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© Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration du Vernet dAriège
BRUNO FREI
LES HOMMES DU VERNET
TRADUCTION DE GEORGES DIMON
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DU TRADUCTEUR AU LECTEUR.
Mon but n’est pas d’alourdir ce livre par des commentaires destinés à souligner le
talent de l’auteur. Si je n’ai pas été trop inférieur à ma tâche, chaque lecteur peut
apprécier par ses propres moyens le caractère dramatique d’un récit, qui, jusqu’à la fin,
nous tient en haleine ; le réalisme et l’impartialité d’une chronique des années noires ; la
finesse de l’observation psychologique ou sociologique, la verve et l’humour d’un
reportage de haute qualité.
En dehors de tout esprit partisan et d’après l’expérience que j’ai vécue d’octobre
1930 à juillet 1931 à Traiskirchen (Autriche) et de septembre 1931 à juillet 1932 à
Bonn, je me bornerai à illustrer ce passage de Bruno Frei au sujet des hommes du
Vernet : « Beaucoup d’entre eux avaient défendu la liberté de l’Espagne dans les brigades
internationales, animés par la conviction qu’ils combattaient en même temps pour la
liberté de leur propre patrie. Parmi eux il y avait beaucoup d’Allemands qui avaient
quitter leur pays lorsqu’Hitler menaça du pénitencier et de la hache du bourreau les
meilleurs fils du peuple allemand. »
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Depuis 1929, la crise était mondiale, mais elle sévissait en Allemagne avec une
particulière rigueur. Six millions de chômeurs formaient une redoutable armée de
mécontents, auxquels s’ajoutait un septième million de chômeurs partiels.
À la veille de l’avènement d’Adolf Hitler, j’eus l’occasion de fréquenter à Sinzig et à
Cologne les catholiques, à Düsseldorf les socialistes, à Solingen et à Remscheid les
communistes et les syndicalistes. Je pus aussi passer de longs moments auprès des
ouvriers de la vallée de la Wupper et me rendre compte de l’immense courage qui
animait le monde des travailleurs. Les salaires ne cessaient de diminuer. Le minimum
vital était à peine assuré. Pendant trois mois, les chômeurs percevaient une allocation
qui représentait environ la moitié de leur dernier salaire, entre quinze et vingt marks par
semaine. Pour les trois mois suivants, ce n’était plus qu’un quart du salaire. Ensuite, tout
se réduisait à l’allocation de l’Assistance publique : un mark par jour.
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Dans ces conditions, les travailleurs se durcissaient, quand ils ne se laissaient pas
« acheter ». Ceux qui entraient dans les Sections d’Assaut recevaient des organisations
nazies un uniforme, deux ou trois marks par jour et deux repas chauds. Les célibataires
bénéficiaient en outre d’un gîte à la caserne. Il fallait évidemment avoir le caractère bien
trempé pour résister à l’embrigadement dans les Sections d’Assaut, qui devinrent bientôt
une véritable armée privée, entretenue par le grand capital.
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Parmi les Allemands qui refusèrent la servitude, beaucoup s’exilèrent, en
Amérique, en Angleterre, en Suisse et en France. C’est ainsi que mon ami, Markus
Fendel, un catholique, partit pour Sao Paulo, en compagnie de ses cousins, étudiants de
Sinzig. En septembre 1932, je fis venir chez moi, dans les Pyrénées Orientales, deux
chômeurs de Solingen, Karl Kirschenmann et Alfred Löhmer, qui s’embauchèrent comme
vendangeurs pour gagner quelque argent. Ils repartirent à bicyclette et passèrent par
l’Autriche pour y échanger deux mille shillings autrichiens que je leur avais donnés. De
cette somme, dont je ne pouvais rien faire puisque cette monnaie n’était acceptée qu’en
Autriche, ils m’envoyèrent l’équivalent exact en monnaie française, geste significatif que
je ne suis pas près d’oublier. Retournés chez eux Karl et Alfred militèrent de nouveau
dans la clandestinité, puis quittèrent la Rhénanie. D’exil en exil, ils se retrouvèrent en
Autriche au moment de la Libération, après maintes aventures qu’il serait trop long de
rapporter ici. Le plus heureux de mes amis de Solingen fut Ulrich Wohlbold, qui ne cessa
de participer à la résistance de gauche et ne fut jamais arrêté. Beaucoup d’autres m’ont
laissé sans nouvelles : ils sont morts lentement dans un camp de concentration, à moins
qu’ils n’aient été fusillés ou décapités. J’ai été partiellement informé de leurs malheurs
par Alfred Löhmer qui, avec sa modestie coutumière, me disait dans une de ses lettres :
« Ma contribution à la lutte contre le fascisme n’a pas été supérieure à celle de centaines
de milliers d’honnêtes gens, qui ont combattu dans le monde entier ».
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Si le nazisme a longuement, trop longuement triomphé en Europe et ailleurs, c’est
pour des raisons diverses qu’il n’est pas question d’analyser ici. La faiblesse des
gouvernements français y fut certainement pour quelque chose. Une brève récapitulation
des faits essentiels pourrait suffire à le montrer.
La victoire du Front Populaire est acquise en 1936 sur les troupes du sinistre
Laval, mais bientôt Léon Blum, solidaire de l’Angleterre, décrète la « non-intervention »
dans les affaires d’Espagne. Cette mesure unilatérale facilite grandement la rébellion des
Phalangistes, soutenus sans vergogne par l’Italie, le Portugal et les nazis de la Légion
Condor. Les quelques soixante mille hommes des Brigades Internationales sont loin de
suffire à rétablir l’équilibre entre le camp de la République espagnole et celui des
factieux.
Plus nombreux que nos élus radicaux, nos élus socialistes de 1936 restent
affaiblis depuis 1933 par la scission « néo-socialiste » de Marcel Déat, Marquet,
Renaudel et bien d’autres. Depuis 1934, toute la gauche souffre aussi de la trahison du
néo-nazi Doriot, qui bientôt fonde à Saint-Denis le Parti Populaire Français (Juin 1936).
Léon Blum, se souvenant sans doute des prouesses verbales de son camarade
Vincent Auriol : « Les banques, je les ferme ; les banquiers je les enferme » demande les
pleins pouvoirs financiers. Les radicaux du Sénat les lui refusent et il donne sa démission
(Juin 1937).
Bientôt l’Autriche est absorbée par le Reich. Ce « rattachement » est resté célèbre
sous son nom allemand, l’« Anschluss » (13 Mars 1938).
À l’impuissant Blum a succédé l’impuissant Daladier, otage de Neville
Chamberlain et de la finance internationale. C’est la conférence de Munich (Novembre
1938). La Tchécoslovaquie doit céder au Reich le territoire des Sudètes. Malgré son tout
récent « bellicisme », Blum accepte cette capitulation avec un « lâche soulagement »,
tandis que les « munichois » tels que le socialiste Paul Faure, collaborent plus ou moins
consciemment au triomphe hitlérien.
La belle rhétorique de la gauche est restée lettre morte. Le Front Populaire a
irrémédiablement échoué devant « le mur d’argent » auquel s’est vainement heurté
Daladier, « le taureau de Camargue aux cornes gélatineuses », selon le mot d’Henri
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Jeanson. Comme dit Jean Lacouture, le socialisme n’aura connu en France qu’un « bref
été ».
Écrasée au début de 1939, la Catalogne se vide de ses combattants républicains,
dont la plupart n’ont pas cependant perdu tout espoir de continuer la lutte pour libérer
l’Espagne et l’Europe. C’est le moment que nous choisissons pour reconnaître le
gouvernement du Général Franco. Le franquisme est en effet reconnu par l’Angleterre et
la France le 27 Février 1939, puis par les États-Unis le 1er Avril 1939. C’est sur ces
entrefaites que l’ex-socialiste et néo-hitlérien Marcel Déat publie dans L’Œuvre l’article
fameux où il se demande s’il vaut la peine de « Mourir pour Dantzig » (4 Mai 1939).
Pendant ce temps, les antifranquistes sont emprisonnés aux camps dArgelès, de
Saint-Cyprien, de Gurs et du Vernet pour y subir les mille vexations qu’a si bien relatées
Bruno Frei.
« Ce que j’ai vu en Espagne, dit alors Bernanos, m’a don un avant-goût très
précis de ce qui se passera sous peu ici ». On ne pouvait mieux dire. Et pourtant cette
sombre prédiction n’empêche pas Guéhenno de plaider, dans Europe Nouvelle, pour le
« pacifisme intégral », ni Herriot d’évoquer le calvaire de la Pologne devant le public
distingué de l’Université des Annales. L’an quarante s’ouvre en vérité sous de bien
mauvais auspices.
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Je souhaite, ami lecteur, que tu revives par la pensée l’inégale épopée de notre
Front Populaire et l’odyssée des antifranquistes d’Espagne, tels que les a vus leur
camarade Carrasco dans son Album-souvenir de l’exil républicain espagnol en France,
1939-1945 : La odisea de los republicanos españoles en Francia.
Alléguant les dangers de la « cinquième colonne », dont les membres s’étaient
depuis longtemps déjà mis en place dans tous les rouages de nos administrations, ceux
qui nous gouvernaient emprisonnèrent les résistants pour quils fussent ensuite plus
facilement livrés à logre nazi.
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