POÈTES
ET ROMANCIERS MODERNES
DE LA FRANCE
IX
ALEXANDRE DUMAS
Nous sommes déjà loin de ces discussions littéraires, de cette
guerre d’écrivains qui signala les dernières années de la restau-
ration. C’était un bon temps pour la littérature, temps de foi et
d’enthousiasme, de paroles et d’actions, de luttes et de victoires,
lorsque Henri III et Hernani étaient des évènemens à côté de
l’adresse des 221 et des bouleversemens ministériels, et qu’un
combat s’engageait, animé, décisif, sur les marches du trône entre
roi et peuple, sur le théâtre et dans les livres entre unité et varié-
té ; lorsque enfin, comme à toutes les époques de rénovation,
l’avenir et le passé se disputaient le présent, l’un pressé d’être, et
l’autre lent à mourir. Alors tel avait, tout le jour, bataillé contre
le pouvoir, à la tribune et dans les journaux, qui, le soir, venait
siffler la liberté sur la scène, et tel autre, qui, dans la forme,
s’était fait le champion des idées nouvelles, était resté, au fond,
le partisan des idées anciennes, et n’oubliait pas de brûler chaque
matin son grain d’encens, vers ou prose, sur les autels de la légi-
timité. Chose curieuse et pourtant naturelle : il est si rare que l’on
fasse tout d’un coup le tour d’une idée ! Et puis, la liberté res-
semble si souvent à la licence, le pouvoir singe si bien le
despotisme, qu’on est toujours prêt à calomnier l’une et à médire
de l’autre, pour peu qu’on ait intérêt à se tromper. Et puis encore,
incessamment ballotté d’un souvenir à une espérance, il est aussi
impossible à l’homme de renier le passé que de nier l’avenir. Et
puis enfin, entre ces deux grandes choses, pouvoir et liberté, foi