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Revue germanique internationale
14 | 2000
Sigmund Freud
De la Traumdeutung au Moïse : le souci permanent
d’une analyse profane
Michel Plon
Éditeur
CNRS Éditions
Édition électronique
URL : http://rgi.revues.org/805
DOI : 10.4000/rgi.805
ISSN : 1775-3988
Édition imprimée
Date de publication : 15 juillet 2000
Pagination : 81-97
ISSN : 1253-7837
Référence électronique
Michel Plon, « De la Traumdeutung au Moïse : le souci permanent d’une analyse profane », Revue
germanique internationale [En ligne], 14 | 2000, mis en ligne le 30 août 2011, consulté le 30 septembre
2016. URL : http://rgi.revues.org/805 ; DOI : 10.4000/rgi.805
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
Tous droits réservés
D e la T r a u m d e u t u n g au M o ï s e :
le souci permanent d'une analyse profane
MICHEL PLON
« Il est des choses qui doivent être dites plus
d'une fois et qui ne peuvent être dites assez souvent. »
S. Freud, L'Homme Moïse et la religion monothéiste.
Pourquoi reparler, encore aujourd'hui, de la Laienanalyse, de l'analyse
profane ou laïque ? Tout n'a-t-il pas déjà été dit à ce sujet, et un relatif
consensus ne s'est-il pas instauré à travers les multiples interventions et
publications qui depuis quinze ans jusqu'à ces derniers mois ont traité de
cette question ?
Unanimité pour reconnaître les ambiguïtés des mots français, « profane » et « laïque », dont tout le monde admet qu'ils ne restituent
qu'imparfaitement le champ sémantique du terme allemand Laie choisit
par Freud.
Unanimité pour considérer que le procès fait à Theodor Reik pour
exercice illégal de la médecine ne fut que le prétexte de l'intervention freudienne sur La question de l'analyse profane.
Unanimité pour affirmer que, désormais, cette question n'est pas, n'est
plus, plus seulement celle de l'exercice de la psychanalyse par les nonmédecins.
1
1. Pour mémoire, et sans viser à l'exhaustivité en la matière, citons, par ordre chronologique : L'avant-propos de J.-B. Pontalis à la nouvelle traduction du texte freudien, La question de
l'analyse profane (1926), Paris, Gallimard, 1985, et l'appendice de Michel Schneider à cette même
édition, intitulé La question en débat ; le dossier consacré à 1' « histoire de l'exercice de la psychanalyse par les non-médecins » par la Revue internationale d'histoire de la psychanalyse, 1990, n° 3 ; les
articles et interventions de Françoise Samson, A propos de l'analyse profane, Le Coq-Héron, 1998,
n° 150, numéro qui publie les traductions de l'ensemble des interventions sur la question parues
dans The International Journal of Psycho-Analysis, vol. VIII, 1927, et, sous le même titre, une intervention dans Essaim, 1998, 1 (1998b) qui résume la position exprimée sur la question par Michael
Schröter dans un article de la revue Psyché, 1996, 12, ainsi que des extraits de la correspondance
échangée par Freud et Ferenczi à ce sujet entre 1925 et 1927 ; les articles d'Elisabeth Roudinesco,
Psychanalyse profane et analyse laïque : variations sur un thème, Essaim, 1999, 4, 17-27, et de
Jacqueline Poulain-Colombier, Le mot et le nom, Essaim, 1999, 4, 87-100.
Revue germanique internationale, 14/2000, 81 à 97
Unanimité ou presque pour constater que, ce qu'en termes politiques
on pourrait appeler « l'ennemi principal », et que Freud eut considéré
comme «le dernier masque de la résistance à la psychanalyse, et le plus
dangereux de tous » — il désignait là les psychanalystes eux-mêmes —, est
constitué par cette psychologie dont Elisabeth Roudinesco fait observer
que la psychanalyse pourrait bien en devenir la « bonne à tout faire »
après avoir refusé d'être celle de la psychiatrie , par la psychologie ou par
la psychologisation de la psychanalyse et plus encore par cet exercice
hybride, ce « méli-mélo » pour user d'une dénomination freudienne , qui a
nom psychothérapie .
Unanimité enfin, pour conclure avec Freud, comme l'écrit J.-B. Pontalis que « la question de l'analyse profane c'est la question de l'analyse ellemême » , et pour assurer que le texte freudien est « avant tout, comme le
souligne Françoise Samson, un plaidoyer en faveur de l'analyse tout
court » .
Parler de la Laienanalyse, la défendre, c'est donc défendre la psychanalyse dans sa spécificité. Freud lui-même ne dit pas autre chose lorsqu'il
précise que la difficulté essentielle de la tâche qu'il entreprend en 1926 est
de faire comprendre à son interlocuteur imaginaire :
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«... que l'analyse est un procédé sui generis, quelque chose de nouveau et de spécifique, qui ne peut être saisi qu'à l'aide de vues neuves ou si l'on veut d'hypothèses
neuves » .
7
Pour autant, tenter « de faire le point sur l'actualité et la validité de
la théorie freudienne », ainsi que nous y invitent les attendus de cette
rencontre, conduit inévitablement à constater que notre actualité philosophique, politique et sociale ne cesse de mettre en cause, et de toutes les
manières possibles, cette spécificité de la psychanalyse. Dans le même
temps, un constat parallèle s'impose : la communauté psychanalytique,
dont l'ardeur au travail et les avancées théoriques ne sont pas contestables, peine à défendre cette spécificité autrement que sur un mode aux
allures incantatoires, au point qu'il y ait lieu de se demander si la dite
spécificité, à force d'apparaître aux psychanalystes comme allant de soi,
1. Lettre à Ferenczi du 27 avril 1929 citée par Ernest Jones, La vie et l'œuvre de Sigmund Freud,
Paris, PUF, 1975, vol. 3, p. 339.
2. É. Roudinesco, op. cit., 1999.
3. Sigmund Freud, Préface à la Medical Review of Reviews (1930), Œuvres complètes, vol. XVIII,
p. 338. Ilse Grubrich-Simitis fait observer que Freud reprend dans ce court texte l'essentiel des
idées qu'il exposait dans les pages, supprimées par M a x Eitingon et par Ernest Jones, de sa postface à son texte sur l'analyse profane. Cf. Ilse Grubrich-Simitis, Freud: retour aux manuscrits (1993),
Paris, PUF, 1997, p. 225.
4. Cf. sur ce point, Brigitte Lemérer, Michel Plon, Erik Porge, Françoise Samson, Contre
l'inclusion de la psychanalyse dans le champ des psychothérapies, Essaim, 1999, 4, 5-15.
5. J.-B. Pontalis, op. cit., 1985.
6. F. Samson, op. cit., 1998b.
7. Sigmund Freud, op. cit., 1985, p . 37.
comme évidente, n'en viendrait pas à constituer pour eux un point
aveugle .
Telles pourraient être les premières raisons, actuelles, de faire retour
sur cette question de l'analyse profane pour en chercher, rechercher et
redire les contours et les figures.
Cette spécificité de la psychanalyse apparaît clairement dans ce que
l'on peut appeler, sans rougir ni frémir, la politique freudienne de la psychanalyse, laquelle, comme toute politique, ne peut faire l'économie de ces
figures de la castration que sont les choix, les séparations, les oppositions et
les distinctions. Que l'on se remémore un instant, et parmi d'autres, les
conflits et les ruptures avec Jung, avec Rank et avec Ferenczi, on y trouvera toujours, qu'il en aille de la théorie ou de la pratique, la question de
la spécificité de la psychanalyse, la question de la psychanalyse profane.
Mais en deçà de ce champ de la politique de la psychanalyse, il faut
cerner dans le texte de la théorie psychanalytique et dans les diverses
modalités de sa réalisation pratique en quoi consistent ce caractère profane, cette spécificité. En somme, très modestement, il faut peut être, une
fois de plus, faire « retour à Freud », il faut « continuer à travailler »,
comme Freud lui-même y invitait Pfister en octobre 1923, ajoutant,
« Vous savez que la vérité doit être très souvent dite » .
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Dans une lettre datée du 8 janvier 1900 , Freud dit à Wilhelm Fliess
qu'il « ne compte pas être compris tout au moins durant [sa] vie (...) Pour
tous ces problèmes obscurs, ajoute-t-il (il s'agit des problèmes du rêve et de
son interprétation mais aussi de ceux qui concernent ce qu'il appelle joliment dans une lettre antérieure "les étages inférieurs" , entendez la sexualité), j'ai affaire à des gens sur lesquels j'ai une avance de dix à quinze ans
et qui ne me rattraperont pas ».
On est parfois tenté de se demander si, toute proportion gardée, les
difficultés rencontrées par la psychanalyse et les psychanalystes pour
défendre la spécificité de la psychanalyse ne seraient pas de l'ordre de cet
obstacle que l'on rencontre parfois dans la clinique avec les enfants, obstacle qui tient en la difficulté pour un puîné à admettre qu'il ne pourra
jamais rattraper son aîné en matière d'âge et encore moins le dépasser. En
d'autres termes, est-ce que nos difficultés à ne rien céder quant à la spécificité de la psychanalyse, nos difficultés à ne pas se laisser enfermer dans un
dilemme qui oppose la solution du sectarisme à celle de l'édulcoration, ne
seraient pas à mettre au compte d'une illusion de cette nature, celle qui
consisterait à croire que nous aurions, à défaut de l'avoir dépassé, rattrapé
4
1. De cette difficulté, Freud ne fait pas mystère lorsqu'il écrit au pasteur Pfister, le
28 mai 1911 : « I l n'est guère possible d'argumenter publiquement sur la psychanalyse : on ne se
trouve pas sur le même terrain et l'on ne peut rien entreprendre contre les affects aux aguets »
(Correspondance de Sigmund Freud avec le pasteur Pfister, 1909-1939, Paris, Gallimard, 1967, p . 89).
2. Ibid., p . 138.
3. Sigmund Freud, La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956.
4. Ibid., p . 267.
Freud en affirmant, par exemple, que la question de la médecine dans sa
globalité, avec tout ce qui lui fait cortège du côté d'un déni du transfert,
voire le cas échéant de sa banalisation, et d'une mise hors jeu de la sexualité, ne serait plus au cœur de la question de l'analyse profane.
Formulation brutale et comme telle provocatrice qui n'est là que pour
introduire à ce que j'oserai appeler une thèse : à savoir que la question de
l'analyse profane demeure centrée sur le rapport à la chose médicale, non
seulement dans l'œuvre de Freud tout entière, de la Traumdeutung au Moïse
mais aujourd'hui encore, derrière les masques trompeurs de l'actualité,
celui de la psychologie notamment.
Dans la célèbre postface à son essai sur l'analyse profane qu'il écrivit
dans le frayage du débat qui fit suite à la première édition de cet essai,
Freud effectue une mise au point importante qui a récemment été reprise
par divers auteurs précisément soucieux de cerner quelques aspects de la
crise contemporaine de la psychanalyse, à commencer par ceux qui
s'expriment par le biais d'une certaine confusion d'appellation :
1
2
« P o u r d e s raisons p r a t i q u e s , écrit F r e u d , n o u s a v o n s m ê m e d a n s n o s p u b l i c a t i o n s ,
pris l ' h a b i t u d e d e d i s t i n g u e r u n e a n a l y s e m é d i c a l e d e s a p p l i c a t i o n s d e l'analyse.
C e l a n ' e s t p a s c o r r e c t . E n réalité, la ligne d e d é m a r c a t i o n se situe e n t r e la p s y c h a nalyse scientifique et ses a p p l i c a t i o n s d a n s les d o m a i n e s m é d i c a l et n o n m é d i c a l . »
3
La prise en compte de cette « ligne de démarcation », conduit à distinguer entre les formes, parentes mais non identiques, d'existence concrète
de la psychanalyse profane dans trois registres.
Les deux derniers registres constituent les applications de la psychanalyse, applications médicales, dites encore thérapeutiques, d'une part, applications non médicales d'autre part.
Dans le cadre limité de cette réflexion, je laisserai très largement de
côté ce registre des applications médicales, si ce n'est pour dire que je crois
utile d'y distinguer deux versants. Le versant de la pratique thérapeutique
d'une part, qui inclut ce que l'on appelle la « technique », versant où la
question de la spécificité de la psychanalyse peut être notamment illustrée
par le débat qui opposa Freud à Ferenczi à propos de la « technique
active » mais aussi bien par celui, contemporain, concernant la différence
de la psychanalyse avec les diverses formes de psychothérapies . Le versant
de l'exercice de la psychanalyse d'autre part, versant qui est plus concerné
par la dimension professionnelle, sociale et juridique de la pratique psychanalytique : viennent s'inscrire là les questions concernant le fait d'être
ou non médecin, celle des diplômes en général, celle du pouvoir médical,
4
1. Cf. Le Coq-Héron, 1998, n° 150, op. cit.
2. Cf. B. Lemérer et al., op. cit., 1999. Jacqueline Poulain-Colombier, Changements dans la
psychanalyse et politiques éditoriales, Le mouvement psychanalytique, 1998, I, 1, p . 11-45; Michel
Plon, A face oculta da analise leiga, Agora, 1999, II, 1, p . 91-108.
3. Sigmund Freud, op. cit., 1985, p . 152-153.
4. Cf. Brigitte Lemérer et al., op. cit., 1999.
1
mais aussi celle que Jacqueline Poulain-Colombier regroupe sous la question du « tiers payant » et qui ouvre aux multiples problèmes, particulièrement actuels, de la psychanalyse en institution .
Le deuxième registre des applications de la psychanalyse est constitué
par les pratiques non thérapeutiques de la psychanalyse, ensemble longtemps désigné par l'expression ambiguë de « psychanalyse appliquée » qui
fut, en France notamment, objet de controverses remarquablement stériles . Dans ce second registre, la question de l'analyse profane se matérialise par l'existence d'obstacles d'ordre épistémologique qui jalonnent la
rencontre et les relations entre la théorie psychanalytique et les divers
domaines qui composaient ce qui s'appelait du temps de Freud « les sciences de l'esprit », et qui sont aujourd'hui regroupés sous l'appellation de
« sciences humaines et sociales ». Sans entrer à présent dans la discussion
détaillée de ces obstacles, il est clair que le maintien de la spécificité de la
psychanalyse, la défense de son caractère profane passent par le contournement des mêmes ornières de l'édulcoration d'un côté, du sectarisme de
l'autre. Édulcoration, vulgarisation pour une part, sectarisme et hermétisme pour l'autre, autant de dérives qui permettent aux tenants des disciplines constitutives de cet ensemble que sont les sciences humaines de
repousser au moindre coût les rencontres avec la psychanalyse.
Applications médicales et applications non médicales de la psychanalyse constituent donc l'un des versants de cette « ligne de démarcation »,
l'autre versant étant constitué par ce registre que Freud appelle la « psychanalyse scientifique », celui de la théorie psychanalytique proprement
dite. Dans ce cadre, la spécificité de la psychanalyse, la psychanalyse profane, s'exprime prioritairement sur le plan épistémologique, la question
essentielle étant celle de la nature de la dite scientificité de la psychanalyse.
Ce sont les traces épistémologiques de cette scientificité, de sa construction et des rejets qu'elle implique en tant qu'elle est constitutive de la
spécificité de la psychanalyse que je me propose de repérer hâtivement, en
essayant de faire apparaître leur permanence aujourd'hui, depuis la Traumdeutung jusqu'au Moïse, ouvrage ultime où viennent à se juxtaposer deux
aspects de l'analyse profane, celui de la scientificité et ceux, évoqués à
l'instant, de l'application non médicale.
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3
On sait avec quelle insistance Freud a toujours tenu à inscrire sa
découverte dans le champ des sciences de la nature (Naturwissenschaften)
plutôt que dans celui des sciences de l'esprit (Geistswissenschaften) . Bien des
auteurs n'ont pas manqué de déduire de cette insistance une adhésion de
4
1. Jacqueline Poulain-Colombier, op. cit., 1999.
2. Notons-le au passage, cette classification freudienne, vieille de plus de soixante-dix ans,
rend quelque peu dérisoire celle, rudimentaire et sommairement bureaucratique, que proposait
récemment André Green dans le cadre notamment de son entretien paru dans l'ouvrage de
Patrick Froté, Cent ans après, Paris, Gallimard, 1998, p. 148-150.
3. Cf. Michel Plon, Agora, op. cit., 1999.
4. Cf. Paul-Laurent Assoun, Freud et les sciences sociales, Paris, Armand Colin, 1993.
1
Freud au scientisme de son époque , certain allant jusqu'à trouver la
preuve de cette adhésion dans l'apposition qu'il fit, en 1911, de sa signature au bas d'un manifeste déjà signé par des auteurs tels que E. Mach,
D. Hilbert, A. Einstein . Dans cette perspective, les attitudes peuvent
varier, allant de la plus grande bienveillance, celle qui fait observer, non
sans une certaine condescendance, qu'il y aurait quelque anachronisme à
vouloir, à plusieurs décennies de distance, reprocher à Freud une telle
option, jusqu'à la plus extrême sévérité qui consiste à accuser l'inventeur
de la psychanalyse d'avoir procédé à une véritable trahison en abandonnant le terrain de la science qui était le sien, au temps notamment de
L'esquisse , en passant par cette sorte de neutralité qui se matérialise par la
mise en cause de la connotation insultante dont est fréquemment chargé
ce terme de scientisme . Pour différentes qu'elles soient, ces attitudes semblent avoir en commun d'opérer une confusion lourde de conséquences
entre ce que l'on pourrait appeler, d'une part, les positions idéologiques de
Freud, au sein desquelles on peut toujours répertorier telle ou telle de ses
faiblesses ou de ses erreurs, celles que sa soif de reconnaissance de la part
des milieux scientifiques de son temps a pu l'amener à faire, ou encore celles que put guider sa hantise de voir son travail assimilé soit à de la philosophie, soit, pire encore, à quelque littérature charlatanesque et ce qu'il en
fut, d'autre part, dans son travail proprement dit, de ses exigences dans le
processus de construction de ses objets théoriques, l'appareil psychique,
l'inconscient, le rêve parmi d'autres, c'est-à-dire le mode de scientificité
qu'il cherchait à mettre en place lorsqu'il parlait de psychanalyse scientifique.
Si l'on se hasarde à définir hâtivement la conception positiviste de la
science qui sous-tend l'idéologie scientiste, démarches auxquelles on ne
saurait réduire les diverses approches scientifiques et même la science en
général, sauf à s'inscrire dans une position antiscientifique fonctionnant en
miroir du scientisme et donc sur le même mode que l'on peut qualifier de
religieux, on peut retenir quatre critères. Le tout premier, qui commande
les autres, est constitué par l'impératif du mesurable, paramètre sans lequel
du scientifique ne saurait exister ; de là, deuxième critère, l'idée d'un objet
concret, empirique et comme tel mesurable, mais aussi localisable et donc
à même d'être reproduit, miniaturisé, exporté ; troisième critère, relié aux
2
3
4
1. Jacques Lacan souligne, au seuil de son séminaire de 1953, que la perspective historique
ne peut se contenter « de dire que Freud est apparu en un siècle scientiste » sauf à rater la spécificité d'une démarche qui se donne à entendre dès Die Traumdeutung. Plus avant dans ce même
séminaire, Lacan souligne que la recherche qu'entreprend Freud se distingue de toute autre forme
de recherche scientifique en cela qu'elle est marquée par la question de la vérité du sujet, recherche
de la vérité qui « n'est pas entièrement réductible à la recherche objective, et même objectivante,
de la méthode scientifique commune » (Jacques Lacan, Le Séminaire lime I, Les écrits techniques de
Freud, Paris, Seuil, 1975, p . 7 et 29).
2. Cf. Jean-Claude Milner, L'œuvre claire, Paris, Seuil, 1995, p . 35, et 70, n. 5 laquelle appellerait une discussion plus approfondie que cette seule mention.
3. C'est la position de Frank J . Sulloway, Freud biologiste de l'esprit (1979), Paris, Fayard, 1998,
présentation par Michel Plon.
4. Position qu'exprime Jean-Claude Milner, in op. cit., 1995, p . 70, n. 3.
deux premiers, celui constitué par le requisit de l'expérimentation porteur
du quatrième, le critère de la preuve. Or, et c'est là un point essentiel,
aucun de ces quatre critères n'est jamais pris en compte par Freud lorsqu'il construit et développe sa « psychanalyse scientifique ». Mieux, sous
une forme ou sous une autre, chacun de ces critères est explicitement critiqué et rejeté. On pourrait se contenter, pour soutenir cette affirmation, de
faire référence aux réflexions de Fritz Wittels qui souligne comment,
depuis Freud, « nous avons mieux à faire » que de mesurer la libido et
comment une forme d'esprit, celle qui anime notamment la psychologie
expérimentale, attachée aux seules « dimensions, à la mesure et à la pesée,
aux chiffres et aux statistiques » ne peut qu'être aveugle à cette forme nouvelle de scientificité attachée à explorer l'ordre de la qualité, « cette qualité
qui, avant Freud, n'était ressentie que dans la contemplation religieuse,
dans l'art et la littérature » .
Mais ce serait alors faire bon marché du lent et douloureux processus
de gestation de la psychanalyse - bien plus de l'ordre d'une transformation
ou d'une mutation que de celui d'une rupture avec ce qu'elle implique de
fulgurance et d'immédiateté - qui s'inaugure très tôt, au moins depuis
L'Esquisse et les lettres à Wilhelm Fliess, jusqu'à la Traumdeutung dont ces
textes constituent les prolégomènes. Le processus, on le sait, n'aura en fait
jamais de fin, son déroulement consistant dans le fait de délimiter, pas à
pas, l'espace propre de la psychanalyse pour y couler les fondations de sa
spécificité, en repoussant vers l'extérieur toutes ces autres approches que
sont l'approche neurologique, physiologiste, médicale et psychologique
mais aussi philosophique, voire par la suite religieuse, qui prétendent toutes occuper la place au moyen de leurs objets empiriques ou spirituels, ou
pire, qui s'efforcent de convaincre que cette place n'existe pas, leur objectif
étant invariable, occulter ou invalider l'inconscient tel que Freud commence d'en appréhender les contours.
L'abandon, en 1897, de la théorie de la séduction est déjà, aussi, celui
des rivages rassurants du fait concret que l'on peut référer à des actes bien
réels avec ce que cela implique du côté d'une causalité linéaire : c'est
d'autre chose qu'il lui faut prendre acte au lendemain de ce retour
d'Italie ; Rébecca n'est plus fiancée, il lui faut abandonner sa robe et laisser place à :
1
« l a c o n v i c t i o n q u ' i l n ' e x i s t e d a n s l ' i n c o n s c i e n t a u c u n indice de réalité d e telle sorte
q u ' i l est i m p o s s i b l e d e d i s t i n g u e r l ' u n e d e l ' a u t r e l a vérité et l a fiction investie
d'affect » .
2
N'y a-t-il pas lieu d'entendre là, déjà là, l'une des lignes de tension fondamentale que l'on retrouvera exprimée telle quelle quarante ans plus
tard, dans son « roman historique » lorsqu'il énonce sa crainte que son
1. Edward Timms (éd.), Fritz Wittels, Freud et ta femme enfant, Paris, PUF, 1999 ; cf. notamment p . 165-174.
2. Op. cit., 1956, p. 191.
« hypothèse faisant de Moïse un Égyptien » ne repose que « sur des vraisemblances psychologiques » auxquelles il manquera « une preuve objective » . La nécessité impérieuse de devoir abandonner ces confortables
rivages de la certitude mais aussi le risque inhérent à la traversée des turbulences du vraisemblable seront ainsi toujours réaffirmés, et ce, jusqu'au
dernier instant. Mieux, Freud ne manquera jamais d'identifier les mirages
d'un savoir définitivement établi comme étant une forme de résistance à
laquelle les psychanalystes sont les plus vulnérables : c'est bien ce qu'il
réaffirme au Pasteur Pfister lorsqu'en janvier 1926, alors qu'il lui annonce
la prochaine parution de son essai Inhibition symptôme et angoisse, il lui prédit
que :
1
« Les analystes q u i v e u l e n t p a r - d e s s u s t o u t la p a i x et la c e r t i t u d e s e r o n t p e u satisfaits d ' ê t r e u n e fois d e p l u s obligés d e réviser leurs c o n n a i s s a n c e s . »
2
C'est un départ du même ordre qu'il manifeste à propos d'une toute
autre « preuve objective » dans sa réfutation de la mise en rapport que
Fliess veut établir entre la bisexualité en tant qu'hypothèse théorique,
conceptuelle et la bilatéralité appelée à jouer le rôle de fondement
empirique :
« J e n e m ' é l è v e , j e crois, q u e c o n t r e t o n identification d e la bisexualité à la b i l a t é ralité. »
3
Pas à pas, au prix de ce que Marie Moscovici, dans sa préface à
L'Homme Moïse , appelle son « audace nécessaire » qui consiste en
l'abandon de ces bases solides que pourraient, que devraient être les données historiques et archéologiques pour « se fier tout à fait (...) à la psychanalyse et à ses preuves très particulières », c'est, à l'origine, l'ancrage biologique qui va être délaissé pièce par pièce. A Fliess qui, en mars 1898, voit
déjà achevé le livre sur les rêves, il répond sans tarder en laissant échapper
ce qui peut être entendu tout à la fois comme un regret et comme une
satisfaction :
4
« Il m e s e m b l e q u e l ' e x p l i c a t i o n p a r la réalisation d ' u n désir d o n n e b i e n u n e solut i o n p s y c h o l o g i q u e , m a i s a u c u n e solution b i o l o g i q u e b i e n p l u t ô t m é t a p s y c h o l o gique. »
5
Alors, s'il faut abandonner des coordonnées aussi rassurantes que celles
de la biologie et de la physiologie - ces physiologistes dont il dira, le livre
est alors presque achevé, que « quoi qu'il arrive », ils « trouveront bien à
redire, mais enfin tant pis ! » - peut être la possibilité existe-t-elle de se
6
1.
p. 79.
2.
3.
4.
5.
6.
Sigmund Freud, L'Homme Moïse et la religion monothéiste (1939), Paris, Gallimard, 1986,
Correspondance de Sigmund Freud avec le pasteur Pfister, op. cit., 1967, p . 152.
Op. cit., 1956, p . 215.
Marie Moscovici, Le roman secret, préface à Sigmund Freud, op. cit., 1986, p . 27.
Op. cit., 1956, p . 218.
Ibid., p . 260.
sentir moins seul, de discerner d'autres points d'appui, par exemple du
côté de cette zone frontalière où la philosophie et la psychologie se
côtoient. Il trouve ainsi dans les écrits de Lipps, ce philosophe et psychologue qui lui semble avoir « l'esprit le plus lucide » de ceux de son temps,
l'exposé de ses propres principes, exposé presque trop parfait, en tout cas
« un peu mieux peut être que je ne l'aurais désiré ». N'empêche, en voilà
un pour qui les processus psychiques sont « tous inconscients », un avec
lequel il y a concordance jusque dans les détails ; « peut être, ajoute-t-il
cependant, comme s'il savait bien qu'il ne pourrait pas en rester là, la
bifurcation d'où partiront mes idées nouvelles se révélera-t-elle plus tard » .
Il ne faudra, en effet, que quelques mois, pour qu'à son tour, ce point
d'appui soit balayé par cette tourmente que constitue Die Traumdeutung.
Un livre sur les rêves. Un livre consacré à un objet qui n'a aucune
existence empirique, qui n'existe que par le récit que peut en donner le
rêveur , base partielle, tronquée, déformée et comme telle on ne peut
moins fiable, à l'opposé de ce sur quoi est censée pouvoir se fonder une
démarche scientifique digne de ce nom, un objet dont il dira en 1901,
dans l'opuscule sur le rêve dont la publication fait suite au livre princeps :
1
2
« A m a g r a n d e s u r p r i s e , j e d é c o u v r i s u n j o u r q u e la c o n c e p t i o n n o n m é d i c a l e d u
r ê v e , l a c o n c e p t i o n p r o f a n e , celle q u i reste à d e m i p r i s o n n i è r e d e l a superstition, se
r a p p r o c h e d e la vérité. »
3
Un objet dont il réaffirme que nous ne le « connaissions pas du tout
(...) ou plus exactement [un objet dont] rien ne pouvait nous garantir que
nous le connaissions tel qu'il a réellement eu lieu » . Cette idée, soulignée
dans le cadre du célèbre chapitre VII de la Traumdeutung, chapitre à juste
titre valorisé par les commentateurs, on la trouve déjà énoncée dès le premier chapitre, chapitre dévalorisé s'il en fut et par son auteur lui-même.
C'est aux positivistes qu'il s'en prend alors, à ceux qui, comme Tissié, ne
veulent rien savoir de l'origine psychique du rêve et qui affirment « Les
rêves d'origine absolument psychique n'existent pas » ou encore « Les pensées de nos rêves nous viennent du dehors ». Cette négation de l'essence
psychique du rêve et au-delà, de l'existence possible de ce qu'il a déjà
appelé en 1896 l'appareil psychique et dont il va reprendre le développement
dans ce chapitre VII, il en souligne tout de suite, et d'une manière propre
à nous confirmer la présence déjà, jusque dans les termes, de la question
de l'analyse profane, qu'elle ne peut que convenir « aux tendances qui
4
1. Ibid., p. 233.
2. « La Traumdeutung, écrit André Bourguignon, est (...) le premier discours scientifique cohérent qui ait été tenu sur le rêve ; (...) Il ne fait appel à aucune autre science que la psychanalyse,
car il n'a nul besoin d'aide ni d'apport extérieur pour soutenir ses démonstrations (...) Écrit
en 1899, il pourrait l'être encore aujourd'hui, sans le secours des connaissances neurophysiologiques contemporaines » (Fonctions du rêve, Muselle Revue de psychanalyse, 1972, 5, p . 181).
3. Sigmund Freud, Sur le rêve (1901), Paris, Gallimard, 1988, p. 49.
4. Sigmund Freud, L'interprétation des rêves (1900), Paris, PUF, 1977, p . 435-436.
1
dominent actuellement la psychiatrie » . Sur ce point, il précise, et à n'en
pas douter chacun des termes a été soupesé :
« O n insiste s a n s d o u t e s u r la prépondérance du cerveau d a n s l ' o r g a n i s m e m a i s t o u t c e
q u i p o u r r a i t i n d i q u e r une indépendance d e l a vie m e n t a l e à l ' é g a r d d e m o d i f i c a t i o n s
o r g a n i q u e s démontrables o u u n e s p o n t a n é i t é d a n s les m a n i f e s t a t i o n s d e c e t t e m ê m e
vie, effraie aujourd'hui les psychiatres, c o m m e si e n r e c o n n a i s s a n t ces faits o n r a m e n a i t
les t e m p s d e la p h i l o s o p h i e d e la n a t u r e et d e l'essence m é t a p h y s i q u e d e l ' â m e . L a
m é f i a n c e d e s p s y c h i a t r e s a m i s l ' â m e e n tutelle ; a u c u n d e ses m o u v e m e n t s n e doit
laisser d e v i n e r e n elle u n p o u v o i r p r o p r e . »
2
En d'autres termes, l'espace épistémologique et théorique que Freud
est en train de dégager, celui d'une « indépendance de la vie mentale »,
c'est celui que nie cette alternative qui oppose d'un côté, la science du cerveau, et la psychiatrie en participe alors comme elle en participe à présent
au risque de sa propre disparition, à la métaphysique de l'âme. Cette alternative que Freud réfute en 1899 n'est-elle pas très exactement celle à
laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés, qui oppose d'un côté la respectabilité d'une « science cognitive », appendice et porte-parole partiellement autorisé des neurosciences, une « science cognitive » qui peut tout au
plus admettre l'idée d'un inconscient pour peu qu'il soit cérébral, et de
l'autre côté, les ténèbres de l'obscurantisme, le royaume de la superstition et
des croyances populaires, celui des approches religieuses et irrationnelles .
Si de 1900 à 1999 le combat pour l'autonomie de la vie psychique,
pour « l'indépendance de la vie mentale » est demeuré toujours aussi âpre,
il convient de noter qu'en 1939, lors de cette étape intermédiaire de notre
parcours que constitue L'Homme Moïse, c'est dans les mêmes termes que la
question est encore abordée, lorsque pour justifier de la concordance des
processus entre l'étage individuel et celui des masses d'une part, pour
palier aux carences de l'histoire et de l'archéologie d'autre part, quant à
donner de l'histoire du judaïsme une explication vraisemblable, il lui faut
préciser ce qu'il en est de la théorie psychanalytique en ce qu'elle a alors
de plus abouti :
3
« J ' a j o u t e u n e o b s e r v a t i o n , écrit-il e n ce p o i n t : q u e la t o p i q u e p s y c h i q u e d é v e l o p p é e ici n ' a rien à v o i r a v e c l ' a n a t o m i e d u c e r v e a u . »
4
Plus les forces extérieures résistent à la percée freudienne, plus la création de cet espace autonome d'une science du psychisme suppose
d ' « audace », et plus il faut être exigeant, intraitable sur les idées et sur la
manière de les exprimer. Une fois démontré — mais la suite de l'histoire
attestera que l'on n'en a jamais fini — que la médecine du cerveau, pour
1. Ibid., p . 46.
2. Ibid. C'est moi, M . P., qui souligne.
3. Cf. Marcel Gauchet, L'inconscient cérébral, Paris, Seuil, et, pour une évaluation critique de
cette alternative ainsi que du cognitivisme en général, cf. Elisabeth Roudinesco, Pourquoi la psychanalyse?, Paris, Fayard, 1999.
4. Sigmund Freud, op. cit, 1986, p . 192.
respectable qu'elle puisse être lorsqu'elle demeure sur ses terres, n'est
d'aucune aide lorsqu'elle en sort, une fois élaboré cet appareil psychique dont
il souligne à loisir qu'il s'agit d'un objet théorique, d'un « lieu psychique », ce
qui implique que l'on écarte « aussitôt la notion de localisation anatomique » , c'est à des voisins plus proches et qui n'en sont pas restés au
stade de la superstition qu'il faut se confronter. Pour ce faire, il faut savoir
jusqu'où l'on peut aller en compagnie de tel ou tel allié et à quel moment
il convient de rompre, de marquer la différence quoi qu'il en coûte. C'est
ainsi que l'on retrouve Lipps avec lequel, pour un temps encore, l'entente
cordiale est de rigueur :
1
« L e p r o b l è m e d e l ' i n c o n s c i e n t e n p s y c h o l o g i e est, selon les fortes p a r o l e s d e L i p p s ,
m o i n s u n p r o b l è m e p s y c h o l o g i q u e q u e le p r o b l è m e d e la p s y c h o l o g i e e l l e - m ê m e .
Aussi l o n g t e m p s q u e l a p s y c h o l o g i e s'est c o n t e n t é e d ' y r é p o n d r e q u e psychique et
conscient é t a i e n t t e r m e s é q u i v a l e n t s et q u e l'expression processus psychique inconscient
était u n visible n o n - s e n s , elle n e p o u v a i t s o n g e r à utiliser les o b s e r v a t i o n s q u e le
m é d e c i n p e u t faire s u r les états p s y c h i q u e s a n o r m a u x . P o u r q u e le m é d e c i n et le
p h i l o s o p h e c o l l a b o r e n t , il faut q u e t o u s d e u x r e c o n n a i s s e n t d a n s les m o t s p r o c e s s u s
p s y c h i q u e i n c o n s c i e n t l'expression appropriée et justifiée d ' u n fait b i e n établi. »
2
Un pas de plus avec ce même Lipps, un pas qui permet d'affirmer
que :
« P o u r b i e n c o m p r e n d r e l a vie p s y c h i q u e , il est i n d i s p e n s a b l e d e cesser d e surestim e r l a c o n s c i e n c e . Il faut, c o m m e l'a dit L i p p s , v o i r e d a n s l ' i n c o n s c i e n t le fond d e
t o u t e vie p s y c h i q u e (...) L ' i n c o n s c i e n t est le p s y c h i q u e l u i - m ê m e et son essentielle
réalité. »
3
Le temps d'après, une demi-page, pas plus, et la séparation sera
accomplie : elle se fonde sur la toute simple affirmation de la spécificité de
l'inconscient tel que la psychanalyse, désormais définitivement autonome,
le conçoit :
« J e dis à dessein dans notre inconscient, c a r ce q u e n o u s a p p e l o n s ainsi n ' e s t p a s
l ' i n c o n s c i e n t d e s p h i l o s o p h e s et n ' e s t p a s n o n plus celui d e L i p p s (...) Il y a d o n c
deux sortes d'inconscient, q u e les p s y c h o l o g u e s n ' a v a i e n t p a s e n c o r e distingués. T o u s
d e u x s o n t i n c o n s c i e n t s , a u sens q u e d o n n e à c e m o t la p s y c h o l o g i e . P o u r n o u s , l ' u n
d e s d e u x , celui q u e n o u s a p p e l o n s i n c o n s c i e n t , ne peut en aucun cas parvenir à la
conscience. »
4
On pourrait ainsi continuer cette lecture, à chaque fois plus passionnante et plus stupéfiante, qui atteste de l'émergence d'un champ de
1. Op. cit., 1977, p. 455. Freud, dans son article métapsychologique L'inconscient, OC,
vol. XIII, p . 213-214, reviendra sur cette question de la localisation, soulignant que sa «topique
psychique n'a, provisoirement rien à voir avec l'anatomie (qu')elle est en relation avec des régions
de l'appareil animique, où qu'elles puissent bien être situées dans le corps, et non avec des localités anatomiques ». O n pourra sur ce point se reporter aussi au commentaire que fait Jacques Derrida de ces lignes, in Mal d'Archive, Paris, Galilée, 1995, p. 47-49.
2. Ibid., p. 519.
3. Ibid., p. 520.
4. Ibid., p. 521-522.
connaissance dont chaque avancée implique la réaffirmation simultanée
d'une scientificité spécifique. Ce qu'il importe de souligner ici, au regard
de notre recherche de la permanence du souci de l'analyse profane, c'est
que ce maître livre est le théâtre d'une double opération. La première, qui
s'effectue notamment dans le temps de L'Esquisse et de ses entours et dont
on a pu discerner les traces s'agissant de la psychiatrie, consiste à prendre
acte de la mutation qui s'est opérée dans la médecine en cette fin du
XIX siècle et qui va aller s'accélérant au cours du siècle suivant, le nôtre,
qui s'achève. Cette mutation Freud l'a vécue sans pouvoir véritablement la
théoriser. C'est Jacques Lacan , bien plus tard, qui la discerne et la
nomme comme étant celle de l'avènement de la fonction scientifique de la
médecine au détriment de ce qu'il appelle sa fonction sacrale, celle qui donnait au médecin une place voisine, mais non identique, de celle du prêtre,
une place qui impliquait l'écoute du symptôme, une place inscrite dans le
champ d'une clinique de la demande à même de prendre en compte, à
côté du corps biologique, imbriqué dans ce corps biologique, ce que Serge
Leclaire appelait le « corps érogène » , le corps en tant qu'il est porteur de
la « dimension de la jouissance » . De cette médecine scientifique et de sa
domination qui signe l'instauration et l'installation de l' « âge médical » , il
n'y a rien de bon à attendre quant à une étude de la vie psychique qui ait
pour objectif premier d'en respecter l'autonomie. Mais cela ne signifie pas,
bien au contraire, un désintérêt de cette médecine pour le psychisme. Pour
tenter d'occuper le territoire du psychisme, de faire du psychisme son
objet, la médecine scientifique dépêche une sorte de corps expéditionnaire
dont la psychologie constitue l'élément essentiel, le fer de lance que suivent
à distance les bataillons philosophiques et religieux, corps expéditionnaire
dont cette médecine scientifique suit attentivement le déploiement et
auquel elle apporte un soutien logistique pour ses opérations. Là se situe,
me semble-t-il, l'objet de la seconde opération dont la Traumdeutung est le
cadre : opération qui ne consiste en rien moins qu'à démontrer
l'impossible coexistence de la psychologie avec l'inconscient, lequel, rappelons-nous, n'est pas « un problème psychologique mais le problème de la
psychologie » . Cette fois-ci, il ne s'agit plus de constater que Rébecca doit
ôter sa robe mais que le roi est nu, que la psychologie n'est qu'un fantôme,
un tenant lieu avec lequel il n'y a rien à négocier. Aussi bien lorsque nous
disons aujourd'hui, comme si les temps avaient changés, comme si nous
avions rattrapé Freud, que la forme contemporaine de résistance à la psye
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5
1. Jacques Lacan, intervention à la table ronde organisée par Jenny Aubry, La place de la
psychanalyse dans la médecine (1966), Le Bloc-Notes de la psychanalyse, 1987, 7, p . 9-38. Pour un
commentaire de ce texte, cf. Alain Vanier, Lacan et la Laienanalyse, Revue internationale d'histoire de
la psychanalyse, 1990, 3, p . 275-287.
2. Serge Leclaire, Œdipe à Vincennes Séminaire 69, Paris, Fayard, 1999.
3. J. Lacan, op. cit., 1987.
4. Cf. à ce sujet les remarques de J.-B. Pontalis, Une idée incurable, in Perdre de vue, Paris,
Gallimard, 1988.
5. Cf. supra, op. cit., 1977, p. 519.
chanalyse la plus redoutable n'est plus la médecine mais la psychologie, on
est en droit de se demander si nous ne sommes pas en train d'oublier cette
deuxième opération effectuée par Freud, c'est-à-dire si nous ne sommes
pas, bien loin de le rattraper, en train de céder du terrain en ne voyant que
l'arbre psychologie sans voir la forêt que constitue la conception médicale.
Dans la bataille pour la psychanalyse, tout démontre que Freud situe la
psychologie comme étant de l'ordre d'un cheval de Troie : elle est un
leurre, une ruse et c'est à ce titre, à ce titre seulement qu'elle peut retenir
notre attention. Leurre, la psychologie l'est parce qu'elle se présente
comme la source la plus autorisée pour parler du psychisme, comme la
seule modalité de l'expression psychique. Cette « évidence » peut même,
au moins dans le cours de la difficile gestation d'une théorisation autonome et spécifique du psychisme, produire de curieux paradoxes repérables notamment dans les Études sur l'hystérie. Depuis des horizons et en des
temps différents, de nombreux commentateurs ont noté comment Joseph
Breuer, lorsqu'il tente de se dégager de la conception neurophysiologique
en affirmant dans ses « Considérations théoriques » que « Pour parler des
phénomènes psychologiques, nous utiliserons la terminologie de la psychologie », ajoutant « Comment d'ailleurs agir autrement ? » , en vient en réalité à « neurologiser » son texte lors même que Freud qui tente encore de
s'exprimer en termes physiologistes réalise qu'il expose ses cas cliniques
comme autant de fictions psychologiques totalement étrangères à cette
psychologie appendice de la physiologie .
Discours laxiste de la conscience qui, écrit Freud dans le petit ouvrage
sur le rêve, « ignore » l'origine des « idées anxieuses et obsédantes (...) de
même qu'elle ignore l'origine des rêves » , bavardage complaisant du moi
sur lui-même, la psychologie se heurte à l'obstacle de l'inconscient : elle ne
peut ni l'entendre puisque fondée sur cette instance moïque, ou si l'on veut
sur le système perception-conscience qui en nie les manifestations, ni y survivre. La psychologie ne peut donc que se résorber soit du côté de la littérature, évidemment la plus mauvaise, car la vraie littérature n'a jamais rien
eut à faire de la psychologie, occupée qu'elle est avec la langue, soit du côté
de certains éléments du continent scientifique dont elle deviendra un agent
à ce point encombrant qu'il lui faudra changer d'identité : de psychologie
elle deviendra simple composante d'un ensemble somptuairement baptisé
« science cognitive » ainsi qu'en attestent très officiellement les découpages
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1. Joseph Breuer, Considérations théoriques, in Sigmund Freud, Joseph Breuer, Études sur
l'hystérie (1895), Paris, PUF, 1978, p . 146-204.
2. Cf. sur ce point Emilio Rodrigue, Freud, le siècle de la psychanalyse. Paris, Payot, 2000, vol. 1,
p. 260-261.
3. Op. cit., 1988, p. 50.
4. Q u e la psychologie en son essence ne puisse faire autre chose que de s'autodétruire est une
caractéristique qui n'avait pas échappé à Freud ; il notait, dans son autobiographie, que le behaviourisme, qui fut longtemps le courant dominant de cette discipline prompte à s'autoproclamer « psychologie scientifique », « se vante dans sa naïveté d'avoir éliminé purement et simplement le problème psychologique » (Sigmund Freud présenté par lui-même (1925), Paris, Gallimard, 1984a, p . 89).
académiques des grandes institutions de recherche, le CNRS par exemple,
dans lesquels la psychologie, de tête de rubrique qu'elle fut un temps, a été
purement et simplement remplacée par un ensemble dont l'intitulé s'énonce
comme suit: «Fonctions mentales. Neurosciences intégratives. Comportements ». Paravent, auxiliaire plus ou moins respecté, la psychologie constitue tout au plus le moyen de faciliter l'avancée sur le terrain du psychisme
de ces détachements de la fonction scientifique de la médecine que sont certaines retombées de la recherche en génétique ou en biologie moléculaire.
Le danger actuel pour la défense de la spécificité de la théorie psychanalytique, ce que Freud appelle la « psychanalyse scientifique », ne serait donc
pas tant la psychologie comme telle, que la croyance en son existence, en sa
capacité à s'être substituée à l'emprise du modèle médical.
C'est bien ainsi me semble-t-il que l'on doit entendre l'un des derniers
mots qu'en 1928 Freud adresse à Ferenczi sur cette question, l'un des derniers prononcés dans l'ardeur encore vive du débat de 1926 :
« L e d é v e l o p p e m e n t i n t e r n e d e la p s y c h a n a l y s e s'écarte p a r t o u t , à l ' e n c o n t r e d e
m e s i n t e n t i o n s , d e l'analyse p r o f a n e vers u n e spécialité p u r e m e n t m é d i c a l e , ce q u e
j e c o n s i d è r e c o m m e fatal p o u r l ' a v e n i r d e l a p s y c h a n a l y s e . »
1
Trop brièvement, au moyen de quelques exemples, on s'est ici efforcé
de montrer la permanence de la forme que revêtent l'analyse profane et sa
défense dans le registre de la psychanalyse scientifique et ce, jusque dans
l'œuvre ultime, L'Homme Moïse. Mais ce dernier ouvrage, c'est ce qui a été
suggéré au tout début de cette réflexion, est aussi le cadre de l'expression
de ce même souci, dans le registre cette fois-ci de l'application non médicale de cette psychanalyse scientifique dont Freud a maintes fois dit, et dès
les débuts de l'aventure psychanalytique, qu'elle était appelée à venir occuper une place tout aussi spécifique, tout aussi irréductible dans le champ
des sciences de l'esprit qui s'attachent à expliquer, plus souvent à décrire,
les modalités sociales, collectives du fonctionnement des hommes.
Comment rendre compte de la production, du développement et de la
transmission de certaines idées, comment analyser la fonction, positive ou
négative, l'emprise de ces idées, les idées religieuses notamment ?
Il va lui falloir constater, ce qu'il a fait très tôt, depuis Les considérations
actuelles sur la guerre et sur la mort , que dans ce registre comme dans celui de
la scientificité, rien n'est acquis : la psychanalyse va devoir faire face sur ce
terrain à toutes les formes de rejet - c'est encore le cas aujourd'hui - elle
devra se protéger de toutes les tentatives d'assimilation et de réduction, il
lui faudra trouver le courage de nommer les impasses des autres approches, prendre des risques et avoir l'audace d'avancer, ainsi qu'il le dit luimême dans le Moïse, « comme une danseuse qui fait des pointes » .
2
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1. Lettre du 22 avril 1928 citée par Françoise Samson, Profane ?., Carnets de l'EPSF, 1998, 20.
2. Sigmund Freud, Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915), in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981.
3. Sigmund Freud, op. cit., 1986, p . 137.
On se souvient de l'équivalence qu'il faisait valoir auprès du pasteur
Pfister entre son texte sur l'analyse profane et cet autre qui lui faisait suite,
L'avenir d'une illusion : dans un cas, il s'agissait de protéger la psychanalyse
des médecins, dans l'autre, de la protéger des prêtres. Le voici une fois de
plus au pied du mur : comment rendre compte de la religion dans son
essence, comment se fait-il que les hommes aient produit cette conception
du monde et de son histoire, comment se fait-il qu'ils s'y soient à ce point
soumis, qu'ils y croient avec autant de force, comment la psychanalyse,
science du psychisme humain, peut-elle se confronter à cette obsession collective et universelle ? La psychanalyse peut-elle dire quelque chose de spécifique à propos de ce phénomène ? Mais d'abord, question préalable, le
doit-elle ? La réponse, explicite, a été donnée quelques années plus tôt,
en 1933, dans cette X X X I V conférence qui traite des applications et dans
laquelle il rencontre de nouveau ce problème du passage de l'individuel au
collectif :
e
« ... c o m m e r i e n , écrit-il alors, d e ce q u e les h o m m e s c r é e n t o u e x é c u t e n t n ' e s t
c o m p r é h e n s i b l e sans le c o n c o u r s d e la p s y c h o l o g i e [des p r o f o n d e u r s , c'est-à-dire la
p s y c h a n a l y s e ] il e n est résulté d e s a p p l i c a t i o n s (...) q u i s ' i m p o s a i e n t et e x i g e a i e n t
d'être élaborées. »
1
Après 1933, le vague espoir d'une possible victoire de la pulsion de vie,
exprimé dans les dernières pages du Malaise dans la civilisation n'est plus de
mise. Au-delà de cette religion venue de Moïse, elle-même transmise à travers bien des aléas et en passe d'être à nouveau persécutée, confronté de
manière non équivoque à ce qu'il perçoit être une autre forme de religiosité, barbare à l'extrême celle-là et qui l'a contraint de quitter Vienne , il
prend acte, non sans avoir cherché d'autres solutions du côté de l'histoire
et de l'archéologie, du fait qu'en définitive, le problème est comparable à
celui qu'il avait rencontré quarante ans plus tôt avec cette psychologie
qu'il avait écartée : la religion ne peut pas rendre compte autrement que religieusement
du phénomène religieux. La chose n'est pas neuve, elle a déjà été dite « en
toute clarté il y a un quart de siècle », allusion explicite à Totem et tabou,
mais elle « a été oubliée depuis lors, et il ne peut demeurer sans effet de le
rappeler aujourd'hui et de l'expliciter d'après un exemple valable pour
toutes les fondations de religion » . C'est donc à la réaffirmation de cette
2
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lyse,
1. Sigmund Freud, Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse (1933), Paris, Gallimard,
19846, p. 195.
2. Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation (1930), Paris, PUF, 1978. Rappelons que dans la
dernière édition de cet ouvrage, Freud balaie cet espoir, prenant acte de la montée du péril nazi.
3. Q u e L'Homme Moïse ait été écrit pour partie du fait des circonstances politiques dramatiques que constituait la montée, puis le triomphe du nazisme, c'est là une thèse difficilement discutable que soutient Ilse Grubrich-Simitis, notamment in op.cit.,1997, p . 239-253, et que l'on peut
mettre en parallèle avec celle qui postule que les origines premières de la pulsion de mort sont à
rechercher dans le contexte d'horreur de la Première Guerre mondiale. Cf. pour ce dernier point,
J.-B. Pontalis, L'éveilleur et le prisonnier, préface à S. Freud, Conférences d'introduction à la psychanaParis, Gallimard, 1999, p . VI.
4. Sigmund Freud, op. cit., 1986, p. 133.
thèse déjà ancienne, réaffirmation à laquelle les circonstances donnent une
ampleur sans précédent, qu'il s'attache :
« . . . à savoir q u e les p h é n o m è n e s religieux n e sont accessibles à n o t r e c o m p r é h e n sion q u e d ' a p r è s le m o d è l e d e s s y m p t ô m e s n é v r o t i q u e s b i e n c o n n u s d e l'individu,
e n t a n t q u e r e t o u r d e p r o c e s s u s i m p o r t a n t s , d e p u i s l o n g t e m p s oubliés, a y a n t e u
lieu a u c o u r s d e l'histoire p r i m i t i v e d e l a famille h u m a i n e , qu'ils d o i v e n t l e u r
c a r a c t è r e c o n t r a i g n a n t à c e t t e o r i g i n e m ê m e et d o n c qu'ils agissent s u r les êtres
h u m a i n s e n v e r t u d e l e u r c o n t e n u d e vérité historique. »
1
Résumant la première version de son Moïse à Lou Andreas-Salomé
quelques années auparavant, il avait usé de cette formule choc : «... ce qui
rend la religion forte ce n'est pas sa vérité réelle mais bien l'historique. »
Dire sans relâche, sans se décourager, en sachant que l'on n'aura
jamais pour cela le réconfort que pourraient constituer des preuves irréfutables, que seule la psychanalyse, théorie du psychisme humain, peut affirmer quelque chose de la « vérité réelle » de la religion, voilà bien qui participe, en 1939 comme en 1999, de la défense de l'analyse que l'on a dans
ce cadre encore plus de raisons d'appeler « profane ».
Mais il me semble que soixante ans après sa parution, la lecture, relecture de cet ultime ouvrage de Freud suggère qu'il s'y attaquât à un
domaine autre que la seule religion, un domaine, celui de la politique,
dont il considéra, même s'il ne put aller très loin en la matière, que la psychanalyse pouvait en appréhender sinon la vérité réelle dans son intégralité, du moins certaines dimensions parmi les plus insistantes et les plus
obscures . C'est notamment dans la seconde partie du troisième essai constitutif de ce livre que Freud en vient à traiter de cette chose politique sous
un angle bien particulier, un angle dont il ne cache pas qu'il pourrait sembler constituer une démarche régressive en un temps où les explications
dominantes - il ne nomme pas ici le marxisme ou l'utilisation commune
qui en est faite mais il est clair qu'il en est là question - privilégient les
explications socio-économiques, un angle qui se donne à connaître notamment à travers la figure du grand homme. De cette figure, dont Freud ne
cache pas qu'il lui est difficile de lui trouver « un contenu qui soit
dépourvu d'ambiguïté », car cela, dit-il, « l'entraînerait loin du centre de
gravité de son entreprise », il note tout de même, marquant en cela la permanence de sa vigilance à l'égard d'éventuels dérapages métaphysiques et
psychologisants — dérapages qui ne manqueront pas de s'effectuer sous la
forme par exemple de la psycho-histoire — que ce n'est pas son essence qui
doit retenir l'attention du psychanalyste, mais « la question de la manière
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4
1. Ibid., p . 136-137.
2. Lou Andreas-Salomé, Correspondance avec Sigmund Freud (1966), Paris, Gallimard, 1970,
p. 253.
3. Emilio Rodrigué souligne la différence existante entre le fait de « traiter psychanalytiquement les questions politiques et le fait de traiter politiquement la psychanalyse », in op. cit., 2000,
vol. 2, p. 396.
4. Op. cit., 1986, p. 206.
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dont il agit sur les h o m m e s qui l'entourent » . Pour limités qu'ils soient, et
m ê m e parfois porteurs d'interprétations u n peu hâtives, c o m m e telles clôturantes, qui n'ont pas m a n q u é d'abonder j u s q u ' à la caricature, j e pense à
l'assimilation à la figure du père, les quelques développements qui nourrissent ces dernières pages du Moïse m e paraissent indicatrices d'un c h a m p de
processus que l'on pourrait appeler ceux de la religiosité de la politique et
des formes successives du processus de son enreligieusement dont la vérité réelle,
p o u r concerner cette partie de la philosophie qui a fait de la politique son
objet et parle ainsi de totalitarisme, relève aussi, et peut être plus, de la spécificité de la théorie psychanalytique.
Qu'il s'agisse de ce registre des applications n o n médicales de la psychanalyse, registre encore largement en friche et qui appelle, au moins
autant qu'en 1933, à des élaborations nouvelles, ou des deux autres, celui de
la psychanalyse scientifique ou celui des applications médicales que j ' a i
délibérément laissées de côté, le combat pour l'irréductible spécificité de la
psychanalyse, p o u r l'indépendance de la vie mentale, demeure inchangé,
actuel c o m m e le prédisait Freud, en 1939, devant les micros de la BBC :
« La résistance était forte et incessante. (...) La lutte n'est pas terminée. »
Directeur de recherche au CNRS.
Unité de recherche « Psychanalyse et pratiques sociales »,
UPJV Amiens / Paris. Psychanalyste.
26, rue du Commandant René-Mouchotte, 75014 Paris.
e-mail : [email protected]
1. Ibid., p . 207.
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