Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 105 Louis Lécluze (1711-1792) dentiste, acteur, auteur, entrepreneur de spectacles Pierre BARON* Personne n’est sûr de l’orthographe de son nom. On peut lire : Lécluse, Fleury dit Lécluse, De Lécluse, De l’Écluse ou, mieux encore Lécluze. Lui-même ne signait pas toujours de façon identique : on retrouve deux types de signatures : Delécluze ou Lécluze. Pour son prénom : Louis, Henri, Nicolas, peut-être tous, comme c’était d’usage au XVIIIe siècle. 1711, sa date de naissance, est déduite d’un document fort intéressant, dont Dagen une première fois en 1925 1 et ensuite Dagen et Besombes en 1962 2 avaient déjà parlé : il s’agit d’un procès instruit en 1740, celui du dentiste Gaulard, élève et associé de Pierre Fauchard, rue de l’École de Médecine 3. Lécluze était alors âgé de 29 ans. 1792, sa date de décès, soit peu de temps après la Révolution. Les très nombreuses notices biographiques sur Lécluze indiquent qu’il est mort en 1792, s’étant retiré dans ses terres du Thilloy près de Montargis, ce qui est faux, puisqu’il avait quitté les lieux depuis 1766 4. Nous ne savons pas avec certitude quand et où il est mort. * De l’Académie nationale de chirurgie dentaire. 1. Georges Dagen (Montcorbier) : Documents pouvant servir à l’histoire de l’art dentaire en France et principalement à Paris. La Semaine dentaire. 1925. p. 135-168. 2. André Besombes et Georges Dagen : Pierre Fauchard, père de l’art dentaire moderne (1678-1761) et ses contemporains. Paris. Société des publications médicales et dentaires. 1961. p. 91 et al. 3. CARAN AD III 6. 4. Archives Départementales du Loiret 3 E 7905. 106 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Acteur Au premier abord on peut s’étonner du fait qu’un dentiste soit en même temps acteur. Mais diverses constatations vont nous conforter dans l’idée qu’à cela il n’y a rien d’étonnant. Dentistes et théâtre Tout d’abord il faut rappeler qu’au XVIIe siècle de nombreux dentistes étaient itinérants et voyageaient souvent avec une petite troupe de théâtre. Ensuite il faut évoquer le fait qu’au XVIIIe siècle, malgré la mise en place très lente ¢ il faut le dire ¢ du diplôme d’ "Expert pour les dents" créé en 1699, les dentistes, dans leur grande majorité, n’étaient pas diplômés mais étaient soit agréés par un roi, un prince ou toute autre personne importante, soit autorisés à exercer pour une temps déterminé par un bailli (marché, foires). Enfin il faut souligner qu’au siècle des lumières la plus grande partie de la bourgeoisie et de l’aristocratie était avide de savoir et de théâtre, comme en témoignent les très nombreux théâtres de société. Puisque nous avons évoqué Fauchard, il faut rappeler que, lui aussi, baignait dans un environnement de théâtre par sa femme et son fils. Citons également le grand Talma, issu d’une famille de chirurgiens dentistes, lui-même dentiste. Contrairement à tout ce qui a été écrit sur Lécluze, il fit ses débuts d’acteur en 1736 et non pas en 1737. C’était le 11 août dans La Fée bienfaisante de Pannard. De 1736 à 1745, ce fut un grand acteur du Théâtre de la Foire. Avec Doillon, il était le mieux payé de ce théâtre qui fut dirigé par Pontau de 1735 à 1743, puis par Jean Monnet en 1743 et Charles Simon Favart en 1744 et 1745. Nous avons retrouvé les contrats qu’avaient signés tous les acteurs dont Lécluze avec Favart pour les saisons 1744 et 1745. Ce que l’on définit par "Théâtre de la Foire", c’est l’ensemble des petites salles qui étaient soit à l’intérieur de l’enclos des deux grandes foires parisiennes, la Foire Saint-Germain et la Foire Saint-Laurent, soit dans les alentours immédiats, comme le théâtre du "cul de sac des Quatre Vents" ou le "Théâtre de la rue de Bussi". Mais on entend aussi par "Théâtre de la Foire" l’ensemble des pièces qui y furent jouées. La Foire Saint-Germain avait lieu de début février à mi-avril et la Foire SaintLaurent de fin juin à début octobre (1/2 année). Longtemps considéré comme étant secondaire, le Théâtre de la Foire a été remis en évidence depuis quelques années, grâce à une poignée de chercheurs passionnés. Les études déjà publiées sur ce sujet démontrent que ce type de théâtre était riche autant Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 107 par les textes que par les livrets musicaux. Les textes avaient pour auteurs : Lesage, Fuzelier, Dorneval, Favart, Pannard, Laffichard, Verrière, Carolet, Pontau, Valois, Fromaget, Fagan, Piron, La Garde, Lesueur, etc. La musique était composée par des musiciens comme Rameau ou Dumortier. Les décors, même s’ils devaient être éphémères, pouvaient être signés par de grands peintres comme Boucher ou Watteau. Il faut rappeler que c’est là que naquit l’Opéra-Comique. Existant depuis 1678, ce théâtre n’a pris son véritable essor qu’à la fin du XVIIe siècle, après que Louis XIV ait chassé les Comédiens Italiens de l’Hôtel de Bourgogne et de Paris en 1697. Puis ce fut une suite de succès populaires de 1697 à 1745, car ce théâtre attirait beaucoup de parisiens, aristocrates, bourgeois ou du petit peuple. Tous ces gens venaient se distraire car ces foires étaient très animées avec de nombreux marchands, montreurs d’animaux, marionnettistes, farceurs, chanteurs, sauteurs, ou encore danseurs de corde. La foule qui s’amassait pour écouter les acteurs parler et chanter reprenait en cœur les chansons que tous les Parisiens connaissaient par cœur. Lécluze excellait dans les rôles de comique et chantait merveilleusement selon les témoignages de l’époque. Il jouait aussi bien les rôles de médecin que de valets. Il avait beaucoup de succès. Quand, sur ordonnance royale, le Théâtre de la Foire ferma en 1745, Lécluze fut dès 1746, comme Favart, engagé par le Comte Maurice de Saxe pour jouer dans sa troupe personnelle aux armées durant les campagnes des Flandres. "Le Maréchal a pris Lécluse, de l’Opéra-Comique, pour son comédien, et lui donne un carrosse à quatre chevaux." 5 Il joua dans de nombreux rôles dans diverses villes traversées par les troupes. Favart travaillait énormément car il écrivait ou remontait ses pièces, faisait construire de nouvelles salles de spectacles, même si elles n’étaient que pour peu de représentations comme à Tongres. Mais le point de ralliement devint Bruxelles et son Théâtre de la Monnaie, quand cette ville fut libérée. Là, Lécluze fit approuver en 1747 son élixir odontalgique. Lécluze à Lunéville Lécluze était depuis 1739, et peut-être avant, dentiste de Stanislas 1er Leszczynski (1677-1766), beau-père de Louis XV, et donc se rendait fréquemment en Lorraine à Nancy et Lunéville. Un indice pour appuyer cette affirmation est dans l’anecdote rapportée par Chamfort : "L’Écluse, celui qui a été à la tête des Variétés 5. Nouvelles qui se débitent. 1905. Vol III. p. 179. Lettres de M. de Marville. Cette lettre est datée du 8 mars 1747. 108 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 amusantes, racontait que, tout jeune et sans fortune, il arriva à Lunéville, où il obtint la place de dentiste du roi Stanislas, précisément le jour où le roi perdit sa dernière dent." 6 Il avait probablement fait une faute à Paris et s’était réfugié en Lorraine. Quand la paix fut signée en 1748, il repartit s’installer à Lunéville où il reprit ses deux activités de dentiste et d’acteur. Il montait sur les planches devant les personnes de la cour qui gravitaient autour de l’ex-roi de Pologne, Duc de Barr et de Lorraine, qui avait reconstitué un petit Versailles à Lunéville. Cette cour attirait les grands de ce monde et c’est probablement là que Lécluze connut Voltaire. Comme précédemment, que ce soit dans sa période "Théâtre de la Foire" de 1736 à 1745, ou encore pendant les campagnes des Flandres où il fut présent les années 1746 et 1747, Lécluze était sollicité à la fois en tant que dentiste et en tant qu’acteur. Ainsi nous savons qu’il a joué sur le théâtre de Lunéville le 16 janvier 1748 7. Dans une lettre du 16 janvier 1748, Alliot informe le comte de Sade 8 de l’arrivée à Lunéville des ducs de Wurtemberg : "Le roi (Stanislas) et toute la Cour en sont charmés. Sa Majesté les retient encore demain pour leur faire prendre un cerf. Aujourd’hui, ils ont été à Chanteheux, Einville et Jolivet, puis à la comédie de Démocrite jouée par les dames, et au Coq de village, où jouait Lécluse. Il y a eu appartement très brillant ; on va souper, il y a un concert de cinquante personnes, puis bal masqué." 9 Il a rejoué dans Le Coq de Village en janvier et février 1749. En témoignage le courrier échangé entre Devaux et Madame de Graffigny. Devaux : "Notre petite farce 10 alla mieux que je ne l’esperois. Cependant, les deux enfants qui y jouoient n’ayant pas été entendus, la pièce n’a pas eu grand effet et nous fûmes effacés par un opéra comique qu’on donna ensuite. C’étoit Le Coq de village ou jouoit un nommé Lecluse qui a fait les délices de Paris dans ce genre, et qui en effet est bien bon quand il est placé." 11 6. Chamfort : Maximes et pensées. Caractères et anecdotes. Chronologie, préface, notes et index par Jean Dagen. Paris. Garnier-Flammarion. p. 215-216. 7. Anne Muratori-Philip : Le Roi Stanislas. Paris. Fayard. 2000. p. 220. 8. Le comte de Sade était le père du fameux marquis. Il était à la fois militaire, diplomate, poète, philosophe et libertin. 9. Anne Muratori-Philip : Le Roi Stanislas. Note 7 p. 405 : Maurice Lever, Bibliothèque Sade (I) ¢ Papiers de famille, p. 508. 10. Il s’agit de La Métamorphose amoureuse. 11. Correspondance de Madame de Graffigny. Tome IX. 11 mars 1748 ¢ 25 avril 1749. Lettres 1217-1390. Préparé par English Showalter. Voltaire Foundation. Oxford. 2004. p. 407 note 4. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 109 Madame de Graffigny : "Tu es bien heureux de voir et d’entendre L’Écluse. Il a fait bien des plaisirs à mes oreilles. Je crois qu’il y a peu d’acteurs qui aient attrapé son naturel dans le genre bas comique." 12 Lécluze resta à Lunéville jusqu’en décembre 1752 où il écrit en 1750 son premier traité de dentisterie : Traîté utile au public, qui parut à Nancy 13. On y trouve l’approbation par Bagard, premier médecin du Roi (figure 1), de l’élixir antiscorbutique de Lécluze. Celui-ci était déjà approuvé par Chicoineau à Bruxelles en 1747. Fig. 1 12. Correspondance de Madame de Graffigny. 22 février 1749 p. 433. 13. Traité utile au Public. Nancy. Thomas. 1750. 110 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Curieusement, alors qu’il exerçait ses deux activités de dentiste et acteur, il écrivit son plus grand succès poissard à la même période : Léclusade ou le Déjeuner de la Rapée 14, paru en 1748. Cela vient compléter le tableau psychologique du personnage, démontrant que Lécluze était fantasque, imprévisible, et présentait de nombreuses facettes qui le rendent plus attirant. Entrepreneur de spectacles En 1778, Lécluze avait 67 ans. Il n’avait plus son château du Thilloy depuis douze ans, il se faisait vieux et ne montait plus beaucoup sur les planches, ayant été très occupé par sa charge d’inspecteur d’orviétan pour tout le Royaume de 1772 à 1775. Le Théâtre de la Foire, après une longue interruption due à l’interdiction de 1745 et l’incendie de 1761, renaquit de ses cendres pour la Foire Saint Laurent de 1778 et Lécluze fut un des premiers à obtenir l’autorisation du Lieutenant de Police Lenoir de présenter des spectacles dans l’enceinte de la Foire complètement rénovée. La Foire Saint-Laurent n’avait pas cessé de fonctionner entre 1745 et 1778, mais avait vu sa fréquentation baisser, principalement dans son théâtre. L’ "observateur" Bachaumont note le 13 juillet 1778 15 : "13 juillet 1778. Tout le monde se souvient du fameux l’Écluse ; c’est lui qui reparoît sur la scène, qui va d’abord établir un spectacle à la Foire Saint-Laurent."16 Lécluze avait sa propre troupe qui devint tout à fait officielle lors de l’inauguration de son théâtre rapidement construit dans l’enceinte de la Foire, le 30 août 1778. Il avait fait construire ce théâtre dans la précipitation et pour cela, avait demandé à son ami Jean-Baptiste Ricci, dentiste et montreur d’animaux, l’adresse d’un bon menuisier, Italien comme Ricci, qui avait œuvré pour la finition des travaux. Cette troupe était composée de très bons acteurs et actrices, dont Lécluze lui-même. 14. Léclusade ou le Déjeuné de la Rapée. Alexandre Cioranescu Le siècle des lumières. Bibliographie chronologique. Vol XII Index des auteurs 1716-1760. L-Z p 47. 48 : 604 Alexandre Cioranescu : Bibliographie littéraire française du XVIIIe siècle. Paris. CNRS. 1969-1970. 3 vol. Vol 2, p. 1069. no 38380. Pierre M. Conlon : Le Siècle des lumières. Bibliographie chronologique. Vol 6, 1988. A. P. Moore The Genre Poissard and the French Stage of the 18th century (a dissertation). New York. 1935. Publications of the Institute of the French Studies. Columbia University. p. 149. 15. En fait le 17 août. N’oublions pas qu’il s’agit de mémoires. 16. Bachaumont : Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours ; ou Journal d’un observateur. Londres. John Adamson. 1784. Vol 12. p. 41. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 111 Devant le succès obtenu pendant cette foire, Lécluze décide de reprendre ces spectacles à Paris. Dans ce but il achète un terrain, récemment libéré par les gardes françaises, au coin de la rue de Lancry et de Bondy, qu’il paye 24 000 Livres. Lécluze décide de faire construire un théâtre en bois sur ce terrain. En attendant, il loue à partir du 25 octobre une dépendance du Waux-Hall bâtie en 1764 par l’artificier Torré et située à côté de son futur théâtre. Il baptisa cette salle Salon de l’Ambassadeur 17. Mais dès le mois de septembre, alors que la Foire Saint-Laurent n’était pas terminée, Bachaumont avait noté que le succès ne suivait pas : "7 septembre 1778...jusqu’à présent son spectacle a peu de succès." 18 Malgré les efforts consentis par Lécluze pour développer son activité, brutalement, le 4 janvier 1779, le Théâtre fait relâche. Officiellement la raison en est la rigueur du climat. Le Journal de Paris annonce en date du 6 janvier : "Le sieur Lécluze, à cause de la rigueur de la saison et de la disposition du lieu, donnera "relâche" jusqu’à l’ouverture de sa nouvelle salle, qui se fera incessamment." 19 Dans les faits il s’agissait de tout autre chose. Lécluze, trop endetté par la construction de son théâtre, ne pouvait plus faire face aux échéances. "C’était un étourdi, un bohême, très maladroit en affaires, et qui jetait les écus à tous les vents. Ruiné et failli au bout de quelques mois, il se voyait forcé, avant d’avoir pu inaugurer sa salle, non encore payée, de passer la main..." 20 Ruiné et poursuivi, il s’était réfugié au Temple, lieu d’asile pour les insolvables. Heureusement pour lui, son privilège de théâtre avait de la valeur. Il le négocia avantageusement et se tira fort bien de ce mauvais pas. En mars, Bachaumont note la faillite de Lécluze : "19 mars 1779. Le sieur l’Écluse a déjà fait banqueroute avant de pouvoir ouvrir son nouveau spectacle, dont la salle est construite, mais non payée." 21 17. Philippe Chauveau : Les Théâtres Parisiens disparus. 1402-1986. Paris. L’amandier. 1999. p. 529. 18. Bachaumont : Mémoires secrets... vol 12, p. 104. 19. Le Journal de Paris. 6 janvier 1779. 20. Maurice Albert : Les Théâtres de la Foire (1660-1789). Paris. Hachette et Cie. 1900. p. 280. 21. Bachaumont : Mémoires secrets... vol 13 p. 320. 112 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Bachaumont, toujours, rapporte les circonstances du changement ainsi que le contenu de l’arrangement entre les parties : "12 avril 1779. Le sieur l’Écluse ayant été obligé d’abandonner son théâtre nouveau par sa banqueroute, ce sont les deux frères Malter, de l’Opéra, qui le remplacent dans cette propriété. Par leur arrangement avec lui, ils se sont chargés : 1°. D’acquitter ses dettes, dont l’état a été fixé ; 2°. De lui faire une pension très-honnête ; enfin de lui donner une gratification particulière toutes les fois qu’on jouera une pièce de lui intitulée le Postillon, dans laquelle il représente et excelle comme acteur." 22 Les associés s’étaient engagés à essuyer les dettes de Lécluze qui se montaient exactement à 44 822 livres, à lui payer une pension annuelle de 4 000 livres et à lui verser des contributions pour chaque pièce de lui représentée. De plus il restait directeur du théâtre. Les Variétés amusantes Le 13 avril 1779, le "Théâtre de Lécluze" prit le nom de "Spectacle des Variétés Amusantes". Mais pendant longtemps les Parisiens appelèrent ce théâtre "le Théâtre du Sieur Lécluze". Le théâtre qu’il avait construit était un très bel établissement sur le Boulevard du Temple. Manque de chance pour Lécluze, il s’en fallut de peu de temps pour qu’il redresse sa situation financière puisque, dès le 11 juin 1779, les propriétaires du théâtre virent les spectateurs arriver en masse avec Volange dans le rôle de Janot dans Les battus paient l’amende, pièce qui eut le plus gros succès populaire de la fin du siècle. Ce théâtre eut par la suite de nombreux propriétaires différents mais fonctionna jusqu’à la fin du siècle. Auteur Nous avons déjà relaté qu’il avait écrit en 1748 Le Déjeuner de la Rapée, mais ce qu’il faut remarquer en premier à propos de son œuvre d’écrivain c’est le grand nombre d’ouvrages qu’il fit imprimer en un laps de temps très court : 1748 Léclusade ou le Déjeuné de la Rapée. Ce petit recueil a ensuite été réédité avec d’autres titres : 22. Bachaumont : Mémoires secrets... vol 14 pp 20-21. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 113 Poissarderies ou discours des Halles et des Ports en 1749 23, Le déjeuné de la Rapée ou Discours des halles et des ports vers 1755 24. Il y en eut un grand nombre par la suite tout au long des XVIIIe et XIXe siècle. La dernière fut imprimée en 1945, la seule pour le XXe siècle. 1749 Le Gouté des Porcherons ou Nouveaux discours des Halles et des Ports 25 1750 Le Paquet de Mouchoirs 26 1750, 53, 54, 82 Traité utile au Public, où l’on enseigne la méthode de remédier aux douleurs et accidents qui précèdent et accompagnent la sortie des premières dents des enfants. 27 1750 Dissertation sur le préjugé pernicieux concernant la Dent Œillère 1752 Éclaircissements essentiels pour parvenir à préserver les dents de la carie et à les conserver jusqu’à l’extrême vieillesse. 28 1752 Lettre de M. Lécluze, chirurgien dentiste du roi de Pologne, à M***, médecin à Nancy. 29 1754 Réponse à Madame la Duchesse de B. 30 au sujet d’une lettre de M. Bourdet, dentiste 31 1754 Lettre à l’Académie Royale de Chirurgie. 21 août 1754 32 (figure 2) 1754 Rapport à l’Académie Royale de Chirurgie. 8 octobre 1754 33 23. Cioranescu 38381. 24. À la Grenouillère. De l’Imprimerie de Mademoiselle Manon, Marchande orangère. S.d. (1755). Le Déjeuner de la Rapée : p. 1-19. Cioranescu 38382. 25. Le Gouté des Porcherons ou Nouveaux discours des halles et des Ports, Entremêlés de plusieurs Chansons Grivoises sur des Airs communs, suivis d’une Lettre amoureuse d’un Charbonnier à Mademoiselle Catau, Ravaudeuse. Avec Une Description chimérique d’un Etre de raison , fabriqué de pièces rapportées, habillé d’une étoffe à doublesens, lequel fut construit par une assemblée d’Equivoques, assisté du Génie burlesque. Le tout pour servir de Dessert au Déjeuné de la Rapée. De l’Imprimerie de Madame Angueule, Blanchisseuse de gros Linge, à la Grenouillère. Approuvé par les Forts des Halles. Sd. 26. Le Paquet de Mouchoirs, Monologue en Vaudevilles et en Prose, dédié au beau Sexe ; Et enrichi de 103 Notes très-curieuses, dont on a jugé à propos de laisser 99 en blanc pour la commodité du Lecteur et la propreté des marges. À Calceopolis. Chez Pancrace Bisaigue, rue de la Savaterie ; aux trois escarpins dessollés. 1750. 27. Nancy 1750 ; 1753. Paris 1754, 1782. David 165. 28. Paris. Duchesne. 1755. David 165. 29. Sur l’inoculation de la petite vérole. Sl Sd. David 165. 30. Duchesse de Berry. 31. Paris. Sd. David 165. 32. Sur la création d’un prix. Bibliothèque de l’Académie de Médecine. ARC 25 d. 33. Sur les transplantations. 114 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Fig. 2. 1754 Nouveaux Elemens d’Odontologie : Anatomie de la bouche + Pratique abrégée du Dentiste34 (figure 3) 1755 Desserts de petits soupers agréables, dérobés au Chevalier du Pélican 35 1756 Les citrons de Javotte. Histoire de Carnaval 36 1773 Les Porcherons in Amusemens rapsodies poétiques, contenant le Galetas, Mon Feu, les Porcherons, poème en VII chants et autres pièces 37 34. Nouveaux Elemens d’Odontologie contenant l’Anatomie de la bouche, ou la description de toutes les parties qui la composent, et de leur usage ; et la pratique abrégée du Dentiste, avec plusieurs observations. Paris. Delaguette. 1754. 1782. 35. Desserts de petits soupers agréables, dérobés au Chevalier du Pélican Auteur du Déjeuné de la Rapée. Poëme Gaillardi-Poissardi-Marins-Ironi-Comique. À l’imprimerie de la Joye. 1755. Cioranescu 38387. 36. L’édition originale date de 1756 à Amsterdam. 37. À Stenay chez Jean Baptiste Meurant, imprimeur et libraire de SAR Mgr le Prince de Condé. Avec approbation et permission. MDCCLXXIII. In 12°, IV-200 p. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 115 Fig. 3. D’autres œuvres sont difficiles à attribuer parce que éditées soit sans nom d’auteur, soit éditées sous le nom de Vadé, soit sous le nom des deux auteurs sans distingo, comme : La Fileuse Les spiritueux rebus de Mlle Margot la Mal-peignée, Reine de la Halle et marchandes d’oranges (1755) Le Poissardania Les amusemens à la Grecque 116 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Modèle de la méthode d’attribution Le Paquet de Mouchoirs. Monologue d’un savetier dans sa boutique. Pour tous les bibliographes (Barbier, Quérard, Cioranescu, Conlon, entre autres) ce texte est de Vadé. Nous allons facilement démontrer qu’il est, sans hésiter, de Lécluze. Il fallait, pour pouvoir faire cette démonstration, bien connaître la vie de ce dernier. Dès la préface nous trouvons une première preuve que ce texte est de Lécluze. L’auteur écrit avec humour qu’il était un inconnu sauf pour le Maréchal de Saxe : "et si j’étions tant seulement connu d’Monseigneur l’Maréchal de Sasque et qu’il nous aimit autant comme j’laimions tretous..." 38 Un second passage vient nous conforter dans notre idée : "Y ne nous manque pu qu’un brin d’accès pour arriver au but que j’lorgnons : et si j’étions tant seulement connu... comme j’laimions tretous, j’n’en demanderions pas d’avantage, et je serions en état d’rabattre l’caquet de ben des haridelles ; car j’serions tant d’cul et d’teste, que par le secours d’son haïdance j’obtiendrions queuque bon Édit ben tapé" 39 Enfin, un dernier passage nous démontre d’une façon indiscutable que c’est bien Lécluze qui a écrit ce texte : "Y ne nous manqu’ra plus qu’trois palettes, la ligature, et queuques ferremens et j’serons en état d’nous faire passer Maître Sérugien : et qu’sçait-on si je n’parviendrions pas à grimper jusqu’à la Médecine ?" 40 Il constate combien le chemin est difficile pour lui qui n’a pas fait d’études : "Queux chien d’train quand on n’a pas étudié les Études." 41 Voltaire Voltaire arriva à Genève le 12 décembre 1754, et acheta deux mois plus tard la propriété de Saint Jean qu’il appelle "Les Délices", et c’est à l’automne 1758 qu’il s’installe à la seigneurie de Ferney. Il y est avec sa nièce, Mlle Denis, et va faire appel à Lécluze pour qu’il soigne les dents de celle-ci afin qu’elle puisse décemment monter sur la scène du théâtre de Tournay. Lécluze arriva le 1er avril 1760. Mais la 38. 39. 40. 41. Préface p. 6. Préface p. 6-7. p. 48-49. p. 13. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 117 présence de Lécluze à Ferney va provoquer en décembre de la même année 1760 la critique acerbe de Fréron, et, par là, faire réagir violemment Voltaire contre cette critique. "Lécluse est arrivé ; il est fort drôle" écrit Voltaire le 1er avril 1760 42. "Nous avons icy L’Écluse, qui était le meilleur acteur de l’Opéra-Comique ; on a assassiné son fils à Bâle. Cela n’empêche pas le père de donner tous les jours à table des espèces de parades à mourir de rire. Le goust de son métier l’emporte sur la tendresse paternelle ; il y a de grands hommes qui se consolent de la perte de leurs fils en gouvernant l’État ; l’Écluse se console par des chansons. Il représente la nation, elle rit de ses pertes." Cette lettre est datée du 5 avril. Pendant le séjour de Lécluze à Ferney, Marmontel vint rendre visite à Voltaire qui écrit : "Nos jardins sont charmants. Nous allons jouer la comédie dès que L’Écluse aura fait les dents à notre première actrice. Marmontel arrive." 43 Marmontel rapporte dans ses Mémoires : "Mon ami, me dit-il, que je suis aise de vous voir ! Surtout dans le moment où je possède un homme que vous serez ravi d’entendre. C’est M. de L’Écluse, le chirurgien dentiste du feu roi de Pologne 44, aujourd’hui seigneur d’une terre auprès de Montargis, et qui a bien voulu venir raccommoder les dents irracommodables de Mme Denis. C’est un homme charmant. Mais ne le connoissez-vous pas ? Le seul l’Écluse que je connoisse est, lui dis-je, un acteur de l’ancien Opéra-Comique. C’est lui, mon ami, c’est lui-même. Si vous le connoissez, vous avez entendu cette chanson du Rémouleur qu’il joue et qu’il chante si bien". Et à l’instant voilà Voltaire imitant l’Écluse, et avec ses bras nus et sa voix sépulcrale, jouant le Rémouleur et chantant la chanson : "Je ne sais où la mettre Ma jeune fillette." 42. Theodore Besterman : Voltaire’s Correspondence. SVEC. 1965. Lettre 8835. Vol 105 (Œuvres complètes) et XXI (Correspondance) p. 223. 43. Theodore Besterman : Voltaire’s Correspondence. Lettre 8940. Vol XXI p. 332. 44. Il faut remarquer là que le titre d’ "expert pour les dents" que Lécluze a acquis en 1753, n’a que peu d’importance, en tous cas pour Voltaire, comparé à l’honneur d’avoir été chirurgien dentiste du roi de Pologne. Aujourd’hui, un certain nombre d’historiens considèrent que le plus beau titre pour un dentiste du XVIIIe siècle est bien celui d’expert, car il signifie que le titulaire a fait des études, et passé des examens auprès d’une communauté de chirurgiens, alors que les autres titres sont des titres de complaisance qui ne peuvent en aucun cas signifier une valeur professionnelle quelle qu’elle soit. 118 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Nous rions aux éclats, et lui toujours sérieusement : "Je l’imite mal, disoit-il ; c’est M. de l’Écluse qu’il faut entendre, et sa chanson de la Fileuse ! Et celle du Postillon ! Et la querelle des Écosseuses avec Vadé ! C’est la vérité même. Ah ! Vous aurez bien du plaisir. Aller voir Mme Denis. Moi, tout malade que je suis, je m’en vais me lever pour dîner avec vous. Nous mangerons un omble-chevalier, et nous entendrons M. de l’Écluse. Le plaisir de vous voir a suspendu mes maux, et je me sens ranimé." 45 "Mme Denis nous reçut avec cette cordialité qui faisoit le charme de son caractère. Elle nous présente à M. de l’Écluse ; et à dîner Voltaire l’anima, par les louanges les plus flatteuses, à nous donner le plaisir de l’entendre. Il déploya tous ses talens, et nous en parûmes charmés. Il le falloit bien ; car Voltaire ne nous aurait point pardonné de foibles applaudissemens." 46 Lécluze, sur la demande de Voltaire, fait rire l’assistance : "...et le soir, à souper,.... Il se reprocha cependant d’avoir dérobé à M. de l’Écluse des momens qu’il auroit occupés, disoit-il, plus agréablement pour nous. Il le pria de nous dédommager par quelques scènes des Écosseuses, et il en rit comme un enfant." 47 C’est le 10 décembre 1760 que Fréron, ayant appris la présence de Lécluze à Ferney va publier une lettre-critique sur Voltaire. Le 16 janvier 1761, Voltaire écrit : "Je fais une réflexion... L’Écluse n’est point dans mon château ; il est à Genève et y est très nécessaire ; c’est un homme d’ailleurs supérieur dans son art, très honnête homme et très estimé." 48 En effet, Lécluze travaille à Genève : il a demandé et obtenu l’autorisation d’exercer l’art dentaire (figure 4). Quelques jours plus tard, le 2 février, Voltaire va se défendre de fréquenter un ancien acteur de la Foire : "Lécluse, qui n’est point celui de l’Opéra-Comique mais chirurgien du roy de Pologne, a donné sa procuration et demande justice..." 49 Cela est en contradiction totale avec ce qu’il avait écrit le 1er avril 1760 : "Nous avons icy L’Écluse, qui était le meilleur acteur de l’Opéra-Comique", et le récit de Marmontel de son séjour à Ferney. Voltaire se défendait d’avoir reçu chez lui un ancien acteur du Théâtre de la Foire, comme cela sera confirmé dans sa lettre à Le Brun du 2 février 1761. 45. Marmontel : Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfans. Paris. An XIII. 1804. Vol 2. Livre VII. p. 231-232. 46. Marmontel Mémoires... Vol 2. Livre VII p. 232-233. 47. Marmontel : Mémoires... Vol 2 . Livre VII, p. 244-245. 48. Theodore Besterman : Voltaire’s Correspondence. Lettre 9553. Vol XXII p. 475. 49. Theodore Besterman : Voltaire’s Correspondence. Lettre 9596. Vol XXIII p. 1213. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 119 Fig. 4 Le 2 février 1761, Voltaire s’adresse à Le Brun : "... Vous avez dû recevoir le certificat de madame Denis, voici celui du résident de France. J’ai eu l’honneur de vous envoyer la procuration du sieur L’Écluse du Tilloi, pour se joindre à la plainte de M. Corneille. Le sieur L’Écluse n’est point celui qui a monté sur le théâtre de la foire, je le crois son cousin ; il est seigneur de la terre du Tilloi en Gâtinais..." 50 Deux ans plus tard, nous sommes en 1763, Voltaire se sert du nom de Lécluze pour attaquer Lefranc de Pompignan dans une lettre demeurée célèbre : "Lettre de M. de L’Écluse, chirurgien dentiste, seigneur du Tilloy, près Montargis, à son curé", publiée en mars 1763 à Genève. Dentiste Lécluze, dentiste de Stanislas depuis son jeune âge, disons 1734, exerçait les deux métiers de dentiste et acteur. À Bruxelles, en 1747, il fait approuver son élixir 50. Theodore Besterman : Voltaire’s Correspondence. Lettre 9599. Vol XXIII p. 15-16. 120 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 antiscorbutique par Chicoineau, puis à Nancy par Bagard. Il publie ses deux premiers traités à Nancy en 1750 et 1752. Rentré à Paris où il passe son diplôme d’Expert pour les dents le 1er janvier 1753, il continue à jouer au théâtre et publie de nombreux ouvrages de dentisterie en 1754 et 55. Enfin, de 1772 à 1775, il fut inspecteur d’orviétan pour tout le royaume. Traitement des abcès L’abcès était appelé "fluxion". Mais il y a deux sortes de fluxions comme l’affirme Lécluze : "Les Dentistes sont si souvent tombés dans de fâcheuses méprises, faute de savoir distinguer la fluxion phlegmoneuse d’avec l’érésipélateuse..." Traitement : "La Fluxion ne doit point être abandonnée aux soins de la nature, surtout lorsque les amygdales et les glandes parotides se gonflent ; il faut la résoudre dans son commencement, et réprimer promptement l’humeur qui la rend phlegmoneuse... Le premier soin sera d’aider la circulation des liqueurs, et de prévenir l’extrême engorgement des vaisseaux, par quelques saignées... On donnera aux heures commodes des Lavemens émolliens et laxatifs..." 51 Le praticien est à l’écoute du patient : "S’il (le malade) est tourmenté de grandes douleurs, de fièvres violentes ou de veilles continuelles, on modèrera les mouvemens du sang avec quelques Juleps rafraîchissans, dans lesquels on ajoutera un grain de Laudanum, ou bien deux ou trois grains de Syrop de pavot blanc..." 52 "Si le corps est d’ailleurs maldisposé et que les premières voyes soient trop remplies, on purgera le Malade avec des remèdes très doux, comme la Rhubarbe, la pulpe de Casse, les Thamarins gras, l’Amande grasse et le Sel végétal. On appliquera sur la partie affligée des Résolutifs faits avec du Lait chaud, pour dissoudre et subtiliser les liqueurs grossières contenues dans les vaisseaux engorgés ou dans leurs interstices, et pour leur rendre une fluidité capable de les faire rentrer ou circuler dans leurs vaisseaux, de les faire transpirer par les pores, et même de s’évacuer par les canaux excrétoires des glandes. On peut pour cela se servir d’un cataplasme fait avec le lait et les quatre farines résolutives, qui sont le lupin, l’auréole, le fenugrec et la fève, auxquelles on ajoutera les Huiles de lys, de lin et le safran commun." 53 Les cataplasmes furent largement employés en médecine au XIXe siècle et même au XXe, nous pouvons dire jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il ne 51. Lécluze : Pratique abrégée... p 154. 52. Lécluze : Pratique abrégée... p 154. 53. Lécluze : Pratique abrégée... p. 154-155. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 121 faut donc pas s’étonner de ce type de traitement. Lécluze en donne différentes formules. Mais cela n’empêchait pas Lécluze, en dernier recours, d’utiliser un moyen chirurgical : "Lorsque le pus est formé, et que le phlegmon ne perce pas naturellement, il faut l’ouvrir avec le scalpel dans l‘endroit le plus bas de l’abcès, et en évacuer promptement toute la matière, pour ne lui pas donner le tems de communiquer sa malignité aux parties voisines, et de former des sinus fistuleux." 54 Traitement des maladies des gencives Gonflement, Époulis, Paroulis, Ulcère, Fistule, Scorbut, Gangrène, Sphacèle : autant de pathologies, autant de descriptions. Lécluze en vient ensuite à la "curation", autrement dit aux différents traitements de ces affections. Nous allons voir le type de pensée de ce praticien par les principes qu’il établit : "La Pratique Chirurgicale qui renferme en général quatre opérations importantes, qui sont la Synthèse ou réunion, la Diérèse ou séparation, l’exhérèse ou retranchement des choses superflues, et la Prothèse ou addition aux parties qui manquent." 55 Extractions Les praticiens du XVIIIe siècle n’ont eu de cesse d’essayer d’améliorer les instruments existants dans le but de fracturer moins de dents et d’os alvéolaire, tout en facilitant la manœuvre. "Il est tellement prouvé que l’on peut tirer cette Dent sans intéresser la vûe, que le Mercredi des Cendres 1748, je fus conduit chez Mademoiselle Marchand (en note : Femme de chambre de Feüe Sa Majesté la Reine de Pologne) demeurant à Lunéville, pour lui ôter une pareille Dent, qui avoit communiqué sa carrie à l’os maxillaire, et formé un abcès considérable, rempli d’une humeur âcre et corrosive, laquelle avoit carrié l’os par sa fermentation, et détruit les enveloppes membraneuses. Je fis les opérations nécessaires, et lui procurai les remèdes convenables pour parvenir à la guérison de cette maladie, à laquelle je réussis très heureusement, ainsi qu’à beaucoup d’autres, dont il est inutile de faire ici le détail." 56 En 1754 Lécluze invente la langue de carpe, instrument inégalable, puisque de nos jours certains catalogues l’ont encore dans leur liste, et même quelquefois encore avec le nom de l’inventeur attaché (figure 5). 54. Lécluze : Pratique abrégée... p. 161. 55. Lécluze : Pratique abrégée... p. 181. 56. Lécluze : Traité utile au Public. Nancy, 1750 p. 35-36. Paris. Delaguette. 1754, p. 4142. 122 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 Fig. 5 Parodontologie En 1754, Lécluze aborde, un des premiers, le problème de la destruction de ce tissu que nous nommons aujourd’hui maladie parodontale, tout en se basant sur la théorie galénique des humeurs. "Le Gonflement des gencives exige souvent que les Dents soient nettoyées, et que l’on ait grand soin d’ôter le tartre qui s’insinue entre l’une et l’autre ; il n’est pas moins nécessaire de couper les portions excédentes des gencives avec des cizeaux bien pointus, soit courbes, soit droits, et de les scarifier avec la pointe d’une lancette enveloppée d’une bandelette depuis le milieu de la chasse jusqu’à la pointe, tant pour la mieux affermir que pour ne point effrayer la personne sur laquelle on opère ; cette scarification sera plus ou moins profonde et réitérée, selon le Gonflement des gencives. Pendant cette opération, et en nettoyant les Dents, s’il y a du tartre on fera fréquemment rincer la bouche du malade avec de l’eau tiède pour faciliter l’évacuation du sang et de l’humeur infiltrée dans les gencives ; cette opération faite, on se gargarise la bouche trois fois par jour pendant une semaine entière avec du vin rouge dans lequel on aura fait bouillir de la petite sauge de Provence, de la poudre de gland de chêne, de l’écorce de grenades, et une pincée de roses rouges. On mettra quinze gouttes de mon Élixir dans l’eau simple conformément aux règles prescrites au chapitre V de mon Traité sur les Maladies des Dents des enfans." 57 57. Lécluze : Pratique abrégée ... p. 183-185. Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 123 "Lorsqu’elle (la dent) commence à sortir de son bassin, cette espèce de luxation est occasionnée par une maladie de la membrane, commune aux parois intérieures de l’alvéole et à la racine de la Dent ; et la maladie de la membrane cause le relâchement, et souvent la désunion de ses fibres charnues. Si les vaisseaux qui la parcourent sont rompus ou rongés par la dépravation des liqueurs qui y circulent, il se fait un épanchement de ces mêmes liqueurs qui se corrompent en fermentant, et produisent ensuite de petits ulcères dans l’alvéole. Ces petits ulcères détachent peu à peu la Dent de la membrane et de la gencive. Alors la Dent n’ayant plus d’adhérence au périoste et à la gencive, elle est en partie expulsée de l’alvéole par le gonflement de cette membrane commune."58 58. Lécluze : Pratique abrégée ... p. 210-211.