Elments pour la constitution d`un Institut Mditerranen d`Ecologie

Nouveaux biomes :
Réflexion "méditerranéenne" sur le littoral, la zone côtière et les
bassins versants1
Jean-Pierre Féral, UMR 6540-DIMAR, Thierry Tatoni UMR 6116-IMEP
Littoral et zone côtière
La première difficulté pour traiter de ce "territoire" est qu'il s'agit d'un espace dont la définition
est pour le moins confuse. Le littoral est restreint au trait de côte, à l'estran, ou au contraire
s'étend à toutes les terres qui sont influencées par la présence de la mer. Une approche plus
complète consiste à le considérer comme l'ensemble des espaces et territoires relevant
d'une forte interaction terre/mer tant du point de vue physique, qu'économique et social. En
relèvent les écosystèmes "littoraux/côtiers" et les territoires des sociétés et économies, qui
soumises de façon prépondérante à la mer, peuvent être qualifiées de "littorales".
Côté terre, on considère des bandes côtières de plusieurs kilomètres de large le long de la
limite terre/mer. Côté mer, la zone prise en compte, quand une limite existe, correspond aux
petits fonds (50-60 m) au-delà desquels la photosynthèse est réduite et la productivité plus
faible, ou bien elle englobe l'ensemble de la mer territoriale (12 milles).
Ceci explique que les délimitations officielles du littoral ou d'une zone côtière des pays rive-
rains d'une mer (ou d'un grand lac) font souvent défaut ou sont imprécises. Cela explique
aussi le manque de données territorialisées, environnementales et socio-économiques, qui
caractérise cette zone.
En France, la définition juridique inclut les communes riveraines de la mer et éventuellement
tout ou partie des estuaires et deltas.
Bassin versant et tentative de reconnaissance d'un territoire véritablement en crise
Le concept de gestion intégrée des bassins versants et du littoral, en particulier dans le ca-
dre de la gestion de l'eau permet des limites qui débordent largement du "littoral" et des "ré-
gions côtières" pour prendre efficacement en compte la gestion d'un territoire encore non
reconnu en tant qu'unité écologique et environnementale. Cet espace est de plus en plus
sous pression étant donné la tendance à la concentration des activités et des hommes à
laquelle on assiste depuis quelques décennies. Ce phénomène de littoralisation est mondial,
il est particulièrement fort sur nos côtes méditerranéennes.
Bassin méditerranéen
La région méditerranéenne (sensu lato) est l’un des 34 points-chauds (hot-spot) de biodiver-
sité identifiés au niveau mondial, sur la base d’une forte richesse en espèces végétales et
animales et de la présence d’un nombre très important d’espèces endémiques. Il s’agit aussi
d’une région-clé pour la conservation des ressources génétiques du fait de la grande origina-
lité et diversité des pools géniques locaux. Ce hotspot est aussi l’un des plus menacés par
les impacts anthropiques et les effets du réchauffement climatique, ce qui a conduit à
l’identifier récemment en tant que «biome en crise».
Le milieu marin présente une très grande richesse spécifique due à l’histoire mou-
vementée de la mer Méditerranée au cours du Tertiaire (p.e. crise messinienne) et
aux "pompages" post-Pliocène de l'Atlantique, alternativement Nord et Sud – gla-
ciaire et interglaciaire. On considère que la Méditerranée abrite de 12 à 15,000 es-
pèces. Avec 0.8% de la surface de l'Océan mondial, elle héberge 4 à 18% de la
biodiversité selon les groupes taxonomiques considérés. Sa faune et sa flore com-
portent environ 20 à 30% d'espèces endémiques. La biodiversité et l’écodiversité
marine méditerranéenne (= ressources) sont concentrées dans les milieux peu pro-
fonds (5% de la surface de la mer Méditerranée), situés au voisinage des côtes,
qui sont aussi le lieu d'aménagements et le réceptacle d'une grande partie des re-
jets, ce qui en fait la zone la plus soumise aux pressions de l'activité humaine.
1 La gestion de l'eau est aussi un problème majeur de ce "territoire", mais il n'est pas pris en compte ici.
La partie continentale du bassin méditerranéen abrite une concentration exception-
nelle en espèces, notamment chez les végétaux supérieurs, les oiseaux, les reptiles
et les invertébrés. Sur cette surface égale à 2% de la superficie du globe, on recense
par exemple 20% des plantes à fleur et des fougères de la planète. En France, la
zone soumise au bioclimat méditerranéen ne représente que 11% du territoire natio-
nal, mais elle abrite environ les trois-quarts des végétaux supérieurs et entre 55 et
90% des vertébrés du pays. La forte richesse en espèces du bassin méditerranéen
s’explique aussi par l'histoire géologique et la biogéographie mouvementées de cette
région, auxquels s’ajoutent la diversité des habitats et des bioclimats, et l’ancienneté
de l’impact humain. Ayant abrité de nombreux refuges pendant les glaciations Plio-
Pléistocènes, c’est aussi un lieu de brassages de flores et de faunes, et de spécia-
tion active.
Une démographie en constante augmentation
La présence de l’homme est attestée depuis au moins 8000 ans. Les impacts les plus impor-
tants de la civilisation humaine ont été la déforestation, le pâturage intensif et les incendies,
et le développement des infrastructures, en particulier sur la côte, qui ont profondément arti-
ficialisé et fragmenté les milieux naturels depuis un siècle.
Environ 300 millions d'êtres humains vivent actuellement dans le bassin méditerranéen. Les
pénuries d'eau et la désertification sont parmi les problèmes les plus graves pour l’homme.
L’artificialisation et la fragmentation des habitats constituent les menaces sans doute les plus
sérieuses pour la persistance de la biodiversité. Nombre d’espèces endémiques dans le
bassin sont confinées à de très petits espaces et sont donc extrêmement vulnérables à la
perte d'habitat, le surpâturage et l'expansion urbaine (très visible à Marseille et suivi, à terre
comme en mer; dans le cadre de la mise en place du Parc National des Calanques).
Le développement du tourisme a un impact important sur les écosystèmes côtiers. Les rives
de la Méditerranée sont la plus grande attraction touristique dans le monde, avec 110 mil-
lions de visiteurs par an (30% des destinations touristiques mondiales), un chiffre qui devrait
doubler au cours des deux prochaines décennies. La construction de l'infrastructure touristi-
que et les impacts directs représentent donc un danger sans cesse croissant pour les zones
côtières. L’augmentation des populations humaines, permanentes et saisonnières, le long
des côtes va amplifier ces pressions qui concernent aussi bien les milieux continentaux que
marins. La prise en compte efficace de ces phénomènes, dans un cadre de développement
durable, nécessite une démarche intégrative dans l’étude de ces milieux et dans la recher-
che et la définition de modes de conservation dépassant nécessairement le clivage
terre/mer.
Les pressions engendrées
La composition et l'organisation de la faune, de la flore et des habitats marins et continen-
taux changent sous l'influence du climat et de l'activité humaine. Il est reconnu que cette
dernière est à l'origine de la détérioration de nombreux environnements et que depuis les 50
dernières années, la rapidité et l'extension de cette détérioration sont sans précédent, de
même que les conséquences de ces changements sur la diversité biologique. On distingue
parmi les causes de la perte et de la dégradation de la biodiversité :
9 Fragmentation et perte des habitats naturels
9 Augmentation de la population humaine et de l'exploitation concomitante des
ressources
9 Invasions biologiques
9 Pollutions (retombées atmosphériques - embruns et aérosols -, apports des
fleuves, des émissaires, mariculture, hydrocarbures, peintures anti-fouling, eaux
chaudes, intrants chimiques, détergents, métaux lourds, radionucléides, déchets, vi-
rus et bactéries [eaux usées], envasement, navigation de plaisance)
9 Augmentation des trafics maritime et terrestre, développement aéroportuaire
côtier
9 Aménagement des fleuves et du littoral (mise en valeur et occupation des zo-
nes littorales à des fins industrielles, touristiques et résidentielles / artificialisation)
9 Prélèvements (pêches, collectes) en très grande majorité sur les stocks sau-
vages (sous développement de la mariculture par rapport à l'agriculture)
9 Effets des changements climatiques
9 Absence d'une connaissance scientifique suffisante et transmission peu effi-
cace de l'information
9 Non reconnaissance ou sous évaluation de la diversité biologique et des res-
sources naturelles en termes économiques
9 Faiblesse des institutions et des systèmes législatifs (ou non application des
lois)
Proposition et rôle possible de catalyseur de l'INEE
Devant l'importance écologique et socio-économique de ce biome "côtier" et l'absence de
structure et d'infrastructure de recherche adaptées, un objectif majeur devrait être de regrou-
per les compétences dans les domaines de l'écologie et de la biodiversité méditerranéennes
au sein d'unités de recherche "pilotes", faisant autorité aussi bien dans les domaines marin
que continental, en y mettant les moyens nécessaires à la mutation. De telles structures
d'enseignement et de recherche se focaliseraient sur les systèmes côtiers (des chaînons
montagneux jusqu'au plateau continental du pourtour méditerranéen, y compris les îles), tout
en continuant à développer ses champs d'investigation historiquement reconnus (taxonomie
intégrée dans un cadre conceptuel phylogénétique, écologie, écophysiologie, génétique,
bioindication, valorisation, aide à la gestion environnementale). Elles auraient entre autres
comme vocation à développer un volet expérimental fort en milieux terrestre et marin et à
mettre en œuvre des approches génomiques, tout comme elles seraient responsables de
suivis des écosystèmes et de certaines espèces modèles dont le développement à long
terme est nécessaire pour appréhender l'évolution des systèmes biologiques sous pression
anthropique.
Idéalement situé aux abords d'une future mégapole comme Marseille, un tel Institut Méditer-
ranéen de la Biodiversité et d'Ecologie marine et continentale (IMBE), par sa compétence et
sa démarche intégrative dans les domaines de la biodiversité et du fonctionnement des
écosystèmes marins et continentaux serait aussi un des acteurs incontournables de la
gestion intégrée de la zone côtière (GIZC). Sa création répondrait aux besoins de résultats
de recherches intégrant des réalités scientifiques et socio-économiques concernant en parti-
culier un biome en crise, tenant compte des interactions continent/mer. Elle correspond
d'ores et déjà aux objectifs affichés par le CNRS (INEE et INSU) ou par l'ANR et permet de
se positionner par rapport aux appels à projets internationaux dans les domaines concernés.
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