COMMENT PARLER DU CANCER À
UNE POPULATION QUI NE VEUT PAS
FORCÉMENT EN ENTENDRE PARLER ?
Co-construction du message, médiation
culturelle et scientique, intervention
dans les quartiers «sensibles»...
Panorama des solutions proposées par :
Entretien avec Artus Albessard, chef médecin coordinateur
pour DOC31, directeur de l’association, Magali Keraudren,
chargé de communication à DOC31, et Charlène Poncy,
stagiaire en Master 1 Information et Communication auprès
de Magalie Keraudren.
DOC31 est l’association chargée d’organiser et de
coordonner le dépistage des cancers pour la population de
la Haute-Garonne.
Entretien réalisé le 23 juin 2015.
Quel est le public cible de l’association DOC31 ?
Artus Albessard : Notre public, c’est l’ensemble des hommes et des femmes, de 50 à 74 ans
qui habitent en Haute-Garonne : toutes les personnes qui sont dans la tranche d’âge dans
laquelle la proportion de cancers dus à l’usure est la plus importante, comme celui de la
prostate ou du colon.
Magali Keraudren : DOC31 n’est pas une structure directement ouverte au public. On
s’adresse directement au public lors des campagnes de dépistage comme Octobre Rose
ou Mars Bleu, qui sont des actions grand public mais qui restent ponctuelles. Nous ne nous
adressons pas aux personnes atteintes d’un cancer, car notre objectif est la prévention, en
amont du diagnostique.
A. A. : Dans le cycle de prévention du cancer, il y a trois phases : la primaire (qui aide à
réduire et à éliminer les risques professionnels et non professionels avant l’apparition de
leurs éventuelles conséquences néfastes sur la santé.), la secondaire -où notre association
intervient- (la prévention secondaire contribue au dépistage des maladies ou en relation
avec le travail, si possible avant même que ces maladies se déclarent) et la tertiaire (qui vise
à limiter les conséquences des maladies installées, à prévenir les rechutes et favoriser la
réinsertion sociale des salariés). Il nous arrive de déborder un peu sur la prévention primaire,
mais c’est loin d’être notre secteur d’action principal. Notre travail est vraiment de persuader
les hommes et les femmes de l’importance et de l’intérêt du dépistage (essentiellement du
cancer colorectal, et du cancer du sein).
Comment vous adressez-vous à ces publics ?
A. A. : On envoie des courriers aux personnes les plus concernées (personnes ayant entre 50
et 74 ans habitant en Haute Garonne) les invitant à passer des dépistages comme mesure
de prévention.
M. K. : Pour les grands publics, on a mis en place des outils de médiations, ponctuels ou plus
pérennes.
A. A. : On a travaillé par exemple sur une série de petits films d’animations : « c’est quoi le
cancer ? », « c’est quoi le dépistage ? » « les traitements d’aujourdhui et demain ? »
Des recherches en communication montrent que les campagnes de communication de
prévention du cancer se basent sur 2 axes : « risque » et « gain »...
M. K. : on ne travaille pas notre communication en axe de « risque » ou de « gain ».
A. A. : On travaille très peu en matière de « risque ». Dans le discours, ça dépend à qui l’on
s’adresse. Dans toutes les campagnes grand public (affiches, vidéos) on parle de gain, dans
nos courriers aussi « Vous avez à gagner à faire ce dépistage là ». Bien que l’on commence
par « attention, c’est le cancer le plus fréquent, le cancer le plus mortel » où l’on peut parler
de « risque », tout ce qui suit, c’est du gain : « on les dépiste tôt, il y a des traitements ». Ce
discours reste, dans sa structure, plus ou moins le même.
Dans un contact direct, avec un interlocuteur qui peut être plus réticent au dépistage, nous
adaptons notre discours, accentuant plus sur cet axe « risque ». Mais uniquement dans le
cadre d’un colloque singulier où l’on sait à qui l’on s’adresse.
M. K. : La communication en santé reste quelque chose d’assez ténue, de plus subtile, on ne
peut pas parler de gain et de risque aussi brutalement. On essaie dans notre communication
de ne pas trop se tourner vers des méthodes plus marketing.
A. A. : D’autant plus que l’on transmet des savoirs, et c’est quelque chose auquel on tient.
Nous avons une présentation que l’on utilise souvent : elle présente tous les cancers, leur
incidence et leur survie à 5 ans et pour lesquels il existe une prévention.
Avec cette cartographie, qui peut faire peur comme ça, on montre que pour chaque cancer, il
y a une prévention, et que, finalement, la survie est plutôt bonne. L’idée est là, on transmet le
savoir : il existe une variété importante de cancers, mais la très bonne nouvelle, c’est qu’il y a
une prévention, la bonne nouvelle, c’est que cette prévention s’additionne à une bonne survie.
Lors de quel(s) évènement(s) présentez-vous cette diapositive ?
A. A. : Dans des réunions qui réunissent entre 20 et 50 personnes. Nous présentons des
diaporamas, qui s’accompagnent de discussions.
M. K. : Ces actions sont menées en partenariat avec des associations pour qu’elles relaient, et
fédèrent leurs membres. Ce sont des actions très ponctuelles
A. A. : Il y a deux types d’évènements qui rassemblent un public. Le premier type est piloté par
Magalie et s’appelle Venus, qui est un projet en trois temps : premièrement, la projection d’un
film (« Grain de beauté ») suivie d’une conversation plus libre. Cet évènement peut rassembler
jusqu’à 50 personnes, dans un quartier sensible. Et ça marche globalement bien. Pour monter
cet évènement, on choisit un quartier, comme Empalot, le Mirail, ou Colommier puis on essaye
de rassembler toutes les associations autour de nous. On leur propose de se regrouper, et
de regrouper des personnes pour faire un travail artistique autour de la prévention sur des
photos, des slogans ou des affiches.
M. K. : C’est un petit biais créatif pour transmettre notre message.
A. A. : Ces travaux sont ensuite valorisés par le biais d’expositions installées chez les associations.
Les dames qui y ont participées sont très fières. Et le vernissage permet à l’association d’avoir
quelques retombées presse, ce qui nous aide à transmettre notre message.
On rencontre aussi de grosses entreprises, comme les mutuelles, que l’on démarche ou qui
nous démarchent pour qu’on aille parler à leurs salariés. Là, on utilise un média d’introduction,
une pièce de théâtre qui s’appelle « les délieuses de langue ». Les 4 actrices présentes sur
scène désorientent un peu les personnes du public pour les amener progressivement vers
le thème. Lorsque la pièce s’arrête, on commence à discuter avec ou sans support quel qu’il
soit. Après l’association agit aussi vers les étudiants et les écoles.
Et ensuite, il y a Octobre Rose où l’on rencontre quand même beaucoup, beaucoup de gens.
M. K. : C’est très grand public.
A. A. : Et en étant grand public, on réfléchit, année après année, sur comment réussir à
transmettre l’information : il nous faut des temps qui soient plutôt funs, plutôt agréables, en
les couplant avec le bon média. Donc on utilise un peu de radio, de la vidéo, du théâtre, des
projections artistiques, des happenings, des lectures. Cette année, on joue avec des panneaux
qu’on installe sur le chemin des courses. L’association est aussi toujours présente avec un stand
visible qui permet de pouvoir transmettre de l’information auprès des personnes qui veulent
en savoir plus. On reste malgré tout sur des messages qui sont plutôt grossiers. Octobre Rose
parle de cancer du sein, de prévention, de mammographie, et d’activité physique. L’activité
physique est à la fois un bon média et un très bon moyen de prévention. L’association organise
donc des marches où le public porte nos tee-shirts. On crée une espèce de phénomène. Ces
actions sont relayées dans tout le département.
Pourquoi avoir choisi de s’adresser aux quartiers défavorisés ?
A. A. : Après une enquête, on s’est rendu compte qu’il y avait dans ces quartiers un taux
de participation aux campagnes de prévention de l’ordre de 60 % de moins qu’ailleurs.
Donc en tant que médecins, on s’est dit « on va agir là-bas ». On a commencé à nouer de
nouveaux rapports avec ces publics. Puis c’est rentré dans le plan cancer, alors qu’on avait
déjà commencé le travail 6 ans auparavant. Ca fait 6 ans qu’on tricote des relations avec les
associations dans ces quartiers. Initialement donc, on y allait parce qu‘on y croyait. Et puis
petit à petit, les politiques nous on dit que c’était justement ce qu’ils voulaient.
Avec le projet Venus, ou Octobre Rose, vous utilisez régulièrement un biais artistique pour
transmettre vos messages. C’est une volonté ?
M. K. : L’idée d’adopter un biais artistique comme dans Venus ne vient pas de nous, c’est une
idée qui existait déjà et qu’on a adapté. Il s’agissait alors d’artistes confirmés qui faisaient ce
travail là sur des photos. Nous avons trouvé l’idée intéressante, mais pensé qu’elle le serait
davantage si l’on faisait ce travail avec de vrais gens. D’autant plus dans ces quartiers : les
dames prenaient rarement un instant pour faire ce genre de choses, un temps pour se poser,
tenir des ciseaux, manipuler la colle. Ça, c’était génial. Et au final, on obtient ce résultat visuel
qui peut vivre sans trop d’explications.
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