La pensée constitutionnelle d’Alexander Mordecai Bickel – M. Laporte
2
… combinaison de son éducation supérieure et de son expérience
militaire lui donna dès 1947 une diction […] indissociable de celle des
Américains d’origine et une maîtrise de la langue allant d’exclamations
hautes en couleur à des formulations poétiques élégantes
.
Diplômé de l’Université d’Harvard avec mention très bien en 1949
(LL.B, summa cum laude), il devient clerk du juge Calvert Magruder de la
First circuit U.S. Court of Appeal. Il passa les deux années suivantes en
Europe, en Allemagne puis à Paris dans le cadre d’une délégation de la
communauté européenne de défense. Ces séjours à l’étranger lui offrirent
certaines clés de compréhension des systèmes constitutionnels étrangers, et
notamment de l’organisation institutionnelle française qu’il évoque à
plusieurs reprises dans ses ouvrages postérieurs
.
L’année 1952 marque indéniablement une rupture. À son retour des
États-Unis, Bickel devient clerk de Justice Felix Frankfurter. Cette
collaboration fut l’une des expériences intellectuelles majeures de sa vie.
Resté en contact avec lui jusqu’au décès de ce dernier en 1965
, Bickel fut
imprégné de cette pensée d’un droit constitutionnel ouvert vers le politique
« au sens noble du terme
». Ces différents ouvrages
abordent ainsi cette
problématique des relations entre le droit et la politique, défendant une
justice constitutionnelle ouverte sur son environnement politique mais
protégeant ses décisions face à une politisation excessive
. La majorité de
son œuvre prolonge ainsi les questionnements de Frankfurter sur la place de
la Cour suprême dans la société
:
Personne de notre temps, ou même de tout temps, explora si
profondément, si largement et si imaginativement la place institutionnelle
des tribunaux dans le façonnement du monde – et, même plus largement,
la place du droit constitutionnel et de la vie politique
.
Ibid., p. 689: « this combination of formal higher education and military experience gave
him a diction that by 1947 was indistinguishable from that of native born Americans and a
command of language ranging from the colorful expletive to the elegant poetic phrase ».
Voir par exemple The Morality of Consent, Yale University Press, New Haven and
London (1975), p. 16 ; The Least Dangerous Branch: The Supreme Court at the Bar of
Politics, Yale University Press, New Haven and London (1962), p. 255.
A.M. SACKS, article cité, p. 690.
F. FRANKFURTER, op. cit., p. 3.
Notamment ceux concernant la Cour suprême : The Least Dangerous Branch op cit,
p. 272 ; Politics and the Warren Court, 1965, Harper and Row Publishers, New York,
p. 210 ; The Supreme Court and the Idea of Progress,1970, Yale University Press, New
Haven and London, p. 181 ; The Caseload of the Supreme and What if Anything to Do
About It,1973, Domestic Affairs Studies vol. 21, American Enterprise Institute for Public
Policy Research, 37 p. ; The Morality of Consent, op. cit., p. 142.
Il s’inscrit sur ce point clairement dans la lignée de l’école du Legal Process, voir infra.
C.L. BLACK Jr., article cité, p. 200.
Ibid., p. 200 : « no one in our times, or perhaps in any times, so deeply, so broadly, so
imaginatively explored the institutional place of the courts in shaping the world – and, even
more widely than that, the place of constitutional law and political life ».