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nous sommes et de ce que nous faisons. 
Et ne jamais cesser de nous critiquer. …
Il faut défendre la nécessité de la critique 
en tant que nécessité pour la survie de la 
révolution. » 
 
Les deux films qui ont provoqué le plus 
de  défiance  quant  à  la  fermeté  de  son 
engagement  révolutionnaire  sont  sans 
doute  Memorias  del  Subdesarrollo 
(1968)  et  Fresa y Chocolate (1993).  Il 
défend, surtout dans Fresa y Chocolate, 
le droit pour chaque individu à exprimer 
ce  qu’il  est  et  à  avoir,  comme  tout  un 
chacun,  sa  place  au  soleil,  quels  que 
soient ses particularismes. 
 
Que fait-il d’autre que ce que faisait, en 
1964, Nicolás Guillén, par exemple, dans 
son poème «  Tengo » : revendiquer  le 
droit à vivre ce que l’on est dans la liber-
té  retrouvée, grâce  à  la  révolution  cas-
triste de 1959. 
 
Qui songerait à soupçonner de quoi que 
ce soit Nicolás Guillén? 
 
Le moyen d’expression est différent mais 
le  propos  lui,  l’est-il  ?  Célébration  des 
bienfaits  de  la  révolution  pour  Guillén, 
réflexion sur  la  révolution pour  que du-
rent ses bienfaits et qu’elle n’aille pas se 
heurter  aux  écueils  qui  pourraient  faire 
chavirer le navire pour Alea. Même atta-
chement à ce qui a été conquis. 
 
Dans  l’autocritique  il  se  montrait  tout 
aussi  radical,  considérant  sans  doute 
que, ne mettant en cause que lui-même 
il avait les coudées franches. Un exem-
ple,  à  propos  de  son  film  Cumbite, 
(1964 - adaptation d’un roman haïtien) : 
«  J’ai  de  la  difficulté  à  revoir  Cumbite 
jusqu’au bout. Je ne parviens à regarder 
que quelques passages… C’est un film 
qui n’est pas abouti, je n’y retrouve pas 
une  expression  personnelle  ».  Point  /
barre, on passe à autre chose. 
 
D’autres choses, il y en aura beaucoup, 
parmi  lesquelles  on  peut  rappeler  les 
films qui ont rencontré une audience in-
ternationale plus particulièrement large. 
 
En 1966, La Mort d’un Bureaucrate que 
lui-même a qualifié de « comédie ». 
 
Puis,  en  1968,  Mémoires  du  Sous-
développement, où  le  ton change tota-
lement.  Un  homme,  Sergio,  refuse  de 
suivre sa famille qui fuit la révolution et 
s’exile, va, sans parvenir à s’intégrer à la 
société telle qu’elle évolue autour de lui, 
en faire une observation critique, du haut 
il est vrai, de la tour d’ivoire dans laquelle 
il s’est enfermé en solitaire. 
 
Ce fut sans doute, au niveau internatio-
nal, son premier grand succès marquant. 
 
La última cena, en 1976,  peut,  du point 
de vue du genre, être classé historique 
puisque le film s’inspire d’un épisode réel 
du temps de l’esclavage. En ayant toute-
fois  présent  à  l’esprit  que  l’abolition  de 
l’esclavage  à  Cuba  ne  remonte  qu’à 
1880, un peu moins d’un siècle. Fonda-
mentalement le film s’attaque à des pro-
blèmes de société intemporels : par delà 
le  questionnement  sur  l’utilisation  de  la 
religion  pour  «  …soumettre  une  classe 
sociale  et  de  toutes  façons  mettre  un 
frein au développement de la société… » 
c’est  l’hypocrisie  des  puissants  prêts  à 
tout et n’importe quoi pour garder leurs 
privilèges qui est dénoncée. 
 
Suivirent  des  réalisations  plus  légères. 
En  1978  Les Survivants,  aventures  et 
mésaventures  d’une  famille  bourgeoise, 
recluse  dans  sa  propriété,  pour ne pas 
être atteinte par le virus de la révolution. 
En  1987,  Lettres du Parc,  une  histoire 
d’amour inspirée d’une nouvelle de Gar-
cía Márquez. 
 
En 1993, Fresa y Chocolate, dont on a 
déjà évoqué le retentissement internatio-
nal  et  qui  incite  à  une  réflexion  sur  la 
différence, illustrée, ici, par l’homosexua-
lité et la violence du rejet et de la répres-
sion  qu’elle provoque,  dans  le  contexte 
cubain. 
 
Puis,  enfin,  le  dernier  mot  de  Titón, 
Guantanamera,  qui,  entre  rires  et  lar-
mes, revient au  thème  de la Mort d’un 
Bureaucrate. 
 
En  définitive,  c’est  peut-être  cela  qui 
pourrait définir le cinéma de Tomás Gu-
tiérrez Alea, le rire grave. Ce qu’il sou-
haitait c’était tout à la fois offrir aux spec-
tateurs  un  divertissement  qui  en  même 
temps  et  par le  rire «  …serve  à  mieux 
comprendre le monde, à mieux compren-
dre la  réalité et à aider  le spectateur  à 
avancer dans cette direction. » 
 Annie Damidot 
 
Note : Les citations de Tomás Gutiérrez 
Alea sont extraites de l’ouvrage de  J.A 
Evora « Tomás Gutiérrez Alea » et tra-
duites.  
 
TitÓn, 
de la habana a guantanamera 
Film inédit 
Lundi 16 à 18h30 au Zola 
 
 
La mort d’un bureaucrate 
Lundi 16 à 20h45 au Zola 
+ présentation du film par Alain Liatard 
Mercredi 18 à 14h au Zola 
Page 2 
Reflets du Cinéma Ibérique et Latino-américain 
www.lesreflets-cinema.com 
Sal
 
La Mort 
d’un Bureaucrate 
 
Il s’agit d’une comédie satirique qui met en 
scène les faits et méfaits de la bureaucratie. 
Un ouvrier modèle a été enterré, sur sa de-
mande, avec ses documents de travailleur, 
mais sa veuve, pour toucher sa retraite, doit 
présenter ces documents à l’administration. 
Donc  il faut  les  récupérer.  Oui,  mais com-
ment ? On ne visite pas les tombes impuné-
ment ! 
 
Le film part, en fait, de l’expérience person-
nelle de Tomás Gutiérrez Alea suite à ses 
démêlés  avec  des  administrations  diverses 
et variées. « Vint un moment où je me suis 
senti si accablé que le désir m’est venu de 
me faire la peau à un bureaucrate » 
 
On ne peut pas être plus clair ! 
 
D’ailleurs  il  qualifie  lui-même  son  film  de 
« psychothérapie ». 
 
La mort n’est ici choisie qu’en tant que situa-
tion  extrême.  Les  problèmes,  quels  qu’ils 
soient, même bassement matériels, ne peu-
vent désormais pas être remis à plus tard. Il 
faut les affronter, si absurdes soient-ils. 
 
C’est ainsi que l’on entre dans des dédales 
kafkaïens que Tomás Gutiérrez Alea a choisi 
de  traiter  à  la  Laurel  et  Hardy,  selon  ses 
propres dires, en accumulant des situations 
« dans lesquelles tout se déchaîne à partir 
d’un conflit insignifiant qui prend des propor-
tions progressivement. » 
 
Mais en aucun cas le ridicule des situations 
n’a pour unique bût le rire et l’amusement du 
spectateur.  «  Le  réalisateur  assume  une 
façon de raconter proprement comique pour 
aborder un sujet qui dans la vie quotidienne 
est exaspérant (et pas seulement dans une 
situation limite représentée par la mort), ceci 
dans  l’espoir  de  rendre  l’absurde  plus  évi-
dent  encore  en  le  ridiculisant  et  que  par 
conséquent  le  spectateur  sorte  du  cinéma 
décidé à le bannir. » 
 
Lorsque Titon va reprendre le thème du film 
dans  Guantanamera  il  ne  parle  plus  de 
« psychothérapie » mais affirme avoir fait un 
« documentaire ». En effet Cuba vit le triste-
ment célèbre « periodo especial », l’île man-
que  de  tout  et  en  particulier  de  carburant. 
Pour ramener un cercueil de Guantanamo à 
La Havane il va falloir se plier au système 
mis  en  place  par  un  zélé  bureaucrate  et 
changer  de  voiture  corbillard  en  même 
temps que l’on passe d’une province à l’au-
tre. En prime, évidemment, toutes les situa-
tions de manques vécues à Cuba font partie 
du voyage et sont évoquées. 
 
Tout ceci est parfaitement en accord avec ce 
que remarque José Antonio Evora « Le ciné-
ma de Tomás Gutiérrez Alea est davantage 
un  cinéma  de  synthèse  et  de  dévoilement 
que de fiction. », formule qui rend compte à 
merveille de ce que sont Mort d’un Bureau-
crate et Guantanamera. 
 
 Annie Damidot