulager, seul l'amour de la liberté mène à la gratuité: "L'ordre humain ne commence que là où commence aussi la gratuité" (LeO 21). Le dieu "qui est" (Ex 3) 14) est le «Dieu Esprit- et la promesse du "Dieu Amour-. "Et nous voilà maintenant affi'ontés à l'unité d'un Dieu en qui, parce qu'il est esprit, l'amour est une surabondance de l'être et l'être une communication de l'amour. Et donc d'un Dieu qui, sans contredire le monothéisme antérieur, le submerge dans le mystère de relations trinitaires dont la gratuité est la respiration" (TdG 172). Ceci explique pourquoi le Verbe • est à la fois de l'homme et de Dieu, et comment il incarne ce double mouvement d'expiration et de rédemption. Dans son livre Quatre aspects de Maurice Zundel. Habachi consacre un chapitre à la pensée économique et sociale de Zundel. Le don et la prodigalité envers les démunis qui inspire l'oeuvre de Habachi dans son ensemble rejoint la «spiritualité de solidarité.. zundelieMe qui lui fait dire que "la générosité est une abondance qui lui [la classe pauvre] est souvent défendue. Les pauvres n'ont pas le droit d'être charitables. Maurice Zundel rappone la plainte de la femme pauvre: ceLe grand malheur des pauvres c'est que personne n'a besoin de leur amitiéta" (CC 161). Si la transgression de l'absurde ne s'effectue que dans la gratuité, c'est parce que le transgresseur est celui qui, dans sa transgression de l'absurde, engendre l'histoire telle" une théophanie de la gratuité" (TdG 132). Afin de justifier l'imponance de la gratuité en tant que manifestation de Dieu dans le monde "entrewe toujours avec nos lunettes de philosophe", Habachi réfère à la philosophie en tant que Unécessité intérieure qu'il est inopportun d'abandonner" (TdG Il). Pour lui, il nly a d'autre • choix que celui de "la patience de l'écriture [...avec] d'imprévisibles éclosions. Une phrase est comme un long hiver interrompu soudain de jours de printemps. Il faut veiller alors à la chaleur de ce souvenir pour traverser d'autres hivers. Et l'on ne sait plus si le printemps était d1avant ou d'après. Peut-être est-il de toujours?" (TdG Il) • BIBLIOGRAPHIE Les écrits utilisés dans cette étude sont précédés d'un astérisque. 1. Sources premières: Écrits de René Habachi • 1948 • L'unité de la société humaine, Alexandrie, Société Égyptienne de Droit Intematio~ 28 p. - Conférence du 3 novembre 1948. 1949 Aniveau d'homme. d' Aujourd'hu~ Manifeste d'une génération, Le Caire, Les Cahiers 123 p. Un nouvel âge de civilisation, Le Caire, Les Cahiers d'Aujourd'hui, 107 p. .. Préface de H. Bahgat Badaoui. 1953 Dépassement de l'ahsurde. Le Caire, Les Cahiers d'Aujourd'hui, 2 voL Pouvons-nousfaire l'histoire? Le Caire, Les Cahiers d'Aujourd'hui. 1954 • "La pensée engagée et dégagée au Liban 1954", dans Liban Il ,1971, pp. 1-44. • Bibliographie 12/107 1956 • Vers une pensée médite"anéenne l : philosophie chrétienne, philosophie. musulmane et existentialisme, Beyrouth, Institut de Lettres Orientales, 87 p. • Simone de Beauvoir et "Le deuxième sexe". J - L'homme, en accusation; 2 - La femme: essence intègre, eristence brisée, [Les Conférences du Cénacle libanais 10 - n° 1] (janvier 1956), Beyrouth, Cénacle Libanais, 61p. 1957 • La recherche de la personne à travers l'expérience philosophique de Maine de Biran, Beyrouth, Publications de l'Université Libanaise, 126 p. - Thèse de doctorat, Faculté des Lettres, Université de Grenoble, 1939, sous la direction de Jacques Chevalier. • Ba 'ath 'ann AI..sha 'khseyyaji Taggroubât Mayne di Birane AI-Faylasseyyah, li Reneh Habachi, - version arabe de La recherche de la personne à travers l'expérience philosophique de Maine de Biran, Beyrouth, Publications de l'Université Libanaise, 126 p. • Vers une pensée médite"anéenne 2 : philosophie chrétienne, philosophie musulmane et existentialisme, Beyrouth, Institut de Lettres Orientales, 151 p. Poésie et philosophie : Claudel, fils de Rimbaud?, suivi de Court traité du démon en poésie, Beyrouth, Cénacle Libanais, 87 p. UCrise de la jeunesse libanaise 1957", dans Lihan 1 ,1970, pp. 1·35. 1958 ULa jeunesse libanaise devant sa révolution 1955", Liban /, 1970, pp. 37-S0. • • • 1959 Vers une pensée médite"anéenne 3 : philosophie chrétienne, philosophie musulmane el existentialisme, Beyrouth, Institut de Lettres Orientales, 1959, 204 p.• Recensé par Maurice Cortez: RT 69/3 (1969) 482-3. Notre civilisation au tournant!. Beyrouth, Cénacle Libanais, 61 p.; - pp. 7-33 : uTrois attitudes révolutionnaires: l'anarchiste, le partisan, le témoin - laquene est créatrice?" (conférence du 8 déc. 1958); - pp. 35-61 : ULajeunesse libanaise devant sa révolution - une nouvene charte de jeunesse est-elle possible?" (conférence du 15 déc. 1958). • Bibliographie 13/108 • Notre civilisation au tournant Il, Beyrou~ Cénacle Libanais, 58 p; - pp. 7-29 : "Proche-Orient et culture - quelle voie pouvons-nous prendre pour nous constituer une culture originale?" (conférence du 22 déc. 1958); - pp. 3 1-58 : "Nationalisme et marxisme chez les arabes - impasse ou issue vers le progrès?" (conférence du Il jan. 1959). • Notre civilisation au tournant III, Beyrou~ Cénacle Libanais, 88 p. - pp.7-31 : "La montée de l'athéisme en Orient et le problème de Dieu" (conférence du 9 mars 1959); - pp. 33-59 : "Comment l'Islam et le Christianisme p-euvent-ils se mettre au service de notre civilisation?" • (conférence du 23 mars 1959); - pp. 61-88 : "Comment entreprendre la révolution de la cité temporeUe par les principes spirituels au ProcheOrient?" (conférence du 23 avril 1959).... Version arabe de Notre civilisation au tournant, vol 1-3, voir 1960, réédition, voir 1969. "Un dynamisme culturel unifié", dans Liban 1. 1970, pp. 81-127. 1960 • • Vers une pensée médite"anéenne -1 : philosophie chrétienne. philosophie musulmane et marxisme, Beyrou~ Institut de Lettres Orientales, 197 p. • Une philosophie pour notre temps [ Les Conférences du Cénacle, 14 - n° 9 -12], Beyrouth, Cénacle Libanais, 138 p. Hadaratouna a71a AI-Muftaraq, Beyrouth, Cénacle Libanais, 259 p. ... version arabe de Notre civilisation au tournant, vol. 1-3 (1959). 1961 Liban 61 [Les Conférences du Cénacle, 15], Beyrouth, Cénacle Libanais, 91 p. - Aussi dans Lihan Il. 1971, pp. 45-98. 1962 "L'absurde et le Sannine", dans Lihan Il, 1971, pp. 99-148. 1963 La Colonne brisée de Baalheclc. 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