LECTURES ACTUELLES

publicité
LECTURES ACTUELLES
D'œUVRES DE BALZAC
http://www.librairieharmattan.com
diffusion. harmattan @wanadoo.fr
harmattan! @wanadoo.fr
~ L'Harmattan, 2006
ISBN: 2-7475-9987-6
EAN : 9782747599870
Sous la direction de
Nicole RalTIognino
LECTURES ACTUELLES
D'œUVRES
DE BALZAC
Livre réel, livres possibles,
monde commun
VOLUME 2
L'Harmattan
5-7, me de l'École-Polytechnique; 75005 Paris
FRANCE
L'Hannattan Hongrie
Konyvesbolt
Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest
Espace
L'Harmattan
Fac..des
Sc. Sociales,
BP243,
Université
Kinshasa
Pol. et Adm. ;
10124 Torino
KIN XI
de Kinshasa
L'Harmattan Italia
Via Degli Artisti, 15
- RDC
ITALIE
L'Harmattan Burkina Faso
1200 logements villa 96
12B2260
Ouagadougou 12
Collection Logiques Sociales
fondée par Dominique Desjeux
dirigée par Bruno Péquignot
Série Littérature et Société
dirigée par Florent Gaudez
Au-delà de la seule analyse interne du texte littéraire et de la stricte
étude de ses conditions externes de production et de circulation, le
paradigme des recherches "littéraires" gagnerait à s'ouvrir davantage
aux déterminants humains dans les processus littéraires, tandis que les
dimensions sociales des productions symboliques, en l'occurrence ici
littéraires, mériteraient une meilleure prise en compte par les
protocoles sociologiques.
Considérant la littérature comme un fait social total susceptible de
faire progresser le raisonnement sociologique, cette série se donne
ainsi comme objectif de valoriser la complémentarité des approches
"littéraire" et sociologique.
Elle est donc destinée à accueillir tant les approches
socioanthropologiques ouvertes sur le questionnement de la littérature,
que les approches littéraires à forte ouverture socioanthropologique,
en se fondant sur le postulat selon lequel la littérature est un véritable
processus de connaissance humaine et sociale et qu'il existe entre
l'activité de raconter une histoire et le caractère temporel de
l'expérience humaine une corrélation qui n'est pas purement
accidentelle, mais présente une forme de nécessité transculturelle.
Dernières parutions
Jacques LEENHARDT, Pierre JOZ8A, Lire la lecture. Essai de
sociologie de la lecture, 1999.
Pierre V. ZIMA, Pour une sociologie du texte littéraire, 2000.
Pierre V. ZIMA, Manuel de sociocritique, 2000.
Pierre V. ZIMA, L'ambivalence romanesque. Proust Kafka, Musil,
2002.
À paraître
Florent GAUDEZ (dir.), Texte littéraire et Sociologie, 2004.
Pierre V. ZIMA, L'indifférence romanesque. Sartre, Camus, Moravia,
2004.
La pensée littéraire ne se prête pas aux épreuves empiriques ou
logiques, certes, mais elle met en branle notre appareil
d'interprétation symbolique, notre capacité d'association, dont
les mouvements, les répercussions, les ondes de choc se
poursuivent longtemps après le contact initial; elle le fait par
un usage évocateur des mots et par le recours aux histoires,
aux exemples, aux cas particuliers. En ce sens, les œuvres sont
plus intelligentes que leurs auteurs et les interprétations que
nous en donnons que nous-mêmes. Enfin les œuvres littéraires
ont l'avantage de s'adresser à tous, donc de rechercher la plus
grande intelligibilité.
Avant-propos
Ramognino Nicole
Université de Provence-LAMES
Dans le premier volume, nous avons présenté notre
approche de la littérature et de la lecture, sur les plans à la
fois théorique et méthodologique. Sur le premier, nous avons
admis qu'une perspective spécifique de la littérature comme
objet sociologique appelait de faire l'analyse des trois
moments qui composent « un procès littéraire », celui de la
« production », celui de l'œuvre et celui de la réception et
par conséquent de l'activité de lecture. Il s'agissait, pour
nous, de renoncer aux découpages classiques donnés
empiriquement, découpages qui relèvent d'une problématique de la communication, et qui autorisent l'analyse
séparée de ces trois moments. Ce découpage a permis de
diviser les études en trois types de sociologie: la sociologie
du champ littéraire, la sociologie des œuvres et la sociologie
de la réception. Or, pour nous, le découpage en question
renvoie l'analyste à des enquêtes et à des méthodologies qui
interdisent de saisir en quoi la littérature peut être pensée
comme un procès social, procès social, qui met en œuvre
9
dans un premier temps, un premier rapport social, médiatisé
par l'ouvrage ou l'œuvre, l'interaction auteur/lecteurs.
On pourrait croire, à ce moment de notre présentation, que
nous sommes toujours, sinon plus que jamais, sous le régime
du paradigme de la communication. Avant d'avancer
d'autres arguments, examinons les conséquences analytiques
autorisées par la théorie de la communication et de
l'information: le découpage d'un procès social en pôles
relativement autonomes que sont l'émetteur et le récepteur.
Ces pôles sont définis par des propriétés, l'émetteur a un
message qu'il transmet à un récepteur qui, lui-même, le
reçoit avec plus ou moins de réussite, en fonction de
l'ambiguïté ou de l'ambivalence du message, et des bruits
qui rendent plus ou moins performant le canal de
transmission. On peut aussi admettre que le récepteur
connaît d'autres propriétés, comme sa biographie et son
histoire, transposées en autant de dispositions, qui vont lui
donner la capacité de sélectionner certaines informations
plutôt que d'autres. D'où, bien sûr, le problème des
« malentendus» entre les partenaires émetteur et récepteur
de la communication. Le paradigme de la communication
semble suffisamment complet pour rendre compte des
phénomènes caractérisés par l'information et la formation
symbolique, et il semble satisfaire suffisamment les exigences de l'analyse lorsqu'on l'applique à la nature de la
relation littéraire.
Cependant, les chercheurs sont aussitôt confrontés à un
certain nombre de difficultés d'enquêtes et de méthodes dès
lors qu'ils tentent de suivre ce schéma. Déjà, du côté du
champ littéraire, les recherches menées par Pierre Bourdieu
et par les chercheurs qui l'entouraient montrent à l'évidence
que l'auteur n'est pas un être isolé et autonome, et qu'il est
entouré d'un certain nombre d'acteurs (les éditeurs, les
critiques, les autres auteurs, les entrants dans le champ, ceux
10
qui sont en position dominante, etc.). Il est alors difficile de
voir quelle est la part de son autonomie, et la « clarté» ou
l'évidence de son message et de son œuvre semblent
particulièrement brouillées. De plus, si l'on examine un peu
plus le travail du seul auteur, et le rapport que ce dernier
entretient avec son œuvre, on peut, sans surinterpréter, saisir
que l'auteur écrit, réécrit et rature, que le travail sur la
langue qu'il effectue pour « transmettre» son message dans
l'œuvre écrite semble relever d'une approche par essais et
d'erreurs. Le cas de Balzac est particulièrement frappant de
ce point de vue. Pour Le colonel Chabert, l'auteur a non
seulement raturé, corrigé mais publié plusieurs versions
relativement différentes de l'ouvrage. D'une publication à
l'autre, des changements plus ou moins importants ont été
opérés, comme le chapitre 3 du tome Il'a déjà montré. Dans
ce tome 2, Joëlle Gleize revient sur les transformations
opérées par Balzac et elle les met en relation avec différentes
lectures de la population enquêtée, comme si celle-ci qui,
pourtant, ne connaît que la dernière version, était capable d'y
déceler des éléments des premières versions. Nous
reviendrons sur cette énigme de la lecture. Il semble que
Balzac était coutumier de ce travail de réécriture et qu'on
puisse ainsi le considérer comme son premier lecteur.
On peut également voir à partir du chapitre que Fabienne
Soldini a réalisé, à propos de La peau de chagrin, comment
l'intégration ultérieure de l'ouvrage dans La comédie
humaine transforme peu à peu un conte en roman. Ici aussi,
la population enquêtée donne sens aux personnages selon
qu'elle lit le texte comme un conte fantastique ou comme un
roman. Nous voulons pointer combien il est difficile, pour
un chercheur, de connaître en quelque sorte l'intentio
auctoris, tant l'œuvre reste marquée par son ouverture et sa
complexité qui interdisent toute interprétation sur le message
ou sur l'intention de l'auteur, à moins de concevoir ce
Il
dernier selon un Modèle d'auteur, comme celui que les
critiques littéraires mettent en œuvre, à partir d'un roman par
exemple: un Auteur Modèle comme ils mettent en scène
également, à partir de l' œuvre même, un Lecteur Modèle.
Le deuxième pôle, autonomisé aussi par le schéma de la
communication, le récepteur peut-il être mieux connu?
Certainement, et les enquêtes de sociologie de la réception
ont permis de qualifier et de caractériser un certain nombre
d'acteurs lecteurs. Le problème vient de ce que ces enquêtes
soit les perçoivent comme des consommateurs de livres, soit
les reconnaissent à partir des catégories analytiques et
classificatrices de la théorie de la légitimité culturelle. Nous
glissons subrepticement ainsi de l'analyse du procès
littéraire à une analyse de la consommation ou à une analyse
de la distinction sociale, et on abandonne alors le volet
spécifiquement littéraire de l'activité. Or pour le récepteur,
participer à l'activité littéraire consiste à lire l'ouvrage, et
c'est sur ce point qu'il manque au paradigme de la communication une propriété centrale: écrire une œuvre pour
l'auteur et lire une œuvre pour le lecteur ne consistent pas en
une transmission d'un message de l'un à l'autre: de fait ce
sont des activités orientées l'une vers l'autre et coordonnées
pour instruire un procès social de donation de sens, un
procès de problématisation du monde réel par l'ouverture à
des mondes possibles, mondes possibles, coconstruits dans
l' interaction.
Le chapitre 3 du premier tome a pu mettre en valeur, par
une confrontation discutée entre des lectures savantes de
critiques littéraires et deux lectures sociologiques du Colonel
Chabert, cette ouverture à des mondes contrefactuels, et les
échos que l'on pouvait en lire dans les réponses de la
population enquêtée. Dans les chapitres 3 et 4 de ce volume,
nous avons décidé de mettre au jour des lectures ordinaires
de la population enquêtée. Celles-ci ne sont pas de simples
12
réceptions d'un message unique, cohérent ou homogène.
Elles se présentent comme autant d'opérations cognitives et
émotives, répondant aux questionnements de nos lecteurs sur
leur monde, l'œuvre jouant alors le rôle d'épreuve
contrefactuelle pour raisonner, comparer et expliquer le
monde que les lecteurs habitent. Anne-Marie Mot, dans le
chapitre 4, à propos de La peau de chagrin, interroge le
rapport amoureux comme une base possible contrefactuelle
d'analyse des relations sociales. Nicole Ramognino, dans le
chapitre 3, à propos du Colonel Chabert, montre comment
les lecteurs mettent en scène le scandale de la violence et de
l'injustice dans les rapports sociaux, à l'aide des ressources
dont ils disposent (des topoï) et comment ils participent de la
production de nouveaux modèles de compréhension et
d'appréhension 1.
1 L'ensemble de la réflexion théorique et méthodologique est présenté
dans les chapitres 1 et 2 du premier tome. Nous nous permettons de
conseiller aux lecteurs de s'y référer s'ils veulent en savoir plus à ce
propos.
13
Les livres possibles et
la matérialité de l' œuvre
La coconstruction du procès littéraire
Cette partie de l'ouvrage est composée de deux textes, le
premier portant sur Le colonel Chabert, le second sur La
peau de chagrin. L'éclairage que nous tentons d'apporter ici
concerne essentiellement les relations qui se constituent
entre les lecteurs et la matérialité de l' œuvre, faite de traces
qui sont autant de signes que les lecteurs réels peuvent
interpréter, sinon «librement»
du moins selon leurs
encyclopédies propres et leurs intentionnalités. Il fallait
cependant prendre acte de deux questionnements
théoriques:
-la question du « lector infabula », selon l'expression de
u. Eco, à savoir le lecteur inscrit dans l'œuvre, ce qui a
conduit J. Gleize à présenter la manière dont la critique
littéraire intègre le lecteur dans l'analyse littéraire et à
considérer les lectures en fonction des «traces» des livres
possibles, inscrites dans la matérialité de l' œuvre considérée,
dans ce cas Le colonel Chabert. F. Soldini a choisi de voir
comment le conte, devenu roman, introduit à des lectures
multiples de La peau de chagrin.
- La question de la création, d'une part comme un procès
qui se constitue en moments successifs, ce qui conduit
nécessairement à penser l'auteur non seulement comme
créateur mais également comme son propre lecteur-réviseur
ou rewriter. On conçoit ainsi l'œuvre comme un procès de
travail esthétique, dans lequel le lecteur est toujours déjà là,
présent, dès l'acte de création; d'autre part, la considération
de l'œuvre comme une «entité », une matérialité non
seulement complexe mais hétérogène, dans laquelle les
lecteurs réels puisent et sélectionnent des «traces» qu'ils
recomposent en autant de livres possibles, à la manière de
l'auteur lui-même qui a hésité entre plusieurs livres et
composé une œuvre, non seulement ouverte mais nécessairement plurielle.
17
Chapitre 1
Auteur, lecteurs et livres possibles
Joëlle Gleize
Université de Provence
1.1. La
littéraire
place
du
lecteur
dans
la recherche
Dans le champ de la recherche en littérature, les travaux
sur le lecteur du texte littéraire, très abondants depuis les
années 1980, présentent, pour la plupart, la particularité
d'exclure la prise en compte du lecteur empirique, des
lecteurs réels, historiquement et sociologiquement situés, et
de se fonder sur une étude immanente. On peut s'en étonner
dans la mesure où l'émergence de la question du lecteur et
de la lecture dans le débat théorique paraît au premier abord
directement liée à la critique du structuralisme et de la notion
de clôture du texte. Elle implique en effet un dépassement de
la problématique structurale stricte, puisqu'elle suppose,
dans la continuité des travaux de Benveniste, de prendre en
compte la situation d'énonciation et qu'elle se voit
renforcée, dans les années 1980, par les recherches
linguistiques de la pragmatique aussi bien que par les
recherches littéraires sur la polyphonie.
Il faut cependant rappeler, pour comprendre cette
méfiance à l'égard des lecteurs empiriques, que l'avènement
du lecteur s'amorce dès le moment où le règne de l'auteur se
19
voit contesté. Dans la conclusion de son célèbre article « La
mort de l'auteur », en 1968, dont on peut considérer qu'il
relève encore de sa période « structuraliste », R. Barthes lie
en effet la mort de l'un à la naissance de l'autre.
«Ainsi se dévoile l'être total de l'écriture: un texte est fait
d'écritures multiples, issues de plusieurs cultures et qui entrent les
unes avec les autres en dialogue, en parodie, en contestation;
mais il y a un lieu où cette multiplicité se rassemble, et ce lieu, ce
n'est pas l'auteur, comme on l'a dit jusqu'à présent, c'est le
lecteur: le lecteur est l'espace même où s'inscrivent, sans
qu'aucune ne se perde, toutes les citations dont est faite une
écriture; l'unité d'un texte n'est pas dans son origine mais dans
sa destination, mais cette destination ne peut plus être
personnelle; le lecteur est un homme sans histoire, sans
biographie, sans psychologie; il est seulement ce quelqu'un qui
tient rassemblées dans un même champ toutes les traces dont est
constitué l'écrit».
Dès cette « naissance» théorique2, le lecteur se voit ainsi
doublement caractérisé: tout d'abord par le fait que sa
conceptualisation se fait dans une étroite dépendance de
celle de l'auteur; il faut en effet que celui-ci ne soit plus
envisagé comme personne et comme origine unique du sens
pour qu'on ne se donne plus pour seul objectif la
reconstruction de l'intention de l'auteur et pour que le
lecteur puisse être pensé.
Ce lecteur est en outre - et c'est le plus important icicaractérisé par son abstraction: c'est un destinataire aussi
dépourvu de « passions, humeurs, sentiments, impressions»
que le « scripteur» qui vient remplacer l'auteur. Défini en
termes d'espace, il est la condition de constitution et de
rassemblement possibles des écritures multiples qui
2
A vrai dire, il en est d'autres, par exemple celle que désigne U. Eco dans
Les Limites de l'interprétation: l'ouvrage de Wayne Booth, The Rhetoric
of Fiction, en 1961.
20
constituent le texte pour R. Barthes. L'unité et la cohérence
se déplacent ainsi, paradoxalement, de l'origine du texte à sa
destination, ce qui implique de penser le lecteur comme
condition de possibilité, abstraction faite de toute donnée
empirique. Cette caractérisation abstraite découle de la
définition structurale du texte qui « n'a d'autre origine que le
langage lui-même ».
Il semble en effet qu'il soit difficile de penser
théoriquement le lecteur hors de cette abstraction. Non qu'on
ne puisse le théoriser hors d'une conception structuraliste du
texte, mais en raison de la difficulté à maîtriser l'ensemble
des composantes de l'acte de lire ainsi que la multiplicité et
la diversité des lecteurs et des lectures réelles possibles.
La prise en compte du lecteur dans la recherche en
littérature a évolué de façon remarquable. Dans les dernières
décennies, on a assisté à une prolifération d'analyses du
lecteur inscrit dans l' œuvre: lecteur implicite, virtuel,
modèle, etc. C'est presque un lieu commun désormais pour
les « littéraires» : le pôle du lecteur est essentiel à l'accomplissement de l'acte littéraire, le texte ne s'achève, ne se
concrétise que dans l'acte de lecture, et la présence du
lecteur est toujours plus ou moins manifeste dans le texte.
Depuis longtemps, l'acte de lire n'est plus considéré comme
un acte passif, une paresseuse distraction, mais comme une
activité d'une complexité telle que son analyse mobilise
plusieurs sciences humaines: psychologie cognitive, sémiotique, herméneutique, sociologie. La proposition - selon
laquelle « l'œuvre n'est pas un message qui transmettrait un
sens défini de l'auteur à l'interprète: elle est production de
sens multiples qui naissent des interactions et des relations
entre les pôles qui la constituent» (Molino, 1984, 366)-,
proposition qui nécessitait démonstration en 1980, est
désormais un postulat reconnu par la plupart des chercheurs.
21
On peut cependant s'interroger sur la manière dont cette
«production de sens multiples» est prise en compte. Le
constat que dressait dans l'article cité précédemment
J. Molina, il y a presque vingt ans, reste encore valable « la
réception de l' œuvre est "laissée" à la sociologie ou à la
psychologie, dès qu'elle passe les bornes de ce qui est admis
ou acceptable pour les spécialistes: "[...] on refusera de
s'intéresser à la réalité quotidienne de la réception"»
(Molina, 1984, 364). De fait, la plupart des travaux concernent la place ménagée au lecteur virtuel dans le texte, et se
fondent sur une lecture critique ou littéraire, celle dont
U. Eco dit qu'elle actualise toutes les virtualités du texte. Or
il suffit d'être attentif à la manière dont les textes littéraires
eux-mêmes représentent la lecture pour comprendre combien
peut être réductrice une telle conception, qui ne se fonde que
sur l'étude du texte littéraire lui-même. Les lectures
représentées dans les textes romanesques sont des comportements, des actes dont la fin n'est pas la juste compréhension
de l' œuvre mais son appropriation, son utilisation, au sens
où l'entend U. Eco: le personnage lecteur ne tient compte le
plus souvent ni des intentions de l'auteur, ni d'aucune norme
de lecture, mais de ses propres motivations.
Au moment
d'aborder
ce parcours
forcément
simplificateur parmi des analyses nombreuses et riches, on
reprendra, comme une mise en garde, la description de
l'activité lectrice telle que la proposait J. Leenhardt, dans un
article d'un des premiers numéros de revue littéraire
consacrés à la réception, la Revue des Sciences humaines:
« La lecture est une activité qui implique tous les niveaux de la
culture: I. Elle met en jeu la connaissance antérieure ou acquise
de l'univers référentiel, de la problématique, et de la fable du
livre. II. Elle met en jeu les codes de lecture hérités de la tradition
littéraire, induits par le texte et cultivés dans le groupe social. III.
22
Téléchargement