associations de pêcheurs et les organisations de protection des oiseaux, l'OFEV a actualisé le
plan de mesures, qui envisage dorénavant d'effaroucher les cormorans aussi en été. Mais la
situation s'est encore détériorée depuis: en 2011, selon les données provisoires de la Station
ornithologique suisse, on dénombre déjà 796 couples de cormorans nichant dans le pays. A la
grande colère des pêcheurs, qui craignent pour leur rendement, ils s'installent de préférence
dans les réserves nationales ou cantonales longeant les grands lacs.
Selon l'Association suisse des pêcheurs professionnels, les cormorans de passage ou hivernant
en Suisse consommeraient, d'octobre à mars, davantage de poissons des lacs que les pêcheurs
n'en attrapent pendant la même période. On estime à 440 tonnes la quantité de poisson
ingurgitée par l'oiseau, pour 432 tonnes prises dans les filets. Les couples nicheurs et leurs
petits engloutissent 100 tonnes supplémentaires. Fritz Hulliger exige par conséquent que les
cormorans soient ramenés à leurs effectifs de 2005.
Dégâts aux filets et aux poissons capturés. La concurrence ne justifie pas à elle seule une
régulation des effectifs d'oiseaux nicheurs dans les réserves. «Le fait que les cormorans
mangent du poisson n'est pas un dégât causé par la faune au sens où l'entend le droit fédéral
sur la chasse», explique Reinhard Schnidrig, chef de la section Chasse, pêche, biodiversité en
forêt à l'OFEV. «Seuls des dommages intolérables apportés aux instruments et aux prises des
pêcheurs peuvent légitimer des interventions régulatrices dans les colonies des réserves.»
En 2011, on a recensé 315 nids au Fanel. Les cormorans se servent dans les filets des 41
pêcheurs professionnels du lac de Neuchâtel, déchirant les mailles de leur bec et de leurs griffes
acérées. Partant d'un sondage réalisé en 2007, le bureau Aquarius a évalué à 1120 francs par
personne et par an les dégâts matériels subis par les pêcheurs neuchâtelois. Viennent s'ajouter -
selon la déclaration de la branche - les pertes de plusieurs milliers de francs dues aux poissons
blessés dans les nasses, soit un total de 5000 à 6000 francs. Une somme qui correspond au
salaire mensuel d'un pêcheur professionnel.
A partir d'observations faites dans le cadre d'un projet de prévention de l'OFEV (voir ci-dessous),
la Haute école des sciences appliquées de Zurich (Hochschule für angewandte Wissenschaften,
ZHAW) a toutefois chiffré les pertes du début de l'été 2010 à un niveau nettement inférieur: 800
francs par pêcheur et par an.
Pour une fois, pêcheurs professionnels et protecteurs des oiseaux sont du même avis: ils
demandent que la Confédération et les cantons dédommagent ces pertes. Le Parlement s'y est
opposé, arguant qu'il s'agit là de risques professionnels normaux.
Une solution pragmatique pour les zones protégées. La plupart des colonies de cormorans
nicheurs se sont formées ces dernières années dans les réserves naturelles, appréciées pour
leur tranquillité. C'est pourquoi le Conseil fédéral a donné son feu vert, en mai 2009, à une
révision de l'ordonnance sur les réserves d'oiseaux d'eau et de migrateurs d'importance
internationale et nationale (OROEM). Elle autorise les cantons, en cas de dégâts intolérables, à
prendre aussi des mesures de régulation dans les zones protégées.
Cette stratégie pragmatique a l'aval d'une majorité du Parlement fédéral: une motion adoptée en
2010 par les deux Chambres charge l'OFEV d'élaborer avec les cantons une aide à l'exécution
sur le cormoran, et notamment des directives sur la régulation des colonies nicheuses, en
particulier dans les réserves naturelles.
Prévenir plutôt que guérir. La Confédération étudie des mesures tant préventives que
régulatrices. La ZHAW a examiné, à la demande de l'OFEV, ce que les pêcheurs peuvent faire
pour protéger leurs filets. Les spécialistes recommandent de les relever le matin, avant l'activité
principale des cormorans, pour réduire le risque d'attaques, et d'interdire l'élimination des restes
de poissons dans les lacs pour ôter à l'oiseau vorace une partie de son alimentation.
Ces mesures peuvent désamorcer un conflit local, mais le cormoran vit dans un système ouvert
qui ne connaît pas de frontières. «Il se choisit des régions à fort potentiel, et la Suisse en
possède plus d'une», explique Reinhard Schnidrig. Selon les sources consultées, l'Europe
compterait un demi-million à un million et demi de cormorans. «Il est difficile de prévoir l'évolution
générale, commente-t-il, d'autant plus que les 27 Etats membres de l'UE ont des stratégies très
diverses.» En effet, le cormoran est protégé aux Pays-Bas; en France, plus de 30'000 oiseaux
sont tués tous les ans; les Danois limitent les effectifs et l'Allemagne connaît seize ordonnances
différentes. Seule une gestion coordonnée à grande échelle permettrait de réguler efficacement
les populations.
Nicolas Gattlen