Léon Brothier : réformateur saint simonien et

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Léon Brothier : réformateur saint simonien et socialiste républicain.
Afin de préparer notre communication du 05 février 2016, nous proposons ici une courte biographie de
Léon Brothier suivie de diverses citations qui permettent de cerner d’une manière assez générale
l’orientation et la singularité de son travail malgré le peu d’écho qu’il a eu à son époque.
Dans cette communication nous mettrons en évidence le parcours intellectuel de Léon Brothier, en
faisant l’hypothèse d’une pensée saint simonienne réformatrice inspirée entre autre par Jacques
Resseguier.
Nous évoquerons ensuite les débats internes au saint simonisme méridional concernant les modalités
d’harmonisation de la doctrine saint simonienne à celle du Parti social à partir d’un cas pratique, celui
de la structuration du congrès méridional.
Nous nous pencherons également sur la profession de foi socialiste de Léon Brothier en 1837, puis sur
les propositions de réforme des différents gouvernements, monarchie constitutionnelle ou républicain,
nécessaire à la réalisation de son projet social.
Repères biographiques
Léon Martin Eléonor Brothier nait à Paris le 21 juillet 1803, de Martin Noel Brothier et d’Anne
Victoire Eleonore comtesse Courtin de Laffemas.
Son père, ingénieur, architecte, médecin, fut envoyé à Haïti sous le Directoire pour contrôler
l’application de la loi d’abolition de l’esclavage. Ami de Toussaint L’Ouverture, ce dernier le fait
siéger au Conseil des Anciens. Il retourne à Paris en 1803 et est envoyé en Ariège avec la fonction de
Directeur des Impôts indirects. En 1818, il prend sa retraite et achète le Château de Saint Michel du
Castelnau en Gironde où il fait construire une forge. Léon Brothier fait des études de lettres, il est
admis à polytechnique mais son père préfère lui faire faire son droit, puis un tour de France de la
métallurgie. Il reprend la forge avec son frère cadet Alfred à la mort de son père en 1826 et exerce la
fonction de maire du village. Contraint de vendre la forge pour des problèmes de succession, il
s’installe à Toulouse vers 1830.
En 1833 il monte à Paris voir Charles Lambert et lui propose de modifier certains aspects de la théorie
saint simonienne.
En 1834, il s’investit avec Charles Lemonnier et d’autres saint simoniens, comme Jacques Resseguier,
Felix Borrel, Capella, Germain Cany dans le Congrès méridional en y créant une section sociale, qui a
pour but de promouvoir le parti social naissant. Brothier devient le secrétaire de la section sociale en
1835 après le départ de Lemonnier pour Bordeaux. Lemonnier y dirige la Gironde, Revue de Bordeaux
où Brothier publie son premier article philosophique connue « Philosophie morale ».
En 1836, Brothier est Président du Conseil Méridional qui se tient à Montpellier et crée la Revue de
Toulouse. Il a l’idée d’un réseau de revue avec Lemonnier et Edouard de Puycousin, un poète saint
simonien toulonnais : le « Congrès - Association intellectuelle des Provinces ».
Dès 1837, dans une longue recension d’un ouvrage de Joseph Rey, Des bases de l’ordre social(1836),
dans la Revue de Toulouse, il propose sa conception économique du socialisme intermédiaire entre le
saint simonisme et l’owenisme.
En 1838, il publie un article important, « De l’Unité », dans laquelle il s’oppose au caractère
ontologique de ce concept d’inspiration spiritualiste repris par le jacobinisme. Il expose ici les bases de
son ontologie associationniste. En juin 1838, il propose dans une lettre à Enfantin sa théorie du saint
simonisme réformée.
En 1839, il publie son premier ouvrage : Du parti social, Exposition des principes économiques et
politiques devant servir de base à ce nouveau parti , dans lequel il propose une triple réforme, c’est
politique, économique et de l’enseignement en vue de réaliser le projet social.
Interrompant sa carrière de publiciste, il rachète en 1844 une forge à la Teste de Buch dans les Landes
et y introduit la riziculture. En 1848, sa compagnie devient une association patron-ouvrier. Il bénéficie
d’un prêt aux association de 120.000 fr, mais il est ruiné en 1849. En 1848, il publie à Bordeaux un
Projet de Constitution républicaine.
Lemonnier lui trouve un travail au service du contentieux des camionnages du Nord. Travail mal payé
et qui ne lui convient guère. C’est semble-t-il Enfantin qui lui procure un emploi d’ingénieur à
Decazeville. Entre temps en 1852, il rédige une proposition d’organisation sociale intitulé L’Utopie
qui reste à l’état de manuscrit, en raison de l’avènement de l’Empire.
A partir de 1855, Lemonnier, qui fonde la Revue Philosophique et religieuse, lui permet d’exposer sa
doctrine trinitaire. Il est l’un des rédacteurs les plus actifs, croisant la plume avec Charles Lambert, les
néo criticiste Charles Renouvier et Ausonio Franchi, avec Charles Lemaire promoteur du panthéisme
atomistique, les allemands Karl Ludwig Michelet et Moses Hess. La revue disparait en 1858.
En 1859, il participe avec Lemonnier à la publication des Œuvres Choisies de Saint Simon dont l’Essai
introductif expose une vision du projet de Saint Simon alternative de la conception Enfantinienne. Ce
travail critique permet de faire valoir la conception philosophique de Brothier notamment son concept
ontologique d’ « égalité essentielle des termes de la trinité » comme étant déjà présente bien que
confusément dans les premiers écrits de Saint Simon. Il s’agit de poursuivre Saint Simon et non d’en
faire un prophète. Le saint simonisme ne doit pas être un dogme arrêté. En supplément des Œuvres
choisies, Brothier publie un essai critique dans la revue belge La Libre recherche, « Saint-Simon et le
saint-simonisme. »
En 1860, paraît une Histoire de la Terre ouvrage de vulgarisation scientifique dans la nouvelle
collection Bibliothèque utile d’Henri Leneveux. Il dépose également un mémoire de mathématique à
l’académie des sciences de Paris intitulé « Théorie générale des signes de la divisibilité des nombres ».
Il est alors installé à Montluçon depuis quelques années où il exerce la profession de contrôleur des
rails pour la compagnie du Midi.
En juillet 1860, Georges Sand, passionnée par son Histoire de la Terre lui demande de venir lui
donner des cours de minéralogie à Nohant. En 1861, il publie une Histoire populaire de la Philosophie
toujours dans la Bibliothèque utile, travail destiné à Georges Sand qu’elle ne peut réaliser du fait
d’une longue maladie. Installé à Montluçon Brothier en tant qu’ingénieur lui fait visiter la ville et vient
lui rendre visite.
En 1863, il publie son Ebauche d’un Glossaire du langage philosophique ouvrage auquel Charles
Lemonnier, Alexandre Massol et Charles Fauvéty apportent leur caution en prêtant leur nom. Il s’agit
de la première partie, philosophique d’un traité du socialisme qui doit comporter trois autres : un traité
de morale, une traité d’économie, un traité politique. George Sand passionnée par l’ouvrage s’en
inspire pour élaborer son « Catéchisme socialiste».
En 1864, Brothier publie un nouvel ouvrage dans la collection Bibliothèque utile Causerie sur la
Mécanique. En 1865, il publie un article d’épistémologie, Considérations sur les sciences physiques1
dans lequel il s’en prend à une conception mécaniste de la physique consistant à réduire tout
phénomène au mouvement. Il réaffirme donc la thèse que le monde est la volonté des êtres qui le
peuplent. Il n’admet pas l’idée d’un pur hasard, ni d’un pur déterminisme et s’oppose à un fétichisme
des forces.
La même année, il dépose un brevet d’invention pour une machine à gaz à force variable2.
Entre 1864 et 1870, il collabore régulièrement à la revue genevoise Le Rationaliste de Miron (André
Saturnin Morin) une revue clairement anticléricale, dans laquelle il se livre à un examen critique de la
morale chrétienne, tout en cherchant à démontrer l’impossibilité de l’athéisme.
Il collabore aussi régulièrement à la revue d’Alexandre Massol, la Morale Indépendante (1865-1870),
dans laquelle il défend une position alternative à la revue en niant l’idée kantienne d’un impératif
catégorique et la possibilité d’une science de la morale. En d’autre terme, c’est en laissant à chacun le
droit d’inventer son dieu que le socialisme s’affirme comme religion de l’être.
En 1868, il sollicite Georges Sand pour l’aider à éditer une Histoire des juifs illustrée dont les
bénéfices serviraient à financer la partie de morale de son traité de philosophie sociale. Malgré
l’intervention de Georges Sand, l’éditeur Hetzel refuse la publication jugée trop sérieuse.
Léon Brothier décède à Toulouse le 28 décembre 1870. Après sa mort, Charles Lemonnier publie à
compte d’éditeur et préface la partie politique de son traité sous le titre Philosophie des constitutions
politiques (1871), non sans avoué s’être brouillé avec Brothier sur la question de la morale, Lemonnier
soutenant l’idée d’une science de la morale.
La partie économique de son traité n’a pas non plus été publiée.
Quelques citations
Georges Weill
« Ainsi les principaux saint-simoniens voulaient obtenir du gouvernement une organisation profitable
à toutes les classes; quelques-uns de leurs coreligionnaires, d'accord avec eux sur le but, demandaient
pour y arriver la formation d'un parti nouveau, le « parti social » ou « parti des travailleurs » ; ce fut
surtout le voeu de deux saint-simoniens du Midi, Charles Lemonnier et Léon Brothier, qui allaient
désormais se distinguer dans l'école par l'originalité de leurs travaux. (L’école saint simonienne,
Georges Weill, Paris Felix Alcan, 1896, p.195
« Les novateurs, Lemonnier et Brothier, pensent que la grande faute du saint-simonisme est d'avoir
cherché partout l'inégalité, d’avoir considéré toujours un terme comme supérieur aux deux autres : de
1
Presse scientifique des deux mondes, 2° année , Tome 2, Paris, Dubuisson,1865, pp. 433-444. Il y publie également un
résumé de sa thèse déposée à l’Académie des sciences de Paris en 1860 : « Théorie générale des signes de la divisibilité des
nombres ».
2
Bulletin des lois de la République française, Volume 2, Numéros 1504 à 1557, p. 374
là découlent des conséquences fâcheuses dans les applications politiques, par exemple cette royauté du
prêtre sur le savant et l’industriel qui mena la secte à une théocratie effrayante. Si on admet l'égalité
entre les trois termes, le dogme se trouvera débarrassé de ce qui la rendu odieux et inacceptable (1).
(Brothier, Revue Philosophique et religieuse, V. pp. 263 et suiv.) » (L’école saint simonienne, Georges
Weill, Paris Felix Alcan, 1896, p.259)
Brothier, Lemonnier et Massol « furent des hérétiques saint simoniens qui ont fait la transition entre
l’école d’Enfantin et le socialisme actuel » (L’école saint simonienne, Georges Weill, Paris Felix
Alcan, 1896, p.263)
Charles Lemonnier
« Ce principe de l'égalité substantielle des termes de la trinité que M. Léon Brothier a, je crois, le
premier, posé parmi nous et dont les articles qu'il a donné à la Revue, ont déjà fait ressortir les
conséquences, en même temps qu'il caractérise à nos yeux le dogme nouveau, nous conduit sur un
terrain bien différent de celui où est placé M. Lambert. » (Lemonnier, C., « Fatalité, providence, libre
arbitre » Revue Philosophique et Religieuse, T3, 1855, p. 301-302).
Léon Brothier
« Nos objections, sans rien perdre de leur force, ne tombent plus sur la doctrine elle-même, mais sur la
manière imparfaite dont elle a été exposée ; qu'ainsi, nous ne sommes pas d'hétérodoxes novateurs,
mais que nous sommes de légitime continuateur d'une œuvre inachevée. Tous nous avons été
unanimes sur ce point. » (Brothier, Lettre au Père Enfantin, 05 mars 1838)
Léon Brothier et Charles Lemonnier
« [Saint-Simon] ne songeait pas encore à poser pratiquement, comme il a commencé à le faire plus
tard, l’équivalence des termes : science, morale et industrie ; et cependant , il donnait la formule de
cette équivalence pour fondement à sa doctrine, lorsque décrivant la méthode, il déterminait avec tant
de précision les fonctions et le caractère, non-seulement de l’analyse et de la synthèse, mais encore de
cette troisième opération qu’en 1813, il voulait nommer la Descartes, et dont il commençait à voir
l’existence et le rôle, en écrivant les premiers chapitres du premier volumes de l’Introduction. Or
renouveler la méthode, c’est renouveler, d’un seul coup, et dans l’œuf, pour ainsi dire, la science, la
politique et la morale ; c’est dans la plus haute et dans la vraie signification du mot, faire une religion.
(« Essai sur la doctrine de Saint Simon », Œuvres Choisies de Saint Simon, Tome I , Van Meenen,
Bruxelles, 1859. p. XXVI)
Charles Potvin
[L’Essai introductif des Œuvres choisies de Saint Simon (1859) est] « comme le manifeste d’une
phase nouvelle du saint-simonisme. (…) La religion saint-simonienne était bien morte ; la philosophie
saint -simonienne est née. » Potvin, Ch, « Lettre familière sur le mouvement philosophique », in
Revue Trimestrielle, Volume 26, Bruxelles, 1859, p.390- 391.
«L’école annonce une critique complète du socialisme. Un dogme nouveau, une morale nouvelle, un
culte nouveau, voilà ce qu’elle attend de sa philosophie. Quant à la religion, la critique du déisme a été
sa première tâche, la plus pressante ; et j’ai dans un article précédent caractérisé sa méthode en un mot
: l’athéisme méthodique. » (Potvin, Ch, « Lettre familière sur le mouvement philosophique », in Revue
Trimestrielle, Volume 26, Bruxelles, 1859, p.393).
Georges Sand
« Il existe un très-beau livre, très-peu connu, de notre digne ami M. Léon Brothier [Ébauche d'un
glossaire du langage philosophique. Paris, 1863], qui répond à bien des propositions et résout bien des
doutes. Il t'a semblé ardu, et pourtant il est charmant dans sa profondeur, et l'on y sent la bonhomie de
la Fontaine, pour ne pas dire celle de Leibnitz. Il conclut en d'autres termes, tantôt plus savants, tantôt
plus aimables que ceux que j'emploie ici, à la nécessité d'une triple vue sur le monde des faits et des
idées. Je ne suis pas de force à proclamer qu'il ne se trompe en rien, que, après l'avoir lu attentivement,
je pense par lui et avec lui sur toute chose. Je ne sais, mais il m'a puissamment aidé à me dégager de la
notion de dualité qui nous étouffe, et j'ose dire que cette notion ne résiste pas à sa critique.
Avant lui, les travaux de Pierre Leroux, de Jean Reynaud et de son école avaient porté de grands coups
aux vieilles méthodes de l'antithèse, beaucoup d'autres nobles esprits ont cherché à traduire les trois
personnes divines de la théologie par des notions vraiment philosophiques. Moi, je demande, je
cherche une explication plus facile à vulgariser, et surtout l'abandon de cette vision trinitaire céleste
qui supprime le corps et ne peut pas supprimer Satan. Je ne peux pas me représenter un Dieu hors du
monde, hors de la matière, hors de la vie. » (Nouvelles lettres d’un voyageur, Paris, Levy Frères 1877,
p.204
Léon Brothier
« Ah ! Vous dites que je suis modeste. Je vais vous prouver le contraire en vous disant que j'accepte
tous les compliments que vous me faites. Celui qui me touche plus que tous les autres et que vous avez
reconnu votre conscience dans mon miroir et que vous croyiez ce que je crois avant de me lire.
C'est cela surtout que j'ai ambitionné. J'ai voulu être le rédacteur de la pensée de mon siècle et pas
autre chose : un écho, une cymbale retentissante, un coordinateur tout au plus.
On dit : le kantisme, le spinoziste etc. et c'est justice. Kant et Spinoza ont apporté au monde des idées
nouvelles, des idées qui leurs étaient propres. Ceux qui diront le Brothierisme prouveront qu'ils ne
m'auront pas compris. Je peux avoir cueilli le fruit, mais je ne suis pas l'arbre qui l'a porté ni le soleil
qui l'a fait mûrir. Quand l'humanité n'avait pas conscience d'elle-même, des révélateurs étaient
indispensables. Aujourd'hui, c'est de ses entrailles seulement que la révélation, toujours progressive
d'ailleurs, peut sortir. Le Père Enfantin me paraît le plus prodigieux des anachronismes et c'est là
surtout ce qui, depuis longtemps, m'a fait me séparer du saint-simonisme vers lequel j'inclinais
d'abord ». (Léon Brothier, Lettre à George Sand du 1er mars 1863)
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