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INTRODUCTION
Que l’on dérive le terme « religion » avec Cicéron de « relegere » (enrouler, relire avec soin) ou,
avec d’autres, Lactance et Tertullien, de « religare » (attacher, lier)
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, dans les deux cas on retrouve à la
racine du mot l’idée de lien ou de relation. Et de fait toute religion se présente sous la forme d’un
rassemblement d’individus dans un lieu (une Église, du grec ekklesia : assemblée), tous unis par une
même foi (croyance) soit reliés à une Idée ou Représentation commune (« Dieu »). Double lien donc :
des croyants entre eux et de ceux-ci à une Notion similaire, à laquelle chacun se réfère explicitement.
Aussi on distinguera deux moments dans la religion : le moment pratique ou le Culte correspondant
aux gestes (rites) effectués à l’« Église » et le moment théorique ou la Croyance englobant les
affirmations (dogmes) constitutifs de la Représentation religieuse.
Ces deux composantes sont indispensables à toute religion. Contrairement en effet à un préjugé de
plus en plus répandu, une religion qui omettrait le premier moment et se cantonnerait dans la croyance
ou la foi, sans la moindre pratique, s’abolirait en tant que telle. Faute d’extériorisation et donc de
confirmation objective, vérifiable par les autres, chacun étant libre de croire ce qu’il veut, la religiosité
se
réduirait
à
une
foi
purement
intérieure
ou
subjective
qui
accepterait
les contenus
les plus divers, en lieu et
place du Lien ou Unité postulé par la religion. Inversement une pratique, fût-elle commune, qui se
passerait
de
toute
justification théorique, perdrait sa signification religieuse même : son rapport à l’Idée.
Rien ne la différencierait alors des autres pratiques humaines, à propos desquelles on n’hésite pas à
recourir à un vocabulaire religieux, lors même qu’elles s’inscrivent dans un champ qui n’a,
apparemment, rien à voir avec la religion, que ce soit la politique (culte de la personnalité), l’art ou le
sport (culte des idoles ou jeux olympiques) voire l’économie (fétichisme).
Pour nécessaires que soient ces deux éléments, on privilégiera néanmoins le second, dans la mesure
où il sous-tend et donne sens au premier. Sans la théorie ou l’esprit qui anime ceux qui les fréquentent,
les édifices religieux se confondraient avec des bâtiments publics quelconques et le rituel qui s’y
déroule deviendrait inintelligible, aucune marque extérieure ne distinguant les gestes de la dévotion ou
piété, à commencer par la prosternation, des attitudes pathologiques, telle la prostration chez les
dépressifs par exemple. Seule la croyance et ses représentations transforment une pratique
indéterminée en culte précis, c’est-à-dire un ensemble de gestes culturels, choisis en fonction d’un
sens spécifique dont ils sont censés témoigner. Comme en toute activité humaine, il faut débuter par
l’étude de la signification affirmée par la conscience religieuse, si l’on veut avoir la moindre chance de
comprendre quoi que ce soit à la religion et savoir (ce) qui est vraiment (en soi) pieux ou religieux.
"
Alors,
instruis-moi
donc
sur
ce
que peut bien être cette propriété essentielle, pour me permettre, fixant mon regard
sur
elle
et
m’en
servant
comme
d’un
modèle,
de
déclarer
pieux
tout ce qui fait par toi ou par un autre, lui ressemblera,
et de déclarer non pieux tout ce qui ne lui ressemblera pas." (Platon
2
)
Consignée dans des articles dont l’ensemble constitue la profession de foi du croyant, objet d’une
catéchèse (instruction), la croyance religieuse s’articule autour de trois propositions liées entre elles.
1. Existence de Dieu(x) ou de Principe(s) suprême(s). 2. Création ou dépendance du monde par/de Lui ou eux.
3. Réflexion ou révélation de « Dieu(x) » par l’Homme, soit nature divine (immortelle) de ce dernier.
Ces trois dogmes que l’on retrouve peu ou prou dans toutes les religions, s’entre répondent.
Le premier anticipe le second -en posant Dieu, on suppose par avance ce qui en découle : le monde-
qui
rétrospectivement
le
précise
-un
Dieu
sans
monde serait un Dieu vide, à la tête de rien- et le troisième,
pareillement présupposé par le premier -qui affirme en effet l’existence de Dieu sinon l’Homme ?-
le confirme à son tour -un Dieu non réfléchi, demeurerait inconnu : on ne pourrait jamais rien en dire.
Tous tournant autour de l’idée de Dieu, c’est elle qu’il importe d’examiner en priorité.
Au point de départ Dieu n’est ni plus ni moins qu’un mot, "le mot Dieu", en attente d’une définition.
" Pris pour soi c’est là un son vide de sens, rien qu’un nom. C’est seulement le prédicat qui dit ce qu’il est,
qui constitue son remplissement et son sens " (Hegel
3
).
1
cf. E. Benveniste, V.I.I.E. 2. L. 3 chap. 7 p. 268 et Comte, C.P. Introd. Théorie g
ale
de la religion pp. 42 et 47
2
Euthyphron 6 e
3
Phén. E. Préface II. p. 57 ; cf. égal. L.L. 1831 p. 169 et P.E.D. VII. p. 85