Action judiciaire climatique : l’argumentation juridique en bref L’affaire hollandaise pourrait créer un précédent dans de nombreux pays européens. D’autres actions judiciaires sont déjà en cours, notamment dans des pays nordiques. Pour mémoire, le Tribunal de district La Haye (Pays-Bas) a condamné l’Etat hollandais à en faire davantage contre le réchauffement climatique, constatant que les politiques publiques actuelles étaient insuffisantes pour atteindre l’objectif assigné aux pays de l’Annexe I de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) compte tenu du dernier état des connaissances scientifiques. Le Tribunal hollandais a rejeté l’argument selon lequel un pays pris isolément ne pouvait pas contribuer à réduire le réchauffement de la planète. Le Tribunal a considéré que les contributions de tous les Etats étaient indispensables et que les Etats de l’Annexe I devaient montrer l’exemple, surtout au vu du nombre de tonnes de CO2, rapportées à la population, qu’ils produisent. Le jugement du Tribunal de district de la Haye a fait l’objet d’un appel formé par le Gouvernement hollandaise. En Suisse, ce domaine judiciaire est totalement inexploré. Alors que les recours contre des projets concrets d’installations (parkings, routes, etc.) sont courants, au motif qu’ils aggravent la pollution de l’air (particules fines, oxydes d’azote, etc.), aucun recours n’a jamais porté sur les émissions de gaz à effet de serre trop abondantes. Deux voies judiciaires sont envisageables en Suisse : la voie du droit civil ou la droit du droit public. En droit civil, il s’agirait d’attraire la Confédération devant un tribunal civil en faisant valoir sa responsabilité dans le réchauffement climatique et les atteintes portées directement et indirectement sur la santé des personnes. Dans la conception du droit suisse où la notion de dommage est définie de façon beaucoup plus stricte qu’en droit anglo-saxon, cette voie semble à première vue ardue. Ainsi, c’est la piste du droit public qui est explorée en priorité, celle du droit civil demeurant en réserve. Le but d’une action judiciaire en droit public est le suivant : démontrer que l’arsenal législatif suisse en matière de protection du climat et sa mise en œuvre ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs scientifiquement admis comme minimaux pour endiguer le réchauffement planétaire. Il est aujourd'hui démontré et reconnu par tous les Etats parties à la Convention-cadre sur les changements climatique (CCNUCC) que le niveau actuel de réduction d'émission des Etats développés pour 2020 est insuffisant pour atteindre l'objectif de la CCNUCC (art. 2: "stabiliser (...) les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique"). En droit public, pour avoir accès à un juge, il faut dans un premier temps obtenir une décision de l’administration. La tradition suisse est plutôt restrictive quant à au droit des citoyens à obtenir des décisions en matière environnementale lorsqu’ils ne sont pas touchés directement. Le défi consistera à démontrer que la question climatique est si particulière qu’elle mérite un traitement particulier et que chaque citoyen est forcément touché par les dérèglements climatiques. Concrètement, la démarche consistera à requérir de l’OFEV qu’il constate que les politiques publiques menées actuellement ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs minimaux de protection du climat. En cas de rejet de la requête par l’OFEV, la justice sera saisie (Tribunal administratif fédéral, puis Tribunal fédéral le cas échéant, puis Cour européenne des droits de l’homme). Les griefs juridiques sont les suivants : quels que soient les efforts fournis à ce jour par l’OFEV, ils sont insuffisants pour contribuer de façon conforme au droit aux efforts globaux de réduction des gaz à effet de serre. Les risques du réchauffement climatique sont maintenant avérés et ses conséquences documentées. La politique publique conduite par l’OFEV est ainsi contraire aux principes constitutionnels de durabilité, de prévention et de précaution. Le droit à un environnement sain est aussi au cœur de la démarche envisagée. Ce droit fondamental, dont la violation peut être invoquée jusqu’à Strasbourg, est déduit des art. 2 et 8 CEDH. Dans certaines circonstances, un Etat peut être contraint à mieux agir pour protéger sa population des conséquences néfastes d’un danger environnemental (obligation positive). Le succès judiciaire d’une telle démarche n’est évidemment pas garanti. A l’incertitude de toute procédure judiciaire s’ajoutent les difficultés de procédure mentionnées. Une telle action en vaut toutefois largement la chandelle : cela permettra en tous les cas de contraindre un Tribunal à se pencher sur la question climatique. Si l’écueil de la recevabilité est passé, le Tribunal devra élaborer une argumentation portant sur le réchauffement climatique qui aura de toute façon un certain retentissement. Même un échec pourrait avoir pour mérite de mettre en lumière les insuffisances du droit suisse de protection de l’environnement, notamment sous l’angle procédural. Raphaël Mahaim, 27.11.2015 2