L`absence de la contraception d`urgence, "pilule du lendemain

Santé-MAG N°32 - Septembre 2014
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Labsence de la contraception
d’urgence, "pilule du lendemain",
dans les centres de santé
est une anomalie, à mon sens
Pr Mourad Derguini*, à Santé Mag,
Santé Mag: Quels sont les moyens contra-
ceptifs disponibles, en Algérie ?
Pr Mourad Derguini: EEn Algérie, nous
avons à disposition tous les moyens
contraceptifs. On peut citer les méthodes
barrières qui sont les préservatifs, chez
l’homme et les préservatifs féminins,
capes et diaphragmes. Il, existe, égale-
ment, des méthodes chimiques, appli-
cations locales de produits spermicides
(ovules, crèmes, éponges…).
Des méthodes naturelles sont utilisées,
aussi, telles que la méthode Ogino, qui
consiste à déterminer la période fertile
dans le cycle et à s’abstenir d’avoir des
rapports pendant cette durée; mais, il
reste que cette méthode est approxima-
tive. On peut citer, en outre, parmi ces
méthodes, le coït interrompu et la MAMA,
qui est la méthode de l’allaitement ma-
ternel et de l’aménorrhée, procédé e-
cace, si on respecte certaines conditions
très importantes; c'est-à-dire: aménor-
rhée complète, allaitement maternel ex-
clusif, pendant 6 mois, avec 6 tétées par
jour. Mais, après ces délais, les ovulations
reviennent et même si la femme est en
aménorrhée, une grossesse peut survenir.
En plus de ces méthodes naturelles, il
ya les méthodes hormonales, appelées
pilules contraceptives, les dispositifs
intra-utérins, ou le stérilet, l’anneau vagi-
nal (NUVARING), l’implant contraceptif
(IMPLANON NXT), qui se présente sous
forme d’un petit bâtonnet très discret, de
la taille d’une allumette, qu’un médecin
averti insère, à l’aide d’un applicateur, au
niveau du bras, après une petite anesthé-
sie locale et dont la durée de validité est
de 3 ans.
On peut procéder, également, à la liga-
ture des trompes, recours à la stérilisation
définitive, qui se fait chez nous; mais, uni-
quement dans le cas la grossesse est
contre indiquée, dans certaines patholo-
gies lourdes. Nous évitons de faire des
stérilisations définitives, sur demande de
la patiente, même qui a plusieurs enfants,
cette ligature étant considérée comme
une mutilation.
Enfin, le seul moyen dont on ne dispose
pas, c’est ce qu’on appelle le procédé
Essure, qui est une technique de pointe.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la
technique «Essure» ?
C’est une technique de stérilisation hys-
téroscopique. Il faut, donc, peser les indi-
cations auparavant, car cette chirurgie
est irréversible et ne s’adresse qu’à des
femmes dont toute grossesse est à pros-
crire. Néanmoins, en cas de grossesse,
Le professeur Mourad Derguini, chef du service de gynécologie, au CHU de Kouba ( Alger), nous parle des moyens contraceptifs.
Ecoutons ses précieux conseils qu’autorise sa compétence, reconnue même hors de nos frontières et qui n’a d’égale que son
franc-parler et son humilité; car, son métier est, pour lui, un véritable sacerdoce.
Après une présentation de tous les modes contraception, son souhait, justifié de tous points de vue, va vers le stérilet et l’im-
plant. Par ailleurs, il déplore, profondément, l’absence de la pilule «du lendemain» dans les centres de santé, dont l’utilité n’est
plus à démontrer et dont il rappelle, néanmoins, l’importance, car la détresse de certaines femmes pose un problème exis-
tentiel. C’est d’autant plus vrai qu’il ne faut pas ajouter de la misère à la misère. Au demeurant, quand le professeur parle, il
importe d’y prêter la plus grande attention.
Propos recueillis par Tanina Ait
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nous sommes obligés de faire une inter-
ruption thérapeutique. On est limités,
pour procéder à la ligature des trompes,
chez des femmes qui sourent d’une pa-
thologie lourde, cardiopathie complexe
par exemple, qui fait qu’on ne peut pas
pratiquer de cœlioscopie, ni de chirurgie
abdominale. Il existe, alors, cette méthode
de pointe et nous sommes, ici, à l’hôpital
de Kouba et moi, personnellement, par
le biais d’un projet de recherche, en train
d’essayer de tout faire; aussi bien auprès
des instances dirigeantes du ministère de
la Santé qu’avec le laboratoire concerné,
pour l’introduction de ce procédé, en
Algérie, la méthode Essure. Elle consiste
à introduire par les voies naturelles; c’est-
à-dire, par le vagin, un endoscope jusqu’à
l’utérus et à l’aide d’un système, il sera
placé des petits cônes métalliques au ni-
veau des orifices tubaires. Autrement dit,
on place un cône sur l’orifice droit et un
autre sur le gauche et ainsi, ce système
va boucher les trompes. Par la suite, ces
cônes vont créer une réaction locale in-
flammatoire et au bout de deux ou trois
mois, la stérilisation est définitive. Cette
méthode se pratique sans anesthésie
locale, sans même une analgésie.
Quelle est la méthode contraceptive la
plus utilisée, chez la femme algérienne ?
C’est, de loin, la contraception par voie
orale. Environ, 60 à 65% des femmes sont
sous contraception par la pilule œstro-
progestative.
Malheureusement et personnellement,
je considère comme un drame la désaf-
fection pour le stérilet. En eet, le stérilet
est une excellente méthode, particulière-
ment adaptée à notre pays. Le stérilet
hormonal coûte un peu cher, mais il a
une double action: il met sous contracep-
tion et traite, également, des pathologies
gynécologiques, comme les hémorragies
fonctionnelles. Par ailleurs, II permet
d’éviter, chez certaines femmes, l’hysté-
rectomie, qui est une chirurgie lourde.
Or, le stérilet en cuivre ne coûte que 300
dinars et sa durée est de 5 ans de contra-
ception et un stérilet, lorsqu’il est bien
posé, avec un minimum de surveillance,
cela se passe, toujours, très bien et il est
très fiable. Malheureusement, encore une
fois, en Algérie, il a une très mauvaise ré-
putation, puisque il est utilisé à moins de
3%, selon les derniers chires que nous
détenons. A titre comparatif, au Maroc,
le stérilet est utilisé à, environ, 15%; en
Tunisie, à près de 35%. Ces pays sont plus
directifs. Ainsi, lorsqu’une patiente se
présente dans un centre de santé, pour
demander une contraception, qui est,
d’ailleurs, assurée gratuitement, comme
chez nous, on lui indique et on lui pose
un stérilet. Il est à rappeler, également,
que ce mode de contraception est le plus
répandu dans le monde. Si on prend les
méthodes naturelles, la MAMA qui est
utilisée à 4%, la méthode du coït inter-
rompu à 4 ou 5%, avec la méthode des
calculs qui est de 5%, le tout on est à 15%,
alors que la pilule œstro-progestative est
à 65% et le stérilet à moins de 3%.
On a, souvent, entendu parler d’une sur-
venue de grossesse, chez une femme à
qui on a posé un stérilet et même, par-
fois, une cause d’infection. Qu’en dites-
vous, professeur ?
Il y a eu, souvent, malheureusement des
accidents; c'est-à-dire, des grossesses sur
stérilet. Ceci peut arriver, eectivement,
mais c’est, toujours, de la faute du prati-
cien et pratiquement, jamais de la faute
du stérilet. C'est-à-dire qu’un stérilet mal
posé ne va pas remplir sa fonction. Il va,
donc, y avoir une grossesse sur stérilet
et ceci, au bout de quelques mois. On ne
dira jamais que c’est de la faute de celui
qui l’a posé, mais que c’est de la faute du
stérilet; ce qui est loin d’être la réalité.
Pour les infections, si le stérilet est placé
sur un col propre, en respectant les indi-
cations, il ne sera jamais source d’infec-
tion. Ces raisons, entre-autres, font que le
stérilet à une mauvaise réputation.
Comment choisir sa pilule ?
On ne choisit pas sa pilule et c’est là le
problème. La pilule est un médicament.
Ce sont des hormones: soit des œstro-
gènes et de la progestérone dans la pi-
lule, soit de la progestérone pure.
Ce sont, donc, des médicaments à déli-
vrer sous prescription médicale, avec un
suivi régulier. C’est pourquoi il y a lieu de
consulter, impérativement, le gynéco-
logue avant toute contraception orale.
Aussi, il faut, tout d’abord, soumettre
la personne à des examens, lesquels ne
sont pas, souvent, eectués, malheureu-
sement. Il importe de surveiller la tension
artérielle et s’enquérir de l’état patholo-
gique de la femme concernée, pour voir
si elle ne soure pas de diabète, de car-
diopathie, ou autres maladies.
Si ces précautions ne sont pas observées
avant toute prise de la pilule, c’est la porte
ouverte à des accidents thromboembo-
liques. Toujours est-il que la nature de
la pilule et le dosage y aérant, relèvent
des compétences du gynécologue et à la
lumière des résultats des examens médi-
caux.
Quelles sont les pilules à proscrire, chez
la femme ayant des antécédents throm-
boemboliques ?
Le gros risque de la contraception œs-
tro-progestative chez la femme est, jus-
tement, le risque thromboembolique;
c'est-à-dire, faire des caillots au niveau
des veines, qui peuvent fuser au niveau
des poumons et provoquer une embolie
pulmonaire, ou vers le cerveau et donner
un accident vasculaire cérébral, etc... Ce
risque thrombotique est augmenté dans
certaines circonstances pathologiques.
Par ailleurs, il y a des femmes qui ont des
anomalies de la coagulation et qui ne le
savent pas. Je citerai un exemple: le scan-
dale qui s’est produit en Europe, où une
femme a fait un accident vasculaire avec
d’importantes séquelles et ce, après avoir
pris la pilule, car elle ignorait son anoma-
lie congénitale de la coagulation.
De ce fait pouvez-vous, justement, nous
dire un mot sur Diane 35 ?
Diane 35 n’est pas une pilule contracep-
tive, mais un médicament anti-acnéique
et elle n’a l’autorisation de mise sur le
marché que pour le traitement de ce pro-
blème cutané; mais la Diane 35 possède
également un eet contraceptif.
Cependant, prescrire cette hormone, à
titre contraceptif, pendant une longue
période, ne doit pas se faire et de toute
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façon, elle n’a pas l’autorisation de mise
sur le marché, pour cet usage. En re-
vanche, lorsqu’on veut un eet contra-
ceptif et qu’on doit traiter une hyper-
androgénie, de l’acné, la Diane 35 est le
produit idéal.
Au demeurant, il existe certaines cir-
constances, comme les thrombophilies
congénitales, ou acquises, qui sont des
anomalies de la coagulation, qui rendent
très sensibles à la formation des caillots,
avec des accidents possibles. Ceci dit, j’in-
siste sur ce point important: des examens
sont à faire avant de prescrire une contra-
ception, car il y a des femmes à risque à
qui on ne prescrit pas d’œstrogène, mais
une pilule progestative pure, Cerazette
par exemple, qui est prescrite dans la
période la plus risquée des thromboses,
qui est le postpartum, où le danger est
multiplié par 60. Des femmes prennent
la Cerazette pendant une longue du-
rée. Pourquoi ? Parce qu’elles ont une
contre-indication aux œstrogènes. Elles
sont diabétiques, hypertendues….Ces
femmes, donc, peuvent bénéficier d’une
pilule progestative pure.
Nous avons à disposition, sur le marché,
le Microval, lequel, il faut reconnaître,
n’est pas très ecace; contrairement à
la Cerazette, qui est aussi ecace qu’une
pilule œstro-progestative.
Vous avez, toujours, déploré le retrait du
marché de la pilule «du lendemain» et
ce, face à la presse, lors de séminaires.
Pouvez-vous nous en dire plus, sur cette
contraception ?
Cela est, encore, l’énorme problème de la
contraception d’urgence. La contracep-
tion d’urgence, par définition, s’adresse
à une urgence. L’urgence c’est quoi ? Eh
bien c’est qu’il y a eu un rapport douteux,
pouvant entraîner une grossesse non
désirée, que la femme soit mariée, ou
pas. Quel que soit le contexte, ce rapport
risque de conduire à une grossesse non
désirée, quel qu’en soit le motif. Il peut
s’agir d’une jeune fille ou d’une femme
qui vient d’accoucher, après à peine deux
à trois mois et ne désirant pas enfanter,
dans l’immédiat.
Il existe, donc, dans ces situations, une
pilule - dite du lendemain - que l’on avait
disponible, il y a quelques années, dans
tous les centres de santé. Ce qui n’est
plus le cas aujourd’hui et je le déplore,
personnellement. C’est une anomalie, à
mon sens et l’absence de cette pilule va
conduire à une grossesse non désirée car
nous sommes dans un pays où religieu-
sement, culturellement, légalement, les
interruptions volontaires de grossesses
sont interdites. L’inexistence de ce moyen
contraceptif conduit à des circuits tor-
tueux, justement, où vont s’insinuer des
personnes sans scrupules, dont l’appât
du gain est leur seul credo et qui vont
proposer des services douteux, pour faire
avorter les femmes fragilisées et en dé-
tresse. Ce type de pratiques, illégales et
dangereuses, se terminent, souvent, dra-
matiquement, par des pelvipéritonites,
perforation utérine, septicémie, stérilité
définitive, séquelles dramatiques et pire
encore, j’ai vu des jeunes femmes mourir,
suite à ces accidents. De telles situations
dramatiques, j’en ai eu à en constater,
malheureusement, beaucoup, durant
mes 40 ans de carrière, dans le domaine.
Il importe, en conséquence que la pilule
«du lendemain» soit disponible, à nou-
veau, dans les centres de santé, pour
éviter des drames de ce genre. Il y a
quelques années, ce produit était présen-
té sous forme de deux pilules par boite,
que l’on prenait, pour la première prise,
le plus tôt possible, après le rapport et la
deuxième, 12 heures après et l’ecacité
était, au maximum, de 36 heures. Actuel-
lement et c’est une avancée, il existe une
deuxième forme de cette pilule appelée
«l’ELLAONE», qui se présente sous forme
d’une seule pilule et qu’on peut prendre
5 jours après le rapport. Cette pilule per-
met d’éviter, à peu près, 80 à 90% des
grossesses non désirées. C’est énorme;
mais, malheureusement, chez nous, cette
pilule n’existe pas, ou rarement dans, uni-
quement, certaines pharmacies. En outre,
il est dicile à une personne de deman-
der cette pilule, parce qu’il y a cette
connotation particulière, qui rejaillit sur
la femme qui rentre dans une pharmacie,
pour demander la pilule du lendemain et
c’est malheureux.
Un mot pour conclure….
En tout état de cause, je continue à être
un fervent partisan du stérilet. Cepen-
dant et cela me met mal à l’aise, du fait
de constater que, dans notre pays, l’utili-
sation de ce dispositif est au-dessous de
3%, bien qu’il soit un excellent mode de
contraception, à condition qu’il soit bien
indiqué et bien posé, par les praticiens.
Dans le cas contraire, cela peut, eecti-
vement, entraîner des accidents. Ce qui
continuera, alors, à lui donner mauvaise
presse, malheureusement.
Un autre mot, pour finir, en tant que
professeur en gynécologie et chef de
service, il faut louer les eorts de l’Etat
en matière de contraception; celle-ci
étant disponible, gratuitement, dans les
centres de santé; surtout que les indica-
teurs nationaux montrent une reprise de
la natalité dans notre pays, dont l’indice
a dépassé 3, cette année.
Je souhaiterai avoir la pilule «du len-
demain», afin d’éviter, à la femme, les
drames cités précédemment. On ne peut
pas changer certes, de but en blanc la
société et à partir de là, il faut, par consé-
quent, tirer des conclusions et adopter
les meilleurs solutions.
Concernant l’implanon NXT, contraceptif
qui est une nette avancée, dans ce sens,
une fois placé sous le bras par un gyné-
cologue averti, la femme n’aura plus à
consulter et on lui donnera rendez-vous
dans trois ans, au plus tard, pour le reti-
rer, si elle désire une grossesse, ou pour
lui en poser un autre. Son ecacité est
maximale et Il est discret. C’est le mode
de contraception le plus ecace qu’on a
à notre disposition. Toutefois, cet implant
à trois ans de validité et un peu moins
chez la femme obèse, qui rencontre un
grand problème de contraception, car
elle court un grand risque thromboem-
bolique.
Enfin, il est souhaitable que cet implanon
NXT soit remboursé par la Sécurité so-
ciale. Son prix est d’environ 9.000 dinars,
pour une validité de 3 ans et cela corres-
pond au coût d’une année de contracep-
tion par voie orale et c’est beaucoup plus
fiable, parce que la pilule on peut l’ou-
blier, la vomir
* Professeur Mourad Derguini,
chef du service de gynécologie, au CHU
de Kouba, Alger.
- Président de la Société algérienne
d'étude et de recherche sur la méno-
pause, SAERM.
- Président du Comité médical national
de gynécologie.
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