Gilles Fournel par Nicole et Georges Drano GILLES FOURNEL Coeur et Conscience «Le verbe est le plus court chemin de ton cœur à ta conscience» (Gilles Fournel) Voici ce qu'écrivait Gilles Fournel en septembre 1979, 2 ans avant sa disparition (1981): « Poète de Bretagne, né à Redon, entre landes et marais, je suis de ceux qui assignent à la poésie une fonction ambitieuse :être moyen de connaissance. Comprendre me semble la seule justification de l'écriture. Quitte à se taire si le sphinx ne répond pas. Et d'abord comprendre le poème, ce besoin, ce désir, cet acte qui se satisfait si souvent de son essence. Combien de brouillons, d'inachevé, d'inutile même lorsqu'un éditeur met en pages et socialise ce qui n'était qu'ébauche! D'où cet espacement dans la publication d'une dizaine de recueils. Des six premiers, je ne retiens aujourd'hui que quelques pages ...C'est avec la «NUIT BLANCHE» qu'il me semble percevoir un terrain plus fertile. J'interrogeais alors mes «racines» --qui m'a fait poète?--et ce temps indocile, vécu certes, mais qui m'échappe -LA 99e AUBERGE- et -L'ANALYSE DES MOTS-*prolongent cette enquête» Gilles Fournel était toujours en mouvement. Il ne s'attardait pas. Il accourait sans cesse vers de nouveaux projets. Il avançait ainsi en se montrant et en se cachant à la fois, mais toujours à l'écoute des voix différentes et des sons neufs. Disponible malgré les mouvements agités de la vie pour accrocher puis retenir et transmettre les paroles et les images nouvelles. Hors de la poésie il n'est pas un domaine artistique où Gilles n'ait à un moment ou un autre tenté l'aventure de l'expression. C'est ainsi qu'il a composé des chansons, peint des toiles, écrit des pièces de théâtre, fait des reportages photographiques, réalisé des montages audio-visuels et des films. Rien n'est fini. Tout est à faire, à créer. Comme si la vie était en avance. Comme s'il fallait s'entourer pour échapper à la solitude humaine. "Je suis très loin de vous/ à la quatre- vingt- dix- neuvième auberge près du lac où se reflète l'absence/ beau visage aux yeux limpides/ Je suis à la porte du silence/ guettant la colère des carriers/la voix blanche des condamnés/...Je n'irai pas plus loin/ Au-delà règne la mort/Je la connais/Je ne saurai pas lui parler"* La Bretagne est présente dans toute l'œuvre de Gilles Fournel, par ses éléments, ses affleurements, ses mots dans toutes les formes d'expressions qu'il a choisies elle a droit de cité : les poèmes" La 99e Auberge" et Enez Eussa", les émissions de radio" Bretagne est poésie", le cinéma "Au château d'Argol, les montages audio-visuels "Brocéliande", les chansons "la révolte des Bonnets rouges", les essais "le théâtre en Bretagne" et la revue "Sources" n'était-elle pas elle-même un appel vers le retour aux sources? Gille Fournel poète celte? Les deux mots clés de la poésie et des recherches de Gilles : cœur et conscience. Conscience de soi, des autres, prise de conscience du monde réel, social et politique qui nous entoure. En novembre 1951 Gilles Fournel créait la revue Sources avec un préambule "Repartir des sources" avec cette revue de la jeune poésie. Mise à l'épreuve du poète, confrontation du verbe et du vécu il dénonce les crimes et les massacres d'une époque trouble et troublée, dénonciations et cris de révoltes replacés dans le plan historique: Espagne, Aurès, Hiroshima, nazisme...et resitués dans le temps du poème: "côtés sud de la mort/ où le miel boit le sel / le massacre dure encore/ des mains montent le long des cous/ côté sud de la mort/ la belle gorge noircit/ le sable de la terre, ou de la mer, / prendra la place de l'air/ côté sud de la mort"* Dans sa hâte d'entreprendre Gilles Fournel n'oubliait pas d'appeler ses amis. Convoqués souvent dans l'urgence ceux-ci, comédiens et poètes étaient associés à un grand nombre de réalisations: émissions de radio, livres vivants ou récitals de poésie. Nous montions sur la moto après le travail pour rejoindre les lieux où se passaient les réunions de travail et les répétitions qui se déroulaient dans la ferveur des discussions. Les rencontres se passaient dans les maisons d'école de Boisgervilly chez Gilles et Lucette; ou à Assérac chez nous où nous avions pris l'habitude de nous réunir tous les ans à la Toussaint avec d'autres amis peintres, dessinateurs, photographes...Gilles affairé au magnétophone, consultant un planning indéchiffrable pour nous tenait les fils, donnait le signal du départ et nous lâchions les mots et parfois les mots nous lâchaient; "Non non, on recommence, attention musique..." Fous rire incontrôlables parfois mais nous recommencions, nous recommencions jusqu'à ce que le poème passe par nous. "il faut vivre pour demain/ pour la moisson trop tôt meurtrie/vivre et mourir ont même sens/ dans la forêt trouée/les fauves ont la démarche/des bouchers de Chicago"* Nous avions 6 ans de moins que Gilles, nous nous sommes rencontrés très jeunes, (19, 20 ans) Gilles considérait Georges comme son jeune frère (ils étaient nés tous deux à Redon) , il était très cultivé, très doux et gentil avec Nicole qui l'écoutait avec ferveur parler de Julien Gracq, des surréalistes, Tristan Tzara, René Guy Cadou, Miguel Hernandes et tant d'autres. Gilles pouvait être railleur, passionné et sûr de lui. Puis il retrouvait son calme avec cette amitié qu'il communiquait affectueusement. Dans tous les lieux où nous habitâmes, nous nous retrouvâmes: Drefféac, Assérac, Arboras, Bénalmadéna, Gilles et sa famille venaient nous rejoindre, c'était de poésie et d'amitié. La poésie de Gilles Fournel lui appartient encore entièrement, elle n'a pas pris ses distances avec lui -même elle s'est au contraire recentrée sur lui, elle l'entoure et masque son absence nous y cherchons les traces d'une vie." La 99e Auberge " et "L'Analyse des Mots" publiés à 3 ans d'intervalle présentent les deux versants de sa poésie "lyrisme et matérialisme". Une volonté d'assumer une poésie et une vie engagée dans un combat politique ne relevait pas chez Gilles d'une attitude et ne sacrifiait à aucune mode. Toute poésie est-elle engagée? Combien de débats de discussions ont suscité entre nous ces questions! "L'aventure coup de poing dans les filets/ l'aventure les insectes, les oiseaux /tu te cherches par le biais des arbres/ Le jeu des doigts dans le limon et une fois/ peutêtre deux/ la pépite crépitante de beauté/ hors de sa gangue, le diamant vertigineux de la liberté"* *"La 99e auberge ","L'analyse des mots"(éditions Rougerie) Nicole Drano Stamberg - Georges Drano