Tenir le pas gagné
Colette Soler — Aucun legs. Lacan a laissé son enseignement. L'analysant n'hérite pas quelque chose de son
analyste. J'ai écrit contre l'idée de legs. Poser la question du legs, c'est au fond poser la question de ce qui se
transmet. Comment la psychanalyse se transmet et est-ce qu'entre l'analyste et l'analysant il y a un effet de
transmission. Une hérédité symbolique. Je ne pense pas que l'analysant hérite de son analyste. Il « subit » les effets
de son analyse même si on contribue à les produire. C'est pourquoi le mot « subir » n'est peut-être pas le plus juste.
C'est l'analysant qui travaille. L'analysant profite des effets que son propre travail a produit mais pas sans
intervention de son analyste. Dans le monde de l'analyste, quand on observe chez l'analysant des traits propres à
l'analyste, on prend cela pour un effet de limitation de la psychanalyse. Je suis réservée sur le terme de
legs. L'analyse se perpétue, elle ne se transmet pas. L'analyse se perpétue dans ce
dispositif : parole-association-interprétation. Il y a des effets qui ne se produisent pas automatiquement, mais des
effets sur lesquels l'analyste lui-même est sans prise, c'est ce que disait Lacan. Puissance donc du dispositif freudien
pour ce qui est de produire des effets analytiques.
V. V.— Lacan disait que la vérité est comme la femme : imbaisable. Comment s'y prendre avec la vérité ?
Colette Soler — Pas de réponse générabe. Comment s'y prendre ? on y reviendra. La vérité, chaque sujet a la
sienne, a sa propre vérité. Il y a deux strates de la question. Pour l'analyste : comment faire dire la vérité ? Comment
obtenir que le sujet n'en dise pas que les prémisses, ce qu'il sait d'avance mais énonce au contraire ce qu'il n'en sait
pas ; ce qu'il ne sait pas de lui-même. Cela il y a un savoir-faire qui n'est pas le même chez tous les analystes. Et
qu'est-ce que l'on sait sur la vérité elle-même à partir de l'expérience analytique. Avec la vérité, il n'y a qu'un
seul rapport sûr c'est la castration. Parce que, au fond, la vérité on peut la dire, mais pas toute ; Juste à moitié. Donc
elle reste toujours en manque, de son autre moitié. C'est une expérience que tous les analystes font. On élucide, on
fait des découvertes. mais c'est jamais complet. Il n'y a de vérité que dans la parole. C'est toujours la phrase de
Lacan : je dis toujours la vérité : pas toute [...] les mots y manquent [1]. Il y a du réel pour lesquels il n'y a pas de
mots. Le sujet a bien l'idée de ce qui le motive. Il peut faire récit de ce dont il souffre. L'analyste le pousse à
s'apercevoir qu'il ne sait pas tout de lui-même et que l'on ne sait même pas ce que l'on dit.
V. V.— Définiriez-vous la cure tel un art de pouvoir savoir ne pas faillir face aux failles du réel ? Ou sinon comment
?
C. S.— L'expression « failles du réel » ne me dit rien. Le réel n'a pas de failles. Reformulez la question.
V. V.— Y a-t-il une lutte qui vous incombe particulièrement en tant que praticienne et théoricienne ?
C. S.— Oui il y a une lutte à l'intérieur. Il y en a une, je ne sais pas si je l'appellerai lutte mais une préoccupation, un
souci. Je constate que dans le monde analytique, dans ce qu'on dit de la psychanalyse, dans ce qu'on dit d'un récit
de cas, il est extrêmement difficile de ne pas faire intervenir des jugements qui ne relèvent pas de préjugés,
c'est-à-dire de normes. Dans un contrôle, quand le patient vous dit une chose soi-disant « bizarre ». Or la chose
bizarre ne l'est pas en elle-même. Elle l'est par rapport à l'écoute. C'est la phrase de Lacan : « L'éthique de la
psychanalyse ne se mesure pas en fonction des normes du discours commun ». Il a défini l'éthique comme une
position à l'égard du Réel. « L'acte analytique ne saurait tremper dans les normes. » [2]. C'est le contraire de la
morale où il s'agit de respecter un certain nombre de valeurs (de semblants) produits par le discours. Il y avait déjà
cette idée chez Freud, quand il parle de neutralité bienveillante. Accueillir ce qui se présente. Prendre chaque cas
comme le premier. On ne mesure pas la parole de l'analysant ni aux normes théoriques ni aux normes du discours
commun, de la normalité commune. Cela pose le problème de l'interprétation. D'une interprétation qui ne soit pas
suggestion.
V. V.— Lacan disait : il faut savoir « relever le gant pour le langage » [3]. Cette phrase fait-elle écho pour vous et de
quelle manière ?
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