Revue germanique internationale
14 | 2000
Sigmund Freud
De la Traumdeutung au Mse : le souci permanent
d’une analyse profane
Michel Plon
Édition électronique
URL : http://rgi.revues.org/805
DOI : 10.4000/rgi.805
ISSN : 1775-3988
Éditeur
CNRS Éditions
Édition imprimée
Date de publication : 15 juillet 2000
Pagination : 81-97
ISSN : 1253-7837
Référence électronique
Michel Plon, « De la Traumdeutung au Moïse : le souci permanent d’une analyse profane », Revue
germanique internationale [En ligne], 14 | 2000, mis en ligne le 30 août 2011, consulté le 30 septembre
2016. URL : http://rgi.revues.org/805 ; DOI : 10.4000/rgi.805
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De la Traumdeutung au Moïse :
le souci permanent d'une analyse profane
MICHEL PLON
« Il est des choses qui doivent être dites plus
d'une fois et qui ne peuvent être dites assez sou-
vent. »
S. Freud, L'Homme Moïse et la
religion
monothéiste.
Pourquoi reparler, encore aujourd'hui, de la
Laienanalyse,
de l'analyse
profane ou laïque ? Tout n'a-t-il pas déjà été dit à ce sujet, et un relatif
consensus ne s'est-il pas instauré à travers les multiples interventions et
publications1 qui depuis quinze ans jusqu'à ces derniers mois ont traité de
cette question ?
Unanimité pour reconnaître les ambiguïtés des mots français, « pro-
fane » et « laïque », dont tout le monde admet qu'ils ne restituent
qu'imparfaitement le champ sémantique du terme allemand Laie choisit
par Freud.
Unanimité pour considérer que le procès fait à Theodor Reik pour
exercice illégal de la médecine ne fut que le prétexte de l'intervention freu-
dienne sur La
question
de
l'analyse
profane.
Unanimité pour affirmer que, désormais, cette question n'est pas, n'est
plus,
plus seulement celle de l'exercice de la psychanalyse par les non-
médecins.
1.
Pour mémoire, et sans viser à l'exhaustivité en la matière, citons, par ordre chronolo-
gique : L'avant-propos de J.-B. Pontalis à la nouvelle traduction du texte freudien, La question de
l'analyse profane (1926), Paris, Gallimard, 1985, et l'appendice de Michel Schneider à cette même
édition, intitulé La
question
en débat ; le dossier consacré à 1' « histoire de l'exercice de la psycha-
nalyse par les non-médecins » par la Revue
internationale
d'histoire de la
psychanalyse,
1990, n° 3 ; les
articles et interventions de Françoise Samson, A propos de l'analyse profane, Le Coq-Héron, 1998,
n° 150, numéro qui publie les traductions de l'ensemble des interventions sur la question parues
dans The
International
Journal of
Psycho-Analysis,
vol. VIII, 1927, et, sous le même titre, une interven-
tion dans Essaim, 1998, 1 (1998b) qui résume la position exprimée sur la question par Michael
Schröter dans un article de la revue Psyché, 1996, 12, ainsi que des extraits de la correspondance
échangée par Freud et Ferenczi à ce sujet entre 1925 et 1927 ; les articles d'Elisabeth Roudinesco,
Psychanalyse profane et analyse laïque : variations sur un thème, Essaim, 1999, 4, 17-27, et de
Jacqueline Poulain-Colombier, Le mot et le nom, Essaim, 1999, 4, 87-100.
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internationale,
14/2000, 81 à 97
Unanimité ou presque pour constater que, ce qu'en termes politiques
on pourrait appeler « l'ennemi principal », et que Freud eut considéré
comme «le dernier masque de la résistance à la psychanalyse, et le plus
dangereux de tous »1
il désignait là les psychanalystes eux-mêmes, est
constitué par cette psychologie dont Elisabeth Roudinesco fait observer
que la psychanalyse pourrait bien en devenir la « bonne à tout faire »
après avoir refusé d'être celle de la psychiatrie2, par la psychologie ou par
la psychologisation de la psychanalyse et plus encore par cet exercice
hybride, ce « méli-mélo » pour user d'une dénomination freudienne3, qui a
nom psychothérapie4.
Unanimité enfin, pour conclure avec Freud, comme l'écrit
J.-B.
Ponta-
lis que « la question de l'analyse profane c'est la question de l'analyse elle-
même »5, et pour assurer que le texte freudien est « avant tout, comme le
souligne Françoise Samson, un plaidoyer en faveur de l'analyse tout
court »6.
Parler de la
Laienanalyse,
la défendre, c'est donc défendre la psychana-
lyse dans sa spécificité. Freud lui-même ne dit pas autre chose lorsqu'il
précise que la difficulté essentielle de la tâche qu'il entreprend en 1926 est
de faire comprendre à son interlocuteur imaginaire :
«... que l'analyse est un procédé
sui
generis,
quelque chose de nouveau et de spéci-
fique, qui ne peut être saisi qu'à l'aide de vues neuves ou si l'on veut d'hypothèses
neuves »7.
Pour autant, tenter « de faire le point sur l'actualité et la validité de
la théorie freudienne », ainsi que nous y invitent les attendus de cette
rencontre, conduit inévitablement à constater que notre actualité philoso-
phique, politique et sociale ne cesse de mettre en cause, et de toutes les
manières possibles, cette spécificité de la psychanalyse. Dans le même
temps, un constat parallèle s'impose : la communauté psychanalytique,
dont l'ardeur au travail et les avancées théoriques ne sont pas contesta-
bles,
peine à défendre cette spécificité autrement que sur un mode aux
allures incantatoires, au point qu'il y ait lieu de se demander si la dite
spécificité, à force d'apparaître aux psychanalystes comme allant de soi,
1.
Lettre à Ferenczi du 27 avril 1929 citée par Ernest Jones, La vie et
l'œuvre
de Sigmund
Freud,
Paris,
PUF, 1975, vol. 3, p. 339.
2.
É. Roudinesco, op. cit., 1999.
3.
Sigmund Freud, Préface à la Medical Review of
Reviews
(1930), Œuvres
complètes,
vol. XVIII,
p.
338. Ilse Grubrich-Simitis fait observer que Freud reprend dans ce court texte l'essentiel des
idées qu'il exposait dans les pages, supprimées par Max Eitingon et par Ernest Jones, de sa post-
face à son texte sur l'analyse profane. Cf. Ilse Grubrich-Simitis,
Freud:
retour
aux manuscrits (1993),
Paris,
PUF, 1997, p. 225.
4.
Cf. sur ce point, Brigitte Lemérer, Michel Plon, Erik Porge, Françoise Samson, Contre
l'inclusion de la psychanalyse dans le champ des psychothérapies, Essaim, 1999, 4, 5-15.
5.
J.-B. Pontalis, op. cit., 1985.
6. F. Samson, op. cit., 1998b.
7.
Sigmund Freud, op.
cit.,
1985, p. 37.
comme évidente, n'en viendrait pas à constituer pour eux un point
aveugle1.
Telles pourraient être les premières raisons, actuelles, de faire retour
sur cette question de l'analyse profane pour en chercher, rechercher et
redire les contours et les figures.
Cette spécificité de la psychanalyse apparaît clairement dans ce que
l'on peut appeler, sans rougir ni frémir, la
politique
freudienne de la psycha-
nalyse, laquelle, comme toute politique, ne peut faire l'économie de ces
figures de la castration que sont les choix, les séparations, les oppositions et
les distinctions. Que l'on se remémore un instant, et parmi d'autres, les
conflits et les ruptures avec Jung, avec Rank et avec Ferenczi, on y trou-
vera toujours, qu'il en aille de la théorie ou de la pratique, la question de
la spécificité de la psychanalyse, la question de la psychanalyse profane.
Mais en deçà de ce champ de la politique de la psychanalyse, il faut
cerner dans le texte de la théorie psychanalytique et dans les diverses
modalités de sa réalisation pratique en quoi consistent ce caractère pro-
fane,
cette spécificité. En somme, très modestement, il faut peut être, une
fois de plus, faire « retour à Freud », il faut « continuer à travailler »,
comme Freud lui-même y invitait Pfister en octobre 1923, ajoutant,
« Vous savez que la vérité doit être très souvent dite »2.
Dans une lettre datée du 8 janvier 19003, Freud dit à Wilhelm Fliess
qu'il « ne compte pas être compris tout au moins durant [sa] vie (...) Pour
tous ces problèmes obscurs, ajoute-t-il (il
s'agit
des problèmes du rêve et de
son interprétation mais aussi de ceux qui concernent ce qu'il appelle joli-
ment dans une lettre antérieure "les étages inférieurs"4, entendez la sexua-
lité),
j'ai affaire à des gens sur lesquels j'ai une avance de dix à quinze ans
et qui ne me rattraperont pas ».
On est parfois tenté de se demander si, toute proportion gardée, les
difficultés rencontrées par la psychanalyse et les psychanalystes pour
défendre la spécificité de la psychanalyse ne seraient pas de l'ordre de cet
obstacle que l'on rencontre parfois dans la clinique avec les enfants, obs-
tacle qui tient en la difficulté pour un puîné à admettre qu'il ne pourra
jamais
rattraper
son aîné en matière d'âge et encore moins le dépasser. En
d'autres termes, est-ce que nos difficultés à ne rien céder quant à la spécifi-
cité de la psychanalyse, nos difficultés à ne pas se laisser enfermer dans un
dilemme qui oppose la solution du sectarisme à celle de l'édulcoration, ne
seraient pas à mettre au compte d'une illusion de cette nature, celle qui
consisterait à croire que nous aurions, à défaut de l'avoir dépassé,
rattrapé
1.
De cette difficulté, Freud ne fait pas mystère lorsqu'il écrit au pasteur Pfister, le
28 mai 1911 : «Il n'est guère possible d'argumenter publiquement sur la psychanalyse : on ne se
trouve pas sur le même terrain et l'on ne peut rien entreprendre contre les affects aux aguets »
(Correspondance
de Sigmund Freud avec le pasteur Pfister, 1909-1939, Paris, Gallimard, 1967, p. 89).
2.
Ibid.,
p. 138.
3.
Sigmund Freud, La naissance de la
psychanalyse,
Paris, PUF, 1956.
4.
Ibid.,
p. 267.
Freud en affirmant, par exemple, que la question de la médecine dans sa
globalité, avec tout ce qui lui fait cortège du côté d'un déni du transfert,
voire le cas échéant de sa banalisation, et d'une mise hors jeu de la sexua-
lité,
ne serait plus au cœur de la question de l'analyse profane.
Formulation brutale et comme telle provocatrice qui n'est là que pour
introduire à ce que j'oserai appeler une thèse : à savoir que la question de
l'analyse profane demeure centrée sur le rapport à la chose médicale, non
seulement dans l'œuvre de Freud tout entière, de la
Traumdeutung
au Moïse
mais aujourd'hui encore, derrière les masques trompeurs de l'actualité,
celui de la psychologie notamment.
Dans la célèbre postface à son essai sur l'analyse profane qu'il écrivit
dans le frayage du débat1 qui fit suite à la première édition de cet essai,
Freud effectue une mise au point importante qui a récemment été reprise
par divers auteurs précisément soucieux de cerner quelques aspects de la
crise contemporaine de la psychanalyse, à commencer par ceux qui
s'expriment par le biais d'une certaine confusion d'appellation2 :
« Pour des raisons pratiques, écrit Freud, nous avons même dans nos publications,
pris l'habitude de distinguer une analyse médicale des applications de l'analyse.
Cela n'est pas correct. En réalité, la ligne de démarcation se situe entre la psycha-
nalyse scientifique et ses applications dans les domaines médical et non médical. »3
La prise en compte de cette « ligne de démarcation », conduit à distin-
guer entre les formes, parentes mais non identiques, d'existence concrète
de la psychanalyse profane dans trois registres.
Les deux derniers registres constituent les applications de la psychana-
lyse,
applications médicales, dites encore thérapeutiques, d'une part, appli-
cations non médicales d'autre part.
Dans le cadre limité de cette réflexion, je laisserai très largement de
côté ce registre des applications médicales, si ce n'est pour dire que je crois
utile d'y distinguer deux versants. Le versant de la pratique thérapeutique
d'une part, qui inclut ce que l'on appelle la « technique », versant où la
question de la spécificité de la psychanalyse peut être notamment illustrée
par le débat qui opposa Freud à Ferenczi à propos de la « technique
active » mais aussi bien par celui, contemporain, concernant la différence
de la psychanalyse avec les diverses formes de psychothérapies4. Le versant
de
l'exercice
de la psychanalyse d'autre part, versant qui est plus concerné
par la dimension professionnelle, sociale et juridique de la pratique psy-
chanalytique : viennent s'inscrire les questions concernant le fait d'être
ou non médecin, celle des diplômes en général, celle du pouvoir médical,
1.
Cf. Le Coq-Héron, 1998, n° 150, op. cit.
2.
Cf. B. Lemérer et al., op. cit., 1999. Jacqueline Poulain-Colombier, Changements dans la
psychanalyse et politiques éditoriales, Le
mouvement
psychanalytique, 1998, I, 1, p. 11-45; Michel
Plon, A face oculta da analise leiga, Agora, 1999, II, 1, p. 91-108.
3.
Sigmund Freud, op. cit., 1985, p. 152-153.
4.
Cf. Brigitte Lemérer et al., op. cit., 1999.
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