ÉDITO
Votre scène nationale a dû, une nouvelle fois,
pour des raisons économiques, réduire son sou‐
tien à la création et consacrer l’essentiel de ses
moyens à la diffusion, face visible et émergée du
programme du théâtre, pour maintenir une sai‐
son, malgré tout, significative de la vitalité du
moment.
Par manque de production, beaucoup de projets
n’ont pu voir le jour, des vies personnelles
d’artistes et de techniciens du spectacle, pre‐
mières victimes des baisses de crédits ont été
bousculées et précarisées, comme le sont celles
des agents du théâtre, objets de la restructura‐
tion imposée par la réduction des dotations des
collectivités locales en 2014 et 2015.
Le nécessaire réalisme de gestion, imposé par
ces circonstances, ne se substitue pas, cepen‐
dant, à l’optimiste de la volonté qui porte des
ambitions lucides, déterminées, réfléchies et
généreuses pour nos concitoyens. Les valeurs
deux fois séculaires de liberté, de fraternité,
d’égalité, attachées à la République, conservent
un sens profondément moderne, dans les
premiers pas socialement et politiquement
bousculés du nouveau siècle.
Cet esprit de serviteurs d’une cause plus grande
que soi anime de nombreux créateurs qui atten‐
dent le soutien de l’institution pour accompa‐
gner l’émergence d’œuvres nouvelles,
encourager leurs projets et faciliter la rencontre
des publics avec les arts du sensible.
S’ils sont porteurs d’espoirs, fabriquant d’utopies
joyeuses ou tragiques, poètes inspirant le
désirable autant que les fictions gratuites,
beaucoup d’artistes exposent les élans, les envies
de changement en révélant sur la scène les
fractures du temps, les tragédies de l’intime
comme les déchirures des peuples. Autant de
marques facilement décelables dans notre
quotidien, traversé de conflits, de violences, de
révoltes ou d’espérances, symptômes d’une
époque en quête de nouvelles perspectives.
Avec une grande variété d’approches, cette nou‐
velle saison illustre cette complexité aux accents
politiques, poétiques, écologiques, sociaux….
Des artistes essentiels s’en emparent pour ques‐
tionner notamment la démocratie : pour la
deuxième année en partenariat avec les Aman‐
diers de Nanterre dans Ça ira (1) Fin de Louis de
Joël Pommerat, avec 81 avenue Victor Hugo
d’Olivier Coulon‐Jablonka et les migrants en
acteurs amateurs, chez Les gens de Séoul 1909
et 1919 dans l’observation entomologiste des
peuples d’Orient, ou bien, éclairé par Brigitte
Jaques Wajeman, l’expression chez Polyeucte du
fanatisme, décidément de toutes les époques.
En partenariat avec les réseaux théâtraux,
chorégraphiques et musicaux les plus
dynamiques d’Ile‐de‐France, et en s’appuyant
sur des talents prestigieux issus des cinq conti‐
nents, dont Thomas Ostermeier, Lucinda Childs,
Yan Garbarek…excusez du peu !…, les engage‐
ments de L’apostrophe se poursuivent sur son
territoire de rayonnement local et départemen‐
tal pour que se développe la culture, ce moyen
raffiné de comprendre et d’exercer la vie selon
Antonin Artaud.
Tous les rendez‐vous de ce programme rappro‐
chent l’art vivant, la connaissance, la culture,
l’émotion, des populations de tous âges et de
toutes conditions réunis dans les salles de
spectacles et dans les innombrables terrains
d’expression de l’action culturelle auprès de nos
multiples relais.
L’immatériel, qui est la substance de ces
échanges, confère ainsi un sens profond et une
épaisseur singulière aux aventures qui font hu‐
manité.
En phase avec la complexité de ses expressions
et de ses missions, le théâtre vivant, au cœur
de la cité, confirme dès lors qu’il n’est pas une
décoration de la société mais son miroir gros‐
sissant mieux… sa conscience.*
Jean Joël Le Chapelain
directeur
*d’après Vladimir Maïakovski