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© Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration du Vernet d’Ariège
Dans ces conditions, les travailleurs se durcissaient, quand ils ne se laissaient pas
« acheter ». Ceux qui entraient dans les Sections d’Assaut recevaient des organisations
nazies un uniforme, deux ou trois marks par jour et deux repas chauds. Les célibataires
bénéficiaient en outre d’un gîte à la caserne. Il fallait évidemment avoir le caractère bien
trempé pour résister à l’embrigadement dans les Sections d’Assaut, qui devinrent bientôt
une véritable armée privée, entretenue par le grand capital.
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Parmi les Allemands qui refusèrent la servitude, beaucoup s’exilèrent, en
Amérique, en Angleterre, en Suisse et en France. C’est ainsi que mon ami, Markus
Fendel, un catholique, partit pour Sao Paulo, en compagnie de ses cousins, étudiants de
Sinzig. En septembre 1932, je fis venir chez moi, dans les Pyrénées Orientales, deux
chômeurs de Solingen, Karl Kirschenmann et Alfred Löhmer, qui s’embauchèrent comme
vendangeurs pour gagner quelque argent. Ils repartirent à bicyclette et passèrent par
l’Autriche pour y échanger deux mille shillings autrichiens que je leur avais donnés. De
cette somme, dont je ne pouvais rien faire puisque cette monnaie n’était acceptée qu’en
Autriche, ils m’envoyèrent l’équivalent exact en monnaie française, geste significatif que
je ne suis pas près d’oublier. Retournés chez eux Karl et Alfred militèrent de nouveau
dans la clandestinité, puis quittèrent la Rhénanie. D’exil en exil, ils se retrouvèrent en
Autriche au moment de la Libération, après maintes aventures qu’il serait trop long de
rapporter ici. Le plus heureux de mes amis de Solingen fut Ulrich Wohlbold, qui ne cessa
de participer à la résistance de gauche et ne fut jamais arrêté. Beaucoup d’autres m’ont
laissé sans nouvelles : ils sont morts lentement dans un camp de concentration, à moins
qu’ils n’aient été fusillés ou décapités. J’ai été partiellement informé de leurs malheurs
par Alfred Löhmer qui, avec sa modestie coutumière, me disait dans une de ses lettres :
« Ma contribution à la lutte contre le fascisme n’a pas été supérieure à celle de centaines
de milliers d’honnêtes gens, qui ont combattu dans le monde entier ».
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