Les nano-machines - Université Paul Sabatier

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Paul Sabatier
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16
Dossiers
Les
Nano-machines
L’Evolution
des Espèces
Avec la
participation de
www.ups-tlse.fr
Délégation
Administration déléguée
Midi-Pyrénées du CNRS
Midi-Pyrénées, Limousin de l’Inserm
édito
Cinq ans déjà !
En juin 2004 est paru le premier numéro du magazine
scientifique Paul Sabatier. Malgré quelques ajustements dans
le format opérés au cours des premiers numéros, l’objectif
est resté constant : faire connaître les résultats et les
compétences des équipes de nos laboratoires. Le choix a été
d’utiliser une forme d’écriture de bon niveau scientifique,
mais compréhensible pour un lecteur non spécialiste.
Le magazine s’est fait connaître par la qualité de ses dossiers
scientifiques, qui permettent d’explorer une thématique,
d’apporter les réponses des chercheurs à une question, de
faire le point sur le niveau des connaissances dans un
domaine donné. Au rythme de deux dossiers par numéro
MAGAZINE UPS
N° 16 — JUIN 2009
Illustration
de couverture :
Le propithèque
à couronne dorée
(Propithecus tattersali),
espèce forestière menacée
du nord de Madagascar.
En surimposition
une phylogénie
des primates. (voir dossier
ce sont 32 dossiers qui ont été publiés couvrant la presque
totalité des champs disciplinaires de notre université.
Accompagnant ces dossiers, les pages « vie des laboratoires »
permettent de coller à l’actualité scientifique, en présentant
des résultats significatifs qui ont donné lieu à des publications du plus haut niveau.
Pour pouvoir diffuser le magazine dans les universités et institutions internationales, il a été
décidé d’éditer une version en anglais, à partir du début 2008. Ce sont ainsi 600 exemplaires qui
s’ajoutent aux 2000 exemplaires en langue française. Enfin, la possibilité d’accéder au
magazine en ligne à travers le site web de l’UPS permet une large diffusion à tous les publics
sur l'évolution des espèces).
intéressés par la vie scientifique toulousaine.
Directeur
de la publication :
Gilles Fourtanier
Rédacteur en chef :
Daniel Guedalia
Comité de rédaction :
Isabelle Berry
Patrick Calvas
Daniel Guedalia
Guy Lavigne
Fréderic Mompiou
Aude Olivier
Carine Desaulty
(délégation Midi-Pyrénées
du CNRS)
Gaël Esteve
(administration déléguée
Midi-Pyrénées de l’Inserm)
Conseillère de rédaction :
Anne Debroise
Diffusion :
Joëlle Dulon
Sachant que la presque totalité de nos laboratoires sont des unités mixtes, le magazine Paul
Coordination dossiers
scientifiques :
Les nano-machines :
Frédéric Mompiou
L’évolution des espèces :
Etienne Danchin
Conception graphique
et impression :
Ogham-Delort
05 62 71 35 35 n°9100
dépôt légal :
Juin 2009
ISSN : 1779-5478
Tirage : 2000 ex.
Sabatier a souhaité rendre visible cette coopération entre établissements et organismes. Ainsi,
une convention a été signée, dès les premiers numéros, avec la délégation régionale du CNRS
et avec celle de l’Inserm. Cet accord permet au magazine de bénéficier des compétences du
CNRS et de l’Inserm dans le comité de rédaction. Egalement, les enseignants-chercheurs de
l’INP et de l’INSA appartenant aux unités mixtes participent activement au contenu de nos
articles, malgré l’absence d’un accord formel avec ces deux établissements. Le magazine Paul
Sabatier est bien la vitrine de la presque totalité des sciences, technologies et santé du site
toulousain. Un anniversaire permet aussi de regarder le chemin parcouru et de féliciter le
comité de rédaction de ce magazine pour son travail de qualité en l’encourageant à continuer
dans cette voie.
Le premier dossier présenté dans ce numéro traite des nano-machines. C’est un domaine
particulier des nanosciences, qui nécessite une étroite collaboration entre spécialistes de la
physique, de l’automatique et de la biologie. Domaine peu connu, dans lequel les équipes
toulousaines sont parmi les meilleures au monde. Vous allez découvrir comment les
chercheurs conçoivent des roues, des engrenages, des moteurs d’échelle nanométrique.
Un vrai meccano utilisant les technologies les plus avancées. Fascinant !
Le deuxième dossier est consacré à l’évolution des espèces. Dans cette année Darwin, il nous
a semblé intéressant de faire le point sur nos connaissances actuelles concernant les
mécanismes de l’évolution. Si la génétique est devenue un outil incontournable, on verra
qu’elle ne peut pas expliquer tous les modes d’évolution biologique. L’évolution fournit le cadre
général à toute approche scientifique du vivant. De ce fait, ce thème majeur de l’étude du
vivant joue un rôle structurant dans de nombreuses recherches à l’Université Paul Sabatier.
Université Paul Sabatier
118, route de Narbonne
31062 Toulouse cedex 9
Je vous souhaite une agréable lecture…
Gilles FOURTANIER
Président de l’Université Paul Sabatier
sommaire
Dossier :
Les nano-machines
4
Le prix international
Amélia Earhart
12
Vie des laboratoires
14
-
L’abus de fer
Coup de chaleur sur l’océan
La mission spatiale Biomass
La biologie dans l’espace
Les neurones…
La sensibilité aux médicaments
Dossier :
20
L’évolution des espèces
Vos encouragements, vos critiques, vos suggestions, une seule adresse :
[email protected]
Vous pouvez consulter et télécharger ce magazine et les numéros antérieurs
sur le site www.ups-tlse.fr (rubrique « diffusion des savoirs »)
dOSSIER
LES NANO-MACHINES
Les nano-machines
mécaniques
Constituées d’une molécule unique ou d’un ensemble complexe de molécules
parfaitement assemblées à l’échelle du nanomètre, les nano-machines
réalisent des fonctions analogues aux machines mécaniques de notre échelle.
Comprendre et maîtriser ces nano-machines est la motivation des chercheurs
toulousains dans de nombreuses disciplines telles la biologie, la physique ou
l’automatique.
>>> Christian JOACHIM, directeur de recherche
CNRS au Centre d'Elaboration de Matériaux et
d'Etudes Structurales (CEMES, unité propre CNRS,
associée à l’UPS), Laurence SALOMÉ, directrice de
recherche CNRS à l’Institut de Pharmacologie et
Biologie Structurale (IPBS, unité mixte UPS/CNRS)
et Christophe VIEU, professeur à l’UPS,
au Laboratoire d'Analyse et d'Architecture
des Systèmes (LAAS, unité propre CNRS,
associée à l’UPS). © Cyril Frésillon/CNRS
De nos jours, la miniaturisation est
omniprésente : voitures, hélicoptères, satellites,
calculateurs, mémoires, téléphones….
Aujourd’hui on commence à construire
des nano-machines dont les domaines
d’application concernent des disciplines telles
que la biologie, la physique, l’automatique…
En fait, il y a bien longtemps qu’artisans puis
ingénieurs s’évertuent à développer le savoirfaire d’une réduction en taille des machines
pour nous faire bénéficier de ses avantages.
On s’émerveille encore du calculateur
astronomique d’Anticythère qui deux siècles
avant notre ère faisait entrer un système solaire
en miniature dans la maison du philosophe
grec Hipparchus. Il était fait d’une trentaine
d’engrenages en bronze chacun d’un diamètre
de quelques centimètres. Transmis par la
science arabe aux horlogers de la fin du moyen
âge puis revisités par un Blaise Pascal pour
sa machine à calculer mais aussi par les
amoureux des automates, ces mécanismes
miniatures ont longtemps tenu la technologie
des machines sans trop se voir réduire en taille.
La technologie monolithique inventée avec la
micro électronique a ensuite donné une
nouvelle impulsion à la miniaturisation des
dispositifs électroniques et mécaniques. Il est
devenu possible de fabriquer des engrenages en
matériaux solides d’un diamètre inférieur à
100 nm. Du coup, une nouvelle question est
apparue au début de ce siècle: à partir de cette
échelle peut-on encore fabriquer et faire
tourner des roues, assembler des trains
d’engrenage ou des machineries mécaniques
d’une taille encore plus petite ?
De plus en plus petit
Cette question intéresse bien sûr la technologie
des machines puisqu’il est généralement admis
page 4
que la réduction en taille d’une machine
permet d’en améliorer le temps de réponse ou
l’efficacité énergétique par rapport à une
grande sœur non miniaturisée. Cette question
interroge aussi les grands principes de la
physique comme le principe de superposition
de la mécanique quantique et le second
principe de la thermodynamique. On sait aussi
depuis le milieu des années soixante dix et
grâce aux travaux précurseurs de Paul Boyer
(Prix Nobel de chimie en 1997), que la Nature
a devancé cette question. En effet, certains
processus élémentaires de la vie d’une cellule
utilisent des machineries macromoléculaires
complexes en jouant sur des changements de
conformation d’assemblages de protéines
pour créer du mouvement.
Un mot nouveau est donc apparu dans
le vocabulaire scientifique :
« nano-machine ». Pour les uns, une nanomachine est une machine dont la taille ne
mesure que quelques nanomètres. Pour
d’autres, une nano-machine est une machine
miniature dont les pièces élémentaires sont
fabriquées avec une précision de l’ordre du
nanomètre. Les six contributions de ce dossier
présentent des nano-machines répondant à ces
deux définitions et qui sont explorées dans les
laboratoires toulousains.
Des systèmes et des approches variées
A l’UPS, des équipes de biologistes ont disséqué
le fonctionnement de plusieurs nano-machines
du vivant à l’aide d’approches expérimentales
in vitro novatrices à l’échelle de macromolécule,
molécule unique. Ainsi, à l’Institut de
pharmacologie et biologie structurale (IPBS,
unité mixte UPS/CNRS), deux équipes
travaillent à élucider les mécanismes de
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
>>> Sur un fond représentant le calculateur d'Anticythère (IIème siècle avant notre ère, musée d'Athènes),
quelques nano-machines (vue d'artiste).
machineries de l’ADN responsables de sa
réplication et de sa recombinaison, deux
processus essentiels pour le maintien et
l’évolution du génome. Pour l’étude de la
réplication de l’ADN, les chercheurs analysent
le résultat du travail effectué par cette nanomachine protéique dans la cellule en
cartographiant individuellement les molécules
d’ADN synthétisé. La méthode utilisée est le
peignage moléculaire, mais une approche
originale potentiellement plus performante est
à l’étude en collaboration avec un chercheur du
Laboratoire d’analyse et d’architecture des
systèmes (LAAS, unité propre CNRS, associée à
l’UPS). Les machineries de la recombinaison sont
elles étudiées au sein d’un deuxième groupe en
collaboration avec des collègues du Laboratoire
de Microbiologie et génétique moléculaires
(LMGM, unité mixte UPS/CNRS). L’approche
consiste cette fois à observer le travail effectué
par la nano-machine impliquée en détectant au
cours du temps les modifications induites sur
la molécule d’ADN. Ceci est effectué à l’aide d’un
« jokari » moléculaire : la technique de « Tethered
Particle Motion ». Une variante de cet outil, la
pince magnétique, permet d’étudier le
comportement sous force des nano-machines
biologiques. Elle est utilisée par une équipe du
Laboratoire de biologie moléculaire eucaryote
(LBME, unité mixte UPS/CNRS) pour élucider le
mécanisme de migration d’une jonction de
Holliday existant entre deux molécules d’ADN
qui échangent leurs brins.
Au LAAS, on étudie une machinerie protéique
encore plus complexe faite d’une centaine de
protéines assemblées en un moteur flagellaire de
45 nm de diamètre. Ce moteur naturel se trouve
à la base du flagelle des bactéries et permet leur
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propulsion à des vitesses impressionnantes
(60 fois leur longueur par seconde). L’objectif de
ces chercheurs est double : comprendre le
fonctionnement de ce nanomoteur et mettre en
place une technologie capable de reconstituer
cette nanomachine naturelle au sein d’un
dispositif artificiel. Les chercheurs du LAAS
étudient les raisons d’une telle efficacité et
essayent de découvrir comment cette
nanomachine s’auto-assemble. Pour comprendre
son fonctionnement et son assemblage, rien de
tel que d’essayer de la « remonter » à partir de
ses rouages élémentaires : les protéines !
Au CEMES (unité propre CNRS, associée à l’UPS)
les chercheurs du groupe Nanosciences (GNS)
approchent la question des nano-machines par
en bas. Au lieu de poursuivre, avec les outils
standard de la miniaturisation, la fabrication de
machines de plus en plus petites, ils partent des
atomes eux même. Ils remontent en taille pour
trouver le nombre d’atomes juste nécessaire à la
construction par exemple d’un engrenage, d’une
crémaillère ou même d’une voiture. Cette
approche moléculaire des nano-machines est née
à Toulouse. Pour faire fonctionner une moléculemachines, les chercheurs du GNS utilisent le
microscope à effet tunnel. Dernier né des
microscopes (inventé en 1981), il permet de
cartographier la surface d’un métal ou d’un
semi-conducteur avec une précision meilleure
que 0.01 nm. Une fois la pointe de ce microscope
fabriquée avec soin, l’expérimentateur peut
manipuler un seul atome ou une seule molécule
à la fois et donc fournir à une molécule machine
complexe l’énergie nécessaire à son
fonctionnement.
Contact : [email protected],
[email protected], [email protected]
dOSSIER
Les
nano-machines
Les nano-machines
de la recombinaison génétique
Au cours de la vie d’une cellule, l’ADN, support de notre patrimoine héréditaire,
est régulièrement recombiné de manière spontanée ou en réponse à des
dommages (agressions chimiques, rayonnements). La recombinaison consiste
en une succession de réactions de coupure et de ligature assurées par des
complexes protéiques, véritables nano-machines du vivant. En permettant des
échanges entre brins d’ADN, ces machines sont les moteurs de la diversité
génétique, premier pas de l’évolution.
Sur le campus de l’université Paul Sabatier, trois
équipes de recherche étudient différents types de
recombinaisons génétiques à l’échelle de la molécule
>>> de gauche à droite : Philippe ROUSSEAU
Maître de conférences à l’UPS, au LMGM,
unique : la transposition, la recombinaison spécifique de
Mikhail GRIGORIEV, Chargé de recherche
site et la recombinaison homologue, chacun catalysé par
Inserm au LBME, Catherine Tardin, Maître de
une machinerie enzymatique propre (suffixe -ase).
conférences à l‘UPS à l’IPBS, François CORNET
Les transposases catalysent le déplacement de
Directeur de recherche CNRS au LMGM,
séquences d’ADN d’une position à une autre d’un
Michael CHANDLER, Directeur de recherche
CNRS au LMGM et Laurence SALOMÉ,
génome (transposition). Ces séquences colonisant tous
Directeur de recherche CNRS à l’IPBS.
les génomes (40% du génome humain), la
compréhension du fonctionnement de ces machines,
objectif des travaux d’une équipe du Laboratoire de
microbiologie et génétique moléculaires (LMGM), est un
enjeu majeur. En outre, la maîtrise in vitro du processus
de transposition ouvre actuellement des applications
importantes dans le domaine de la santé (thérapie
génique).
Les recombinases réalisent, quant à elles, des
recombinaisons entre chromosomes au niveau de
séquences bien identifiées. Par
exemple, les recombinases XerC et
XerD, étudiées dans une autre équipe
du LMGM, séparent les chromosomes
dans les dimères formés
accidentellement lors de la réplication
chez E. coli. Cette machine en
rétablissant l’intégrité du génome
assure la survie des bactéries affectées
par cette anomalie génétique. Les
propriétés et les performances des
recombinases sont à la base des
techniques actuelles de transgénèse.
Les hélicases étudiées dans une
équipe du Laboratoire de Biologie
Moléculaire Eucaryote (LBME)
s’assemblent pour former des moteurs
de l’échange de brins entre deux
>>> Le mouvement d’une bille attachée à l’extrémité libre d’une
molécules d’ADN similaires. Ce
molécule d’ADN permet de suivre l’action de nano-machines du
processus de recombinaison
vivant. Haut : une transposase ou une recombinase en rassemblant
homologue, mis en place en réponse à
deux sites spécifiques d’une même molécule y forment une boucle
des cassures de la double hélice
accompagnée par une amplitude de mouvement plus faible. Bas :
une hélicase catalyse la migration de la jonction entre deux molécud’ADN, joue un rôle prépondérant
les d’ADN échangeant leurs brins, révélée par une diminution contidans la réparation de l’ADN et le
nue de l’amplitude du mouvement.
maintien de l’intégrité des génomes.
page 6
Observer les machines de recombinaison
au travail
La caractérisation de ces machines biologiques a
commencé à l’aide de méthodes biochimiques classiques.
Elles ont montré que les recombinaisons mettent en jeu
différentes étapes savamment orchestrées et que l’autoassemblage de leurs machineries est déterminant pour
leur efficacité et leur régulation. Pour élucider le détail
structurel et dynamique des processus, nos équipes se
sont récemment tournées vers des techniques de mesure
à l’échelle de la molécule individuelle.
La technique de Tethered Particle Motion, développée
à l’IPBS, consiste à détecter le déplacement d’une nanoparticule fixée à l’extrémité d’une molécule d’ADN
ancrée sur une lamelle de verre. Elle permet de suivre
la dynamique de l’ADN et donc des changements de
longueur, de rigidité ou de courbure. Très sensible,
la technique peut détecter la liaison d’une protéine
à l’ADN. Ces expériences ont conduit à des résultats
importants comme la démonstration de la formation
d’une boucle dans la molécule d’ADN par la transposase
comme première étape de la transposition et la mesure
de la vitesse de migration d’une jonction de Holliday
(point d’échange des brins des ADN). Avec une
particule micrométrique magnétique, une force
(<10 pN ou 10-11Newton) peut être appliquée à l’ADN.
Cette méthode dite « pince magnétique » est utilisée
par l’équipe du LBME pour mieux comprendre l’hélicase
mais aussi d’autres enzymes introduisant une torsion
de l’ADN.
Les chercheurs des équipes du LMGM et de l’IPBS
complètent l’étude des recombinases et transposases
par une visualisation directe de leur action sur des
molécules d’ADN au moyen des microscopes à force
atomique de la plateforme ITAV (Institut des
Technologies Avancées en sciences du Vivant).
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
Les nano-techniques
pour visualiser
la duplication de l’ADN
L’essor récent de techniques permettant de visualiser la nano-machinerie de la
réplication de fibres individuelles d’ADN ouvre de nouvelles perspectives.
Objectif : mieux comprendre les liens entre défauts de réplication et instabilité
génétique.
Aurélien BANCAUD, Chargé de recherche
CNRS au LAAS (unité CNRS,
associée à l’UPS)
>>> >>> Marie-Jeanne PILLAIRE,
Chargé de recherche Inserm et
Jean-Sébastien HOFFMANN,
Directeur de recherche Inserm à l’IPBS
(unité mixte UPS/CNRS)
La machinerie de réplication de l’ADN est une nanomachine biologique particulièrement efficace et
critique qui assure la duplication de l’ensemble du
génome humain avant la ségrégation des
chromosomes. Elle débute au niveau de régions
précises appelées « origines de réplication » et
progresse sous la forme de fourches de réplication,
composées par de nombreux facteurs essentiels pour la
polymérisation fidèle de l’ADN (les ADN polymérases)
et pour la stabilisation de ces fourches en cas de
rencontres d’obstacles endogènes (domaines
chromosomiques complexes et structurés) ou exogènes
(facteurs génotoxiques de l’environnement). La
moindre défaillance dans l’expression ou l’activité des
facteurs de réplication peut affecter le maintien de
l’intégrité du génome et avoir des conséquences en
pathologie humaine. C’est le cas notamment lors du
développement de certains cancers où l’instabilité
génétique est un élément moteur dans les processus
d’initiation et de progression de la maladie, mais
également dans les mécanismes de résistance
thérapeutique. Les mécanismes moléculaires à
l'origine de ces défauts de réplication dans les cancers
restent encore mal connus. En effet, les profils de
réplication varient considérablement d’une cellule à
l’autre et les approches biochimiques existantes ne
permettent d’obtenir qu’une image moyenne de la
réplication dans une population de cellules.
>>> (A) Fibres d’ADN peignées sur lame ayant incorporé
des analogues de nucléotides fluorescents ;
(B) Cliché de microscopie électronique de nano-canaux gravés
dans du silicium. Les structures mesurent ~150 nm de largeur
et de hauteur, et sont réalisées en parallèle. L'insert représente
un cliché de microscopie à fluorescence d'ADN insérés dans les
nanocanaux (flèches rouges), et d'autres ADN en forme circulaire, non contraints, sont visibles à gauche de la photo, et se trouvent dans des canaux d'arrivée macroscopiques.
Peigner l’ADN
L’essor récent de nano-techniques
permettant de visualiser la réplication au
niveau de fibres individuelles d’ADN ouvre
de nouvelles perspectives pour la
compréhension des liens existant entre
défauts de réplication et instabilité
génétique dans les cancers. Ces nouvelles
approches permettent non seulement
d’identifier l’origine des défauts de
réplication dans les lésions précancéreuses,
mais aussi de définir de nouvelles stratégies
thérapeutiques anti-tumorales afin de
potentialiser l'effet des traitements actuels
agissant sur les fourches de réplication. La
plus performante de ces approches, appelée
page 7
peignage moléculaire (brevetée par le CNRS et
l’Institut Pasteur), a été développée en France par le
Dr. Aaron Bensimon, et n’est encore utilisée que par
un nombre réduit d’équipes dans le monde, dont
notre équipe « Instabilité Génétique et Cancer » (IGC)
à IPBS. Le peignage moléculaire (ou DNA Combing
en anglais) permet d’accrocher et d’étirer les fibres
d’ADN sur une lame de verre silanisée. Une fois
peignées, ces fibres individualisées, qui peuvent
mesurer quelques Megabases (Mb), apparaissent
linéaires et parallèles les unes aux autres. Leur
visualisation est possible grâce à l’incorporation
d’analogues de nucléotides fluorescents. D’une
résolution de 0.005Mb environ, le peignage
moléculaire de l’ADN permet de décrypter le
programme de réplication (densité d’origines,
cinétique des fourches,…). Cette technologie
a récemment permis à notre équipe IGC d’expliquer
une origine de la perturbation du programme
réplicatif des tumeurs(1).
Mettre de l’ADN dans des nano-tubes
L’équipe Nano-Ingénieurie et Intégration des
Systèmes au LAAS développe actuellement des
aspects méthodologiques innovants, fondés sur les
techniques de nano-fabrication et alternatifs au
peignage. Grâce aux outils issus de la
microélectronique, qui permettent de structurer la
matière jusqu’à l’échelle de quelques nanomètres, il
est en effet possible de concevoir des nano-capillaires
d’environ 100 nm de diamètre. Compte tenu du
confinement, les molécules d’ADN insérées dans ces
nano-tubes sont étirées longitudinalement, d’une
manière comparable au peignage d’ADN. Ce peignage
strictement parallèle est dynamique car il ne nécessite
pas de figer les molécules sur des surfaces, ce qui
ouvre une voie vers des applications médicales
à haut débit.
(1) (Pillaire et al., Cell Cycle 2007, recommended article in
Faculty of 1000 Biology)
Contact : [email protected]
Les
nano-machines
De la roue nanométrique
aux véhicules moléculaires
Dans l’histoire des inventions, la roue est à l'origine de développements
scientifiques et technologiques considérables. Les chercheurs du CEMES ont
été parmi les premiers à concevoir des nano-machines équipées de roues
ouvrant ainsi la voie à la conception d'une nano voiture constituée d'une
molécule unique.
>>> Christian JOACHIM, directeur de recherches
au CNRS ; Henri-Pierre JACQUOT, doctorant ;
Gwénaël RAPENNE, maître de conférences à
l'UPS, chercheurs au Centre d'Elaboration de
Matériaux et d'Etudes Structurales (CEMES,
unité propre CNRS associé à l’UPS).
dOSSIER
© Cyril Frésillon/CNRS
page 8
L’utilisation du mouvement de rotation d’une roue
autour d’un axe a conduit à la conception de
machineries mécaniques à engrenages multiples puis,
plus tard, aux moteurs lançant ainsi la révolution
industrielle. L’échelle d’un nanomètre, la plus petite
échelle pour créer une roue, représente aux yeux des
chimistes et des physiciens un véritable défi. Depuis
quelques années, les chimistes du CEMES travaillent à
la conception puis à la synthèse de molécule-machines
munies de roues. Étape par étape, ils ont été les
premiers à défricher ce domaine avec leurs collègues
de l'Université Libre de Berlin (équipe du Dr Leonhard
Grill). L'originalité de l’approche consiste à travailler
sur une seule molécule à la fois, choisie parmi un
grand nombre, déposée sur une surface métallique.
Avec sa pointe ultra fine stabilisée à moins de 1 nm
de la surface par un courant électrique induit par
l'effet tunnel, le microscope à effet tunnel (STM)
cartographie ces molécules. Cette pointe permet
ensuite de les manipuler une à la fois afin d’étudier
les propriétés mécaniques de chacune de ces moléculemachines.
La molécule brouette
Après la synthèse et l’observation en 2005 d’une
molécule-brouette (c'est à dire une molécule
constituée d'un plateau rigide, de deux pieds et de
deux roues), les chercheurs ont montré en 2007
qu’une des deux roues moléculaires montées sur un
essieu pouvait tourner lors de son déplacement induit
par la pointe du STM. Ils ont réussi à contrôler son
sens de rotation ce qui ouvre la voie à la synthèse de
nano-véhicules fonctionnels. L’expérience consistait à
déposer délicatement ces molécules sur une surface de
cuivre très propre et de les repérer par imagerie STM.
Ensuite, la pointe du STM se comporte comme un
doigt et déclenche le mouvement de rotation de la
roue interagissant avec l'extrémité atomique de la
pointe. Auparavant, cet apex avait été placé
intentionnellement à la verticale d’une roue mais un
peu en retrait pour déclencher le mouvement de
rotation (voir la figure).
>>> L'essieu terminé par deux roues est poussé
par l'apex de la pointe (en gris) du microscope
à effet tunnel sur une surface de cuivre.
Vers une nano-voiture
Ces roues ont néanmoins un défaut intrinsèque de
par leur structure à trois pâles sans « pneu ».
Aujourd’hui, les chercheurs du CEMES développent
une nouvelle famille de roues rigides, circulaires et de
forme incurvée ce qui permet à la fois de minimiser
les interactions mécaniques avec la surface tout en
augmentant la rigidité nécessaire à la rotation de la
roue autour de son axe lors d’une poussée arrière par
l’apex de la pointe. Ces résultats ouvrent la voie à la
création de molécule-machines mécaniques avec pour
objectif à long terme de pouvoir embarquer dans une
seule molécule toute la machinerie d’une nano-voiture :
ses quatre roues, son châssis et son moteur, ceci pour
transporter de la matière dans le nanomonde.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
Une famille de moteurs
moléculaires
Bien que le principe de fonctionnement d’un moteur soit simple –transformer
de l’énergie en mouvement– la conception d’un nano-moteur constitué d’une
molécule unique est un défi sérieux. Les chercheurs du CEMES ont pourtant
réussi à le relever en s’appuyant sur le modèle original du moteur
électrostatique.
>>> Gwénaël RAPENNE, maître de conférences
à l'UPS et Jean-Pierre LAUNAY, professeur
à l'UPS et directeur du laboratoire, chercheurs
au Centre d'Elaboration de Matériaux et
d'Etudes Structurales (CEMES, unité propre
CNRS, associé à l’UPS).
Dans le domaine des nanosciences et de la nanomécanique moléculaire en particulier, un des défis
est la conception et la construction d’un moteur
moléculaire de taille nanométrique. Il s'agit d'une
machine qui transforme de manière continue l’énergie
en produisant un travail via un mouvement de
rotation unidirectionnel contrôlé. Ce mouvement doit
être réversible et d’une amplitude suffisamment
grande pour qu’il soit mesurable et exploitable.
© Cyril Frésillon/CNRS.
Moteur électrostatique
Les moteurs que l’on a synthétisés ont été pensés
pour être adressés individuellement. Le principe de
fonctionnement implique de pouvoir connecter la
molécule par deux nano-électrodes servant de
réservoirs d’électrons comme représenté sur la figure.
La molécule comporte une partie fixe (stator) greffée
à la surface et une partie mobile (rotor) portant
des sites oxydables. En présence d’une polarisation,
l’électrode positive injecte à la partie mobile de la
molécule des charges de même signe dont la répulsion
avec l’électrode provoque un mouvement de rotation.
Il s’agit ainsi d’un moteur électrostatique,
fonctionnant sur un principe décrit par Benjamin
Franklin en 1748 ! Le moteur tourne en consommant
l’énergie provenant du transport des électrons d’une
zone de bas potentiel électrique à une zone de haut
potentiel. La dissymétrie du système permettra de
contrôler le sens de rotation.
Ces moteurs ont une structure générale en tabouret de
piano. Ils sont composés d'une partie fixe (en noire
sur la figure) liée de manière covalente à la surface.
La seconde est une plateforme (bleue) terminée par
cinq groupements électro-actifs. Ces groupements
seront le siège de transferts d'électrons successifs qui
induiront la rotation de la partie mobile de la
molécule et ceci en privilégiant un sens donné. Entre
ces deux parties, un atome de ruthénium joue le rôle
de rotule conférant à cette molécule un caractère
organométallique.
page 9
>>> Une famille de moteurs moléculaires de quelques nanomètres de diamètre positionnée entre 2 électrodes métalliques
fabriquées avec une résolution atomique
Nous avons synthétisé plusieurs molécules de taille et
de constitution différentes qui illustrent les différentes
contraintes à respecter. Tout d’abord le système doit
être le plus rigide possible, c’est à dire ne pas
présenter de degrés de rotation inutiles, qui
entraîneraient une déperdition d’énergie dans des
mouvements non souhaités. Ensuite, il faut que la
rotation soit aisée autour de l’axe vertical, mais sans
qu’il y ait de tendance à la dissociation entre la partie
fixe et la partie mobile. Enfin il faut que l'ensemble
des potentiels rédox soient compatibles avec le
processus souhaité.
Plusieurs collaborations internationales sont mises en
œuvre avec des équipes complémentaires de physiciens
(à l'Institut Max Plank de Stuttgart et à l'Université
d'Ohio) pour déposer et étudier cette rotation électroinduite. A plus long terme ces moteurs pourraient
intégrer des robots nanométriques capables de remplir
une grande variété de fonctions allant de la médecine
aux applications quotidiennes ou bien motoriser les
nanovéhicules que nous développons par ailleurs.
Contact : [email protected]
Les
nano-machines
Une crémaillère moléculaire
avec sa molécule-pignon
Pour développer des machineries moléculaires complexes, il est indispensable
de maîtriser la mécanique à l’échelle moléculaire. Des expériences dans ce
sens ont été effectuées de manière à faire déplacer un pignon sur une
crémaillère moléculaire.
>>> Christian JOACHIM, et André GOURDON,
directeurs de recherche CNRS, membres du Groupe
Nanosciences du CEMES (unité propre du CNRS,
associée à l'UPS). © Cyril Frésillon/CNRS.
La conception et la synthèse de molécules capables
d'effectuer des actions mécaniques précises sont une
des clés du développement de futures nanomachineries moléculaires complexes dont les pièces
élémentaires auront un diamètre de l’ordre du
nanomètre. Pour cela, il était d’abord indispensable
de démontrer comment un mécanisme aussi simple
qu’un pignon se déplaçant le long d’une crémaillère
est réalisable à l’échelle moléculaire en utilisant une
molécule-pignon d’un nanomètre de diamètre se
déplaçant mécaniquement le long d’une crémaillère
moléculaire.
>>> A- Image STM d'un cristal 2D d'hexa-tert-butyl-pyrimidylpenta-
Une molécule-pignon en forme d'étoile à six branches
a d’abord été conçue puis synthétisée. Afin de
pouvoir suivre ses rotations lors d’expériences de
mécanique, une des branches est chimiquement
différente des cinq autres avec deux atomes d'azote,
en bleu sur le modèle moléculaire (voir figure). Ainsi,
quand une image en microscope à effet tunnel (STM)
de cette molécule est réalisée, cette branche est
cartographiée avec un large contraste tunnel. On
peut ainsi déterminer l'orientation de la molécule
dans chaque image STM. Ces molécules sont aussi
capables de s'auto-assembler sur une surface
métallique ultra propre. Elles forment spontanément
des ilots cristallins bidimensionnels composés chacun
d'une monocouche parfaitement organisée de
molécules, de véritables nano-cristaux de pignons.
Les bords d’un de ces ilots cristallins et plats
conservent la dentelure de la molécule qui le compose
et vont donc servir de crémaillère.
Une pointe pour déplacer la molécule
L'expérience de mécanique moléculaire est réalisée de
la manière suivante. 1) Une molécule-pignon isolée
est préalablement manipulée par la pointe STM en
direction de la crémaillère pour qu’au moins une de
ses branches s’enclenche dans les dents moléculaires
de la crémaillère. 2) La pointe du STM est alors
placée à la verticale et dans l'axe d'une moléculepignon. 3) La pointe est approchée de la molécule
pour devenir son axe de rotation. 4) La pointe est
alors déplacée par l’expérimentateur, pas à pas,
parallèlement à la crémaillère. La molécule-pignon
page 10
phenylbenzène; une des molécules a été déplacée à
l'aide de la pointe du microscope de façon à l'enclencher sur
le bord de la monocouche, qui fait office de crémaillère
B- Concept de la crémaillère; C- La présence des atomes
d'azote, qui apparaissent comme des points blancs, permet
de suivre la rotation de la roue dentée lors de son déplacement
le long du bord de marche.
se met à tourner autour de son axe au rythme des
dents de la crémaillère rencontrées lors de son
déplacement par le pignon. Cette rotation est
observée soit dans le courant tunnel enregistré au
cours du déplacement de la pointe STM soit en
réalisant une image STM du pignon à chaque
rotation d’un sixième de tour. Nous avons pu ainsi
démontrer que le concept d'engrenage s’applique à
l'échelle d’une molécule. Les mouvements mécaniques
de la molécule-pignon autour de son axe sont en
apparence classiques. Le sens de rotation du pignon
est contrôlable par la direction du déplacement de
la pointe le long de la crémaillère. Reste maintenant
à remplacer la pointe du STM par un axe lui-même
défini à l’échelle atomique et adsorbé sur la surface
afin de construire un train de molécule-engrenages et
poursuivre le montage de machineries moléculaires
complexes.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
Le nano-moteur
des bactéries à flagelles
Les bactéries ont développé au cours de l’évolution une nano-machine complexe
mais très efficace pour se déplacer : un moteur rotatif couplé à des flagelles
servant d’hélice. Aujourd’hui les chercheurs du LAAS décortiquent et
réassemblent cette machinerie à l’aide des outils de la nano-bio-technologie.
>>> Jérôme CHALMEAU, doctorant et Christophe VIEU,
Professeur à l’UPS, membres du groupe
nanobiosystèmes du LAAS
(unité propre CNRS, associée à l’UPS)
Les micro-organismes, comme les bactéries ont
développé des organes, appelés organelles, qui leur
permettent de remplir toutes sortes de fonctions liées
à leur survie. Ces organelles représentent de
formidables assemblages moléculaires d’une
complexité encore inaccessible à l’homme. Le système
assurant la mobilité des bactéries comporte un
moteur rotatif à la base du flagelle dont la
dimension est 2000 fois plus petite que le diamètre
d’un cheveu, et 45 fois plus petit que la bactérie
elle-même. Ce flagelle fonctionne comme l’hélice
d’un bateau, sa rotation rapide, de l’ordre de
10000 rotations par minute pour certaines espèces,
permet à cet organisme de se déplacer à grande
vitesse. La nature, au cours d’évolutions successives,
a donc réussi à faire émerger des architectures
moléculaires de nanomoteur rotatif.
Le projet de l’équipe est double : d’une part
comprendre son fonctionnement et d’autre part
mettre en place une technique permettant de
procéder à son assemblage à partir de ses
constituants élémentaires, les protéines. En effet, le
mécanisme de ce nano-moteur reste encore sujet à
débat. Dans l’optique de comprendre son
fonctionnement, nous utilisons les outils offerts par
les nano-bio-technologies afin de réassembler, pièce
par pièce, ce moteur sur des dispositifs artificiels.
Assemblage du moteur biologique
Cette approche, où la compréhension passe par la
fabrication de l’objet soulève en corolaire une
question scientifique cruciale : est-il possible de
maîtriser l’assemblage de protéines sur des surfaces
et de reconstituer des nano-machines naturelles ? La
figure montre une image de synthèse d’un possible
arrangement des différentes parties du nano-moteur
(rotor, stator), ainsi qu’une image obtenue en
microscopie à force atomique (AFM) en milieu
liquide de l’un des anneaux de ce nanomoteur
(l’anneau M) reconstitué sur une surface mimétique
obtenue par nanolithographie douce. Ces premiers
résultats ouvrent la voie pour la mise au point
d’outils et de technologies permettant de reconstruire
des nano-machines biologiques naturelles et de les
intégrer au sein de nanodispositifs artificiels
(biocapteurs, nanotransporteurs …). Le montage
artificiel de ce moteur biologique, bloc après bloc est
un défi technologique ambitieux qui couple
différentes techniques qui se situent au meilleur
niveau international : production et purification de
protéines, chimie de surface et auto-assemblage,
nano-lithographie et imagerie dynamique à l’échelle
moléculaire par AFM. Ce travail est fait en
collaboration avec le LISBP (INSA Toulouse) et l’IPBS
(unité mixte UPS/CNRS).
Contact : [email protected]
>>> A droite, image de synthèse de l’architecture du nanomoteur flagellaire des bactéries. Base du
flagelle et rotor en gris, Stator (en bleu sombre et en orange), anneau C (bleu clair) responsable du
changement du sens de rotation du moteur.
A gauche, image en microscopie à force atomique en milieu liquide de l’auto-assemblage en
anneau de protéines issues du nanomoteur flagellaire des bactéries (protéines FliG) sur une
surface mimétique préparée par nanolithographie douce sur une lame de verre.
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Prix international
Quatre doctorantes de laboratoires
par le prix international Amélia
Ce prix, décerné chaque année par le Zonta International(*), est convoité
mondialement. Il récompense des jeunes femmes pour l’excellence de leurs
travaux en sciences et ingénierie liés au domaine aéronautique et spatial.
À l’image de cette pionnière de l’aviation qui fut la première femme à traverser
l’Atlantique en 1932, les lauréates du prix « Amelia Earhart » sont sélectionnées par
un jury scientifique international pour des travaux de recherche à caractère
innovant et prometteur. Ce prix représente un enjeu de taille pour les candidates
puisqu’il leur permet de recevoir, chacune, 10 000 $ US. Pour l’année universitaire
2008-2009, le Prix Amelia Earhart a permis de distinguer, parmi 180 candidates de
toutes nationalités, 35 jeunes étudiantes en thèse ou PhD.
Céline Casenave, de nationalité française, entre en 2006 au LAAS(1) après un Master
recherche à Supaéro. Cette formation lui permet d’acquérir une solide formation en mathématiques appliquées mais aussi d’effectuer un stage dans le domaine de l’automatique.
Aujourd’hui en 3ème année de thèse, elle travaille sur la «formulation diffusive d’équations
opérationnelles et application à certains problèmes dynamiques non linéaires ». Elle
obtient des résultats significatifs concernant le problème fondamental d’« inversion
opératorielle », résultats qu’elle a, par ailleurs, commencé à appliquer avec succès en
situation concrète pour la simulation et l'identification de certains modèles en
© Cyril Frésillon/CNRS.
aéroacoustique et combustion.
Elle bénéficie d’une allocation de recherche du Ministère et participe à l’enseignement,
grâce à ses fonctions de monitrice à l’Université Paul Sabatier.
(1) Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (unité CNRS, associée à l’UPS)
Benedetta Franzelli, de nationalité italienne, est actuellement en 2ème année de thèse
en combustion au CERFACS(2) de Toulouse. C’est avec une solide formation en calcul
scientifique pour la dynamique des f luides acquise en Italie qu’elle arrive au CERFACS en
2008. Sa thèse est entièrement financée par une bourse obtenue dans le cadre du projet
Européen Marie Curie ECCOMET. Ses travaux de recherche portent sur la simulation
numérique aux grandes échelles des chambres de combustion des turbines à gaz. C’est grâce
à la simulation numérique que l’on peut envisager de modéliser et d’étudier le comportement de chambres de combustion complexes et difficilement étudiables par des expériences.
© Cyril Frésillon/CNRS.
(2) Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique (société civile entre le CNES, EADS,
EDF, Météo-France, l’ONERA, SAFRAN et TOTAL).
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Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Prix international
toulousains récompensées
Earhart 2009 du Zonta
Elsy Kaddoum, de nationalité libanaise, est en première année de thèse à l’IRIT(3), dans
l’équipe « systèmes multi agents coopératifs ». C’est lors d’un projet réalisé pendant son
année de Master qu’elle rencontre cette équipe reconnue mondialement, et qu elle décide
d’y effectuer son stage de fin d’étude. Attirée par la résolution de problèmes complexes
tels que la conception aéronautique elle obtient à la fin de son Master, une allocation du
Ministère et intègre l’IRIT en tant que doctorante. Ses travaux de recherche portent sur
l’optimisation sous contraintes des problèmes distribués par auto-organisation coopérative.
Le but de sa thèse est de pouvoir analyser et évaluer la complexité de ces problèmes ainsi
que les méthodes de résolution spécifiques existantes, afin d’établir une approche
© Cyril Frésillon/CNRS.
générique de résolution basée sur les systèmes multi-agents auto-organisateurs.
(3) Institut de recherche en informatique de Toulouse (unité mixte CNRS/UPS/INP/UT1/UTM)
Aurélie Vande Put, de nationalité française, est en 3ème année de thèse à l’Institut
Carnot CIRIMAT(4) dans l'équipe Mécanique, microstructure, oxydation, corrosion
(MEMO). Elle arrive au CIRIMAT en 2006 à la suite d’une candidature spontanée.
Elle recherchait avant tout une thèse sur les matériaux dans un laboratoire du CNRS et
qui soit en relation avec un industriel. Ses travaux de thèse, financée en partenariat
par le CNRS et la société TURBOMECA, concernent les relations entre les paramètres
d’élaboration de systèmes de barrières thermiques, cinétique d’oxydation, évolution
microstructurale et écaillage.
(4) Centre d'Elaboration de Matériaux et d'Etudes Structurales (unité mixte CNRS/UPS/INP)
© Cyril Frésillon/CNRS.
Rédaction faite par Audrey Morazin
(*) Le ZONTA INTERNATIONAL, club féminin présent dans 68 pays, oeuvre pour améliorer
l’autonomisation des femmes en agissant sur le développement de leur statut légal,
juridique et social, leur accès à la culture, à l’éducation et à la santé.
Depuis 2008, une convention lie le Zonta à la Fondation toulousaine « Sciences et technologies pour l’aéronautique et l’espace » (STAE) du RTRA du même nom, pour assurer la
promotion de ce prix.
Pour en savoir plus : www.zonta.org et www.fondation-stae.net
page 13
Vie des laboratoires
Vie des
laboratoires
Le fer, une molécule à
consommer avec modération
>>> Marie-Paule ROTH, Directrice de recherche
INSERM (à droite) et Helene Coppin directrice de
recherche Inserm (à gauche) avec leur équipe du
centre de physiopathologie de Toulouse Purpan,
(CPTP, unité mixte Inserm /
Université Paul Sabatier)
Beaucoup de compléments alimentaires sont riches en fer, pourtant notre organisme
n’en nécessite que très peu pour fonctionner. Trop de fer est même toxique comme
peuvent en témoigner les 180 000 français atteints d’hémochromatose. Une équipe
toulousaine vient de découvrir la molécule régulant l’absorption de ce nutriment
essentiel(1)…mais à consommer avec modération. Entretien avec Marie Paule Roth
du CPTP.
➜ En quoi le fer est-il un nutriment
particulier ?
Le fer est indispensable à la synthèse de
l'hémoglobine des globules rouges ainsi qu’à de
très nombreux processus cellulaires tels que le
transport de l’oxygène ou la respiration. Il s'agit
donc d'un élément vital pour l’organisme. Sa
carence ou au contraire son excès sont à
l’origine de graves maladies. Le fer est absorbé
dans l’organisme par les cellules intestinales.
Cependant l’organisme ne peut pas le rejeter.
L’absorption doit donc être régulée en fonction
des besoins pour éviter que ne s’installe une
surcharge en fer potentiellement toxique.
➜ En quoi consiste l’hémochromatose ?
Qui est concerné ?
C’est la maladie génétique la plus fréquente et
touche près de 180 000 français. Elle est plus
répandue que mucoviscidose, phénylcétonurie et
dystrophie musculaire réunies. Elle provoque une
forte surcharge en fer dans l’organisme. En
l’absence de prise en charge adaptée, elle
conduit dans la majorité des cas à l’apparition
de lésions hépatiques sévères.
➜ Qu’est-ce qui vous a mené à cette
découverte ?
En 2001, des chercheurs de Rennes et de Paris
ont découvert le rôle de l’hepcidine, une
molécule
produite par le
foie lorsque la
quantité de fer
dans
l’organisme
devient trop
importante.
L’hepcidine est
véhiculée par
>>> L’absence de BMP6 chez la souris (à droite) entraîne une augmentation très importante
la circulation
de la ferroportine (en brun) dans les cellules intestinales.
sanguine et va,
La porte d’entrée du fer dans l’organisme est grande ouverte.
dans l’intestin,
page 14
bloquer la ferroportine, porte d’entrée du fer
dans l’organisme. Cependant la synthèse de cette
protéine demeurait un mystère. Notre équipe
vient de trouver la molécule qui permet cette
synthèse. Il s’agit de la molécule BMP6 que l’on
pensait jusqu’ici à tort impliquée dans le
développement du squelette (BMP pour Bone
Morphogenetic Protein). Nous avons tout
d’abord trouvé, par l’analyse de puces à ADN,
que la synthèse de BMP6 augmente lorsque les
stocks en fer de l’organisme sont trop élevés et
au contraire diminue en cas de carence en fer.
Nous avons ensuite montré qu’en l’absence de
BMP6, les souris sont incapables de produire de
l’hepcidine, et par conséquent que la porte
d’entrée du fer dans l’organisme ne peut plus
être bloquée. Cette dernière restant grande
ouverte, le fer s’engouffre, provoquant surcharge
massive et lésions.
➜ Peut-on déjà envisager une nouvelle
thérapie ?
Si la protéine BMP6 est indispensable pour
adapter l’absorption du fer aux besoins réels de
l’organisme, nous envisageons déjà les
applications thérapeutiques à venir. Basées sur
cette découverte, sur le rôle de BMP6, elles
pourraient permettre aux personnes atteintes
d’hémochromatose un espoir de développer un
traitement autre que la saignée qui reste encore
à l’heure actuelle la seule thérapie.
(1) : Meynard D, Kautz L, Darnaud V, Canonne-Hergaux F, Coppin H,
Roth MP. Lack of bone morphogenetic protein BMP6 induces massive
iron overload. Nature Genetics 2009, 41: 478-481.
Propos recueillis par Gaël Esteve
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Vie des laboratoires
Coup de chaleur sur
l’océan Pacifique tropical
Une équipe d’océanographes du LEGOS, en collaboration avec des chercheurs
américains de la NOAA et de l’université de Miami, ont découvert que depuis 1955 les
couches superficielles du Pacifique tropical Ouest se sont réchauffées et dessalées(1).
Découverte importante, dans une région qui pilote des phénomènes régulateurs du
climat comme El Niño. Entretien avec Sophie Cravatte, chargée de recherche IRD au
LEGOS.
➜ Pouvez-vous rappeler le rôle de la « warm
pool » dans les échanges de chaleur ?
Avec une température des eaux supérieure à 28.5°C
sur une surface grande comme 17 fois la France et
environ 100 m de profondeur, la « Warm Pool »
représente le plus grand réservoir d’eaux chaudes de la
planète, et une source importante d’humidité pour
l’atmosphère. Elle joue un rôle majeur dans le
phénomène climatique ENSO (El Niño Southern
Oscillation)
>>> Sophie CRAVATTE, chargée de recherche IRD et Thierry DELCROIX, directeur de
recherche IRD, tous les deux au LEGOS
(unité mixte UPS/CNRS/CNES/IRD)
➜ Quels moyens avez-vous utilisé pour mettre
en évidence l’évolution des températures et
salinités?
Pour les températures, nous avons utilisé deux produits
de compilation de différentes données in situ et
satellitaires, réalisés par des centres de recherche
européens et américains. Pour les salinités, nous avons
compilé nous-mêmes toutes les données in situ
disponibles, dont une grande partie provient des
mesures réalisées par les navires marchands
sélectionnés par le système d’observation SSS, labellisé
par l’INSU et sous la responsabilité de l’Observatoire
Midi-Pyrénées de l’UPS.
➜ Quels sont les points importants de vos
résultats ?
Nous avons montré qu’en 50 ans la Warm Pool
s’était réchauffée en moyenne de 0.29°C et déssalée.
Sa taille a beaucoup augmenté. Par exemple, l’aire
couverte par des eaux de température supérieure à
29°C a doublé en 50 ans, et il est maintenant
fréquent d’observer des poches d’eaux dont la
température dépasse les 30°C. La Warm Pool s’est
aussi approfondie d’une dizaine de mètres.
➜ Peut-on connaître ce qui a déclenché
ce réchauffement et cette dessalure ?
L’ensemble du Pacifique tropical s’est réchauffé, et si
nous ne le prouvons pas dans cette étude, il est
probable que ce réchauffement soit lié au changement
climatique global observé actuellement. Quant à la
dessalure, nous suggérons qu’elle indique une
augmentation de l’humidité atmosphérique au dessus
page 15
>>> Tendance linéaire de la température (en °C) et de la salinité (en pss, échelle pratique de salinité) des eaux de surface
du Pacifique Tropical Ouest entre 1955 et 2000, par 50 ans.
des eaux chaudes due au réchauffement qui se traduit
par des précipitations plus importantes dans la warm
pool sous l’effet de la circulation atmosphérique.
Nous suggérons donc que le cycle hydrologique s’est
intensifié, avec plus de précipitations dans les zones
humides et plus d’évaporation (et moins de
précipitations) dans les zones sèches.
➜ Quelles seront les conséquences prévisibles
de cette découverte ?
C’est difficile à anticiper car l’océan et l’atmosphère
constituent un système couplé complexe. Il est
probable que l’extension de la Warm Pool affectera le
phénomène ENSO et modifiera les échanges océanatmosphère. Cependant, d’autres changements, comme
une modification de la circulation atmosphérique
moyenne, pourraient contrebalancer les effets de cette
extension et doivent être pris en compte. Notre étude
ne fait donc que commencer.
(1) : Cravatte S. et al., 2009 : Observed freshening and warming of the
western Pacific Warm Pool. Climate Dynamics
Propos recueillis par Daniel Guédalia
Contacts : [email protected] et
[email protected]
Vie des laboratoires
La mission spatiale BIOMASS :
suivre des stocks et
flux de carbone
labos
Une nouvelle mission spatiale appelée BIOMASS a été pré-sélectionnée par l’Agence
Spatiale Européenne (ESA) en mars 2009. Cette expérience, initiée par un laboratoire
toulousain permettra de suivre les flux et stocks du carbone à l’échelle planétaire.
Entretien avec Thuy Le Toan, chercheur au CESBIO (unité mixte UPS/CNRS/CNES/IRD).
>>> Thuy LE TOAN, chercheur CNRS au
Centre d’études spatiales de la biosphère
(CESBIO, unité mixte UPS/CNRS/CNES/IRD)
➜ Quel est l’objectif de la mission BIOMASS ?
La mission mesurera la distribution spatiale et
la dynamique de la biomasse forestière, liée à la
déforestation et à la croissance des arbres, afin
d’améliorer les estimations des stocks et flux de
carbone à l’échelle du globe.
➜ Quel instrument sera utilisé ?
BIOMASS embarquera un radar à synthèse
d’ouverture (SAR, Synthetic Aperture Radar) qui
travaillera dans la plus grande longueur d’onde
possible depuis l’espace, (68 centimètres, soit la
bande P, de 432 à 438 MHz en fréquence). Il offrira
une résolution spatiale de 50 à 100 mètres et une
répétitivité de l’ordre de 25 jours. Actuellement
disponible en version aéroportée, ce type
d’instrument, qui n'a encore jamais été mis en
orbite, constitue un défi technologique qui motive
fortement les industries spatiales, dont Thales
Alenia Space à Toulouse.
➜ Vous travaillez sur ce projet depuis 2005.
Quel a été le cheminement ?
L’idée de l’utilisation d’un radar embarqué sur
satellite pour mesurer la biomasse a vu le jour dans
les années 90, lors d’une expérience que nous avons
menée sur la forêt des Landes avec un radar
aéroporté multi fréquences de la NASA. Nous avons
démontré que la biomasse forestière peut être
mesurée par un radar bande P. Or à cette époque, il
n’y avait pas de fréquences allouées dans cette
bande pour l’observation de la terre depuis l’espace.
Il a fallu attendre jusqu’à juin 2003 pour enfin
obtenir l’allocation de cette bande de fréquence. Le
projet déposé en 2005, suite à ce déblocage, est
fondé sur les expériences du passé, mais bénéficie de
grandes avancées technologiques et scientifiques
récentes dans la communauté internationale. En
2006, BIOMASS a été classé premier sur les
25 projets déposés. En mars 2009, à l’issue de la
phase 0, le projet est sélectionné pour la phase A.
page 16
Les travaux sont actuellement intensifiés pour
consolider la mission. Dans ce cadre, nous allons
faire une expérience sur la Guyane. Il s’agit de
l’expérience TropiSAR prévue en août 2009,
financée par l’ESA et le CNES, et conduite par
le CESBIO, le laboratoire Evolution et Diversité
Biologique (EDB, unité mixte UPS/CNRS), et
l’ONERA. TropiSAR impliquera en outre 11 autres
équipes françaises dans la phase d’exploitation, et
plusieurs laboratoires en Europe.
➜ Pourquoi BIOMASS permettra de pallier à
un manque dans ce domaine ?
La biosphère continentale, son état, sa dynamique,
son évolution, est l’élément le moins bien compris
du cycle du carbone global. Or, pour mieux
comprendre le rôle de la biosphère dans l’évolution
du climat, il est essentiel de quantifier correctement
la distribution géographique et la dynamique des
puits et sources de carbone. Pour les estimer avec
précision il faut une meilleure évaluation de la
biomasse forestière, et cela avec une bonne
répétitivité et à l’échelle du globe. Seuls les satellites
peuvent assurer un tel suivi alors que l’on ne dispose
actuellement que de mesures locales.
Par ailleurs, la quantification des puits et sources
de carbone par BIOMASS est un enjeu économique
important des années à venir, suite à la mise en
place du processus REDD (Réduction des émissions
dues à la déforestation et à la dégradation), annexé
à la convention Climat de l'ONU.
➜ A quelle date est prévu le lancement ?
Le lancement est prévu en 2016, si le projet est
retenu pour la phase B en 2011.
Propos recueillis par Daniel Guedalia
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Vie des laboratoires
De la biologie végétale
dans l’espace
Sélectionnée par le Cnes, l’expérience « Gravigen » menée par une équipe du
Laboratoire des Surfaces Cellulaires et Signalisation chez les Végétaux (LSCSV,
unité mixte CNRS-UPS), va analyser l’influence des forces gravitationnelles sur
l’expression des gènes des plantes. Cette expérience a été réalisée avec succès
grâce à une coopération internationale entre l’Europe, les Etats-Unis et la Russie.
Entretien avec Annick Graziana, professeur à l’UPS et responsable du projet.
>>> Annick GRAZIANA, professeur à l’UPS,
membre du LSCSV (unité mixte UPS/CNRS)
➜ Quel est l’objectif de cette expérience ?
La gravité a façonné, pendant des millions
d'années, les organismes vivants que nous
connaissons sur Terre. La démarche scientifique
consiste donc, pour mieux connaître un système, à
étudier les conséquences de son exclusion. Cette
expérience spatiale avait pour objectif d'essayer de
décrypter l'influence de la gravité sur le
développement des plantes.
➜ Comment votre projet a réussi à être
sélectionné dans le laboratoire Columbus ?
En répondant à un appel d'offre du CNES dans le
cadre de projets de biologie spatiale.
➜ Quelles ont été les principales difficultés
pour intégrer la station ISS ?
Répondre à des critères très précis imposés pour les
expériences spatiales. Les chambres de culture
doivent permettre à la fois la culture des plantes et
répondre au cahier des charges du dispositif
expérimental Kubik présent dans l'ISS :
miniaturisation des chambres de culture, limitation
du « temps astronaute ». La taille et le poids du
matériel embarqué pour réaliser l’expérience doivent
rester compatibles avec la charge acceptée pour
l'acheminement vers la station spatiale avec la fusée
Soyouz russe. Opportunité de vol en phase avec la
disponibilité de l'instrument présent dans le
laboratoire spatial pour y réaliser l'expérience.
>>> Casettes contenant les chambres de culture.
➜ Pouvez-vous décrire l’expérience dans
l’espace ?
Des graines de colza sont orientées et fixées sur un
support papier et introduites dans une chambre de
culture de taille inférieure à celle d’un paquet de
cigarettes qui contient un réservoir d'eau pour
l’hydratation et la germination des graines dans
l’espace et un réservoir de fixateur pour stopper
l’expérience. Chaque chambre de culture pré
programmée est introduite dans l'instrument Kubik
ou sera réalisée l'expérience. L'hydratation
automatique permet la germination des graines.
page 17
>>> Retour de l’expérience le 7 avril 2009 dans la capsule
habitable avec les cosmonautes de Soyouz.
Après 44 h de croissance dans l'obscurité, les jeunes
plantes sont immergées dans le fixateur chimique
compatible avec le maintien de l'intégrité des ARNm
qui seront utilisés ensuite pour mesurer le niveau de
transcrits. Les chambres de culture sont ensuite
ramenées sur terre dans la capsule du Soyouz et le
matériel végétal est récupéré pour être analysé.
➜ A quelle date l’expérience est revenue sur
Terre ?
L'expérience a été lancée de Baïkonour, mission
Soyouz, le 26 mars 2009 et est revenue dans les
plaines du Kazakhstan le 7 avril 2009.
➜ Qu’attendez-vous du dépouillement
des échantillons ?
Des expériences préliminaires au sol à l'aide d'un
clinostat qui permet de recréer une micropesanteur
simulée, ont permis de sélectionner un certain nombre
de gènes dont l'expression est affectée par la force
gravitationnelle. Notre objectif est de rechercher si ces
mêmes gènes voient leur expression effectivement
modifiée en micropesanteur dans l'espace.
Propos recueillis par Daniel Guedalia
Contact : [email protected]
Vie des laboratoires
De nouveaux neurones
mettent à jour les souvenirs
Pas facile de retrouver sa chambre d’étudiant lorsqu’on a quitté l’université il y a
30 ans… Mais une fois cette chambre retrouvée, on y retourne aisément le
lendemain. Pour cela, le cerveau sollicite de nouveaux neurones, nés une semaine
avant la mémorisation de cette information. C’est ce que viennent de démontrer, sur
des souris, des chercheurs du CRCA, en collaboration avec un chercheur du Centre de
neurosciences intégratives et cognitives de Bordeaux. Claire Rampon, responsable de
l’étude au CRCA répond à nos questions.
>>> Claire RAMPON, chargée de recherche CNRS
au Centre de recherche sur la cognition animale
(CRCA, unité mixte UPS/CNRS)
>>> “Une souris qui a appris l’emplacement
de la plateforme lui permettant d’échapper
à l’eau de la piscine est capable d’y retourner
un mois après l’apprentissage.”
© CNRS/Cyril Frésillon
page 18
➜ Votre recherche concerne le cerveau et la
mémoire. Dans quel contexte vous êtes-vous
plus particulièrement intéressée aux
nouveaux neurones ?
Cet intérêt en terme de recherche scientifique est
relativement récent puisque ce n’est qu’en 1998
que l’on a démontré que le cerveau des
mammifères adultes (dont l’homme), pouvait
produire de nouveaux neurones dans certaines
régions. Cette découverte d’une nouvelle forme
de plasticité cérébrale allait à l’encontre d’un
dogme établi depuis de nombreuses années selon
lequel la neurogenèse chez les mammifères était
exclusivement un processus péri-développemental
et que le cerveau ne pouvait en aucun cas
se renouveler. Notre équipe s’intéresse en
particulier aux liens qui existent entre les
nouveaux neurones qui naissent dans
l’hippocampe d’un cerveau déjà adulte et
les processus de la mémoire.
➜ Comment avez-vous fait cette découverte
et quel en est l’intérêt majeur ?
Depuis dix ans, des études ont fourni des
arguments corrélatifs en faveur d’un rôle des
nouveaux neurones dans certains processus de la
mémoire. Par exemple, si l’on stimule la
naissance de ces nouveaux neurones, on améliore
les performances de la mémoire, en particulier la
mémoire spatiale.
Nous avons voulu aller plus loin et examiner la
fonction précise de ces nouveaux neurones dans
les processus mnésiques. Pour cela, nous avons
étudié dans quelles situations les nouveaux
neurones étaient utilisés dans le cerveau de
souris. Stéphanie Trouche, doctorante dans
l’équipe, a élaboré une technique de triple
marquage pour visualiser les nouveaux neurones
qui sont activés lorsque l’animal se souvient.
Les souris ont été entraînées à nager dans une
piscine où la seule possibilité d’échapper à l’eau
consistait à monter sur une plateforme cachée
sous la surface de l’eau. Placées dans l’eau à des
points de départ variables, elles apprennent au
fur et à mesure le plus court chemin pour
rejoindre cette plateforme. Un mois plus tard,
nous les avons remises dans la piscine et nous
avons observé leur cerveau après qu’elles aient
retrouvé la position de la plateforme. C’est alors
que nous avons constaté que pour se souvenir de
cette position, la souris utilise les neurones nés
un mois auparavant. Ces nouveaux neurones
servent à mettre à jour et à renforcer la
mémoire spatiale formée lors de l’apprentissage
un mois avant.
➜ Quelles perspectives apporte ce résultat ?
Nos données nous éclairent sur la fonction des
nouveaux neurones qui continuent à naître
au cours de la vie adulte. De ce fait, notre
découverte ouvre des perspectives thérapeutiques,
notamment dans le contexte des maladies
dégénératives comme celles d’Alzheimer ou de
Parkinson. En effet, on pourrait imaginer un
jour stimuler la naissance de ces nouveaux
neurones dans un cerveau humain malade, de
façon à combler les pertes neuronales liées à la
pathologie et peut-être restaurer des fonctions
cérébrales affectées.
En dehors des situations pathologiques, nous
souhaiterions aussi savoir ce que deviennent
les souvenirs codés par les nouveaux neurones
lorsque ceux-ci meurent ? De nombreuses
questions restent encore en suspens, il faut donc
développer de nouvelles techniques pour y
répondre… Et être patient : cette découverte sur
les nouveaux neurones est le fruit d’un travail
de quatre ans, une belle thèse !
Propos recueillis par Audrey Morazin
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Vie des laboratoires
La sclérose en plaques (SEP) et
la médecine personnalisée :
diagnostic et thérapeutique
Un résultat récent(1) obtenu par une équipe du CPTP ouvre de nouvelles
perspectives dans l’étude de la sensibilité de cette maladie à un traitement
donné. Entrevue avec David Brassat, un des responsables de l’étude.
>>> David Brassat, Professeur universitairehospitalier (PU/PH) et son groupe de recherche
« biomarqueurs et traitement de la SEP »
au centre de physiopathologie de Toulouse Purpan
(CPTP, unité mixte UPS/Inserm).
➜ Quels sont vos axes de recherche ?
Il existe dans l’étude de la SEP 3 axes différents. La
susceptibilité génétique à la maladie, la
susceptibilité à la sévérité de la maladie, la
susceptibilité à la réponse au traitement. Dès la
naissance, on est plus ou moins prédisposé à
répondre aux médicaments. On sait en effet que la
réponse est influencée par la génétique. Enfin je
travaille sur l’épigénétique. Cette dernière rassemble
la transmission de caractères non liés à l’ADN.
➜ Votre axe principal de recherche est
la pharmacogénétique ?
Mon axe principal est la pharmacogénétique ou
plutôt la pharmacogénomique, celle-ci, plus large,
englobe les biomarqueurs qui sont eux, influencés
par la maladie contrairement à la génétique,
complètement invariable. Ainsi, si l’ADN se limite à
la pharmacogénétique, l’ARN entre dans le champ
de la pharmacogénomique.
➜ Quelle est l’utilité d’un biomarqueur ?
Actuellement quand on choisit un traitement, les
critères ne sont ni consensuels ni parfaits. Ils ne
sont pas non plus basés sur l’étude de la maladie,
par exemple la SEP implique souvent les
lymphocytes T mais cela peut parfois être les
lymphocytes B. Les médicaments quant à eux
deviennent de plus en plus ciblés, souvent des
anticorps monoclonaux. Il reste donc à déterminer
pour chaque patient quel traitement utiliser en
fonction de la pathogénie de la maladie. Par ailleurs,
la susceptibilité génétique n’est pas prise en compte.
Il faut donc utiliser des biomarqueurs pour choisir
un traitement.
Nos gènes d’intérêt sont les gènes de la voie de
signalisation des interférons de type I. On effectue
la même procédure avec l’ARN, qui est plus proche
du mécanisme de la maladie. On cherche à savoir
quels sont les profils de gènes exprimés. C’est un
travail statistique. D’où l’importance du
médecin/chercheur, car il n’y a pas de critères
établis pour la limite réponse/non-réponse, et c’est
donc au médecin de la définir par des observations
telles que le nombre et la force des poussées… J’ai
obtenu un résultat préliminaire, aujourd’hui
breveté(2) dans le cadre d’une étude de patients
pyrénéens à Barcelone, Pampelune et Toulouse. On
travaille de plus sur un programme hospitalier de
recherche national de 1000 patients. On effectue le
traitement et on note les résultats 5 ans plus tard.
Cela justifiera, je l’espère, l’utilité des biomarqueurs.
➜ Où en sont les traitements ?
Actuellement, on utilise 3 lignes de médicaments
contre la SEP. En première ligne, les
immunomodulateurs, en deuxième le natalizumab
(Tysabri) qui agit pour empêcher les lymphocytes
de franchir la barrière hémato-encéphalique et
finalement des immunosuppresseurs. L’efficacité de
ces 3 lignes de traitements évolue dans le même sens
que les effets secondaires. En conclusion, il est
raisonnable d’espérer qu’avec les biomarqueurs,
nous puissions trouver pour un patient donné quel
est le traitement qui possède le meilleur rapport
bénéfice/risque. C’est se diriger vers la médecine
personnalisée.
(1) Couturier N and al., 2009 : IFIH1-GCA-KCNH7 locus is
not associated with genetic susceptibility to multiple sclerosis
in French patients. European Journal of Human Genetics.
(2) Le brevet porte sur le rôle de polymorphisme du gêne
>>> Sclérose en plaques, les cellules en rouge
sont en train de mourir. Astrocytes exposés
au facteur glycotoxique. © Inserm, Rieger F.
➜ Où en êtes-vous dans ces recherches ?
Nous collectons des cohortes de patients dont nous
déterminons la qualité de la réponse à un
traitement. Puis nous recherchons des
polymorphismes de gènes qui pourraient expliquer,
au moins partiellement, les différences de réponses.
page 19
OAS1 comme marqueur de la réponse au traitement par
interferon beta dans la sclérose en plaques.
Propos recueillis par Gaël Esteve
Contact: [email protected]
L’ÉVOLUTION
DES ESPÈCES
L’évolution
un cas d’espèces
Comme l’a formulé très justement Dobzhansky en 1973(1) « rien en biologie
n’a de sens si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Autrement dit, l’évolution
fournit le cadre général pour toute approche scientifique du vivant. De ce fait,
l’évolution est un thème majeur de l’étude du vivant et à ce titre ce concept
joue un rôle structurant dans de nombreuses approches sur le vivant à
l’Université Paul Sabatier.
>>> Etienne DANCHIN, directeur de recherche
CNRS, membre du Laboratoire Evolution et
Diversité Biologique (EDB, unité mixte
dOSSIER
UPS/CNRS/ENFA).
Aujourd’hui les approches évolutionnistes
changent très rapidement, à tel point qu’il est
tout à fait possible que plus tard, lorsque les
historiens des sciences regarderont notre
période, ils aient tendance à utiliser des mots
forts comme par exemple ‘révolution’ pour
décrire la période que nous vivons. Ces
changements ont deux origines à la fois
différentes et en même temps connexes. D’une
part, de nombreux auteurs défendent l’idée que
l’on ne peut pas comprendre les processus
évolutifs sans intégrer le développement dans
toutes ses dimensions. C’est l’approche
qualifiée souvent d’Evo-Dévo pour évolutiondéveloppement. D’autre part, il est apparu de
plus en plus clairement que l’hérédité ne se
limite pas seulement à une transmission
d’information génétique entre générations mais
implique plusieurs autres processus importants
susceptibles d’influencer profondément les
dynamiques évolutives.
Dans ce contexte, depuis des décennies, de
nombreux auteurs ont affirmé que l'hérédité ne
se réduit pas au seul transfert d'information
génétique entre générations. L'importance de
l'hérédité non génétique a été mise en évidence
dans plusieurs domaines de la biologie. Le plus
florissant depuis deux à trois ans est le
domaine de l’hérédité épigénétique qui est
1. Dobzhansky T (1973) "Nothing in Biology Makes Sense Except in the
Light of Evolution". The American Biology Teacher 35: 125-129.
page 20
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
L’évolution des espèces
>>> Le réseau des diverses formes d’hérédité et
leurs interactions. Ces formes d’hérédité sont
placées selon un gradient depuis l’hérédité
‘dure’ (information numérisée et peu sujette
à modification lors de la transmission) jusqu’à
l’hérédité dite molle (information encodée de
manière analogique et plus susceptible de
modifications lors de la transmission).
définie comme l’étude de la variation transmise
(on dit héritable) qui n’est pas due à des
changements dans la séquence de l’ADN mais à
des changements dans le niveau d’expression
des gènes que l’on appelle souvent épimutation.
Celles-ci résultent de modifications du
‘packaging’ de l’ADN pouvant activer, réduire ou
complètement inactiver l’expression des gènes
concernés. Elles peuvent profondément changer
le phénotype (i.e. l’aspect extérieur) des
individus. Elles expliquent, par exemple,
comment des cellules ayant la même séquence
d’ADN, peuvent prendre des formes aussi
différentes que des neurones ou des cellules de
foie, de rein, d’os ou encore de peau. Les
épimutations peuvent aussi expliquer des
changements drastiques de forme comme par
exemple le type de symétrie de la fleur d’une
plante donnée, ce qui peut fortement affecter leur
capacité à transmettre leurs gènes. Le point
important est qu’une série de mécanismes
conduisent à l’hérédité de ces épimutations. Cette
variation est alors héritable et donc ouverte à la
sélection naturelle. Nous commençons seulement
à étudier l’impact évolutif de ces épimutations.
De ce fait, plusieurs auteurs appellent de leurs
voeux la mise en place d’une "nouvelle synthèse
des mécanismes de l'évolution" intégrant le
développement. Des chercheurs du Centre de
Biologie du Développement (CBD, unité mixte
UPS/CNRS) travaillent actuellement sur
l’importance du développement comme
processus évolutif.
page 21
Il faut cependant aller encore plus loin en
intégrant aussi l’hérédité non génétique. C’est ce
qu’affirment des chercheurs du laboratoire
Evolution et Diversité Biologique (EDB, unité
mixte UPS/CNRS) qui travaillent sur certaines
formes d’hérédité non génétique. Prendre en
compte toutes les formes d’hérédité, génétique
ou non, ramènera l'hérédité à ce qu'elle n'aurait
jamais du cesser d'être, multidimensionnelle.
Cette nouvelle synthèse est en émergence
actuellement, et les chercheurs de l’UPS y
travaillent activement. Cette émergence remet en
fait en cause des dogmes profondément établis,
aussi bien dans le grand public que parmi les
chercheurs eux-mêmes. Cette nouvelle synthèse
permettra de prendre en compte toute la richesse
des mécanismes de l'évolution, richesse
actuellement sous-estimée par la non prise en
compte de l'hérédité non génétique. En d’autre
terme, les sciences de l’évolution sont en train de
vivre une profonde évolution.
Ce dossier se situe dans ce contexte. Il fournit
une série de flashs montrant la diversité des
approches de l’évolution dans les laboratoires de
notre université tout en montrant leur
participation aux grandes avancées en cours
dans ce domaine.
Contact : [email protected]
L’évolution des espèces
Evolution morphologique
chez les insectes
dOSSIER
Le décryptage des génomes bouleverse notre vision des mécanismes de
l’évolution. Si les gènes animaux apparaissent très conservés, on découvre
l’importance de la variation de leurs interactions.
>>> François PAYRE, directeur de recherche CNRS
au Centre de biologie du développement (CBD,
unité mixte UPS/CNRS). © C. Fresillon/CNRS
>>> Trichomes de drosophile, observés
en microscopie électronique. © F. Payre.
page 22
Depuis l’antiquité, l’extraordinaire diversité
morphologique des animaux a frappé les esprits et son
étude a eu un impact majeur pour la théorie de
l’évolution. On sait aujourd’hui que l’ensemble des
gènes d’une espèce, son génome, gouverne le plan
d’organisation du corps. Les gènes interagissent entre
eux en formant des réseaux de régulation complexes qui
déterminent les caractères morphologiques au cours du
développement. Le séquençage des génomes a provoqué
une véritable révolution. En effet, les gènes et leurs
produits, les protéines, sont étonnamment conservés,
depuis les animaux les plus primitifs jusqu’à l’homme.
Comment l’évolution des gènes a-t-elle alors permis
l’apparition d’une telle diversité morphologique ?
Comme souvent, c’est l’interaction entre disciplines qui
déclenche des avancées. Notre équipe au « Centre de
biologie du développement » étudie la différentiation
de l’épiderme qui produit des structures cuticulaires,
les trichomes, caractérisant la morphologie externe des
drosophiles. Il existe une grande diversité des trichomes
entre espèces d’insectes. Pour comprendre cette
évolution morphologique, nous collaborons avec
l’équipe de David Stern à Princeton (USA), qui
s’intéresse à la variation évolutive. Cette approche
alliant évolution et développement (Evo-Devo) a permis
des découvertes apportant un éclairage nouveau aux
mécanismes de l’évolution.
Evolution parallèle
Par l’analyse génétique d’hybrides entre espèces avec
des trichomes différents, nous avons identifié les
régions du génome responsables de cette diversification.
De manière surprenante, c’est la modification d’un
seul gène qui a causé l’évolution des trichomes, et ce
dans tous les cas étudiés. Plus surprenant encore, alors
que des centaines de gènes peuvent modifier les
trichomes au laboratoire, il s’agit à chaque fois du
même gène qui a évolué de manière indépendante,
en parallèle, dans des espèces éloignées de plus de
40 millions d’années ! Les gènes d’un même réseau
présentent donc un potentiel différent pour l’évolution
morphologique. Ceci suggère l’existence de contraintes
liées au développement, qui favorisent la fixation de
modifications évolutives seulement à certaines
positions des réseaux de régulation génique.
Micro ou Macro mutations
Les mécanismes de l’évolution font l’objet de vifs débats
théoriques. L’évolution pourrait procéder par
l’accumulation au cours du temps de mutations de
faible effet individuel, ou micromutations. Au
contraire, seules des mutations brutales d’effet majeur,
ou macromutations, seraient capables de modifier en
profondeur les programmes du développement.
La diversification évolutive des trichomes offrait
l’opportunité de tester expérimentalement ces
hypothèses. Nos travaux ont montré une modification
brutale, tout ou rien, de l’expression du gène dans
l’épiderme, confirmant l’importance de variations
majeures. Cependant, ce changement résulte de
mutations dans au moins trois régions distinctes!
Prise individuellement, l’évolution d’une seule région
n’est pas suffisante pour changer la morphologie. Au
moins dans ce cas, une modification majeure à l’échelle
macroscopique peut être due à l’accumulation de
« micro » mutations.
Evolution « entre » les gènes
Les modifications identifiées n’affectent pas
directement le gène, c'est-à-dire la région qui code
la protéine, mais des régions génomiques avoisinantes,
qui régulent son expression. Ces mutations modifient
le code d’interaction entre le gène et ses gènes
régulateurs, situés en amont dans le réseau de
régulation. Le décodage de cette grammaire de
régulation entre gènes du développement nous
permettra de mieux comprendre les mécanismes intimes
de l’évolution. Les séquences intergéniques constituent
cependant la grande majorité de notre génome (>90%)
et restent mal connues. Les approches fonctionnelles
chez des organismes modèles devront être encore mises
à contribution pour percer l’ensemble de leurs secrets.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
L’évolution des espèces
dOSSIER
Évolution et paléontologie :
quoi de neuf ?
Comprendre le vivant c’est connaître son avènement au fil du temps. Grâce
aux avancées technologiques, les paléontologues avancent dans leur analyse
de la biodiversité fossile. A la clef, des résultats variés.
>>> Pierre-Olivier ANTOINE, Maître de
conférences au Laboratoire des Mécanismes
et Transferts en Géologie (LMTG, unité mixte
UPS/CNRS/IRD).
Discipline à l’interface de la biologie – pour les
objets traités – et des sciences de la terre – pour leur
contexte –, la paléontologie s’est développée au cours
des deux derniers siècles sous l’impulsion de figures
marquantes comme Georges Cuvier, Jean-Baptiste
Lamarck, Alcide d’Orbigny, George G. Simpson ou
Stephen J. Gould. La théorie de l’évolution, énoncée
par Charles Darwin (et Alfred R. Wallace) il y a
150 ans, a évidemment joué un rôle considérable
pour la compréhension des phénomènes observés sur
les organismes fossiles, à la fois du point de vue de
leur morphologie et de leur diversité. Ces progrès
sont toutefois indissociables d’autres avancées
scientifiques plus récentes, comme la tectonique des
plaques, les datations radiométriques (on compte
désormais en millions, voire en milliards d’années),
l’avènement de la génétique (qui permet d’expliquer
les phénomènes évolutifs sous-jacents, sur les
organismes actuels).
Une approche nouvelle
Depuis une vingtaine d’années, l’émergence
des méthodes de reconstruction phylogénétique
informatisées a permis aux biologistes et aux
paléontologues de reconsidérer l’arbre du vivant,
à la fois dans son ensemble et dans le détail. Les
chercheurs s’attachent désormais à reconstruire des
phylogénies – arbres « généalogiques » en termes de
groupes frères ou d’espèces sœurs – fondées sur le
partage de caractères évolués, au détriment des
classiques relations ancêtre-descendant. Les données
recueillies (caractères morphologiques, mutations
génétiques) sont traitées à l’aide de logiciels
spécialisés, qui permettent la formalisation objective
et réfutable d’un très grand nombre de données :
c’est la fin de l’argument d’autorité.
>>> Fragment de radius de rhinocéros géant provenant
de l’Oligocène d’Anatolie (Turquie, environ 25 millions
d’années), à gauche. Au centre, dessin interprétatif du
même spécimen. A droite, comparaison avec le plus
gros spécimen connu jusqu’alors
(Oligocène de Mongolie). Tous sont à la même
échelle (barre = 10 cm). © P.-O. Antoine.
Relations de parenté
En termes de phylogénie, seule la paléontologie
procure des informations directes sur les
changements morphologiques et l’évolution de la
biodiversité au cours des temps : l’échantillonnage
des taxons disponible en paléontologie est largement
supérieur à celui du monde vivant, d'autant que les
paléontologues travaillent indifféremment sur les
organismes éteints et vivants. Enfin, les fossiles
permettent de travailler dans un cadre
chronostratigraphique fiable, notamment lorsqu’il
s’agit de calibrer les âges de divergence au sein
des arbres phylogénétiques. Une fois établies puis
contraintes du point de vue chronologique, les
relations de parenté peuvent ainsi être interprétées
en termes de dispersion géographique, pour des
espèces fossiles et actuelles. Les géologues peuvent
alors utiliser ces données, de manière notamment
à reconstituer la géographie des régions.
La récente mise au jour de restes de rhinocéros
géants, associés à d'autres mammifères et datés de
plus de 25 millions d’années en Anatolie (Turquie),
prouve l’existence de communications terrestres et
de relations étroites avec les Balkans et l’Asie à
l’Oligocène. Contrairement à ce qui était admis
jusqu’alors – en l'absence d'indices –, l’Anatolie
n’était donc pas un archipel à l’époque. C’est ce
qu’ont montré en 2008 des paléontologues et des
géologues de notre laboratoire, en collaboration avec
le Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris) et
les services géologiques turcs, à partir de quelques
ossements(1) !
De même, la découverte en Amazonie péruvienne,
(par des écologues, géologues et paléontologues
d’EcoLab (unité mixte UPS/CNRS) et de notre
laboratoire), de bambous fossiles apparentés au genre
actuel Guadua et datés de plus de 50000 ans(2) vientelle de permettre de réfuter l’hypothèse, jusqu’alors
consensuelle, d’une dispersion anthropique de ces
bambous depuis l’Amérique du nord.
En d'autres termes, la paléontologie a tout à gagner
des échanges avec les sciences connexes. Une telle
multidisciplinarité permet en effet d'augmenter
considérablement la portée des résultats obtenus.
Le salut de cette science naturaliste pluri-séculaire
passe sans nul doute par là.
Contact : [email protected]
(1) Antoine P.-O. et al., 2008. Zoological Journal of
the Linnean Society, 152: 581-592.
(2) Olivier J. et al., 2009. Review of Palaeobotany
and Palynology, 153: 1-7.
page 23
L’évolution des espèces
L’évolution n’est pas
qu’une affaire de gènes
Longtemps perçue sous le joug unique de son volet génétique, l’évolution est
aujourd’hui appréhendée plus globalement. L’environnement de chaque
individu influe sur son développement. Et donc sur l’héritage qu’il transmet
à sa descendance…
>>> Etienne DANCHIN, directeur de recherche
CNRS, avec à ses côtés, Simon BLANCHET,
postdoctorant et Susana Varela, Doctorante.
Équipe travaillant sur l’évolution culturelle
animale au Laboratoire Evolution et Diversité
dOSSIER
Biologique (EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA).
>>> Femelle préférant copuler avec un mâle rose et non
avec un mâle vert après avoir vu trois mâles de ce type
copuler avec des femelles et trois mâles verts se faire
rejeter par des femelles.
page 24
La vie est essentiellement une question de transfert
d'informations entre générations. Parce qu'il ne
connaissait rien aux mécanismes sous jacents, Darwin
avait une vision très large de l'hérédité. Une phrase
présente dès la première version de ‘L’Origine des
espèces’ (1859) résume parfaitement sa vision :
« Toute variation qui n’est pas transmise n’est pas
importante pour nous ». D’après Darwin, la variation
entre individus a deux composantes: celle qui est
transmise, versus celle non transmise à la génération
suivante.
Cependant, la découverte à la fin du 19ème et au début
du 20ème siècle de la capacité de la molécule d'ADN
à coder et à transmettre des informations
entre générations a conduit à une réduction de
l'hérédité à sa seule composante génétique. Ce qui
conduit aujourd’hui les auteurs à opposer la variation
d’origine génétique à celle d’origine environnementale.
Cette décomposition classique tout en insistant sur le
rôle central de la génétique revient à rejeter tout rôle
évolutif aux autres formes de variation héritée. Dans
les faits, le point important pour l’évolution est que
la variation soit héritée quelque soit le mécanisme
d’hérédité.
Influence sociale
C’est dans ce contexte qu’émerge actuellement la
notion d’hérédité culturelle, c’est-à-dire d’informations
transmises entre les générations par apprentissage
social. Justement, cet apprentissage affecte de
nombreux comportements considérés jusque-là comme
uniquement déterminés génétiquement. Par exemple,
les préférences sexuelles de nombreuses espèces de
vertébrés sont fortement influencées par le fait d’avoir
vu d’autres femelles préférer tel ou tel type de mâle. On
peut ainsi créer des préférences pour des traits
totalement nouveaux, tels une plume rouge ou bleue
sur la tête d’un oiseau. Nous avons récemment
démontré qu’il est possible de déclencher une préférence
chez les femelles drosophiles pour des mâles ayant une
coloration verte ou rose. De telles influences sociales
sur les préférences sexuelles peuvent alors conduire a
l’émergence de populations dans lesquelles les femelles
préfèrent les mâles richement colorés et d’autres dans
lesquelles les mâles peu colorés sont préférés. Par leurs
choix les femelles exercent une forte pression de
sélection sur les mâles, pouvant aboutir à deux types de
populations, certaines où les femelles préfèrent les
mâles peu colorés et où ceux-ci sont peu colorés,
d’autres où les mâles sont colorés et les femelles
préfèrent les mâles colorés. À terme de telles
populations peuvent diverger au point de s’ignorer
complètement lorsqu’elles se retrouvent, éliminant
tout flux de gènes entre elles. Les populations sont
alors séparées et donc en route vers la spéciation,
initiée par un processus culturel.
Transmission culturelle
Les chercheurs du laboratoire EDB travaillent sur
l’importance de l’hérédité culturelle animale en
évolution. Les comportements concernés sont les
préférences sexuelles des poissons et des insectes. Nous
avons par exemple montré récemment que les femelles
de Drosophila melanogaster font preuve de capacités
cognitives insoupçonnées aux vues de la taille de leur
cerveau. Ces capacités conduisent à envisager
l’existence de comportements hérités culturellement
chez cette espèce.
Parmi toutes les formes d’hérédité connues, la
transmission culturelle à l’originalité de ne pas
seulement se produire verticalement (i.e. de parent à
enfant) mais aussi horizontalement (entre individus de
la même génération) ou obliquement (entre individus
non apparentés de générations différentes). De ce fait,
la transmission culturelle doit profondément affecter
l’évolution à tel point que certains processus
impossibles avec une transmission uniquement verticale
(comme c’est le cas de la transmission génétique)
peuvent devenir possibles avec la transmission
culturelle. De ce fait, intégrer toutes les formes
d’hérédité dans le raisonnement évolutif augmente
sensiblement le champ de l’évolution. Gageons que
la prise en compte de toutes les formes de l’hérédité
va fortement changer notre manière d’appréhender
l’évolution dans les années à venir.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
L’évolution des espèces
dOSSIER
L’influence des
transitions écologiques
Véritables témoins des changements, les micro-organismes doivent s’adapter
vite. Leur évolution, mieux appréhendée grâce aux progrès du séquençage,
prouve le rôle majeur des contraintes environnementales sur le
développement biologique.
>>> Catherine MASSON-BOIVIN, directeur
de recherche INRA, au Laboratoire
des Interactions Plantes Micro-organismes
(LIPM, unité mixte INRA/CNRS), rattachée à
l’Institut fédératif Agrobiosciences,
intéractions et biodiversités (IFR 40)
Les transitions écologiques ont un impact fort sur
l’environnement et représentent une source majeure
de biodiversité. Grâce à la plasticité de leur génome,
les bactéries sont particulièrement enclines aux
transitions écologiques. Elles ont évolué depuis des
milliards d’années en réponse aux contraintes
environnementales. Des stratégies d’évolution
expérimentale en laboratoire visent à recréer
l’évolution en accéléré afin d’analyser les mécanismes
qui sous-tendent l’adaptation des bactéries à de
nouvelles niches écologiques. Les nouvelles
technologies de séquençage à haut débit permettent
aujourd’hui le re-séquençage du génome des bactéries
à différents stades de ces expériences d’évolution et
l’identification des mutations adaptatives.
Variations de genres
Les bactéries appelées rhizobia sont un cas typique
de micro-organimes issus d’évènements indépendants
et répétés de transition écologique. Les rhizobia sont
des bactéries du sol capables d’établir avec les
plantes de la famille des légumineuses une symbiose
d’intérêt écologique majeur. En effet, cette symbiose
se traduit par la formation sur les racines de la
plante de nouveaux organes, les nodules, dans
lesquels les bactéries fixent l’azote atmosphérique.
Les plantes nodulées peuvent ainsi croître en absence
d’engrais azotés dont la synthèse et l’utilisation
agricole sont à la fois coûteux et polluants pour
l’environnement. Cette symbiose se met en place
au moyen d’un processus complexe (organogénèse,
pénétration des tissus via des cordons d’infection,
infection intracellulaire des cellules végétales) qui
fait intervenir des échanges de signaux moléculaires
entre les deux partenaires.
>>> Infection de Mimosa pudica par le rhizobium
Cupriavidus taiwanensis (en vert).
Bien que partageant une même fonction biologique
complexe, les rhizobia ne forment pas un groupe
taxonomique homogène mais sont dispersés au sein
des alpha- et béta-protéobactéries où ils représentent
page 25
plus de 10 genres et 60 espèces inter mêlés avec des
pathogènes et des saprophytes. Cette biodiversité
soulève de fascinantes questions quant à l’émergence
et l’évolution des rhizobia.
Symbiose adaptative
Pour répondre à ces questions, nous avons entrepris
en collaboration avec P. Heeb (laboratoire EDB, unité
mixte UPS/CNRS) l’évolution d’un pathogène de
plante, Ralstonia solanacearum, en symbiote de
légumineuse, au moyen d’une stratégie dite « design
then evolve ». Cette stratégie consiste à construire
par génie génétique une souche dotée d’un potentiel
symbiotique, et à faire évoluer cette souche en
utilisant une légumineuse comme pression de
sélection. Cette stratégie nous a permis de faire
évoluer des dérivés nodulants et infectieux
intracellulaires d’une légumineuse (le mimosa)
à partir d’un pathogène extracellulaire. Les génomes
de ces bactéries évoluées sont en cours d’analyse
(collaboration avec Claudine Médigue, Genoscope
à Evry) afin d’identifier les mutations adaptatives
apparues au cours de l’expérience d’évolution
contrôlée. Ainsi, les mécanismes moléculaires qui
accompagnent l’adaptation à la symbiose avec une
légumineuse seront analysés. Ceci devrait nous
permettre de mieux comprendre l’évolution et le
maintien de cette symbiose dans la nature.
Contact : [email protected]
L’évolution des espèces
Diversité génétique et
évolution humaine
Si l’évolution humaine a longtemps été le domaine réservé des anthropologues,
des linguistes et archéologues, les travaux scientifiques sur l’évolution ou la
diversité humaine font de plus en plus appel à des généticiens.
>>> Lounès CHIKHI, chargé de recherche CNRS
au Laboratoire Evolution et Diversité Biologique
(EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA), est
actuellement mis à disposition à l’Instituto
dOSSIER
Gulbenkian de Ciência, au Portugal.
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Les données fossiles suggèrent que les premiers êtres
humains « modernes » sont très probablement
apparus en Afrique il y a 150 000 à 200 000 ans.
Il serait bien entendu naïf de croire que les données
génétiques obtenues sur des populations actuelles,
quelque 5 à 10 000 générations plus tard, pourront
nous donner des informations précises sur cette
histoire complexe faite d’expansions, de colonisations
de nouveaux territoires, de retours en arrière,
d’extinctions, de rencontres et de mélanges. Mais,
les données génétiques ont véritablement révolutionné
le regard que nous portons sur notre espèce au cours
des dernières décennies.
Ainsi, jusqu’aux années 1960, la majeure partie
des spécialistes pensaient que l’espèce humaine avait
divergé depuis au moins 15 millions d’années des
autres primates, Les datations faites à partir de
données moléculaires ont permis de montrer que (i)
nous sommes plus proches des gorilles et chimpanzés
qu’eux-mêmes ne le sont des orangs-outangs, (ii)
cette divergence est très récente, de l’ordre de
5 à 7 millions d’années.
Espèce jeune
Les données génétiques ont aussi contribué à montrer,
de façon répétée, que les populations humaines sont
peu différenciées les unes des autres à l’échelle
mondiale, en accord avec l’idée que notre espèce est
bien une espèce jeune ayant colonisé la planète très
récemment, et dans laquelle la notion de race
biologique est inopérante. Ces résultats s’opposent
donc aux théories d’origines multiples qui
postulaient, jusqu’il y a encore peu, que plusieurs
espèces ou races humaines étaient apparues sur les
différents continents à partir des Homo erectus qui
avaient quitté l’Afrique il y a plus d’un million
d’années (les fameux hommes de Pékin et de Java).
Au cours des trente dernières années, de nombreux
travaux nous ont permis de mieux comprendre
comment des événements démographiques tels que
des expansions (lors de la colonisation à partir
de l’Afrique), des contractions (lors des dernières
glaciations en Europe), ou des mélanges de
populations (lors de la transition Néolithique qui
a mis en contact les premiers agriculteurs venant
du Proche Orient et les chasseurs-cueilleurs qui
>>> Le propithèque à couronne dorée (Propithecus tattersalli)
vit dans une petite région du nord de Madagascar. Nous
étudions l’impact de la fragmentation de son habitat sur sa
diversité génétique, et en particulier les effets respectifs de
la fragmentation due à l’espèce humaine et ceux dus aux
changements climatiques, plus anciens, sur cette diversité
(© Erwan Quéméré, doctorant au laboratoire EDB).
occupaient l’Europe) pouvaient influencer la diversité
génétique des populations actuelles. Il est ainsi assez
bien établi que l’espèce humaine est une espèce jeune
dont la distribution actuelle est le résultat d’une
expansion à partir de populations qui vivaient en
Afrique il y a 50 à 100 000 ans (c'est-à-dire bien
après l’apparition des premiers hommes modernes, en
Afrique également). Les données génétiques semblent
aussi indiquer que l’espèce humaine ne s’est pas (ou
très peu) mélangée avec celle des néandertaliens.
Dans notre laboratoire nous essayons ainsi de
comprendre comment les mélanges de populations
peuvent être quantifiés même lorsqu’ils sont anciens
(comme pour la transition Néolithique en Europe).
Nous analysons des données publiées ou étudions
les propriétés de données simulées par ordinateur.
Les applications ne se limitent pas à l’espèce humaine
et nous permettent de reconstruire l’histoire
démographique d’espèces menacées, afin de mieux
comprendre l’impact de phénomènes naturels ou
anthropogéniques.
Un des défis de la génétique des populations
humaines (ou d’autres espèces) sera, dans le futur,
d’arriver à reconstruire leur histoire récente, dans le
cadre de modèles moins simplistes que ceux que nous
sommes parfois obligés d’utiliser aujourd’hui.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
La Recherche à l’UPS
Le potentiel de recherche de l’Université Paul Sabatier se répartit
sur 74 laboratoires, dont 64 reconnus au niveau national, la plupart
unités mixtes avec le CNRS, l’INSERM, l’IRD, l’INRA, le CNES…
Plus de 2350 chercheurs et enseignants-chercheurs et 1400 personnels
technique et administratif travaillent dans ces laboratoires.
1500 doctorants sont inscrits à l’UPS, répartis dans 6 Ecoles doctorales.
Les huit grands domaines de recherche sont :
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Mathématiques : 1 laboratoire mixte.
Physique et nanophysique : 4 laboratoires mixtes, 1 unité CNRS, 1 fédération.
Chimie et matériaux : 6 laboratoires mixtes, 1 unité CNRS, 2 fédérations.
Sciences pour l'ingénieur : 3 laboratoires mixtes, 3 EA, 2 fédérations.
Sciences et techniques de l'information et de la communication :
1 laboratoire mixte, 1 unité CNRS, 1 EA.
> Sciences de la planète, de l'espace et de l'univers :
7 laboratoires mixtes, 1 Observatoire.
> Sciences de la vie et de la santé, biotechnologies :
> Biologie et Sciences de la Vie : 10 laboratoires mixtes, 1 EA, 3 fédérations.
> Sciences de la Santé : 7 laboratoires mixtes, 7 EA, 3 fédérations.
> Sciences de l'homme et de la société : 4 EA.
EA : équipe d’accueil
© P. DUMAS
© OMP
Pour plus de détails consultez : www.ups-tlse.fr rubrique “recherche”
Les MASTERS à L’UPS
19
mentions
différentes
> Biochimie et biotechnologies
Biologie, santé
Chimie
Ecologie
Electronique, électrotechnique, automatique
Génie mécanique, génie civil, génie de l'habitat
Information - Communication
Informatique
Informatique des organisations
Management
Management des organisations
Matériaux
Mathématiques et applications
Mécanique, énergétique, procédés
Microbiologie - Agrobiosciences
Physique et astrophysique
Santé publique
Sciences de la Planète, de la Terre et de l'environnement
Sciences du sport et du mouvement humain
Le cursus master comporte une centaine de spécialités
« recherche » et « professionnelles », dont certaines sont
cohabilitées avec d’autres universités et établissements de
Toulouse.
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