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Politique africaine
La revue des livres
GERMAIN (Éric)
L’Afrique du Sud musulmane. Histoire
des relations entre Indiens et Malais
du Cap
Paris/Johannesburg, Karthala/Ifas, 2007,
445 pages.
Cet ouvrage est une somme. L’auteur a tout lu :
archives, presse des XIXe et XXe siècles, travaux
parlementaires, archives familiales, littérature
scientifique. Il montre comment la communauté
musulmane de la ville du Cap et, par extension,
de la province du même nom, fut durablement
clivée par la rivalité entre deux strates de popu-
lation : les Malais, arrivés en premier, et les
Indiens. Dans le contexte sud-africain, le jeu
des identités, constamment manipulées, repré-
sente à la fois un terrain unique et un domaine
où les approximations ne sont pas de mise.
C’est la finesse de l’analyse et la contextuali-
sation constante des attributions identitaires
qui assurent à cet ouvrage sa puissance de
démonstration.
Il manque quelques chiffres sur la situation
actuelle de cette communauté dont l’influence
est sans commune mesure avec son poids
numérique (« à peine plus de 1 % de la popu-
lation », p. 11). Le Pew Research Center donne,
pour sa part, le chiffre de 1,5 % de la popu-
lation sud-africaine, tandis que le recensement
de 2001 compte 6,5 % de musulmans pour la
seule province de Western Cape. Selon celui
de 2007, sur plus de 6 millions d’habitants dans
cette province, 50,2 % se qualifient de
« Coloured » (métis), 30,1 % d’Africains noirs,
1,3 % d’Asiatiques (« Indian or Asian ») et
18,4 % de Blancs. Les musulmans sont à
rechercher chez les Indiens (mais il y a aussi
des hindous) et, chez les « Coloured » (majori-
tairement chrétiens), plus particulièrement parmi
ceux qu’on appelle les « Malais du Cap ». Ainsi
se profile ce kaléidoscope des identités, au
centre duquel cette catégorie des « Coloured »
occupe une place stratégique.
Une communauté musulmane, composée
d’esclaves et de prisonniers amenés au Cap
par la Compagnie néerlandaise des Indes
orientales, s’est formée dès le milieu du
XVIIe siècle. Les unions interraciales étant alors
possibles, ces nouveaux venus se sont mêlés
à d’autres populations, Noirs (notamment
mozambicains), Malgaches, Khoisan et Euro-
péens. Les « Malais du Cap », tout en conservant
certains types physiques et traits culturels, sont
le produit de ces brassages. Au cours du
XIXe siècle, ouvriers et artisans industrieux, ils
ont connu une remarquable ascension sociale
et c’est dans ce milieu que s’est développé un
créole néerlandais, l’afrikaans, transcrit phoné-
tiquement en caractères arabes pour servir à
l’enseignement religieux. Plus du tiers des
habitants de la ville du Cap sont musulmans
en 1875.
Le passage du Cap sous domination bri-
tannique en 1806 a renforcé le lien avec l’Inde.
Un réseau gujarati, dominé par les commerçants
musulmans, fonctionne à travers l’océan Indien
par l’île Maurice. Le besoin de main-d’œuvre
entraîne, à partir de 1860, l’arrivée au Natal
de travailleurs indiens sous contrat, qui en
attirent d’autres à la faveur des découvertes
minières. Aux Gujaratis de Bombay et à leurs
voisins Konkanis de la côte nord-ouest de l’Inde,
s’ajoutent les Pachtounes des frontières de
l’Inde, qui combattent dans les guerres anglo-
zoulou (1879) et anglo-boer (1899-1902). Les
Indiens épousent volontiers des femmes malaises,
qui facilitent leur insertion, mais ils considèrent
cependant avec condescendance le caractère
festif des Malais et la liberté qu’ils accordent
à leurs femmes.
Pour désigner tous ceux qui n’étaient ni
« Noirs », ni « Blancs », l’administration créa le
terme fourre-tout de « Coloured ». L’auteur
annonce, en introduction et dans le glossaire,
son intention de le traduire par « métis », mais
il parle ensuite couramment de gens « de
couleur », une traduction source de confusion,