Louis Lécluze (1711-1792)
dentiste, acteur, auteur, entrepreneur de spectacles
Pierre BARON*
Personne nest sûrdelorthographe de son nom. On peut lire : Lécluse, Fleury dit
Lécluse, De Lécluse, De l’Écluse ou, mieux encore Lécluze. Lui-même ne signait pas
toujours de façon identique : on retrouve deux types de signatures : Delécluze ou
Lécluze.
Pour son prénom : Louis, Henri, Nicolas, peut-être tous, comme c’était dusage au
XVIII
e
siècle.
1711, sa date de naissance, est déduite dun document fort intéressant, dont Dagen
une première fois en 1925
1
et ensuite Dagen et Besombes en 1962
2
avaient déjà
parlé:ilsagit dun procès instruit en 1740, celui du dentiste Gaulard, élève et
associéde Pierre Fauchard, rue de l’École de Médecine
3
.Lécluze était alors âgéde
29 ans.
1792, sa date de décès, soit peu de temps aprèslaRévolution. Les très nom-
breuses notices biographiques sur Lécluze indiquent quil est mort en 1792, s’étant
retirédans ses terres du Thilloy près de Montargis, ce qui est faux, puisquil avait
quittéles lieux depuis 1766
4
. Nous ne savons pas avec certitude quand et oùil est
mort.
*DelAcadémie nationale de chirurgie dentaire.
1. Georges Dagen (Montcorbier) : Documents pouvant servir àlhistoire de lart dentaire en
France et principalement àParis. La Semaine dentaire. 1925. p. 135-168.
2. AndréBesombes et Georges Dagen : Pierre Fauchard, père de lart dentaire moderne
(1678-1761) et ses contemporains. Paris. Sociétédes publications médicales et dentaires.
1961. p. 91 et al.
3. CARAN AD III 6.
4. Archives Départementales du Loiret 3 E 7905.
Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48 105
Acteur
Au premier abord on peut s’étonner du fait quun dentiste soit en même temps
acteur. Mais diverses constatations vont nous conforter dans lidéequ’à cela il nya
rien d’étonnant.
Dentistes et théâtre
Tout dabord il faut rappeler quau XVII
e
siècle de nombreux dentistes étaient
itinérants et voyageaient souvent avec une petite troupe de théâtre.
Ensuite il faut évoquer le fait quau XVIII
e
siècle, malgréla mise en place très lente
¢il faut le dire ¢du diplôme d"Expert pour les dents" créé en 1699, les dentistes,
dans leur grande majorité,n’étaient pas diplômés mais étaient soit agréés par un roi,
un prince ou toute autre personne importante, soit autorisésàexercer pour une
temps déterminépar un bailli (marché, foires).
Enn il faut souligner quau siècle des lumières la plus grande partie de la bourgeoi-
sie et de laristocratie était avide de savoir et de théâtre, comme en témoignent les
très nombreux théâtres de société.
Puisque nous avons évoquéFauchard, il faut rappeler que, lui aussi, baignait
dans un environnement de théâtre par sa femme et son ls. Citons égale-
ment le grand Talma, issu dune famille de chirurgiens dentistes, lui-même den-
tiste.
Contrairement àtout ce qui a étéécrit sur Lécluze, il t ses débuts dacteur en 1736
et non pas en 1737. C’était le 11 août dans La Fée bienfaisante de Pannard. De 1736
à1745, ce fut un grand acteur du Théâtre de la Foire. Avec Doillon, il était le mieux
payéde ce théâtre qui fut dirigépar Pontau de 1735 à1743, puis par Jean Monnet en
1743 et Charles Simon Favart en 1744 et 1745. Nous avons retrouvéles contrats
quavaient signés tous les acteurs dont Lécluze avec Favart pour les saisons 1744 et
1745.
Ce que lon définit par "Théâtre de la Foire", cest lensemble des petites salles qui
étaient soit àlintérieur de lenclos des deux grandes foires parisiennes, la Foire
Saint-Germain et la Foire Saint-Laurent, soit dans les alentours immédiats, comme
le théâtre du "cul de sac des Quatre Vents" ou le "Théâtre de la rue de Bussi". Mais
on entend aussi par "Théâtre de la Foire" lensemble des pièces qui y furent jouées.
La Foire Saint-Germain avait lieu de début février àmi-avril et la Foire Saint-
Laurent de n juin àdébut octobre (1/2 année).
Longtemps considérécomme étant secondaire, le ThéâtredelaFoireaétéremis en
évidence depuis quelques années, grâce àune poignée de chercheurs passionnés. Les
études déjàpubliées sur ce sujet démontrent que ce type de théâtre était riche autant
106 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48
par les textes que par les livrets musicaux. Les textes avaient pour auteurs : Lesage,
Fuzelier, Dorneval, Favart, Pannard, Laichard, Verrière, Carolet, Pontau, Valois,
Fromaget, Fagan, Piron, La Garde, Lesueur, etc. La musique était composée par
des musiciens comme Rameau ou Dumortier. Les décors, même sils devaient
être éphémères, pouvaient être signés par de grands peintres comme Boucher ou
Watteau. Il faut rappeler que cest làque naquit lOpéra-Comique.
Existant depuis 1678, ce théâtre na pris son véritable essor qu’à la ndu
XVII
e
siècle, après que Louis XIV ait chasséles Comédiens Italiens de lHôtel de
Bourgogne et de Paris en 1697. Puis ce fut une suite de succès populaires de 1697 à
1745, car ce théâtre attirait beaucoup de parisiens, aristocrates, bourgeois ou du
petit peuple. Tous ces gens venaient se distraire car ces foires étaient très animées
avec de nombreux marchands, montreurs danimaux, marionnettistes, farceurs,
chanteurs, sauteurs, ou encore danseurs de corde. La foule qui samassait pour
écouter les acteurs parler et chanter reprenait en cœur les chansons que tous les
Parisiens connaissaient par cœur.
Lécluze excellait dans les rôles de comique et chantait merveilleusement selon les
témoignages de l’époque. Il jouait aussi bien les rôles de médecin que de valets. Il
avait beaucoup de succès.
Quand, sur ordonnance royale, le Théâtre de la Foire ferma en 1745, Lécluze
fut dès 1746, comme Favart,engagépar le Comte Maurice de Saxe pour
jouer dans sa troupe personnelle aux armées durant les campagnes des
Flandres.
"Le Maréchal a pris Lécluse, de lOpéra-Comique, pour son comédien, et lui donne un
carrosse àquatre chevaux."
5
Il joua dans de nombreux rôles dans diverses villes traversées par les troupes. Favart
travaillait énormément car il écrivait ou remontait ses pièces, faisait construire de
nouvelles salles de spectacles, même si elles n’étaient que pour peu de représenta-
tions comme àTongres. Mais le point de ralliement devint Bruxelles et son Théâtre
de la Monnaie, quand cette ville fut libérée. Là,Lécluze t approuver en 1747 son
élixir odontalgique.
Lécluze àLunéville
Lécluze était depuis 1739, et peut-être avant, dentiste de Stanislas 1
er
Leszczynski
(1677-1766), beau-père de Louis XV, et donc se rendait fréquemment en Lorraine à
Nancy et Lunéville. Un indice pour appuyer cette airmation est dans lanec-
dote rapportée par Chamfort : "L’Écluse, celui qui a étéàla tête des Variétés
5. Nouvelles qui se débitent. 1905. Vol III. p. 179. Lettres de M. de Marville. Cette lettre est
datée du 8 mars 1747.
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amusantes, racontait que, tout jeune et sans fortune, il arriva àLunéville, oùil
obtint la place de dentiste du roi Stanislas, précisément le jour oùle roi perdit sa
dernière dent."
6
Il avait probablement fait une faute àParis et s’était réfugiéen Lorraine.
Quand la paix fut signée en 1748, il repartit sinstaller àLunéville oùil reprit
ses deux activités de dentiste et dacteur. Il montait sur les planches devant
les personnes de la cour qui gravitaient autour de lex-roi de Pologne, Duc de
Barr et de Lorraine, qui avait reconstituéun petit Versailles àLunéville.Cette
cour attirait les grands de ce monde et cest probablement làque Lécluze connut
Voltaire.
Comme précédemment, que ce soit dans sa période "Théâtre de la Foire" de 1736 à
1745, ou encore pendant les campagnes des Flandres oùil fut présent les années
1746 et 1747, Lécluze était sollicitéàla fois en tant que dentiste et en tant quacteur.
Ainsi nous savons quil a jouésur le théâtre de Lunéville le 16 janvier 1748
7
. Dans
une lettre du 16 janvier 1748, Alliot informe le comte de Sade
8
de larrivéeà
Lunéville des ducs de Wurtemberg : "Le roi (Stanislas) et toute la Cour en sont
charmés. Sa Majestéles retient encore demain pour leur faire prendre un cerf.
Aujourdhui, ils ont étéàChanteheux, Einville et Jolivet, puis àla comédie de
Démocrite jouée par les dames, et au Coq de village, oùjouait Lécluse. Il y a eu
appartement très brillant ; on va souper, il y a un concert de cinquante personnes, puis
bal masqué."
9
Il a rejouédans Le Coq de Village en janvier et février 1749. En témoignage le
courrier échangéentre Devaux et Madame de Graigny.
Devaux : "Notre petite farce
10
alla mieux que je ne lesperois. Cependant, les deux
enfants qui y jouoient nayant pas étéentendus, la pièce na pas eu grand effet et nous
fûmes effacés par un opéra comique quon donna ensuite. C’étoit Le Coq de village ou
jouoit un nomméLecluse qui a fait les délices de Paris dans ce genre, et qui en effet est
bien bon quand il est placé."
11
6. Chamfort : Maximes et pensées. Caractères et anecdotes. Chronologie, préface, notes et
index par Jean Dagen. Paris. Garnier-Flammarion. p. 215-216.
7. Anne Muratori-Philip : Le Roi Stanislas. Paris. Fayard. 2000. p. 220.
8. Le comte de Sade était le père du fameux marquis. Il était àla fois militaire, diplomate,
poète, philosophe et libertin.
9. Anne Muratori-Philip : Le Roi Stanislas. Note 7 p. 405 : Maurice Lever, Bibliothèque Sade
(I) ¢Papiers de famille, p. 508.
10. Il sagit de La Métamorphose amoureuse.
11. Correspondance de Madame de Graffigny. Tome IX. 11 mars 1748 ¢25 avril 1749. Lettres
1217-1390. Préparépar English Showalter. Voltaire Foundation. Oxford. 2004. p. 407
note 4.
108 Bull. Acad. Natle Chir. Dent., 2005, 48
Madame de Graigny : "Tu es bien heureux de voir et dentendre L’Écluse. Il a fait
bien des plaisirs àmes oreilles. Je crois quil y a peu dacteurs qui aient attrapéson
naturel dans le genre bas comique."
12
Lécluze resta àLunéville jusquen décembre 1752 oùil écrit en 1750 son premier
traitéde dentisterie : Traîtéutile au public, qui parut àNancy
13
.Ony
trouve lapprobation par Bagard, premier médecin du Roi (gure 1), de l’élixir
antiscorbutique de Lécluze. Celui-ci était déjàapprouvépar Chicoineau àBruxelles
en 1747.
Fig. 1
12. Correspondance de Madame de Graffigny. 22 février 1749 p. 433.
13. Traitéutile au Public. Nancy. Thomas. 1750.
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