Corée du Sud: Quelles leçons

publicité
Emergence
Corée du Sud: Quelles leçons de patriotisme… économique!
· Comment la Corée est devenue la 11e économie mondiale
· Le «miracle marocain» est du domaine du possible
· En quarante ans, le revenu par habitant multiplié par 200, dix fois celui d’un
Marocain
«Work hard or die». S’il fallait prendre la substance de la leçon coréenne ce serait
bien celle-là(1). La Corée du Sud était 1,5 fois plus pauvre que le Maroc des années
60 (le PIB par tête était de près de 90 dollars, selon la Direction de la Statistique).
Aujourd’hui, elle est dix fois plus riche. La Corée du Sud vient de très loin et occupe,
après 40 ans de rude labeur et d’épreuves de toutes sortes(2), le 11e rang des
économies mondiales les plus puissantes.
A côté, le Maroc désire aller très loin lui aussi. Il se cherche encore. Une nouvelle
politique industrielle est en route. Emergence est en train de se faire expliquer à
travers tout le pays. Aussi, il réforme à tout va (du moins, on l’espère), comme la
Corée à ses débuts de relève difficile (les années 60, 70 après l’occupation
japonaise).
La Corée du Sud ouvre donc ses horizons au Maroc. Si elle a réussi à multiplier par
200 (deux cents) son revenu par habitant en quatre décennies, elle reste préoccupée
de son avenir(3) et du tassement de sa croissance.
La Chine et l’Inde bouleversent déjà la donne mondiale et poussent le pays du 38e
parallèle à redéfinir sa stratégie. La convergence des intérêts maroco-coréens séduit
le Haut-commissariat au Plan. Celui-ci travaille sur la vision du Maroc en 2030. Et
même si personne ne le crie tout haut, tout le monde cherche les clés de voûte de ce
«miracle marocain» qui tarde à venir, et pourquoi pas comme le «miracle coréen»?
Le Haut-commissariat au Plan a réuni hier jeudi statisticiens, démographes, et autres
experts et une délégation de la Corée du Sud pour échanger de riches points de vue.
· Résilience
Sont intervenus l’ambassadeur de la République de Corée, Jayson Park, le
professeur émérite d’économies de l’Université de Corée Eui-Gak Hwang, le ministre
coréen de l’OCDE, Taik-Hwan Jyoung, le directeur général de Samsung Electronics
Maroc (leader mondial), Sang-Hyun Kim, et le directeur adjoint de la division de
l’Afrique du Nord-Ouest au ministère des Affaires étrangères et du Commerce.
Les Coréens ont beaucoup souffert. Ils ont connu la famine. Dans les années 60, un
Coréen avait, en moyenne et par an, soixante dollars! Aujourd’hui, il en a 15.000 (soit
dix fois plus que celui du Maroc). Le travail devenait et reste une question de survie.
La réussite fulgurante de la Corée c’est aussi un peuple uni face aux crises. Le pays
s’est vaillamment relevé de la crise financière de 1997.
Le professeur Hwang a ce don de l’anecdote qui vous livre le sens profond de ce que
vit son pays. Il raconte, la tête haute, comment ses parents ont souffert pour financer
ses études, comment il a affronté la misère, du temps où se nourrir était une
préoccupation incessante…
«En gros, pour les Coréens, c’est travailler, ou mourir. Mes grand-parents m’ont
élevé. Mes parents ont dû vendre leur bétail pour subventionner mes études
universitaires. Cette génération a fait des sacrifices durs», dit-il.
· L’éducation sacrée
«La Corée a eu une profonde volonté de s’en sortir. Le travail est sacré. L’éducation
est très importante. Le capital humain est le seul capital réel que possède la Corée»,
poursuit le professeur émérite en économie. En effet, la Corée du Sud dispose de
très peu de ressources naturelles. «Mais sans le former et l’éduquer, ce capital ne
sert absolument à rien», renchérit le ministre coréen à l’OCDE (Organisation de
coopération et de développement économiques), Taik-Hwan.
«L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), c’est le
groupe des pays développés. C’est la raison pour laquelle les Coréens ont tout fait
pour y adhérer», résume l’ancien secrétaire général du ministère de l’Agriculture
Hassan Bendabderrazik, modérateur de la table ronde du Haut-commissariat au
Plan.
Cela s’est fait en 1996, alors que la balance commerciale de la Corée du Sud est
devenue excédentaire. En 1991, le gouvernement coréen, libéral, met l’importation
des biens de capitaux étrangers au centre de sa stratégie de développement
économique. Le taux d’intérêt national (court terme) était de 18% tandis que les taux
directeurs internationaux ne dépassaient pas 6%.
· Toujours se battre
Le génie financier opère. Les licences pour importer les biens étrangers ont
énormément enrichi la Corée. La concurrence des institutions financières pour attirer
ces capitaux étrangers s’est faite féroce et a dynamisé le jeu économique. Cela a
permis de doper la capacité de production des entreprises (Samsung, LG, Daewoo,
Hyundai se sont mondialement développés et ont diversifié leurs productions). C’était
«la belle époque», avant la dépression mondiale où la Corée s’est retrouvée avec
une production excédentaire ne pouvant être vendue. La Corée est emportée par la
crise financière de 1997. Aujourd’hui, les Chaebols ont une croissance tassée, mais
redéfinissent leurs stratégies.
La résilience coréenne est édifiante. Les guerres et déchirures n’ont fait que
renforcer la Corée du Sud dans la construction d’un Etat libéral, avec comme moteur
premier, les Chaebols, consortia géants coréens et les institutions financières en
deuxième moteur.
Le tout, avec une volonté nationale de toujours s’en sortir, toujours aller plus loin,
toujours se battre. «Et si la Chine court, il faut courir plus vite», résume le Pr
d’économie.
Le positionnement du pays se tourne vers les nanotechnologies, les technologies
navales, spatiales et les biotechnologies. C’est là un autre point fort de la Corée et
de sa région: l’Asie du Sud-Est travaille en complémentarité. Et la Corée se
repositionne face à la Chine concurrent-partenaire, avec une vision claire de sa
stratégie: la spécialisation dans la spécialisation.
Les politiques industrielles marocaines auront-elles l’envergure de ce pays pour qui
le travail est le salut?
"Dès les années 60, deux plans quinquennaux ont modernisé la Corée du Sud.
Grâce à la compensation japonaise de 600 millions de dollars pour les dommages de
l’occupation, ils ont libéralisé le pays. Financièrement attractive, la Corée est vite
devenue un leader mondial des nouvelles technologies. Ses principaux partenaires
sont le Japon et la Chine. Aujourd’hui, la bataille n’est pas finie. Face à la Chine, la
Corée choisit de se spécialiser encore plus: elle se tourne vers les biotechnologies,
les nanotechnologies, les technologies navales…"
Quand la Corée s’est remis de la crise de 1997
Les interdépendances de ces économies avaient fait effondrer tout le système en
1997. Le Pr Hwang a rappelé à l’auditoire cette période sombre et vertigineuse de
l’histoire contemporaine, et pleines de leçons. Les années 90 sont celles de la
récession. Pour doper ses exportations surtout vers les Etats-Unis, la Chine dévalue
le yuan. Le Japon, contraint de défendre ses parts de marché en recul suit la Chine
et dévalue le yen. En parallèle, la Thaïlande, qui dépendait beaucoup des IDE
nippons, a décidé de maintenir ses taux de change fixe par rapport au dollar, tandis
que le Japon développe sa monnaie par rapport au dollar. Résultat: la monnaie Thaï
(le bath) est surappréciée par rapport au yen. Le déficit commercial thaï se creuse de
manière vertigineuse. Le 1er juillet 1997, la Thaïlande déclare banqueroute. Les
bailleurs japonais en Thaïlande sont piégés et ne peuvent être remboursés. Ils se
retournent vers la Corée où leurs investissements étaient également importants. La
requête était dramatique pour la Corée du Sud: ils ont demandé le remboursement
immédiat des fonds prêtés à court terme. La magie du génie financier coréen n’opère
plus, elle devient cauchemar. Car la Corée avait à cette époque un déficit énorme et
ses réserves n’étaient pas importantes. Fin novembre 1997, la Corée demande un
emprunt auprès du FMI. Lequel fonds, à son tour, entre en crise.
Le gouvernement n’avait pas de réserves pour payer les emprunts japonais. «Pour
s’en sortir, les Coréens donnaient leurs biens, leurs bijoux, à l’Etat pour renflouer les
caisses», se rappelle le Pr Hwang. Au bout de deux années, le pays s’en était remis!
Echanges insignifiants
Les importations marocaines vers la Corée représentent 7% des importations
d’origine asiatique, et 3% des importations totales. Les exportations marocaines vers
la Corée sont infimes: 3% des exportations vers l’Asie, et 0,3% des exportations
totales.
Malgré la présence de quelques grands noms de l’électronique coréenne au Maroc,
l’investissement coréen reste très faible. Selon le secrétaire général du Hautcommissariat au Plan, Mohamed Bijaad, «depuis la crise financière asiatique, les
investissements et prêts privés en provenance de ce pays ont été de 288,7 et 330,2
millions de DH respectivement en 1997 et 1998, et se sont presque estompés depuis
lors». En fait, le Maroc avait perdu confiance en l’investissement coréen. Daewoo au
Maroc avait fait faillite, explique le Pr Hwang.
Pourtant, indique le responsable du HCP, les relations diplomatiques sont établies
depuis 1962. Dix-huit accords ont été signés portant principalement sur la
coopération économique et technique, les relations commerciales, la coopération
culturelle et scientifique, la coopération entre le CMPE (Centre marocain de
promotion des exportations) et la KTPC (Korea Trade Promotion Corporation), la
promotion des investissements, les services aériens, la prévention de la double
imposition et l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu. D’autres accords
«sont déjà finalisés» dans les domaines du tourisme et des transports maritimes.
Mouna KADIRI l’economiste 12/12/2005.
----------------------------------------------------------------------------(1) Cf. les reportages de notre envoyée spéciale à Séoul, Nadia Salah, L’Economiste
du 1er juin 2005, www.leconomiste.com
(2) Coup d’Etat, famine, guerres, récession, crise financière de 1997, gestion des
relations avec la Corée du Nord pour maintenir une stabilité dans la région (dans nos
prochaines éditions nous traiterons des relations Etats-Unis-Corée du Sud et du Nord
et leurs conséquences sur l’échiquier mondial).
(3) -une jeune génération moins «travailleuse» et qui en trouve plus difficilement que
les parents-
Laisser tomber la bataille agricole
· Et sans complexes, SVP!
Quand il s’est envolé étudier aux Etats-Unis, Eui-Gak Hwang, professeur émérite en
économies de l’Université de Corée, a compris le sort réservé à l’agriculture de son
pays.
Le professeur explique à un parterre de responsables marocains comment marche la
Corée du Sud. Il répond à une question du Pr Nacer El Kadiri, enseignant-chercheur
à l’Insea (Institut de statistique et d’économie appliquée), sur l’avenir du secteur avec
une exceptionnelle conviction. Le Pr raconte une histoire: la sienne, et à travers ce
que traverse la Corée du Sud.
«Je me rappelle la première fois quand je suis rentré dans un drugstore. J’ai alors
acheté du riz. Il était de meilleure qualité et nettement moins cher que le riz coréen.
Et là, j’ai compris que l’agriculture coréenne ne serait jamais compétitive. Il faut être
franc. Aujourd’hui, l’agriculture représente moins de 10% du PIB de la Corée du Sud.
Nous ne sommes pas compétitifs sur ce secteur. Alors nous protégerons autant que
possible et jusqu’au bout de nos possibilités l’agriculture coréenne, mais le fait est
que, mondialement, nous ne sommes pas compétitifs». En fait, les temps sont durs
pour les petits agriculteurs. Tout le monde se rappelle du Coréen qui s’est suicidé de
désespoir lors des manifestations antimondialisation à Cancun lors de la réunion de
l’Organisation mondiale du commerce. Le désespoir des «petits» agriculteurs est
mondial. Les concessions demandées et les subventions déloyales des pays les plus
puissants (USA, UE) bouleversent ce petit monde. La Corée du Sud est plutôt le
pays leader des nouvelles technologies. La conception du Pr Hwang est
intéressante: il ne voit pas pourquoi on continue à s’acharner sur le mythe de
l’autosuffisance. «Pourquoi ne pas considérer l’agriculture comme les autres
secteurs? Les échanges avec les pays de la région de l’Asie du Sud-Est sont
complémentaires», explique le professeur. Le Japon, la Chine et les Etats-Unis sont
les principaux partenaires de la Corée du Sud.
Téléchargement