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PEAU NEUVE
Vous le savez sans doute, le Théâtre de la Ville va fermer ses
portes pour deux saisons, afin de procéder à des travaux de-
venus indispensables. Depuis son inauguration en 1968, au-
cuns travaux d’importance n’ont été entrepris dans le bâti-
ment. Dans deux saisons donc, un nouveau Théâtre de la
Ville rouvrira ses portes: la sécurité, l’accessibilité, les outils
techniques de la salle et du plateau seront mis aux normes;
les espaces publics, la salle de répétition et le Café des Œillets
prendront un tout nouveau visage. Celui d’un théâtre public
pour l’avenir.
Nous pouvons véritablement nous réjouir que, grâce à l’enga-
gement de la ville de Paris, le projet du Théâtre soit à même
de se réinventer durant ces deux saisons, de trouver une vitalité
différente, presqu’un nouvel élan: le Théâtre des Abbesses
restera très actif, le personnel et les équipes artistiques inves-
tiront un Espace Pierre Cardin rénové par la Ville – qui offrira
de nombreuses possibilités de répétitions et créations dans
ses différents espaces – et enfin, un ensemble de nouveaux
partenariats avec une vingtaine de grandes salles de Paris et
sa région permettra de continuer à accompagner les plus
grandes compagnies de danse et de théâtre françaises et in-
ternationales tout au long de la saison.
Nous sommes profondément reconnaissants aux directrices
et directeurs de l’ensemble de ces structures pour leur hos-
pitalité, pour la qualité des échanges autour de ces projets,
inventés et portés ensemble, à travers le territoire parisien.
RIEN DE CE QUI EST HUMAIN NE NOUS EST ÉTRANGER
Nous ferons toujours nôtre cette devise bien connue du théâtre
romain (une pièce de Térence!), ce qui signifie que tout ce
qui concerne le monde, le monde moderne, le monde actuel,
les enjeux qu’il affronte tous les jours, peut, doit, trouver une
forme d’expression sur nos scènes. Depuis les sentiments les
plus secrets, les bonheurs les mieux partagés, jusqu’aux
grandes expériences collectives des peuples, surtout quand
ils cherchent à conquérir ou à reconquérir leur liberté.
Alors que s’annonce une saison voyageuse, nous n’oublions
pas non plus que ce même Paris, en de nombreux endroits,
a connu de terribles attentats en janvier puis en novembre
2015. Il nous a toujours importé d’affirmer l’existence, la pré-
sence des arts du théâtre, de la danse et de la musique, contre
le crime et la barbarie.
L’ART EST TOUT CELA
Nous entendons donc plus que jamais continuer de pratiquer
une totale ouverture aux esthétiques, tant dans la danse et le
théâtre que dans la musique, sans parler des croisements que
les disciplines peuvent avoir la chance d’effectuer, ici même,
entre elles. Et d’éprouver ainsi toutes les aventures de la mo-
dernité et de la liberté créative.
Trente-deux créations de théâtre et de danse, plus de trente
rendez-vous musicaux, vous attendent pour cette nouvelle
saison, dans plus de vingt lieux partenaires. Ici ou ailleurs,
vous découvrirez des nouveaux visages, retrouverez les com-
pagnies que le Théâtre de la Ville s’engage à accompagner dans
la durée, assisterez aux nouvelles créations des grands noms
de la scène internationale, tous également familiers de nos
saisons: de James Thierrée à Akram Khan, d’Anne Teresa De
Keersmaeker à Krystian Lupa, de Robert Wilson à Lucinda
Childs, du Tanztheater Wuppertal/Pina Bausch au Berliner
Ensemble, Maguy Marin, Wim Vandekeybus et la création
mondiale d’Hofesh Shechter.
Parmi les nouveaux venus, Samuel Achache et Jeanne Candel
mais aussi Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons présenteront
leurs nouvelles créations; Olivier Coulon-Jablonka reprendra
81 avenue Victor Hugo, créé au CDN d’Aubervilliers avec un
collectif de sans-papiers; avec Igor & Moreno et Ben Duke
est célébrée la vitalité de la jeune scène londonienne; avec
Kyle Abraham, Nora Chipaumire et The Civilians celle de
New York. Ces deux dernières compagnies, seront présentées
dans le cadre d’un nouveau partenariat entre la BAM de
New York et le Théâtre de la Ville, pour soutenir conjointe-
ment les jeunes créations françaises et américaines.
Avec la troupe du Théâtre de la Ville, je vais mettre en scène
à l’Espace Pierre Cardin L’État de siège, pièce étrange et mé-
connue d’Albert Camus, miroir déformant d’un avenir cau-
chemardesque, dans lequel une cité est réduite au silence et
à la soumission autoritaire, sous l’impulsion d’un personnage
appelé La Peste. Un théâtre de troupe, autant poétique que
politique, une dramaturgie qui prolonge à sa manière celle
abordé précédemment avec Rhinocéros: la nécessité de résis-
tance.
L’art comme catharsis des monstruosités humaines, qui dé-
livre, libère, expose le mal et ses racines, a souvent inspiré la
constitution de nos saisons. Ainsi que notre penchant pour le
pur éblouissement. Car ce qui nous anime surtout, dans une
société traversée pas ses contradictions, c’est de préserver à
tout prix l’acte artistique, en nous aventurant sur des terrains
nouveaux, dans tous les domaines, en inventant des façons
autres de s’adresser à tous. Ne jamais perdre de vue ceci:
faire passer l’art, qui existe depuis toujours, aux générations
futures.
Emmanuel Demarcy-Mota
PÉRÉGRINATIONS & TRAVERSÉES