Hérode : le roi étranger roi de Judée et ami des romains, si l`on suit

HÉRODE: LE ROI ÉTRANGER
Jean-Michel Roddaz
Roi de Judée et ami des Romains, si l’on suit les formules des différents
textes1, Hérode occupe une place particulière dans l’Histoire du Proche-
Orient antique, surtout si l’on se replace dans la perspective des relations
entre Rome et la Judée. Le règne et le personnage ont été largement décriés
par lhistoriographie postérieure2 et les Chrétiens ont surtout retenu quil
aurait été linstigateur du massacre des Innocents. Notre source principale le
concernant demeure l’historien juif Flavius Josèphe, qui lui reconnaît cepen-
dant certains mérites, sans doute parce quil s’inspire d’un confident, adula-
teur du roi, Nicolas de Damas3, qui a mis en exergue les grandes réalisations
du règne auxquelles il fut lui-même associé. Il est vrai que les découvertes
archéologiques plus ou moins récentes4 révèlent l’action d’un grand bâtisseur
et la question des influences extérieures, du lien avec ce qui se fit alors, ailleurs
dans le monde romain, mérite d’être posée. Hérode a puisé une bonne part
de sa légitimité dans son amitié, largement proclamée, avec Auguste et son
gendre et ami, Marcus Agrippa5; il y a peu de raisons d’en suspecter la réalité,
mais on peut se demander aussi dans quelle mesure elle influa sur les réali-
sations du règne et sur les relations entre Rome et le petit royaume de Judée.
La question de l’origine du pouvoir d’Hérode constitue un préalable à
toute compréhension de son règne. Selon Flavius Josèphe, Hérode régna sur
un royaume dont il était étranger6; il ressentit sans doute la nécessité de le
dissimuler quelque peu, puisque Nicolas de Damas lui inventa une généalogie
juive en prétendant que ses ancêtres auraient compté parmi les familles nobles
revenues de Babylone7. Mais contrairement à ses rivaux Hasmonéens qui le
1 OGIS 414-415; voir GeiGeR 1997, 76-88; labbe 2006, 41 n. 157.
2 La bibliographie concernant Hérode est imposante, voir notamment RichaRdson 1996; KoKKi-
nos 1998; saRtRe 1991, 358-361; saRtRe 2001, 530-536; GüntheR 2005; GüntheR 2007.
3 Sur Nicolas de Damas, voir, en dernier lieu, PaRMentieR - baRone 2011, xi-xli; sur Nicolas de
Damas source de Flavius Josèphe, à propos d’Hérode, voir toheR 2003.
4 Voir RolleR 1998; Raban - holuM 1996.
5 Sur ce point, Roddaz 1984, 451-455.
6 Ios. BJ 1,521.
7 Ios. AJ 14,9. Voir KoKKinos 1998, 101.
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qualifièrent dailleurs dedemi-juif8, Hérode ne prétendit jamais à la Grande
prêtrise et Flavius Josèphe souligne, sans doute avec quelque exagération mais
à maintes reprises, combien il était haï des Juifs9. Il nen demeure pas moins
qu’il fut considéré par eux comme un roi étranger10.
1. Le roi imposé
On ne doit pas sous estimer la main mise globale de Rome sur la Judée
à partir de Pompée: la région était dans une situation de soumission et le
poids des gouverneurs romains se faisait sentir largement11. C’est notamment
le cas, en 58, lorsque la Syrie devint, avec Gabinius, une province consulaire ;
celui-ci, après sa victoire contre Alexandre, le fils dAristobule, un des pré-
tendants hasmonéens, fit repeupler la région et, par le biais de refondations
urbaines, reconstruire des cités renforçant ainsi l’influence de l’hellénisme.
Lautre représentant de la famille descendante des Macchabées, l’né, Hyr-
can, qui avait les sympathies du pouvoir romain, était seulement chargé des
affaires religieuses et sa position était d’autant plus affaiblie que l’aristocratie
sacerdotale était traditionnellement hostile à la monarchie12. Ce qui comptait
donc, c’étaient les relations avec Rome et, dans cette perspective, le person-
nage dont l’influence ne cessait de croître était l’iduméen Antipater, homme
de confiance d’Hyrcan. La question de lorigine de sa famille a été largement
débattue, mais le fait quil portait un nom grec, comme son père d’ailleurs et
bon nombre de membres de sa famille, laisse penser que les racines sémitiques
avaient été recouvertes par une hellénisation qui remontait déjà à quelques
générations, à l’inverse d’une judaïsation qui, elle, devait être relativement
cente13.
De même, la charge officielle quil exerçait nest pas d’interprétation ai-
sée. En 55 av. J.-C., Antipater avait soutenu Gabinius dans sa marche contre
l’Egypte en lui fournissant hommes, armes et argent, et, à partir de 47, les
titres attestés le concernant sont oJ twn jIoudaivwn ejpimelhthv", administra-
teur des Juifs ou encore oJ th`" jIoudaiva" ejpimelhthv", c’est-à-dire curateur
de Judée14. Nous navons pas à revenir ici sur l’activité d’Antipater qui pré-
sente un caractère polyvalent avec une prédominance des aspects politiques,
8 Ios. AJ 14,403.
9 Ios. AJ 14,158-177; 15,326 sq.; 16,179-183.
10 Ios. BJ 1,521.
11 Voir sur ce point la tse, en cours de publication, de labbe 2006, 19-66.
12 Ios. AJ 14,41.
13 Voir, sur ce point, KoKKinos 1998.
14 Ios. AJ 14,139. Voir, sur ce point précis, labbe 2006, 20 n. 59.
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diplomatiques et militaires, et donc pas seulement financière, mais aussi des
missions impliquant un engagement personnel direct15. La position d’Antipa-
ter fut encore renforcée après la mort de Pome. LIduméen se hâta de rallier
le camp du vainqueur et apporta une aide importante à César à Alexandrie.
En juillet 47, celui-ci renouvela Hyrcan dans sa charge de Grand-Prêtre et
d’ethnarque des Juifs, mais donna aussi la citoyenneté romaine et l’immunité
fiscale à Antipater et à ses fils, Hérode et Phasaël16. Flavius Josèphe17 qualifie
Antipater d’ ejpivtropo" jIoudaiva", charge qui correspond à une dunasteiva,
cest-à-dire à une fonction de gouvernement, et ses deux fils reçurent, en tant
que stratèges, d’importants commandements militaires, en Galilée et à Jéru-
salem. La position dAntipater devint alors ambig18 : il était certes toujours
officiellement au service d’Hyrcan mais surtout et plus que jamais le fidèle ser-
viteur du pouvoir romain19. Cette double dépendance ne laffaiblit pas, mais
lui donna au contraire un supplément d’autorité qui lui permit de réorganiser
le pays20. Lui et ses fils étaient les véritables détenteurs du pouvoir, ce dont
s’était parfaitement rendu compte l’aristocratie juive venue se plaindre auprès
d’Hyrcan après lexécution par Hérode du chef des brigands, Ezéchias, sans
avoir attendu la décision du Sanhedrin21. Non seulement le fils d’Antipater fut
absous, mais sa position fut encore renforcée par le gouverneur de Syrie qui
élargit ses compétences à la Décapole et à la Samarie22. La Judée resta donc,
jusqu’à lassassinat de César, un territoire autonome, mais toujours tributaire,
un royaume vassal mais sans titre de roi et dont les fonctions gouvernemen-
tales étaient confiées à Antipater, chargé plus particulièrement de le surveiller.
Lassassinat de César, en 44, puis l’empoisonnement dAntipater, en 43,
ne vinrent en rien modifier cet état de fait: Hérode compta au nombre des
amis de Cassius, lun des tyrannicides, qui le nomma ejpimelhthv" pour toute
la Syrie, chargé du soutien logistique de larmée pour toute la province et
qui lui aurait même promis le titre de Roi après sa victoire23. La défaite des
Républicains à Philippes naffaiblit cependant pas la position d’Hérode: lui et
son frère, Phasaël, furent élevés par Antoine au rang de tétrarques24. Certes,
15 Ios. AJ 14,90-91.143; BJ 1,169-170.
16 Voir RaGGi 2010, 86-87. Ios. BJ 1,194; AJ 14,137. Le nom latin complet Caius Iulius Herodes est
épigraphiquement attesté par une inscription de Cos: SEG 45,131.
17 Ios. BJ 1,199. labbe 2006, 26-29.
18 Les passages de l’œuvre de Josèphe où le rôle dAntipater est mis en valeur proviennent proba-
blement de l’Histoire universelle de Nicolas de Damas. Voir sur ce point belleMoRe 1999, 110-113.
19 Ios. AJ 14,166.
20 Ios. BJ 1,203.
21 Ios. AJ 14,163-167; BJ 1,210-211.
22 Ios. BJ 1,212-213.
23 Ios. AJ 14,280.
24 Ios. AJ 14,326.
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ils demeurèrent subordonnés à l’ethnarque et Grand-Prêtre Hyrcan, tout en
conservant toutes leurs compétences pour régler les affaires de Judée. Cette
décision répondait au souci du triumvir de ne point bouleverser les choses en
Orient: pour Antoine, la loyauté à Rome primait sur les allégeances passées
à un parti, à un moment où il sagissait d’abord, pour Rome, de reprendre
en main l’Orient. L’Egypte était un enjeu dune toute autre importance et en
Judée, les Antipatrides constituaient une garantie de stabilité face à un peuple
et à une aristocratie depuis longtemps rétives à toute domination extérieure.
A trois reprises, Rome rendit un arbitrage favorable à Hérode aux dépens des
Juifs venus se plaindre de lui : en 41, en Bithynie, peu après la bataille de Phi-
lippes, quelques semaines plus tard à Daphné, après la rencontre du triumvir
avec Cléopâtre, enfin une délégation de mille notables juifs à Tyr connut la
même infortune25. Le fils d’Antipater comptait des soutiens dans tous les par-
tis à Rome: à Daphné, c’est Messalla Corvinus, soutien de Cassius mais rall
à Antoine, qui prit sa défense. Les événements qui suivirent démontrèrent le
bien fondé des positions romaines et achevèrent de convaincre les triumvirs
de soutenir Hérode. En effet, l’invasion parthe en 41/40, ladhésion d’une
large partie du peuple de Judée et de ses élites aux nouveaux occupants, le ral-
liement aux vainqueurs et la prise temporaire du pouvoir par lautre branche
hasmonéenne changèrent pour un temps la donne. Les Parthes envahirent la
Syrie et une partie de l’Asie Mineure; Hyrcan, mutilé par son rival et envoyé
en captivité à Babylone, était désormais disqualifié pour tenir son rôle et Pha-
saël fut tué. Hérode navait plus quun recours: Rome. A la fin de lannée 40,
il effectua le voyage vers la capitale de l’Empire: sa qualité de citoyen romain,
les soutiens sur lesquels il pouvait compter parmi les membres de l’aristocratie
romaine, mais surtout celui des triumvirs, Antoine et Octavien, lui permirent
d’obtenir satisfaction dans un délai extrêmement rapide. Après une semaine,
un Senatus Consulte l’élevait au titre de roi de Judée26 ; il lui restait à conqué-
rir son royaume dans les fourgons de larmée romaine.
Laffaire prit deux ans; Ventidius vainquit les Parthes qui furent repoussés
au-delà de l’Euphrate; quelques mois plus tard, C. Sosius semparait de Jéru-
salem avec le soutien d’Hérode et Antigone, le rival Hasmonéen, était exécuté
à Antioche. En 37, pour assurer un semblant de continuité avec la dynastie
déchue, Hérode épousait Mariammè, fille d’Alexandre et petite-fille d’Aristo-
bule II, mais aussi d’Hyrcan par sa mère Alexandra27.
Des circonstances particulières et notamment l’invasion parthe avait
conduit juridiquement à la création d’un nouveau royaume au profit du
25 Voir Ios. BJ 1,243-245; AJ 14,324-327.
26 Ios. BJ 1,282-285; AJ 14,381-389; RichaRdson 1996, 127-130; KoKKinos 1998, 367-369.
27 Ios. BJ 1,344; AJ 14,467.
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ls d’Antipater. Hérode devait son trône fondamentalement à un Senatus
Consulte28, à la victoire de Rome sur les Parthes et à la force de ses légions
qui lui permirent de reprendre Jérusalem, d’éliminer ses adversaires et de
maintenir son pouvoir puisque l’une d’entre elles demeura aux portes de la
capitale, peut-être jusqu’à la bataille d’Actium29. Les soubresauts de la lutte
pour le pouvoir que se livrèrent les héritiers de César ne modifièrent en rien
la position d’Hérode et la situation de la Judée. Aps Actium dont il avait su
très habilement sexempter, Hérode fut l’un des premiers à faire sa soumis-
sion au nouveau maître de l’Empire, à lissue de l’un de ces renversements
d’alliance dont il était passé maître: il pouvait alléguer que sa fidélité à Rome
navait jamais failli de même que sa loyauté à l’égard de ses amis. Octavien
comprit très vite l’intérêt davoir un tel allié qui sempressa de l’aider dans
sa marche victorieuse vers Alexandrie, après l’avoir reçu somptueusement à
Ptolémaïs. Une telle attitude méritait récompenses qui nallaient pas tarder à
suivre: ses territoires augmentaient de manière significative. Jericho, Gadara,
certaines cités de la Décapole, mais aussi Samarie, Gaza, Anthédon passaient
sous sa domination, ce qui constituait un accroissement décisif de ses pos-
sessions30. Léquilibre interne du royaume sen trouvait modifié et les moyens
financiers à sa disposition considérablement accrus qu’il saurait utiliser à bon
escient31. Hérode régnait sur un royaume de plus de 20000 Km2. Il nétait pas
seulement un allié sûr et fidèle, garant de la stabilité et de la prospérité de son
royaume; il lui fallait démontrer quil était le meilleur des princes-clients, de
surcroît l’intime et lami des nouveaux maîtres de Rome.
Hérode était revêtu de tous les insignes de la royauté, la pourpre, le
sceptre, le diadème et il disposait de sa propre armée. La possibilité lui était
donnée de nommer et de révoquer le Grand-Prêtre, fonction quil ne pouvait
lui-même assumer. Le rôle du Sanhedrin était amoindri et lopposition était
systématiquement éliminée dautant qu’Hérode se débarrassa rapidement
d’Hyrcan. Il était donc libre de mener une politique ambitieuse sous légide
mais aussi à l’image de celle de Rome, et cela incluait aussi les grands travaux
d’autant quil disposait de moyens considérablement accrus. Cette action quil
put mener pendant près de 30 ans relevait de l’exécution de la souveraineté,
mais contrairement au pouvoir des Hasmonéens qui découlait d’une position
et d’une autorité fondées sur une base réelle, car authentiquement juive, la
royauté de l’Iduméen marquait le passage à une vraie subordination32. Hérode
28 Ios. AJ 14,469.
29 Ios. AJ 15,72-73.
30 Ios. BJ 1,394-400; AJ 15,217.
31 Sur les ressources d’Hérode et les moyens dont il pouvait disposer pour financer sa politique
édilitaire, voir Gabba 1990, 160-168.
32 Voir Strabon 16,75.
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