nouvelle dimension. La construction européenne donne à Charlemagne une stature
patrimoniale nouvelle. De même, la question de la rencontre des cultures juive,
chrétienne et musulmane a soudainement valorisé des érudits, autrefois mécon-
nus comme Avicenne ou Averroès, et entraîne au début du XXIesiècle de vifs
débats sur leur rôle historique.
Comment le mythe du personnage patrimonial est-il entretenu ?
Comme pour tout autre élément du patrimoine, un travail de conservation et de
médiatisation est mis en œuvre par ceux qui veulent éviter que leur personnage
patrimonial perde son efficience. Les collectivités, épaulées par des associations,
agissent et parfois même interpellent l’institution scolaire pour que sa mémoire
soit transmise aux nouvelles générations.
La première démarche consiste souvent dans la pose d’une plaque commémo-
rative, la plupart du temps sur la maison natale. Quand l’hommage s’inscrit sur
les murs de l’hôtel de ville ou de la préfecture, on passe à un autre degré de
reconnaissance car c’est alors la République qui consacre le personnage. Les
inaugurations de monuments, organisées dans l’espace public, donnent lieu à
de véritables cérémonies civiques qui présentent l’avantage médiatique de pouvoir
être renouvelées à chaque anniversaire, chaque fête locale ou nationale. Pour
peu que l’on se trouve en situation de compétition entre institutions, entre asso-
ciations, entre collectivités locales, c’est alors l’escalade des commémorations.
Colloques, expositions, éditions de livres ou encore mises en circulation d’un
timbre-poste à l’effigie du personnage patrimonial sont autant d’occasions d’en
réactiver la mémoire. Il en va de même pour le baptême d’une rue, d’un établis-
sement scolaire, d’une médiathèque. L’hommage aux héros valorise même les
candidatures électorales dont il devient un passage obligé, concourant ainsi au
maintien de sa dimension patrimoniale
Pour en savoir plus
•Samuel BASTIDE,
Les Prisonnières de la tour de Constance
, Éd. Augur, Vienne-Sur-Lausanne,
Suisse/Aux Imprimeurs Réunis, Valence (Drôme), 1957.
•André CHAMSON,
La Tour de Constance
, Éd. J’ai Lu, 2000.
le massif de la Gardanne. Parfois l’image du personnage est pleinement exploi-
tée, comme à Morières-Lès-Avignon, patrie d’Agricol Perdiguier, rénovateur du
compagnonnage ou bien encore au Moulin de Fontvieille où l’effigie de Daudet
figure jusque dans la toponymie locale, les dépliants touristiques, les objets souve-
nirs et la gastronomie régionale.
Le pouvoir politique a beaucoup contribué à la fabrication de personnages patri-
moniaux avec des objectifs plus ou moins clairement affichés.Vercingétorix a pu
ainsi être réinventé sous le Second Empire quand il fallait trouver un héros capa-
ble d’incarner la force, la résistance, les qualités guerrières et le courage du peuple
français. Parées de la tête de Napoléon III, les statues du chef des Arvernes devien-
nent le symbole de la capacité de la France à affronter ses ennemis. Ce person-
nage patrimonial, associé à la redécouverte des racines celtes et gauloises qu’il
convenait de valoriser, avait pour fonction d’exalter un nationalisme en construction.
D’une manière symétrique, l’Allemagne naissante inventait alors en Hermann,
le résistant germanique à la menace envahissante de la latinité. L’Arminius du
récit de Tacite n’avait évidemment pas cette dimension au Ier siècle de notre ère.
Mais, vainqueur des légions de Varus, il était porté au pinacle patrimonial par le
nationalisme germanique du XIXesiècle et sa statue érigée en 1875 (le
Hermandeksmal) dans le Teutoburger Wald, a plus de 80 kilomètres du lieu réel
de la bataille, alors ignoré.
L’école de la IIIeRépublique choisissait alors les personnages qu’elle souhaitait
magnifier pour les mêmes raisons parmi la galerie de portraits historiques
disponibles et sur des critères qui paraissent aujourd’hui contestables. Le rôle
de Jeanne d’Arc dans la construction de l’État français fut-il plus essentiel que
celui de Louis XI ? Jeanne Hachette, figure emblématique de la ville de Beauvais
et célébrée pour avoir résisté au traitreux duc de Bourgogne pendant la guerre
de Cent Ans, a été contestée dans son rôle et même dans son existence. Son
action et son engagement contre le pouvoir bourguignon, et non contre l’Anglais
étranger, ne permettaient pas d’en faire une héroïne complète de la résistance
nationale. Elle fut alors éclipsée par Jeanne d’Arc et fut en quelque sorte victime
d’une dépatrimonialisation qui la vit même disparaître des manuels scolaires.
Aujourd’hui, elle n’est plus guère célébrée qu’à Beauvais dans le cadre de fêtes
médiévales locales.
De la même façon est né le mythe de Jules Ferry, père de l’école publique, laïque,
gratuite et obligatoire, dont le rôle éminent dans la politique coloniale de la
IIIeRépublique, beaucoup moins consensuel, a été parallèlement minimisé. Mais
aujourd’hui encore et en période de doute sur l’institution scolaire, l’école
mythique qu’il incarne est parfois présentée comme le modèle d’un âge d’or révolu.
Enfin, l’évolution du contexte contemporain peut conférer à un personnage une
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Penser le patrimoine
Pourquoi un personnage devient-il patrimonial ? 8